Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.307/1999
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4P.307/1999

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                        5 avril 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Corboz et
M. Nyffeler, juges. Greffier: M. Ramelet.

                       _______________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

dame M.________,

                           contre

l'arrêt rendu le 1er novembre 1999 par la Chambre d'appel de
la juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la
cause qui oppose la recourante à B.________, représenté par
Me Eric Hess, avocat à Genève, et à la Caisse de chômage
Association des commis de Genève, à Genève, intervenante;

(art. 4 aCst.; procédure civile, application arbitraire du
droit fédéral)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.-  B.________ exploite une entreprise, sous la
raison individuelle X.________, qui a pour objet la mise à
disposition de personnel temporaire. Le 26 février 1997,
B.________ a signé avec dame M.________ un "contrat de
mission temporaire", selon lequel celle-ci commençait le 17
mars 1997 une mission en qualité d'auxiliaire administrative
auprès de l'Office des poursuites et faillites d'Arve-Lac
(ci-après: l'OPF), pour un salaire horaire brut de base de 23
fr. Les relations de travail étaient réglementées par un
contrat-cadre, qui précisait que, pendant toute la durée de
la mission, B.________ conservait son rôle d'employeur; le
contrat-cadre prévoyait en outre que le délai de résiliation
était d'un mois pour le même jour du mois suivant.

     Du 11 décembre 1998 au 10 janvier 1999, dame
M.________ est partie en vacances, après avoir averti
B.________; elle a passé toute cette période en Inde.

    Par courrier recommandé du 18 décembre 1998,
B.________ a résilié le contrat de travail de dame M.________
avec effet au 31 janvier 1999. Le pli a été retiré le 20 ou
le 21 décembre 1998 par le fils de l'intéressée, âgé de 17
ans, qui disposait d'une procuration. Ce dernier, conformé-
ment aux instructions que lui avait données sa mère, n'a pas
ouvert le courrier; bien que dame M.________ lui ait télé-
phoné à quelques reprises à l'occasion des fêtes de fin d'an-
née, il ne lui a pas fait part de la lettre reçue de l'em-
ployeur. Dame M.________ n'a pris connaissance de l'écriture
en cause qu'à son retour de vacances. En raison d'une maladie
contractée en Inde, elle a été totalement incapable de tra-
vailler jusqu'au 17 janvier 1999.

    Le 11 janvier 1999, dame M.________ a contesté la
validité du congé, soutenant que B.________ et le préposé de
l'OPF étaient au courant du fait qu'elle prenait ses vacances
en Inde. Le 20 janvier 1999, elle a renouvelé sa contestation
et réclamé le paiement de son salaire pour le mois de février
1999, ajoutant que, sauf avis contraire de son employeur,
elle se considérait dispensée de travailler dès le 31 janvier
1999. Du lundi 18 au vendredi 29 janvier 1999, elle a repris
son travail auprès de l'OPF. Par lettre du 1er février 1999,
B.________ s'est opposé aux prétentions de la salariée.

    B.-  Le 3 mars 1999, dame M.________ a ouvert ac-
tion contre B.________ devant le Tribunal des prud'hommes de
Genève. Elle a conclu au paiement total de 5776 fr.80 plus
intérêts à 5% dès le 1er mars 1999, correspondant à son sa-
laire pour le mois de février 1999, par 3984 fr., et au paie-
ment de 9 jours ouvrables d'incapacité de travail, par
1792 fr.80.

    La Caisse de chômage Association des commis de
Genève est intervenue à la procédure et s'est subrogée à la
demanderesse pour les prestations qu'elle lui a versées, re-
présentant un total de 2519 fr.70.

    Par jugement du 2 juin 1999, le Tribunal des
prud'hommes de Genève a débouté la demanderesse de ses pré-
tentions, à l'exception d'un montant de 905 fr.30 que le dé-
fendeur reconnaissait lui devoir.

    Saisie d'un appel de dame M.________, la Chambre
d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de
Genève, par arrêt du 1er novembre 1999, a confirmé le juge-
ment critiqué.

    C.-  Dame M.________ forme un recours de droit
public au Tribunal fédéral. Elle conclut à l'annulation de

l'arrêt cantonal, le défendeur étant condamné à lui payer
3984 fr. brut en capital comme salaire du mois de février
1999.

    L'intimé conclut au rejet du recours.

    L'autorité cantonale se réfère à son arrêt.

    L'intervenante reprend les conclusions qu'elle
avait prises en première instance.

        C o n s i d é r a n t    e n    d r o i t  :

    1.-  Sous réserve d'exceptions non réalisées en
l'espèce, le recours de droit public n'est qu'une voie de
cassation et ne peut tendre qu'à l'annulation de la décision
attaquée (ATF 125 II 86 consid. 5a; 124 I 231 consid. 1d; 123
I 87 consid. 5). Dans la mesure où les conclusions de la re-
courante ne se limitent pas à cela et où l'intervenante pro-
pose autre chose que l'irrecevabilité du recours ou son re-
jet, leurs conclusions sont donc irrecevables.

    2.- a) Les juges cantonaux ont tout d'abord relevé
que la demanderesse reprenait en appel sa thèse, selon la-
quelle le congé n'avait pu déployer d'effets avant qu'elle
n'en ait eu connaissance à son retour de vacances. Pourtant,
les jurisprudences cantonales et la doctrine qu'elle a citées
sont antérieures à un arrêt non publié du Tribunal fédéral du
7 avril 1994 dans la cause 4C.448/1993, qui réfute de lege
lata ces précédents et les arguments de ces auteurs. Comme la
demanderesse n'a présenté aucun moyen qui devrait inciter la
cour cantonale à s'écarter de la jurisprudence fédérale,
c'est avec raison que le Tribunal des prud'hommes a retenu
qu'il n'était pas interdit de donner le congé pendant les

vacances du travailleur et que cette période ne suspendait
pas automatiquement le délai de résiliation du contrat. En
outre, l'employeur n'a pas abusé de son droit en notifiant le
congé le 18 décembre 1998, car il n'a pas été établi qu'il
aurait été informé que la demanderesse se trouvait alors en
Inde. Il incombait à la travailleuse de s'organiser afin de
pouvoir prendre connaissance de son courrier pendant la durée
de son absence. Du reste, elle avait la possibilité matériel-
le de connaître le contenu de la lettre de congé, dès l'ins-
tant où elle s'est entretenue téléphoniquement avec son fils
après le 21 décembre 1998, date à laquelle il avait récep-
tionné ce courrier. De l'avis de la cour cantonale, la lettre
de congé, qui est parvenue dans la sphère d'influence de la
demanderesse avant le 31 décembre 1998, a donc déployé ses
effets pour la fin du mois de janvier 1999. La Chambre d'ap-
pel a enfin jugé, à l'instar des premiers juges, que, dès
l'instant où le délai de congé avait été prolongé de 10 jours
par l'employeur, la période d'incapacité de travail de la de-
manderesse survenue du 7 au 17 janvier 1999 n'avait pas re-
poussé le congé en février 1999.

    b) La recourante reproche à l'autorité cantonale
d'avoir violé l'art. 4 aCst. (en vigueur au moment de la dé-
cision attaquée) en ayant appliqué arbitrairement les art.
329a à 329d CO ainsi que l'art. 335 CO. Elle allègue que la
doctrine dominante et de nombreux précédents soutiennent le
point de vue que l'employeur, qui a donné son assentiment à
la prise de vacances par le travailleur, doit s'attendre à ce
que celui-ci en profite pour s'absenter sans plus se soucier
de ce qui a trait à son emploi; partant, la lettre de licen-
ciement adressée au travailleur pendant les vacances de l'in-
téressé ne doit prendre effet qu'au moment où son destinatai-
re peut réellement en avoir connaissance, soit à son retour
de vacances. Précisant que le délai de congé a pour but de
faciliter la recherche par le travailleur d'un nouveau poste,
la demanderesse affirme que le délai de congé lui restant

après son retour à Genève n'était que de 21 jours. On ne sau-
rait en effet prétendre qu'elle pouvait faire des recherches
de travail en Inde. Comme, sitôt rentrée en Suisse, elle a
été encore incapable de travailler jusqu'au 17 janvier 1999,
il lui restait en réalité moins de deux semaines pour retrou-
ver du travail, ce qui serait totalement insuffisant.

    3.-  a) Selon la jurisprudence, l'arbitraire, pro-
hibé par l'art. 4 aCst., ne résulte pas du seul fait qu'une
autre solution pourrait entrer en considération ou même
qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de
la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement
insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec
la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité;
pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il
ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable,
il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son
résultat (ATF 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129
consid. 5b; 124 I 247 consid. 5; 124 V 137 consid. 2b).

    b) La résiliation d'un contrat de travail est une
déclaration de volonté soumise à réception, qui ne produit
ses effets que lorsqu'elle parvient à son destinataire (ATF
113 II 259 consid. 2a p. 261). Une déclaration de volonté
émise sous forme de lettre parvient au destinataire dès
qu'elle entre dans sa sphère d'influence d'une manière telle
que l'on peut escompter, d'après les usages commerciaux et
les dispositions prises par l'intéressé, qu'il en prendra
connaissance (Gauch/Schluep, Schweizerisches Obligationen-
recht, Allgemeiner Teil, vol I., 6e éd., n. 199 p. 31). La
remise à un tiers d'une déclaration de volonté soumise à
réception est réputée avoir été communiquée au destinataire
si ce dernier a investi le tiers du pouvoir de recevoir la
déclaration ou si le tiers doit être considéré comme autorisé

et qualifié à le faire pour le destinataire d'après les usa-
ges (ATF 118 II 42 consid. 3b p. 44).

    c) In casu, l'intimé savait que, du 11 décembre
1998 au 10 janvier 1999, la recourante prenait ses jours de
vacances. Le Tribunal fédéral, dans l'arrêt non publié du 7
avril 1994 auquel s'est référée la Chambre d'appel, a admis
que l'art. 336c al. 1 CO n'incluait pas les vacances du tra-
vailleur au nombre des situations dans lesquelles le congé
donné par l'employeur était nul. La juridiction fédérale n'a
toutefois pas examiné, faute de motivation du grief, si le
délai de congé devait être suspendu pendant la période en
cause. Elle a toutefois remarqué que la suspension du délai
de congé préconisée notamment par Gabriel Aubert (cf. SJ 1989
p. 673 s.) n'avait pas de raison d'être si le travailleur,
après ses vacances, disposait d'un délai suffisant pour re-
chercher un nouvel emploi.

    La doctrine majoritaire est d'avis que le travail-
leur à qui une lettre de congé est envoyée à son domicile
alors qu'il se trouve en vacances n'est censé en avoir pris
connaissance qu'à son retour, à moins qu'il soit resté chez
lui pendant la période considérée ou qu'il ait fait suivre
son courrier à son adresse de vacances. Il convient de faire
également une exception à ce principe si le travailleur est
parti en vacances sans en informer son employeur (Rehbinder,
Commentaire bernois, n. 8 ad art. 335 CO; du même auteur,
Commentaire bâlois, 2e éd., n. 2 ad art. 335 CO; Streiff/von
Kaenel, Leitfaden zum Arbeitsvertragsrecht, 5e éd., n. 5 ad
art. 335 CO, p. 315 ss; Gabriel Aubert, ibidem; Peter Münch,
Von der Kündigung und ihren Wirkungen in: Thomas Geiser/Peter
Münch, Stellenwechsel und Entlassung, p. 9 s.; Brühwiler,
Kommentar zum Einzelarbeitsvertrag, 2e éd., p. 300 s.;
Brunner/Bühler/Waeber, Commentaire du contrat de travail, 2e
éd., n. 10 p. 174). Cette opinion convaincante a été adoptée
par plusieurs décisions cantonales (RSJ 1966 n. 70 p. 115;

JU-TRAV 1985 p. 14 s), et par la Chambre d'appel elle-même
(JAR 1987 p. 246 ss).

    L'arrêt déféré contredit donc l'opinion dominante
et la jurisprudence des autorités cantonales, cela en se fon-
dant sur une interprétation erronée de l'arrêt du Tribunal
fédéral du 7 avril 1994. En effet, l'employeur, de bonne foi,
doit escompter que le travailleur s'absentera de son domicile
pendant ses vacances; aucune circonstance n'autorisait du
reste en l'espèce l'intimé à supposer le contraire. Autrement
dit, l'employeur ne pouvait pas partir de l'idée que le congé
parviendrait à la demanderesse avant son retour. Il ne change
rien à l'affaire que la recourante, par l'entremise de son
fils, avait la possibilité de connaître le contenu de la
correspondance que lui avait adressée l'intimé. Du moment que
les vacances ont été instituées pour que le travailleur
puisse se reposer sans plus penser à son travail, il est ex-
clu de considérer que celui-ci, pendant son absence, a le
devoir de faire en sorte qu'une éventuelle lettre de résilia-
tion de son contrat puisse lui parvenir, comme ce doit être
le cas pendant le temps de travail. Partant, admettre, à
l'exemple de la cour cantonale, que le congé puisse déployer
déjà ses effets alors que le travailleur est en vacances au
su de son employeur viole gravement le principe de la con-
fiance et contrarie le but assigné au délai de congé, lequel
est d'octroyer au salarié le temps nécessaire pour trouver un
nouvel emploi, puisque la recourante, après son incapacité de
travail, ne disposait plus que de quatorze jours pour cher-
cher un nouveau poste.

    Peu importe à cet égard que l'intimé, comme l'a re-
tenu la Chambre d'appel, ait proposé du travail à la recou-
rante après le 31 janvier 1999, ce dont celle-ci n'aurait pas
voulu. Au vu du comportement adopté par le défendeur en l'oc-
currence, il est parfaitement compréhensible que la demande-

resse n'ait plus souhaité nouer de nouvelles relations de
travail avec son ancien employeur.

    L'autorité cantonale a ainsi consacré un déni de
justice matériel en considérant que le congé a été donné
valablement pour le 31 janvier 1999.

    4.-  a) Il suit de là que le recours doit être ad-
mis dans la mesure de sa recevabilité, l'arrêt déféré étant
annulé. La Chambre d'appel devra statuer à nouveau sur les
prétentions de la demanderesse en paiement d'un salaire pour
février 1999 et de 9 jours d'incapacité de travail. Il sied
toutefois d'ajouter que l'opinion de la recourante, selon
laquelle le délai de congé fixé par le contrat-cadre de tra-
vail a été modifié par la lettre de licenciement, est erro-
née, les explications données par les magistrats genevois sur
ce point au considérant 2 de l'arrêt critiqué étant convain-
cantes.

    b) La procédure est gratuite, puisque la valeur
litigieuse, déterminée selon la prétention du demandeur au
moment de l'ouverture de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b),
ne dépasse pas 20 000 fr. (art. 343 al. 2 et 3 CO); le prin-
cipe de la gratuité vaut pour tous les degrés de juridiction,
y compris pour la procédure devant le Tribunal fédéral, même
saisi d'un recours de droit public (ATF 98 Ia 561 consid. 6a
et les arrêts cités). Des dépens sont en revanche dus par la
partie qui succombe (art. 159 al. 1 OJ; ATF 115 II 30 consid.
5c). Néanmoins, la recourante n'est pas représentée par un
avocat et n'a pas justifié avoir supporté des dépenses parti-
culières, de sorte qu'elle n'a pas droit à des dépens (ATF
125 II 518 consid. 5b; 113 Ib 353 consid. 6b).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Admet le recours dans la mesure où il est rece-
vable et annule l'arrêt attaqué;

    2. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciai-
re;

    3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Chambre d'appel de la juridiction des prud'hommes du
canton de Genève.

                         ___________

Lausanne, le 5 avril 2000
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,