Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilabteilung 5P.214/1999
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5P.214/1999

                  IIe  C O U R  C I V I L E
                  *************************

                       6 juillet 2000

Composition de la Cour: M. Reeb, président, MM. Weyermann,
Bianchi, Raselli et Mme Nordmann, juges.
Greffière: Mme Mairot.

                         __________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________ & Cie SA,
Y.________ & Cie, et
Z.________ (Suisse) SA,
toutes trois représentées par Me Patrick Blaser, avocat à
Genève,
                           contre

l'arrêt rendu le 6 mai 1999 par la 1ère section de la Cour de
justice du canton de Genève dans la cause qui oppose les re-
courantes à dame A.________, représentée par Me Bernard
Vischer, avocat à Genève;

       (art. 4 aCst.; succession; reddition de compte;
             prononcé de mesures provisionnelles)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- a) J.________, ressortissant marocain, est dé-
cédé le 11 septembre 1995 à Casablanca (Maroc), où il était
domicilié. Avec son ex-épouse, il avait eu une fille, dame
A.________, née le 10 janvier 1973. O.________ était son frè-
re et S.________, son neveu.

   Selon un testament recueilli par deux rabbins le 21
juillet 1992, J.________ a disposé que l'intégralité de son
patrimoine devait revenir à S.________, sous réserve de di-
vers legs en faveur de tiers ainsi que de deux montants, l'un
de 100 dirhams et l'autre de 1'000'000 FF, alloués à dame
A.________, à charge pour elle de rembourser à S.________ une
somme - indéterminée - avancée par le défunt à sa fille pour
l'achat d'un appartement. Cet acte porte la signature des
rabbins qui l'ont enregistré, mais non celle de J.________.

   Dame A.________ a engagé plusieurs procédures visant
à contester ces dispositions testamentaires. Le 1er décembre
1995, elle a cependant conclu avec O.________ et S.________
une convention selon laquelle, en substance, ceux-ci recon-
naissaient sa qualité d'héritière légale du défunt. Elle ad-
mettait quant à elle la validité du testament du 21 juillet
1992, acceptait son homologation par le Tribunal de première
instance de Casablanca et déclarait renoncer à toutes les
contestations élevées à son sujet. Moyennant quoi, elle rece-
vait, outre les montants de 100 dirhams et de 1'000'000 FF
prévus dans le testament, le capital-actions de deux socié-
tés, propriétaires de divers biens immobiliers (légués par le
défunt à O.________) et un brillant (légué à S.________).
S.________ s'abstenait en outre de lui réclamer le rembourse-
ment du montant avancé par le défunt. Enfin, les parties re-
nonçaient à poursuivre les différentes actions intentées en
justice.

   Par jugement du 18 décembre 1995, le Tribunal de
première instance de Casablanca a homologué le testament et
la convention susmentionnés. Le 12 juin 1998, dame
A.________, soutenant que le délai d'appel n'avait pas couru
en raison d'une informalité dans la communication de la déci-
sion, a appelé de ce jugement; elle prétendait que le testa-
ment du 21 juillet 1992 était frappé de nullité et qu'elle
avait signé la convention du 1er décembre 1995 sous la pres-
sion de ses oncle et cousin, ainsi que dans l'ignorance de la
consistance exacte du patrimoine de son père.

   b) Le 16 novembre 1998, dame A.________ a déposé à
l'encontre, notamment, de X.________ & Cie SA, Y.________ &
Cie et Z.________ (Suisse) SA une requête de mesures provi-
soires en reddition de compte, selon l'art. 324 al. 2 let. b
de la loi de procédure civile genevoise (LPC gen.).

     Par ordonnance du 4 janvier 1999, le Tribunal de
première instance de Genève a rejeté la requête, considérant
en substance que dame A.________ avait perdu sa qualité d'hé-
ritière en signant la convention du 1er décembre 1995. Par
conséquent, son droit aux renseignements sollicités n'était
ni évident, ni reconnu.

   B.- Dame A.________ a appelé de ce prononcé. Par
arrêt du 6 mai 1999, la 1ère section de la Cour de justice du
canton de Genève l'a annulé. Statuant à nouveau, elle a or-
donné aux banques requises de rendre compte à dame
A.________, pour toute la période postérieure au 16 novembre
1988 et en lui remettant copie de diverses pièces justifica-
tives, de la gestion des actifs de feu J.________, en son nom
propre ou sous désignation conventionnelle, y compris tout
compte sur lequel des biens ont été transférés après son dé-
cès, le 11 septembre 1995. L'autorité cantonale en a décidé
de même s'agissant des actifs au nom de O.________ et de

S.________, dont les banques savent ou doivent savoir qu'ils
proviennent, postérieurement au 11 septembre 1995, d'un
compte, compte joint, dépôt ou coffre-fort ayant appartenu au
défunt.

   C.- Parallèlement à un recours en réforme,
X.________ & Cie SA, Y.________ & Cie et Z.________ (Suisse)
SA exercent un recours de droit public pour arbitraire contre
l'arrêt du 6 mai 1999. Elles concluent à son annulation,
l'intimée étant déboutée de toutes autres, plus amples ou
contraires conclusions, et condamnée aux dépens des instances
tant cantonales que fédérale.

   Des observations n'ont pas été requises.

   D.- Par ordonnance du 10 décembre 1999, la Juge dé-
léguée de la IIe Cour civile a ordonné la suspension de la
procédure de recours de droit public jusqu'à droit connu sur
l'appel déposé par dame A.________ auprès de la Cour de jus-
tice, contre le jugement rendu le 6 septembre 1999 par le
Tribunal de première instance, lequel admettait une demande
de révocation des mesures provisionnelles en reddition de
compte litigieuses. Par arrêt du 7 février 2000, la Cour de
justice a déclaré la demande irrecevable.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

       1.- Conformément à la règle générale de l'art. 57
al. 5 OJ, il y a lieu de statuer d'abord sur le recours de
droit public.

         2.- a) La décision de mesures provisionnelles atta-
quée ne se rapporte pas à une instance déjà introduite et, de
par sa nature, n'appelle pas une validation (art. 330 al. 3
let. b LPC gen.). Elle met ainsi un terme à la procédure con-

sidérée et constitue de ce fait une décision finale, au sens
de l'art. 87 OJ. Prise en dernière instance cantonale, elle
peut donc être l'objet d'un recours de droit public pour vio-
lation de l'art. 4 aCst. (arrêts du Tribunal fédéral du 28
novembre 1990, in SJ 1991 p. 113 consid. 2, et non publié du
20 novembre 1992 dans la cause D. et cons. c. F. et cons.,
consid. 1a). Le recours ayant été formé en temps utile, il
est également recevable au regard de l'art. 89 al. 1 OJ.

   b) Sous réserve d'exceptions dont les conditions ne
sont pas réalisées en l'espèce, le recours de droit public a
un effet purement cassatoire (ATF 125 I 104 consid. 1b p. 107
et les arrêts cités). Le présent recours est donc irrecevable
dans la mesure où il tend à ce que les dépens des instances
cantonales soient mis à la charge de l'intimée.

   3.- Les recourantes se plaignent de violations arbi-
traires du droit fédéral, notamment des art. 400 CO et 560
CC.

   a) Ces griefs impliquent a fortiori une fausse ap-
plication du droit fédéral, laquelle relève du recours en ré-
forme lorsque cette voie est ouverte (J.-F. Poudret, Commen-
taire de la loi fédérale d'organisation judiciaire, n. 1.6.3.
ad art. 43). Vu la nature subsidiaire du recours de droit pu-
blic (art. 84 al. 2 OJ), il convient d'examiner si tel est le
cas en l'espèce.

   b) La décision attaquée a pour objet une demande de
reddition de compte fondée sur l'art. 400 CO prise en appli-
cation de l'art. 324 al. 2 let. b LPC gen. Le caractère con-
tradictoire de la procédure et le règlement définitif des
droits civils existant entre les parties font de ce litige
une contestation civile (cf. ATF 120 II 352 consid. 1a p.
353; 112 II 145 consid. 1 p. 147); celle-ci porte en outre
sur un droit de nature pécuniaire au sens de l'art. 46 OJ, à

savoir sur un droit patrimonial ou étroitement lié au patri-
moine (cf. Poudret, op. cit., n. 1.2 ad art. 46; Messmer/
Imboden, Die eidgenössischen Rechtsmittel in Zivilsachen, n.
57 p. 79; Alain Wurzburger, Les conditions objectives du re-
cours en réforme au Tribunal fédéral, n. 158 p. 111 et n. 160
p. 113), les renseignements demandés dans le cadre de l'art.
400 CO étant susceptibles de fournir le fondement d'une con-
testation civile de nature pécuniaire (action en responsabi-
lité contre le mandataire, action en réduction d'un héritier
etc.). Ainsi qu'il ressort du testament du défunt, sa succes-
sion englobe des valeurs très importantes, de sorte qu'il y a
lieu d'admettre que la valeur litigieuse de 8'000 fr. est at-
teinte (art. 34 al. 2 et 46 OJ). Le présent recours a par
ailleurs été formé dans le délai prévu par l'art. 54 al. 1
OJ, contre une décision rendue par l'autorité suprême du can-
ton (art. 48 al. 1 OJ).

   Il reste à examiner si l'on se trouve en présence
d'une décision finale, au sens de l'art. 48 OJ. Selon la ju-
risprudence, une décision est qualifiée comme telle lorsque
l'autorité cantonale statue sur le fond d'une prétention ou
s'y refuse pour un motif qui empêche définitivement que la
même prétention soit exercée à nouveau entre les mêmes par-
ties (ATF 119 II 241 consid. 2 p. 242/243; 116 II 21 consid.
1c p. 25, 381 consid. 2a p. 382). Le caractère final ou non
d'une décision se détermine donc exclusivement en fonction de
l'effet de celle-ci sur le droit déduit en justice, indépen-
damment de la procédure cantonale suivie. Que la décision ait
été prise en procédure sommaire ne fait pas obstacle au re-
cours en réforme, pourvu qu'elle statue définitivement sur
une prétention issue du droit fédéral; tel est le cas si la
décision a été rendue à l'issue d'une procédure probatoire
complète, non limitée à la vraisemblance des faits allégués,
et qu'elle se fonde sur une motivation exhaustive en droit,
sans qu'une procédure ordinaire demeure réservée (ATF 119 II

précité, consid. 2 p. 243 et l'arrêt cité; Poudret, op. cit.,
n. 1.1.5 ad art. 48 et les références).

   Dans deux précédentes affaires (cf. arrêts précités
du 28 novembre 1990, in SJ 1991 p. 113 et non publié du 20
novembre 1992 dans la cause D. et cons. c. F. et cons.), le
Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours en réforme
interjeté contre une décision de mesures provisionnelles or-
donnant la reddition de compte prise, comme en l'espèce, en
application de l'art. 324 al. 2 let. b LPC gen. Il a consi-
déré que la jurisprudence genevoise interprétait cette dis-
position dans le sens qu'il suffisait au requérant de rendre
vraisemblable sa qualité d'héritier pour obtenir une ordon-
nance de mesures provisionnelles, laquelle pouvait être re-
mise en cause dans le cadre d'une action ordinaire, où une
preuve stricte devait être apportée. Par conséquent, la dé-
cision ne statuait pas définitivement ou, à tout le moins,
pas durablement sur le rapport de droit litigieux et ne pou-
vait être qualifiée de décision finale au sens de l'art. 48
OJ, ce qui excluait le recours en réforme.

   Le Tribunal fédéral a cependant jugé que l'interpré-
tation de l'art. 324 al. 2 let. b LPC gen. par la Cour de
justice était contraire au texte clair de cette disposition,
selon laquelle le juge est autorisé à ordonner la reddition
de compte lorsque le droit du requérant est "évident ou re-
connu", ce qui excluait la simple vraisemblance (arrêt non
publié du 20 novembre 1992 dans la cause N. c. F. et cons.,
résumé par Renate Pfister-Liechti, in Mesures provisionnelles
et droit des successions, Journée 1995 de droit bancaire et
financier, p. 113 ss, spéc. p. 117). De même, la doctrine et
la jurisprudence genevoises s'accordent actuellement pour di-
re que la requête en reddition de compte peut être admise
lorsque le droit du requérant est certain (Pfister-Liechti,
op. cit., p. 116 ss et les arrêts cités à la note 25, p. 117;
cf. aussi Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, Commentaire de la

loi de procédure civile genevoise, vol. III, n. 5 ad art.
324). Dans le cas particulier, la cour cantonale a du reste
précisé qu'en la matière, il n'y avait pas de place pour la
vraisemblance, car la décision n'était pas susceptible de
faire l'objet d'une action en validation et son exécution
épuisait le droit invoqué par le requérant. Elle a de plus
retenu que l'intimée avait un droit "évident" à obtenir des
établissements bancaires concernés des renseignements sur la
fortune du défunt et sur l'exécution de leurs mandats. Le
juge des mesures provisionnelles ne s'étant en l'occurrence
pas borné à examiner la vraisemblance des faits déterminants,
il convient d'assimiler l'arrêt entrepris aux décisions ren-
dues selon la procédure sommaire de sommation ("summarisches
Befehlsverfahren") de la loi de procédure civile du canton de
Zurich, qui ouvrent la voie du recours en réforme (ATF 109 II
26 consid. 1 p. 27/28; 82 II 555 consid. 3 p. 562). Au demeu-
rant, la doctrine considère également les prononcés rendus en
application de l'art. 324 al. 2 let. b LPC gen. comme des dé-
cisions finales au sens de l'art. 48 al. 1 OJ (cf. Arielle
Elan Visson, Droit à la production de pièces et "discovery"
[Droit fédéral, droits cantonaux de Vaud, Genève, Zurich et
droit anglais], thèse Zurich 1997, p. 238). Les griefs de
violation arbitraire des art. 400 CO et 560 CC sont donc ir-
recevables dans le cadre du recours de droit public (art. 43
al. 1, 84 al. 2 OJ).

   4.- Les recourantes reprochent aussi à l'autorité
cantonale d'avoir fait droit à la requête en reddition de
compte de l'intimée, alors même que celle-ci ne pouvait se
prévaloir d'aucun intérêt juridique actuel à l'obtention de
mesures provisionnelles à leur encontre. Elles invoquent à
cet égard l'art. 1er al. 1 LPC gen.

   Contrairement à ce que soutiennent les recourantes,
ce grief doit être rattaché au droit de fond, à savoir à
l'art. 400 CO. Il ne concerne donc pas l'application du droit

cantonal de procédure, mais relève du droit fédéral et par
conséquent du recours en réforme lorsque, comme en l'espèce,
celui-ci est ouvert (cf. supra consid. 3b). Le moyen est dès
lors irrecevable dans le présent recours de droit public.

   5.- Le mémoire est également irrecevable dans la me-
sure où les recourantes font grief à l'autorité cantonale
d'avoir, de manière insoutenable, admis le droit de l'intimée
à être renseignée sur une période de dix ans précédant le dé-
pôt de la requête en reddition de compte. L'étendue des ren-
seignements auxquels l'héritier du mandant peut prétendre est
en effet une question qui relève du droit fédéral, donc du
recours en réforme (art. 43 al. 1, 84 al. 2 OJ).

   6.- Dans un autre grief, les recourantes prétendent
que la Cour de justice a arbitrairement violé l'art. 324 al.
2 let. b LPC gen. en admettant que la qualité d'héritière de
l'intimée était évidente, comme le requiert cette disposi-
tion.

   A l'appui de ce moyen, elles se contentent d'affir-
mer, sans rien démontrer, qu'aux termes du testament du 21
juillet 1992, dont la recourante a reconnu la validité selon
la convention du 1er décembre 1995, le défunt aurait entière-
ment déshérité sa fille. Toutefois, elles n'expliquent aucu-
nement dans quelle mesure cette prétendue exhérédation res-
sortirait clairement du testament, de sorte que l'autorité
cantonale pourrait se voir reprocher d'avoir arbitrairement
omis d'en tenir compte. Sur ce point également, le recours
apparaît irrecevable, faute de remplir les exigences de moti-
vation déduites de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. notamment
ATF 125 I 71 consid. 1c p. 76, 166 consid. 2a p. 168; 125 II
10 consid. 3a p. 15; 124 I 247 consid. 5 p. 250).

   7.- Le recours se révèle par conséquent entièrement
irrecevable. Les frais judiciaires seront dès lors mis con-

jointement à la charge des recourantes, solidairement entre
elles (art. 156 al. 1 et 7 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer
des dépens, des observations n'ayant pas été requises.

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l ,

   1. Déclare le recours irrecevable.

   2. Met à la charge des recourantes, solidairement
entre elles, un émolument judiciaire de 5'000 fr.

   3. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la 1ère section de la Cour de justice
du canton de Genève.
                         __________

Lausanne, le 6 juillet 2000
MDO/frs
                Au nom de la IIe Cour civile
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE :
            Le Président,           La Greffière,