Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.336/1999
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5P.336/1999

                 IIe   C O U R   C I V I L E
                *****************************

                        13 avril 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Weyermann et
M. Bianchi, juges. Greffier: M. Braconi.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

R.________, représenté par Me Jean-François Ducrest, avocat à
Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 21 mai 1999 par la Chambre civile de la Cour
de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose le
recourant à L.________ & Cie en liquidation concordataire,
représentée par Me Michel A. Halpérin, avocat à Genève;

                  (art. 4 aCst.; concordat)

              Considérant en fait et en droit:

     1.- a) Les faits de la cause ont été déjà exposés dans
les précédentes décisions de la cour de céans, auxquelles il
y a lieu de renvoyer.

     b) Par arrêt du 21 mai 1999, la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève a condamné le défendeur
R.________ à payer à la demanderesse X.________ en liquida-
tion concordataire les sommes suivantes, toutes avec intérêts
à 5% l'an dès le 20 février 1985:
     -   157'948 fr.30;
     -   227'500 fr.;
     - 2'000'000 fr.

     c) R.________ exerce un recours de droit public au Tri-
bunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation et
au déboutement de la demanderesse. L'intimée propose le rejet
du recours.

     Le recourant a également interjeté un recours en réforme
tendant, pour l'essentiel, au rejet de la demande.

     2.- a) Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de déroger à la
règle générale de l'art. 57 al. 5 OJ.

     b) Les conclusions qui excèdent la seule annulation de
l'arrêt attaqué sont irrecevables (ATF 125 I 104 consid. 1b
p. 107 et la jurisprudence citée).

     3.- Le recourant reproche d'abord à la Cour de justice
d'avoir violé son droit d'être entendu en ne donnant aucune
suite à sa demande d'édition, par l'intimée, des documents
relatifs au compte dont son épouse était titulaire auprès de
la Banque X.________.

     Le refus d'ordonner des preuves pertinentes constitue
une violation de l'art. 8 CC, dont le Tribunal fédéral peut
connaître en instance de réforme lorsqu'un tel recours est,
comme en l'occurrence, ouvert (ATF 105 II 143 consid. 6a/aa
p. 145 et la jurisprudence citée); il s'ensuit que le moyen
est irrecevable (art. 84 al. 2 OJ). Au demeurant, dans son
arrêt préparatoire du 20 juin 1997 - dont la teneur intégrale
est rappelée dans la décision attaquée -, la cour cantonale
s'est expressément prononcée sur les réquisitions probatoires
du recourant, exposant les motifs de leur rejet; or, l'acte
de recours n'y consacre pas la moindre critique, de sorte que
le grief eût été de toute manière irrecevable faute de moti-
vation (art. 90 al. 1 let. b OJ). Au surplus, les allégations
d'après lesquelles les documents en question, en tant qu'ils
faisaient partie des archives de X.________, auraient été
confiés aux liquidateurs, et que le courrier concernant les
comptes du recourant et de son épouse auraient été envoyés
"banque restante" sont nouvelles, partant irrecevables dans
un recours soumis à l'exigence de l'épuisement des instances
cantonales (ATF 107 Ia 265).

     4.- Le recourant prétend ensuite que la cour cantonale a
établi arbitrairement les faits en rapport avec l'acquisition
de l'appartement de Saanen.

     L'autorité inférieure a expliqué pourquoi la version du
recourant n'était pas crédible: le fait que le compte de son
épouse a été débité de 215'000 fr. n'est pas déterminant, dès
lors que l'intéressée n'avait ni fortune - sous réserve d'un
capital de 12'000 fr. en titres reçu au décès de son père -,
ni revenus, du moins à l'époque; l'allégation selon laquelle
elle aurait été titulaire, en automne 1975, d'un dossier de
titres d'une valeur de 280'000 fr. n'est confirmée par aucun
document; si, d'après les relevés de compte aux 31 décembre

1976 et 31 mars 1977, elle était propriétaire de titres pour
un montant de 82'000 fr., cette circonstance n'établit pas de
quels avoirs elle aurait disposé en 1975; enfin, il n'est pas
même prouvé que la somme de 215'000 fr. ait bien été obtenue
par la réalisation de ses titres, la seule pièce produite en
relation avec ce versement étant un simple avis de débit. La
cour cantonale a déduit de ces éléments que seuls les avoirs
du recourant avaient financé l'acquisition et le service de
la dette hypothécaire du bien immobilier en question, dont il
était le réel propriétaire.

     Le recourant se borne à fournir ses propres explications
quant au financement de l'opération immobilière litigieuse,
mais ne démontre nullement en quoi l'appréciation des juges
cantonaux serait insoutenable: manifestement appellatoire, le
grief est dès lors irrecevable (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF
117 Ia 10 consid. 4b p. 11/12, 393 consid. 1c p. 395 et les
arrêts cités). L'affirmation selon laquelle le compte de son
épouse aurait été alimenté durant le mariage "par des verse-
ments variables, mais réguliers" apparaît en outre nouvelle,
partant irrecevable (ATF 119 II 6 consid. 4a p. 7; 118 III 37
consid. 2a p. 39 et les arrêts cités).

     5.- Le recourant se plaint de surcroît d'arbitraire dans
l'appréciation des preuves.

     a) S'agissant du financement de l'appartement de Saanen,
le recourant reprend les critiques émises précédemment, mais
sans les motiver davantage (cf. supra, consid. 4), de sorte
qu'elles appellent une sanction identique: l'irrecevabilité
du grief (art. 90 al. 1 let. b OJ).

     b) En ce qui concerne le financement de la maison de
Chêne-Bougeries, l'autorité cantonale, après avoir longuement
analysé les pièces et allégations des plaideurs, est parvenue

à la conclusion que la thèse du recourant, selon laquelle le
service de la dette hypothécaire et l'amortissement auraient
toujours été assurés par les revenus que son épouse réalisait
en donnant des cours de yoga, n'était pas vraisemblable. Sans
aucunement réfuter une pareille appréciation, le recourant se
contente de renvoyer aux documents qui confirment l'octroi de
prêts à sa femme et réaffirme que celle-ci aurait pris part,
à concurrence de 90'000 fr., au "financement direct" de cette
opération (alors qu'un chiffre de 100'000 fr. avait été arti-
culé en instance cantonale). Insuffisamment motivée (art. 90
al. 1 let. b OJ), cette critique ne fonde pas, au demeurant,
le reproche d'arbitraire, car le simple fait que la prénommée
apparaisse en qualité d'emprunteuse ne renseigne pas sur la
personne qui s'acquitte réellement des obligations découlant
du prêt. Il n'est, en outre, pas arbitraire d'avoir admis que
les intérêts hypothécaires et l'amortissement n'ont pas été
financés au moyen des "cours de yoga"; l'autorité inférieure
a retenu à cet égard, sans être contredite, que le recourant
n'a produit aucune pièce ni donné d'indication quelconque sur
les gains provenant de cette activité, et que la déclaration
fiscale de 1979 ne mentionne aucun revenu mulièbre, seul un
revenu d'environ 15'000 fr. ayant été déclaré en 1980.

     c) Dans son rapport destiné à estimer les immeubles de
l'hoirie de R.________, l'expert a fixé à 6'432'000 fr. la
valeur vénale de ces biens. Contrairement à ce que prétend le
recourant, la Cour de justice ne s'est pas écartée de cette
estimation en retenant une valeur de 6'871'500 fr.; elle a,
en effet, considéré que, puisque certains de ces immeubles
avaient été vendus "et que leur valeur réelle est connue, il
apparaît justifié de retenir cette dernière valeur plutôt que
celle d'estimation", qui n'est pas remise en discussion comme
telle. Or, le recourant n'adresse aucune critique à l'égard
de cette argumentation, dont il ne démontre pas, a fortiori,
le caractère insoutenable (art. 90 al. 1 let. b OJ). L'acte

de recours ne renferme pas non plus de motivation suffisante
lorsqu'il mentionne, sans autres développements, qu'il serait
"choquant de retenir que les ventes réalisées en 1981, 1983
et 1984 se sont déroulées à une date proche du 31 mai 1979",
à savoir la date à laquelle la clause litigieuse du concordat
est devenue définitive.

     d) Au sujet des revenus réalisés en qualité d'employé de
la Banque B.________ entre le 22 juillet 1977 et la fin de
1982, la Cour de justice a constaté que le salaire du recou-
rant s'élevait à 140'000 fr. par an, indexé au coût de la
vie; aucune attestation n'a cependant été fournie pour les
années 1980 à 1982, omission qui pourrait s'expliquer par le
fait que, durant ces trois ans, l'intéressé "aurait touché un
salaire supérieur à celui des trois années précédentes" (1977
à 1979). Certes, l'autorité inférieure a relevé que, d'après
un extrait AVS/AI/APG/LPP de la Caisse interprofessionnelle
romande des syndicats patronaux, son salaire ne paraît avoir
augmenté qu'en fonction de l'indice du coût de la vie, encore
qu'il ait passé de 150'000 fr. à 167'000 fr. de 1981 à 1982;
mais, compte tenu des prestations de son employé, il est per-
mis de penser que la Banque B.________ l'ait recompensé en
lui octroyant, par exemple, des commissions ou une participa-
tion au bénéfice lors du renouvellement de son contrat, qui
venait à échéance le 31 juillet 1980.

     Cette appréciation n'est pas soutenable. Il ressort du
témoignage de G.________, directeur de la Banque B.________,
que le recourant ne percevait pas, en sus de son salaire, "de
commissions ni de participation aux bénéfices"; l'autorité
cantonale a d'ailleurs tenu à le rappeler afin de dissiper un
"malentendu" provoqué par sa précédente décision du 1er mars
1996. S'il est exact que la déclaration fiscale afférente à
la période incriminée n'a pas été produite - ce dont le re-
courant s'est expliqué -, l'extrait de la FRSP-CIAM n'en con-
tenait pas moins les éléments nécessaires; les juges canto-

naux n'ont, du reste, pas hésité à se fonder sur cette pièce
pour apprécier les gains réalisés par le recourant dans la
société G.________. Sauf à mettre en doute la crédibilité du
témoin et la force probante d'une attestation émanant d'une
association professionnelle, rien n'autorise à affirmer que
l'intéressé a "bénéficié, de 1980 à 1982, d'un revenu qui,
dans une mesure non négligeable", a été "supérieur à celui
des trois années précédentes".

     Certes, l'autorité inférieure est d'avis que, "si l'on
ne voulait pas admettre que c'est au moyen des revenus perçus
auprès de la Banque B.________" que le recourant a investi
des fonds importants pour l'achat d'un terrain à Chêne-Bouge-
ries et la construction d'une villa, il faudrait alors consi-
dérer qu'il disposait d'"autres ressources, lesquelles pour-
raient provenir de gains réalisés en tant qu'associé de la
Banque X.________ et non déclarés dans l'inventaire du 27
avril 1978"; or, cette hypothèse ne semble pas exclue, dès
lors qu'il est constant que le recourant a touché à cette
époque, en plus de son salaire annuel, un revenu moyen de
431'151 fr.25 par an à titre de bénéfices distribués de 1973
à 1976, lequel pourrait avoir servi à financer cette opéra-
tion immobilière. Force est toutefois de constater que cette
rétribution supplémentaire n'a pas été prise en compte pour
fixer les gains du recourant destinés à désintéresser les
créanciers, mais uniquement ceux dont il "a bénéficié en tant
que collaborateur de la Banque B.________ et ceux qu'il s'est
procuré dans les premières années au sein de G.________ SA".
Enfin, comme le souligne avec raison le recourant, les juges
cantonaux n'ont pas quantifié le salaire "non négligeable",
ou "largement supérieur à celui des trois années précéden-
tes", qu'il aurait réalisé de 1980 à 1982. Il est vrai que,
dans l'esprit desdits magistrats, une estimation chiffrée ne
pouvait guère entrer en considération, s'agissant de revenus
par définition occultes; il n'en reste pas moins qu'une ap-
préciation aussi vague ne permettrait pas au Tribunal fédéral

de contrôler que l'exercice du pouvoir d'appréciation est de-
meuré dans des limites acceptables.

     6.- Le recourant invoque encore une violation du droit
de procédure cantonal.

     a) Le moyen pris d'une violation de l'art. 186 al. 2 LPC
gen. a déjà été examiné précédemment; il n'y a donc plus lieu
d'y revenir (cf. supra, consid. 3).

     b) A l'appui d'un grief fondé sur l'art. 255 LPC gen.,
le recourant soutient que la Cour de justice se serait arbi-
trairement écartée des conclusions de l'expert; l'autorité
inférieure s'est toutefois expliquée sur ce point, sans que
sa solution ne soit critiquée de manière motivée (cf. supra,
consid. 5c).

     7.- Le recourant fait enfin valoir que l'arrêt attaqué
consacre un "résultat gravement inéquitable". Mais toute son
argumentation relève soit du recours en réforme (conséquences
de l'usufruit maternel grevant les biens successoraux, dies a
quo des intérêts), soit repose sur des faits nouveaux (taux
des impôts successoraux dans les cantons de Genève et Vaud),
en sorte que le moyen doit être entièrement écarté.

     8.- En conclusion, le recours doit être partiellement
admis dans la mesure où il est recevable et l'arrêt attaqué
annulé. Vu l'issue de la procédure, il convient de répartir
l'émolument judiciaire par moitié entre les parties et de
compenser les dépens (art. 156 al. 3 et 159 al. 3 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

     1. Admet partiellement le recours dans la mesure où il
est recevable et annule l'arrêt attaqué.

     2. Met un émolument judiciaire de 12'000 fr. par moitié
à la charge des parties.

     3. Compense les dépens.

     4. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du
canton de Genève.

                         __________

Lausanne, le 13 avril 2000
BRA/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,