Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.273/1999
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4P.273/1999, 4P.275/1999, 4P.277/1999, 4P.279/1999,
4P.280/1999, 4P.281/1999, 4P.282/1999, 4P.283/1999

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                        20 juin 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges.  Greffière: Mme de Montmollin Hermann.

                        _____________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

A. & V. Sport Ltd, à Londres (Grande-Bretagne), défenderesse
et recourante, représentée par Me Brenno Brunoni, avocat à
Lugano,

                           contre

la sentence arbitrale rendue le 6 septembre 1999 par un tri-
bunal arbitral siégeant à Lausanne et composé de Rocco
Cattaneo, arbitre unique, dans la cause qui oppose la recou-
rante à 1. Nicola Castaldo, à San Giovanni Valdamo (Italie),
2. Andrea Conti, à Borghetto di Vara (Italie), 3. Sandro
Lerici, à La Spezia (Italie), 4. Emanuele Lupi, à Terriciola
(Italie), 5. Glenn Magnusson, à Saronno (Italie), 6. Michele
Massa, à Castelnuovo Magra (Italie), 7. Gino Paolini, à Massa
(Italie), 8. Federico Profeti, à Livourne (Italie), deman-
deurs et intimés, tous représentés par Me Robert Lei Ravello,
avocat à Lausanne;

(art. 85 let. c OJ; arbitrage international; délai de re-
cours)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- a) Les huit demandeurs sont des coureurs cy-
clistes professionnels domiciliés en Italie. Un litige con-
cernant notamment le paiement de leur salaire les a opposés à
la société défenderesse, groupe sportif dont le siège est à
Londres. Les parties se sont mises d'accord de soumettre le
litige à la Commission Disciplinaire de l'Union Cycliste In-
ternationale (ci-après: UCI), dont le siège est à Lausanne,
et elles ont convenu de désigner un arbitre unique, Rocco
Cattaneo. Selon le compromis arbitral signé le 21 avril 1999,
le siège de l'arbitrage est à Lausanne.

    b) Par lettre du 15 avril 1999 adressée à l'UCI, la
défenderesse a déclaré qu'elle "confère le mandat de repré-
sentation et d'assistance à l'Avocat Stefano Brendolan de
Vérone, Italie : tous les pouvoirs du mandat lui seront con-
férés y compris les pouvoirs de souscrire actes et mémoires,
de transiger, de renoncer et d'accepter les renonciations".
Elle ajoutait que "le domicile est élu à l'étude de ce der-
nier".

    L'avocat Brendolan a participé à la procédure comme
représentant et mandataire de la défenderesse; il a notamment
déposé des mémoires en main de l'arbitre.

    c) Les sentences ont été rendues le 6 septembre
1999. Elles ont alloué aux demandeurs divers montants à titre
d'arriérés de salaires.

    B.- Les copies des sentences, postées par l'arbitre
à Bironico (TI) le 29 septembre 1999, à l'adresse des con-
seils des parties, ont été remises à l'avocat Brendolan le
1er octobre 1999, à Vérone (I).

    Le 18 octobre 1999, l'avocat Brendolan a écrit à
l'UCI: "Vi invito a far specifica comunicazione alle parti,
in ossequio alla legge, per aver rimesso il mandato della
societa".

    Ce même 18 octobre 1999, la défenderesse a écrit à
l'UCI, "à l'attention" de l'arbitre, pour dire qu'elle avait
pris connaissance des sentences arbitrales, qu'elle était
surprise du résultat, qu'elle constatait la nullité des sen-
tences, qu'elle informerait les autorités judiciaires de ces
carences, qu'elle demanderait la suspension desdites senten-
ces et qu'elle sommait de ne pas donner exécution aux senten-
ces "vu leur iniquité".

    Le 28 octobre 1998 (recte : 1999), l'UCI a écrit à
la défenderesse qu'elle confirmait que les sentences étaient
définitives et exécutoires.

    C.- Le 16 novembre 1999, la défenderesse, par l'en-
tremise de l'avocat Brenno Brunoni, à Lugano, a adressé au
Tribunal fédéral huit recours de droit public contre les sen-
tences arbitrales du 6 septembre 1999, concluant à leur annu-
lation.

    Les huit demandeurs intimés ont conclu, principale-
ment, à l'irrecevabilité des recours pour tardiveté. Subsi-
diairement, ils ont conclu à leur rejet. Ils ont aussi formé
une requête de jonction de cause.

    L'arbitre Rocco Cattaneo a déposé des observations.
Il conclut en considérant que les huit recours sont tardifs,
la notification des sentences à la défenderesse, par Me
Brendolan, en date du 1er octobre 1999, étant valable. Il ré-
fute aussi les griefs de fond.

    Avec l'autorisation du juge délégué, après requête
de l'avocat Brunoni, la recourante a déposé des répliques,
puis les intimés et l'arbitre des dupliques. Les parties ont
réitéré les conclusions de leurs premières écritures.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

    1.- Il y a lieu de donner suite à la requête de
jonction de causes formée par les intimés. Un seul arrêt sera
rendu concernant les huit recours.

    2.- Dans sa réplique, la recourante reproche à
l'arbitre une violation de son impartialité et de son indé-
pendance pour s'être déterminé dans le cadre de la présente
procédure de recours par le dépôt d'observations. Ce reproche
est infondé. L'art. 191 al. 1 LDIP stipule que la procédure
est régie par les dispositions de l'OJ relatives au recours
de droit public. Or l'art. 93 OJ donne le pouvoir au Tribunal
fédéral d'ordonner un échange d'écritures et de demander des
observations notamment à l'autorité qui a rendu la décision
attaquée.

    3.- Sera examiné avant toute autre chose le problè-
me de la recevabilité du recours, soit celui du respect du
délai de trente jours prévu à l'art. 89 al. 1 OJ.

    4.- La recourante soutient que les recours ont été
déposés en temps utile. Elle fait observer que les sentences
ne lui ont, aujourd'hui encore, pas été notifiées formelle-
ment. Certes, elle admet en avoir pris connaissance indirec-
tement, dès lors qu'elle en a été informée par l'avocat
Brendolan, auquel l'arbitre a envoyé des copies informatives
"per i suoi atti". Mais elle conteste que cet envoi puisse

constituer une notification valable, puisque le destinataire,
au moment de la sentence, n'était plus son mandataire, et
qu'il avait avisé sa mandante, le 28 juin 1999, de la rési-
liation de son mandat. Elle se prévaut aussi de la lettre de
l'avocat Brendolan à l'UCI, du 18 octobre 1999, invoquant la
nécessité d'une notification directe à la partie. Or ceci
n'aurait jamais été fait.

    La recourante fait valoir que, selon l'art. 89 al.
1 OJ, l'acte de recours doit être déposé dans les trente
jours dès la communication, selon le droit cantonal, de la
décision attaquée, et que dans le recours de droit public
contre une sentence arbitrale, en application de l'art. 85
let. c OJ, la référence au droit cantonal ne trouve pas ap-
plication; les dispositions réglant la notification doivent
selon elle être recherchées dans les normes applicables à la
procédure arbitrale en cause. La procédure n'ayant pas été
fixée en l'espèce, et l'art. 182 LDIP ne prévoyant pas de
droit procédural supplétif, ce serait le droit applicable au
fond qui devrait régir la notification, soit le droit ita-
lien. Or, le droit italien, à l'art. 825 CPC, dispose que la
notification d'une sentence arbitrale se fait par communica-
tion à chaque partie d'un original de la sentence. Cette rè-
gle n'aurait pas été respectée par l'envoi d'une copie à
l'avocat Brendolan.

    Selon la recourante, il y aurait de toute façon
violation de l'art. 182 al. 3 LDIP garantissant l'égalité
entre les parties et leur droit d'être entendues en procédure
contradictoire, puisque la copie de la sentence a été adres-
sée à un mandataire qui ne représentait plus la partie dans
la procédure en cause.

    La recourante ajoute, dans sa réplique, que l'arbi-
tre a violé une règle essentielle de procédure en ne lui no-
tifiant pas les sentences, malgré la communication qui lui a

été faite par l'avocat Brendolan le 18 octobre 1999 qu'il ne
représentait plus la recourante. Certes, la résiliation du
mandat de l'avocat Brendolan, survenue le 28 juin 1999, n'a
pas été communiquée à l'arbitre; mais cette circonstance ne
devrait pas avoir pour effet de porter préjudice aux droits
fondamentaux de la recourante, car ce serait faire montre
d'un formalisme excessif. En outre, l'avocat Brendolan, en
recevant une copie des sentences, pouvait considérer de bonne
foi que cet envoi lui était fait pour son information person-
nelle, mais qu'un original des sentences était parallèlement
notifié par l'arbitre à la défenderesse elle-même. Il serait
inique, en jugeant le problème du respect du délai de re-
cours, de ne pas permettre à la recourante d'invoquer la bon-
ne foi de son précédent avocat.

    Enfin, ce ne serait qu'à réception de la lettre de
l'UCI du 28 octobre 1999 que la recourante aurait été mise en
état de savoir que le tribunal arbitral considérait la noti-
fication des sentences comme définitive. Ce ne serait qu'à ce
moment qu'elle aurait pris conscience que, pour la sauvegarde
de ses droits, il ne lui restait plus que la voie du recours
de droit public au Tribunal fédéral et qu'il fallait le faire
dans les délais légaux.

    5.- a) La LDIP ne règle pas le mode de communica-
tion de la sentence arbitrale. La question dépend par consé-
quent au premier chef de la convention des parties ou du rè-
glement choisi par elles. A défaut d'accord sur ce point
(comme en l'espèce, où rien n'est invoqué à ce sujet), il
appartient à l'arbitre de décider du mode de communication de
la sentence (Heini, IPRG-Kommentar, p. 1577; Jermini, Die
Anfechtung der Schiedssprüche im internationalem Privatrecht,
n. 97 p. 47). Il dispose d'un certain éventail de moyens,
mais la forme usuelle est la communication par la poste
(Lalive/Poudret/Reymond, Le droit de l'arbitrage, n. 19 ad
art. 189 LDIP).

    b) En envoyant au conseil de la défenderesse, muni
d'une procuration et chez lequel cette dernière avait fait
élection de domicile, une copie de la sentence, par ailleurs
signée, l'arbitre a procédé à une communication, soit à une
notification, parfaitement valable et correcte. Il est témé-
raire de soutenir que, dans ces conditions, la sentence n'a
pas été notifiée formellement.

    Comme le relève avec pertinence le mémoire-détermi-
nation des intimés en invoquant la jurisprudence dégagée de
l'art. 32 OJ, les décisions sont valablement notifiées à
l'avocat, mandataire constitué d'une partie, même s'il n'a
pas encore produit de procuration; et il a même été jugé que
la notification faite directement à la partie serait irrégu-
lière dans ce cas de figure (ATF 113 Ib 296 consid. 2b; 110 V
389 consid. 2b et l'arrêt cité).

    c) Quant au fait que l'avocat Brendolan n'était
alors plus mandataire de la défenderesse, il est dénué de
toute portée sur la validité de la notification, dès lors que
la fin de ce mandat n'avait pas été portée à la connaissance
de l'arbitre au moment de la notification. Admettre le con-
traire ne pourrait qu'ouvrir la voie à tous les abus, dans
un domaine où la plus grande rigueur est de mise.

    d) L'art. 825 du CPC italien n'est pas applicable
en l'espèce et c'est en vain que la recourante s'y réfère.

    e) Comme la notification à l'avocat Brendolan a été
régulière et valable, il n'y a évidemment pas de violation de
l'art. 182 al. 3 LDIP garantissant l'égalité des parties et
leur droit d'être entendues en procédure contradictoire. Ce
n'est, en outre, pas faire montre d'un formalisme excessif
que d'exiger que l'avocat en l'étude duquel une partie a fait
élection de domicile informe l'arbitre de la fin de son man-
dat. Quant à l'argumentation tirée de la prétendue bonne foi

de l'avocat Brendolan et de la prise de conscience tardive du
caractère définitif de la sentence, elle est dénuée de toute
pertinence.

    f) En conclusion, les recours de droit public
adressés au Tribunal fédéral le 16 novembre 1999 à l'encontre
de sentences valablement notifiées le 1er octobre 1999 sont
manifestement tardifs, le délai de 30 jours de l'art. 89 OJ
n'ayant pas été respecté. Ils doivent donc être déclarés ir-
recevables.

    6.- Vu l'issue de la cause, la recourante supporte-
ra les frais de justice et versera des indemnités de dépens
aux intimés.

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Joint les causes 4P.273/1999, 4P.275/1999,
4P.277/1999, 4P.279/1999, 4P.280/1999, 4P.281/1999,
4P.282/1999, 4P.283/1999;

    2. Déclare les recours irrecevables;

    3. Met un émolument judiciaire de 10 000 fr. à la
charge de la recourante;

    4. Dit que la recourante versera à chacun des huit
intimés une indemnité de 1500 fr. à titre de dépens;

    5. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et au Tribunal arbitral.

                        _____________

Lausanne, le 20 juin 2000
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le président,

                        La greffière,