Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.316/1999
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5P.316/1999

                IIe    C O U R   C I V I L E
               ******************************

                       22 février 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, M. Weyermann et
Mme Nordmann, juges. Greffière: Mme Mairot.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

Dame B.________ D.________ , à Onex, représentée par Me
Grégoire Rey, avocat à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 25 juin 1999 par la Chambre civile de la
Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui oppose
la recourante à D.________ , à Onex, représenté par Me
Suzette Chevalier, avocate à Genève;

             (art. 4 aCst.; mesures provisoires
                    selon l'art. 145 aCC)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- D.________, né le 5 mai 1964, et dame
B.________, née le 2 janvier 1947, tous deux ressortissants
tunisiens, se sont mariés le 3 septembre 1991 à Genève. Aucun
enfant n'est issu de cette union.

   Dame D.________ a trois enfants d'un précédent ma-
riage, nés respectivement en 1972, 1973 et 1975.

   Le 24 juin 1998, l'épouse a ouvert action en divorce
devant le Tribunal de première instance de Genève. Le mari
s'est opposé à la demande.

   B.- Par jugement sur mesures provisoires du 21 jan-
vier 1999, le Tribunal a donné acte au défendeur de ce qu'il
avait quitté le domicile matrimonial, attribué à l'épouse la
jouissance exclusive du logement conjugal et condamné le mari
à verser pour son entretien une pension mensuelle de 320 fr.
dès le 1er juillet 1998. Il a en outre mis un émolument judi-
ciaire de 200 fr. à la charge de l'épouse et compensé les dé-
pens.

   Chacun des conjoints a appelé de ce jugement. Par
arrêt du 25 juin 1999, la Chambre civile de la Cour de justi-
ce du canton de Genève l'a annulé. Statuant à nouveau, elle a
limité le paiement de la pension en faveur de l'épouse au 31
janvier 1999 et dit qu'aucune contribution n'est due, de part
ou d'autre, à partir du 1er février 1999. Les dépens de pre-
mière instance et d'appel ont été compensés et les parties
déboutées de toutes autres conclusions.

   C.- Agissant par la voie du recours de droit public
au Tribunal fédéral pour violation de l'art. 4 aCst., dame
B.________ D.________ conclut à l'annulation de l'arrêt du 25
juin 1999 et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale
pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

   L'intimé propose le rejet du recours.

   Les deux parties sollicitent le bénéfice de l'assis-
tance judiciaire.

   L'autorité cantonale a formulé des observations.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- a) Formé en temps utile contre une décision pri-
se sur mesures provisoires, au sens de l'art. 145 aCC, le re-
cours est recevable au regard des art. 87 (cf. ATF 100 Ia 12
consid. 1b p. 14) et 89 al. 1 OJ. Il l'est également selon
l'art. 86 al. 1 OJ, la décision attaquée ayant été rendue en
dernière instance cantonale.

   b) Le chef de conclusions tendant au renvoi de la
cause à l'autorité cantonale est superfétatoire; ce n'est que
la conséquence d'une annulation éventuelle (cf. ATF 112 Ia
353 consid. 3c/bb p. 354).

   2.- Dans un premier moyen, la recourante fait grief
à la Cour de justice d'avoir appliqué arbitrairement l'art.
312 de la loi de procédure civile genevoise (LPC gen.) en dé-
clarant recevables les conclusions de l'intimé formulées pour
la première fois en appel. Elle reproche en outre à l'autori-
té cantonale d'avoir violé son droit d'être entendue en ne
motivant pas sa décision à cet égard.

   Selon cette disposition, la Cour de justice ne peut,
en règle générale, statuer sur aucun chef de demande qui n'a
pas été soumis aux premiers juges. Il a toutefois été jugé
qu'il n'y avait pas de conclusions nouvelles, prohibées par
le principe du double degré de juridiction cantonal, notam-
ment lorsqu'une partie prend de plus amples conclusions sur
mesures provisoires, arguant de faits nouveaux (cf. Bertossa/
Gaillard/Guyet, Commentaire de la loi de procédure civile du
canton de Genève du 10 avril 1987, vol. II., n. 5 ad art. 312
LPC gen.). Or, il s'agit précisément du motif pour lequel
l'autorité cantonale a estimé que les conclusions prises par
le mari dans son appel incident étaient recevables. On ne
saurait dès lors lui reprocher d'avoir commis arbitraire sur
ce point; la recourante ne s'emploie de toute façon pas à le
démontrer, se contentant de formuler de simples affirmations
ou de renvoyer aux actes cantonaux, ce qui n'est pas admissi-
ble dans le recours de droit public (art. 90 al. 1 let. b OJ;
ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76; 122 I 168 consid. 2b p. 172/
173; 115 Ia 27 consid. 4a p. 30; 114 Ia 317 consid. 2b p.
318). De plus, contrairement à ce qu'elle prétend, la motiva-
tion de l'arrêt attaqué satisfait sur ce point aux exigences
prévues en la matière (cf. ATF 123 I 31 consid. 2c). On relè-
vera enfin que les conclusions prises par l'intimé sur faits
nouveaux, qui tendaient à ce que son épouse soit condamnée à
lui payer 200 fr. par mois pendant un an à titre de partici-
pation à ses frais d'ameublement et d'installation, n'ont pas
été allouées par la Cour de justice. Pour autant qu'elles
soient recevables, les critiques soulevées par la recourante
apparaissent dès lors manifestement infondées.

   3.- La recourante reproche à l'autorité cantonale
de n'être pas entrée en matière, sans aucune motivation, sur
sa demande tendant à ce que l'intimé produise son dernier
contrat de travail ou ses dernières fiches de salaire, ce

afin de démontrer que celui-ci travaillait chez "X.________"
depuis mars 1999 et que ses revenus avaient vraisemblablement
augmentés. Elle soutient que son droit d'être entendue a par
conséquent été violé.

   L'intimé a produit des décomptes de salaire pour
janvier, février et, contrairement à l'affirmation de la re-
courante, mars 1999. Ces décomptes émanent à l'évidence du
même employeur, à savoir, selon le contrat de travail figu-
rant au dossier - qui prévoit son entrée en vigueur au 13
janvier 1999 - "Y.________". De plus, le dernier de ces dé-
comptes (soit précisément celui de mars 1999) mentionne un
salaire mensuel net de 3'287 fr.40, correspondant au montant
retenu par l'autorité cantonale. La critique tombe dès lors à
faux.

   4.- La recourante fait aussi grief à la Cour de jus-
tice d'avoir comptabilisé, dans les charges de l'intimé, une
somme  de 500 fr. par mois correspondant au remboursement de
l'arriéré fiscal du couple pour 1998; elle conteste avoir ad-
mis en instance cantonale que son mari s'acquittait réelle-
ment de cette dette. Dès lors, elle dit ne pas comprendre
pourquoi l'autorité cantonale a admis cette charge bien que
son paiement ne soit pas prouvé, alors qu'elle a refusé de
prendre en considération les impôts courants pour ce motif.

   Il résulte des pièces du dossier que l'Administra-
tion fiscale genevoise a accordé à l'intimé un délai de paie-
ment pour l'arriéré susmentionné à raison de 500 fr. payables
à la fin de chaque mois dès le 28 février 1999, le solde
étant dû au 30 juillet suivant. Celui-ci a de plus produit en
copie deux bulletins de versement reçus du Service du recou-
vrement des contributions publiques du canton de Genève, fai-
sant état de la même somme. La Cour de justice n'a donc pas

arbitrairement retenu l'existence et le montant de cette
charge, laquelle doit en principe être prise en compte (ATF
114 II 393 consid. 4b p. 394/395). De plus, il n'était pas
insoutenable de considérer que les acomptes étaient effecti-
vement payés; du moins, la recourante ne le démontre pas.
Elle se contente de se référer au raisonnement tenu par l'au-
torité cantonale concernant les impôts courants, comparaison
qui n'est toutefois pas déterminante. La Cour de justice a en
effet constaté, s'agissant de la charge fiscale pour 1999,
que les parties n'avaient produit aucun document fiable per-
mettant de déterminer ce dont elles seraient redevables. Con-
sidérant en outre que les impôts pour 1998 n'avaient pas été
payés cette année-là, la cour a estimé qu'il en allait proba-
blement de même pour ceux dus en 1999. En ce qui concerne
l'arriéré de 1998, son montant est en revanche établi; de
plus, rien ne permet d'affirmer que l'intimé ne s'en soit pas
acquitté. Contrairement à ce qu'elle prétend, la recourante
aurait d'ailleurs été en mesure de vérifier ce point en
s'adressant aux autorités fiscales. Pour autant qu'il soit
suffisamment motivé (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 110 Ia 1
consid. 2a p. 3), le moyen doit donc être rejeté.

   5.- La Cour de justice a admis, dans le calcul des
charges mensuelles de l'intimé, une somme globale de 512 fr.
20 (352 fr. + 164 fr.20) à titre de remboursement de deux
crédits couvrant notamment des dépenses d'ameublement. La re-
courante se plaint d'arbitraire à ce sujet.

   Selon les pièces du dossier, deux prêts ont été con-
sentis au mari en mars 1999, l'un d'un montant de 13'500 fr.,
l'autre de 1'400 fr., remboursables dès mai 1999 en 48 men-
sualités de 353 fr.05, respectivement 9 mensualités de 164
fr.20. L'autorité cantonale a considéré que le remboursement
de crédits contractés du temps de la vie commune ou pour ac-
quérir un modeste mobilier destiné à garnir le nouveau loge-

ment du mari constituaient des dépenses légitimes, qui ve-
naient s'ajouter à son entretien courant. En l'espèce, il ne
s'agit toutefois pas de crédits contractés durant la vie com-
mune, le mari ayant quitté le domicile conjugal au cours de
l'été 1998. Par ailleurs, le total des emprunts équivaut à
près de 14'900 fr. Un tel montant apparaît à l'évidence ex-
cessif pour l'acquisition d'un "modeste mobilier" et par rap-
port au revenu net de l'intimé, arrêté par l'autorité canto-
nale à 3'287 fr. par mois; les factures qu'il a produites
concernant ses achats de meubles font du reste état d'un mon-
tant de moins de 4'000 fr. Il convient en outre de relever
que le mari bénéficiait, jusqu'au 15 mars 1999, d'un apparte-
ment meublé dont le loyer était de 1'000 fr. par mois charges
comprises, soit seulement 70 fr. de plus que le coût de son
logement actuel (non meublé). Dès lors qu'il ne résulte pas
du dossier qu'il ait été contraint de déménager, les frais
supplémentaires occasionnés par ce changement d'habitation ne
sont imputables qu'à lui-même. Selon la doctrine, les dettes
contractées dans le seul intérêt personnel de l'un des con-
joints ou après la séparation ne doivent pas être prises en
compte (P.-H. Steinauer, La fixation des contributions d'en-
tretien dues aux enfants et au conjoint en cas de vie sépa-
rée, in RFJ 1992 p. 3 ss, spéc. p. 7, n. 12 et les auteurs
cités). La Cour de justice a dès lors fait preuve d'arbitrai-
re en retenant, dans les frais fixes vitaux du mari, une
somme de 512 fr.20 à titre de remboursement de ses emprunts.
Compte tenu de la situation modeste des parties, cette erreur
dans la détermination de la capacité contributive de l'intimé
ne peut conduire qu'à un résultat insoutenable (ATF 125 I 10
consid. 3a p. 15, 166 consid. 2a p. 168; 125 II 129 consid.
4b p. 134). L'arrêt attaqué doit donc être annulé sur ce
point.

   6.- La recourante prétend ne pas comprendre pour
quel motif objectif le versement de la contribution d'entre-
tien a été limité au 31 janvier 1999. Elle soutient que, ce

faisant, l'autorité cantonale s'est arbitrairement écartée
des faits et des preuves figurant au dossier.

   Pour autant qu'il soit suffisamment motivé (art. 90
al. 1 let. b OJ), ce moyen doit être rejeté. Il ressort clai-
rement de l'arrêt attaqué que la Cour de justice a estimé
qu'aucune pension n'était due à partir du 1er février 1999,
le mari devant dès cette date assumer un supplément de char-
ges, à savoir 500 fr. à titre d'arriéré d'impôts, auxquels
venaient s'ajouter, dès mai 1999, le remboursement de deux
prêts, par 512 fr.20. Ainsi qu'il résulte du considérant qui
précède, seules les mensualités fiscales peuvent être prises
en compte, de sorte qu'il appartiendra à l'autorité cantonale
de fixer à nouveau la capacité contributive du mari, puis de
se prononcer sur une éventuelle diminution ou suppression de
la pension à compter du 1er février 1999.

   7.- En conclusion, le recours apparaît partiellement
fondé, dans la mesure où il est recevable, et doit être admis
au sens des considérants. Les deux parties sollicitent l'as-
sistance judiciaire. Vu l'issue de la procédure et compte te-
nu de leurs moyens limités, il convient d'accéder à leur re-
quête, dans la mesure où elle n'est pas sans objet.

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l ,

                      vu l'art. 36a OJ:

   1. Admet partiellement le recours dans la mesure où
il est recevable et annule l'arrêt attaqué.

   2. Admet la requête d'assistance judiciaire de la
recourante en tant qu'elle n'est pas sans objet et lui dési-
gne Me Grégoire Rey, avocat à Genève, comme conseil d'office.

   3. Admet la requête d'assistance judiciaire de l'in-
timé en tant qu'elle n'est pas sans objet et lui désigne Me
Suzette Chevalier, avocate à Genève, comme conseil d'office.

   4. Met un émolument judiciaire de 2'000 fr. pour
moitié à la charge de chacune des parties, mais dit que cet
émolument est provisoirement supporté par la Caisse du Tribu-
nal fédéral.

   5. Dit que la Caisse du Tribunal fédéral versera au
mandataire de chacune des parties la somme de 1'500 fr. à ti-
tre d'honoraires d'avocat d'office.

   6. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

                         __________

Lausanne, le 22 février 2000
MDO/frs
                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
                        Le Président,

                        La Greffière,