Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.317/1999
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5P.317/1999

                 IIe   C O U R   C I V I L E
                *****************************

                       8 février 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Weyermann,
M. Bianchi, M. Raselli et Mme Nordmann, juges.
Greffier: M. Braconi.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

S.________, représenté par Me Saverio Lembo, avocat à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 8 juillet 1999 par la 1ère Section de la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause opposant le
recourant à X.________ (en liquidation), représentée par son
liquidateur Aksel O. Hillestad, au nom de qui agit Me Jean-
Cédric Michel, avocat à Genève;

                         (séquestre)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

     A.- Par jugement du 31 mars 1998, la Cour civile d'Oslo
a condamné S.________ à verser à X.________ en liquidation la
somme de 2'962'226 NOK (couronnes norvégiennes), avec suite
d'intérêts et dépens (ch. 1 et 2); le chiffre 3 du dispositif
indique que "(l)e délai autorisé pour l'exécution décrite aux
points 1 et 2 est de 2 semaines dès le prononcé du présent
jugement". Le 4 juin suivant, le défendeur s'est pourvu en
appel.

     B.- Se fondant sur ce jugement, X.________ en liquida-
tion a, le 3 mars 1999, requis le Président du Tribunal de
première instance de Genève d'autoriser, en application de
l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP, un séquestre au préjudice de
S.________. Ordonnée le même jour, la mesure a été, sur
opposition du séquestré, révoquée par ce magistrat le 4 mai
suivant. Statuant le 8 juillet 1999 sur appel de la requé-
rante, la Cour de justice du canton de Genève a annulé cette
décision et confirmé l'ordonnance de séquestre.

     C.- Agissant par la voie du recours de droit public au
Tribunal fédéral, S.________ conclut à l'annulation de cet
arrêt. L'intimée propose le rejet du recours.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

     1.- Interjeté à temps contre un arrêt sur opposition au
séquestre rendu en dernière instance cantonale (SJ 120/1998
p. 146 consid. 2, non publié aux ATF 123 III 494), le présent
recours est recevable sous l'angle des art. 86 al. 1, 87 et
89 al. 1 OJ.

     2.- En l'espèce, il est constant que la créance invoquée
par l'intimée ne repose sur aucune reconnaissance de dette et
n'a pas davantage de lien suffisant avec la Suisse; il reste
donc à examiner si elle découle d'un "jugement exécutoire" au
sens de l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP, seule condition litigieuse
dans le cas présent.

     a) Lorsque la créance alléguée à l'appui de la requête
de séquestre se fonde, comme ici, sur une décision étrangère,
certains auteurs tiennent cette exigence pour réalisée même
si la décision en cause n'est pas susceptible d'exequatur en
Suisse en vertu des dispositions de la LDIP (art. 25 ss) ou
d'un traité international - en l'occurrence la Convention de
Lugano concernant la compétence judiciaire et l'exécution des
décisions en matière civile et commerciale, du 16 septembre
1988 (RS 0.275.11; CL) -, pour autant qu'elle soit exécutoire
dans l'Etat où elle a été rendue (Gaillard, Le séquestre des
biens du débiteur domicilié à l'étranger, in: Le séquestre
selon la nouvelle LP, p. 26 n. 22; Gani, Le "lien suffisant
avec la Suisse" et autres conditions du séquestre lorsque le
domicile du débiteur est à l'étranger, RSJ 92/1996 p. 228 et
n. 8); la doctrine dominante exprime, cependant, l'opinion
opposée (Breitschmid, Übersicht zur Arrestbewilligungspraxis
nach revidiertem SchKG, AJP 1999 p. 1018; Jeanneret, Aperçu
de la validation du séquestre sous l'angle de la nouvelle
LPDF, in: Le séquestre selon la nouvelle LP, p. 102; Kleiner,
Ausländerarrest - Kompromiss zwischen Schuldnerverfolgung und
Schädigung der eigenen Wirtschaft, in: Centenaire de la LP,
p. 373; Meier-Dieterle, Der "Ausländerarrest" im revidierten
SchKG - eine Checkliste, AJP 1996 p. 1422; Stoffel, Das neue
Arrestrecht, AJP 1996 p. 1406; Terracina/Maugué/Pétremand, Le
nouveau droit du séquestre en Suisse, International Business
Law Journal N° 7/1996 p. 877 n. 19), que paraît suivre aussi
le Conseil fédéral (FF 1991 III 188).

     En recherchant si le jugement norvégien était exécutoire
au regard de l'"art. 31 al. 1 CL", la Cour de justice s'est
implicitement ralliée au courant majoritaire. Or, il ressort
clairement des avis de droit versés au dossier que, à teneur
du droit de l'Etat d'origine (cf. Donzallaz, La Convention de
Lugano, vol. II, §§ 3521 ss), cette décision ne l'est pas. On
ne saurait non plus l'assimiler à un jugement exécutoire par
provision (sur cette notion: Donzallaz, op. cit., §§ 3526 ss
et les références citées) ou à un référé provision (sur cette
notion: Kaufmann-Kohler, L'exécution des décisions étrangères
selon la Convention de Lugano, SJ 119/1997 p. 565; Normand,
note in: RCDIP 1999 p. 353 ss; par exemple: arrêts de la CJCE
du 27 avril 1999, Mietz, aff. C-99/96, Rec. 1999 I 2299 ss,
et du 17 novembre 1998, Van Uden, aff. C-391/95, Rec. 1998 I
7122 ss; voir aussi l'ATF 125 III 451 consid. 3b p. 455 ss,
avec d'autres références), puisqu'elle n'a pas été déclarée
provisoirement exécutoire nonobstant appel, ni n'emporte de
condamnation pécuniaire à titre provisionnel préalablement au
procès au fond. Les magistrats précédents n'ont, apparemment,
retenu aucune de ces qualifications; ils ont considéré que la
requérante avait rendu vraisemblable le caractère exécutoire
de la partie du dispositif ouvrant la possibilité d'obtenir
une saisie conservatoire à l'expiration du délai d'exécution
prévu dans le jugement (ch. 3), faute de pièces établissant
que l'appel du défendeur s'étendrait également à ce point du
dispositif ou qu'il entraînerait de plein droit la suspension
de son caractère exécutoire.

     b) Les juristes norvégiens consultés dans la présente
affaire s'accordent à dire que le jugement dont se prévaut
l'intimée, même s'il n'est pas revêtu de la force exécutoire
d'après le droit norvégien, peut être "utilisé pour garantir
une créance", en autorisant la demanderesse victorieuse (en
première instance) à requérir une "saisie conservatoire", ou
un "séquestre", frappant "tous actifs que le défendeur a en

Norvège ou dans tout autre pays selon le droit international
privé et/ou les traités". S'appuyant sur ces avis, l'autorité
cantonale paraît avoir admis que ce jugement, à défaut d'être
exécutoire sur le fond, jouit de cette qualité en tant qu'il
emporte le droit, pour l'intimée, de procéder à des mesures
conservatoires sur les biens du recourant, même localisés à
l'étranger.

     Il est vrai que la Convention de Lugano n'exclut pas que
des mesures conservatoires, ordonnées dans l'Etat d'origine à
la suite d'une procédure contradictoire, soient reconnues et
exécutées aux conditions posées par les art. 25 ss CL (sur ce
point: Donzallaz, op. cit., §§ 2149 ss et les références); de
telles mesures pourraient ainsi justifier un séquestre fondé
sur l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP (cf. Meier-Dieterle, op. cit.,
p. 1423/1424 n. 63; voir, à titre d'exemple, l'ordonnance du
Tribunal du district de Zurich, rapportée et commentée par
Stoll, Die britische Mareva-Injunction als Gegenstand eines
Vollstreckungsbegehrens unter dem Lugano-Übereinkommen, RSJ
92/1996 p. 104 ss, avec d'autres citations). Toutefois, force
est de constater que, dans le cas particulier, aucune mesure
de blocage des avoirs du recourant n'a été ordonnée par les
juridictions norvégiennes sur la base du jugement de la Cour
civile d'Oslo. La cour cantonale s'est méprise sur la portée
du "caractère exécutoire" du chiffre 3 du dispositif de cette
décision; le point en question ne signifie manifestement pas
que le jugement serait provisoirement exécutoire sur le fond
par le seul fait qu'il autorise une saisie conservatoire pour
garantir une créance pécuniaire, mais uniquement qu'il permet
à la partie victorieuse de requérir une telle mesure dans les
deux semaines dès le prononcé du jugement. Faute de décision
exécutoire, tant sur le fond que sur la saisie conservatoire
elle-même, la réquisition de séquestre ne pouvait, dans ces
circonstances, qu'être rejetée.

     On peut, certes, discuter la solution consacrée par la
novelle du 16 décembre 1994, dans la mesure où elle accorde
plus de poids, sous l'angle de la vraisemblance (cf. art. 272
al. 1 ch. 2 LP), à une simple reconnaissance de dette qu'à un
jugement non (encore) exécutoire d'un tribunal étatique (voir
les critiques de Gaillard, op. cit., p. 26 ch. 15; Gilliéron,
Une alerte centenaire: La volonté de restreindre le cas de
séquestre de l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP, RSJ 82/1986 p. 125;
Ottomann, Der Arrest, RDS 115/1996 I p. 249); mais le texte
légal est clair et reflète la volonté du législateur (FF 1991
III 188; cf. Egli, Deux aspects internationaux du séquestre,
de lege ferenda, in: Premier Séminaire de droit international
et de droit européen, Etudes suisses de droit international,
vol. 46, p. 127).

     c) Nonobstant l'exclusion du forum arresti (art. 3 CL),
rien ne s'oppose à ce que les tribunaux suisses accordent, en
vertu de l'art. 24 CL, des mesures conservatoires prévues par
la loi suisse - en l'occurrence un séquestre (FF 1990 II 320
ch. 229.3 in fine; Donzallaz, op. cit., vol. I, §§ 1712 ss et
les références) -, même si, aux termes de la convention, les
autorités d'un autre Etat contractant sont compétentes pour
connaître du fond (ibidem, §§ 1679 ss). On ne peut toutefois
rien tirer de cette norme conventionnelle, pour le motif déjà
qu'il appartient au droit national de prévoir les conditions,
le contenu et les effets de la mesure (ibidem, § 1592); aussi
bien, lorsque la Convention de Lugano trouve application, les
restrictions de l'art. 271 al. 1 ch. 4 LP subsistent-elles si
le requérant sollicite du juge helvétique une ordonnance de
séquestre (FF 1991 III 190/191; Gilliéron, Le séquestre dans
la LP révisée, BlSchK 59/1995 p. 128/129).

     3.- En conclusion, le recours doit être admis et l'arrêt
attaqué annulé, avec suite de frais et dépens à la charge de
l'intimée, qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 2 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

     1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué.

     2. Met à la charge de l'intimée:
     a) un émolument judiciaire de 6'000 fr.,
     b) une indemnité de 6'000 fr. à payer
        au recourant à titre de dépens.

     3. Communique le présent arrêt en copie aux mandataires
des parties et à la 1ère Section de la Cour de justice du
canton de Genève.

                         __________

Lausanne, le 8 février 2000
BRA/frs

                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        Le Greffier,