Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.260/1999
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4P.260/1999

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                      1er février 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

                       _______________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

C.________, représenté par Me Jean-Jacques Martin, avocat à
Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 23 septembre 1999 par la Chambre civile de
la Cour de justice du canton de Genève dans la cause qui op-
pose le recourant à A.________, représenté par Me Pierre-
André Béguin, avocat à Genève;

     (art. 4 aCst.; appréciation arbitraire des preuves)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.-  Le 26 mai 1989, diverses personnes ont conclu
une société simple en vue d'une promotion immobilière appelée
"X.________" à Versoix (Genève). Deux associés, H.________ et
C.________, ne disposant pas des fonds nécessaires pour ef-
fectuer leur apport, A.________ a consenti à leur prêter
l'argent; ce dernier, semble-t-il, a également accepté de
prêter des fonds à chacun d'eux pour d'autres fins.

    Selon une convention du 1er octobre 1991, signée
par C.________ et A.________, celui-ci a prêté au premier la
somme de 124 500 fr.; il était précisé que le prêt était con-
senti "en rapport à notre achat du X.________ à Versoix où
nous sommes associés". Une annexe à la convention, signée par
les parties à la même date, prévoyait des intérêts au taux du
deuxième rang des hypothèques "actuellement 8,5%".

      Le 3 août 1994, les mêmes parties ont signé une
convention de prêt portant sur une somme de 16'000 francs "en
rapport à notre achat du X.________ à Versoix, où nous sommes
associés"; dans ce cas également, une annexe à la convention,
dûment signée, stipulait des intérêts au taux du deuxième
rang des hypothèques "actuellement 6%".

    Selon les conventions, ces deux prêts pouvaient
être dénoncés par les parties à la fin d'une année civile.

    Le 11 octobre 1996, A.________ a dénoncé les deux
prêts pour la fin de l'année.

     C.________ n'ayant payé ni le capital, ni les
intérêts, A.________ a entamé des poursuites. C.________ y a
fait opposition et la mainlevée provisoire a été prononcée.

    B.-  C.________ a déposé en temps utile une action
en libération de dette auprès du Tribunal de première instan-
ce de Genève. Faisant valoir que H.________ a payé 64 000 fr.
à A.________ en août 1995, il a soutenu que ce versement de-
vrait être porté en déduction de sa propre dette.

    Par jugement du 21 janvier 1999, le Tribunal de
première instance de Genève a débouté C.________ de toutes
ses conclusions libératoires.

    Saisi d'un appel formé par C.________, la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève, par arrêt
du 23 septembre 1999, a confirmé le jugement attaqué. Exami-
nant les pièces produites et les déclarations recueillies, la
cour cantonale a estimé qu'il n'était pas prouvé que la soli-
darité ait été stipulée, de sorte que H.________, en versant
64 000 fr. à A.________, a payé une dette autonome. Consta-
tant que le taux des intérêts hypothécaires en deuxième rang
n'avait pas été prouvé, l'autorité cantonale a décidé d'ap-
pliquer au premier prêt de 124 500 fr. le taux de 8,5 % et au
second de 16 000 fr. le taux de 6 %.

    C.-  C.________ saisit le Tribunal fédéral parallè-
lement d'un recours de droit public et d'un recours en réfor-
me contre l'arrêt précité. Dans le recours de droit public,
il invoque l'arbitraire dans l'appréciation des preuves et
l'établissement des faits et requiert l'annulation de la dé-
cision attaquée, la cause étant renvoyée à la cour cantonale
pour nouvelle décision au sens des considérants.

    L'intimé conclut à l'irrecevabilité, subsidiaire-
ment au rejet du recours, alors que l'autorité cantonale se
réfère à son arrêt.

          C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t  :

    1.-  a) Conformément à la règle générale de l'art.
57 al. 5 OJ, il y a lieu de statuer d'abord sur le recours de
droit public.

    b) Le recours de droit public au Tribunal fédéral
est ouvert contre une décision cantonale pour violation des
droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a
OJ).

    L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final,
n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan
fédéral ou cantonal dans la mesure où le recourant invoque la
violation directe d'un droit de rang constitutionnel, de sor-
te que la règle de la subsidiarité du recours de droit public
est respectée (art. 84 al. 2, 86 al. 1 et 87 OJ). En revan-
che, si le recourant soulève une question relevant de l'ap-
plication du droit fédéral, le grief n'est pas recevable,
parce qu'il pouvait faire l'objet d'un recours en réforme
(art. 43 al. 1 et 84 al. 2 OJ).

    Le recourant est personnellement touché par la dé-
cision attaquée, qui confirme sa condamnation à paiement, de
sorte qu'il a un intérêt personnel, actuel et juridiquement
protégé à ce que cette décision n'ait pas été prise en viola-
tion de ses droits constitutionnels; en conséquence, il a
qualité pour recourir (art. 88 OJ). Sur ce point, l'intimé
rappelle que la partie recourante doit invoquer un intérêt
juridiquement protégé (cf. ATF 125 II 440 consid. 1c; 123 I
41 consid. 5b; 122 I 44 consid. 2b; 121 I 252 consid. 1a, 267
consid. 2, 314 consid. 3a, 367 consid. 1b). En l'espèce, le
recourant prétend que l'autorité cantonale a procédé à une
appréciation arbitraire des preuves et qu'elle l'a ainsi con-
damné à payer une somme qu'il ne devait pas à son cocontrac-

tant; comme il fait valoir que la décision étatique porte at-
teinte à son patrimoine personnel, tel qu'il est protégé par
le droit des contrats, il n'est pas douteux - contrairement à
ce que soutient l'intimé - qu'il invoque un intérêt juridi-
quement protégé.

    Eu égard à la nature cassatoire du recours de droit
public (ATF 125 II 86 consid. 5a; 124 I 231 consid. 1d; 123 I
87 consid. 5), le chef de conclusions tendant au renvoi de la
cause est superfétatoire (ATF 112 Ia 353 consid. 3c/bb).

    c) En instance de recours de droit public, le Tri-
bunal fédéral n'examine que les griefs exposés de manière
assez claire et détaillée pour qu'il puisse déterminer quel
est le droit constitutionnel dont l'application est en jeu.
Le recourant ne saurait se contenter de soulever de vagues
griefs ou de renvoyer aux actes cantonaux (ATF 122 I 70 con-
sid. 1c; 121 IV 317 consid. 3b; 119 Ia 197 consid. 1d).

    2.- a) Le recourant n'invoque que l'interdiction de
l'arbitraire, découlant de l'art. 4 aCst, en vigueur au mo-
ment de la décision attaquée.

    Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par
l'art. 4 aCst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre so-
lution pourrait entrer en considération ou même qu'elle se-
rait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la déci-
sion attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoute-
nable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la si-
tuation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité;
pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il
ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable,
il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son

résultat (ATF 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129
consid. 5b; 124 I 247 consid. 5; 124 V 137 consid. 2b).

    S'agissant plus précisément de l'appréciation des
preuves, il y a arbitraire si le juge omet, sans aucune rai-
son sérieuse, de prendre en considération un moyen de preuve
manifestement décisif, s'il se fonde sur un moyen qui est à
l'évidence dépourvu de crédibilité ou encore si, examinant
les éléments réunis, il en tire des constatations insoutena-
bles.

    b) Il est constant que les parties ont conclu deux
contrats de prêt de consommation (art. 312 CO), portant l'un
sur 124 500 fr. et l'autre sur 16 000 fr., productifs d'inté-
rêts (art. 313 al. 1 CO). Il n'est pas contesté que le recou-
rant a reçu les sommes convenues et qu'il est tenu - la dé-
nonciation étant intervenue conformément à la convention des
parties (cf. art. 318 CO) - de rembourser les fonds prêtés et
de payer l'intérêt convenu. Il soutient cependant qu'il est
partiellement libéré par le versement qu'un tiers
(H.________) a effectué en mains de l'intimé.

    Le débiteur qui prétend être libéré doit apporter
la preuve des faits qui permettent de le constater (Pierre
Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p.
650; Rolf Weber, Commentaire bernois, n. 117 ad Vorbemerkun-
gen zu Art. 68-96 CO; Urs Leu, Commentaire bâlois, n. 1 ad
art. 88 CO).

    Le recourant ne prétend cependant pas que ce tiers
aurait payé sa propre dette; il soutient que la solidarité
aurait été stipulée (art. 143 CO), de sorte que le paiement
effectué par le codébiteur solidaire le libère d'autant (art.
147 al. 1 CO).

    La question de fait pertinente, propre à modifier
la décision, sur laquelle la cour cantonale devait procéder à
une appréciation des preuves était donc de déterminer si la
solidarité avait été stipulée.

    c) Pour établir la déclaration de solidarité, le
recourant invoque tout d'abord une convention tripartite (en-
tre les deux parties et le tiers) du 22 septembre 1989. Ce
document porte cependant la mention "annulé". Le recourant
admet lui-même que cet accord a été remplacé par la conven-
tion ultérieure du 1er octobre 1991. On ne voit dès lors pas
comment une convention remplacée le 1er octobre 1991 par une
autre pouvait encore régir les relations juridiques entre les
parties au moment où le tiers a effectué son versement de
64 000 fr. en août 1995.

    Le recourant invoque une autre convention triparti-
te datée du 1er octobre 1991. Ce document est cependant ratu-
ré par le recourant lui-même, qui a biffé le nom du tiers, la
mention "solidairement" et le montant de 124 500 fr. On doit
donc supposer qu'un nouvel accord est intervenu ultérieure-
ment, supprimant notamment la solidarité. Comme le recourant
l'explique lui-même, en se référant au procès-verbal de com-
parution personnelle du 31 mars 1998, il a en définitive ac-
cepté de prendre à sa charge la totalité de la dette. Cela
explique le texte de la convention signé entre les parties,
daté également du 1er octobre 1991, qui ne mentionne ni le
tiers, ni une quelconque solidarité. Il faut en déduire qu'il
a été en définitive renoncé à cette figure juridique.

    Le recourant a certes soutenu qu'il avait des rap-
ports "internes" avec le tiers. Il s'agit cependant d'une
"res inter alios acta" qui n'est pas opposable à l'intimé. De
toute manière, le recourant ne conteste pas que le tiers n'a
pas signé les conventions qu'il avait préparées à ce sujet.

Ces conventions non signées pouvaient donc être écartées sans
arbitraire.

    Le recourant tente une démonstration fondée sur une
coïncidence des chiffres. Il soutient que les 64 000 fr. ver-
sés par le tiers correspondent à la moitié de 124 500 fr.,
augmentée des intérêts, de sorte que le tiers aurait payé la
moitié d'une dette commune. Ces explications n'emportent ce-
pendant pas la conviction. En effet, dès lors que le recou-
rant allègue que le tiers devait à l'intimé 20 000 fr. pour
un prêt personnel, le tiers était en tout cas débiteur de
20 000 fr. de plus que sa participation à l'opération immobi-
lière; même s'il y avait référence à cette opération, on ne
sait pas à quoi correspondent en définitive les 64 000 fr.
versés. Il est du reste parfaitement possible qu'il y ait eu
encore d'autres rapports entre le tiers et l'intimé, qui ne
concernaient pas le recourant. Confrontée à cette situation
confuse, la cour cantonale n'a pas statué arbitrairement en
suivant la déclaration faite sous serment par le tiers le 2
juin 1998, lequel a affirmé que ce versement "n'avait plus
rien à voir avec M. C.________".

    Dans son mémoire de recours, le demandeur ne semble
même pas contester que l'intimé lui avait prêté de l'argent à
des fins privées, par 15 000 fr., montant qui entrait dans le
total de 124 500 fr. Dans ces conditions, sa démonstration,
selon laquelle ce chiffre correspondrait à une dette commune
entre lui-même et le tiers, est battue en brèche.

    La déclaration de l'intimé selon laquelle les det-
tes ont été individualisées donne également à penser qu'il
s'agit de dettes autonomes, qui ne se superposent pas. La
clause selon laquelle "M. A.________ renonce explicitement de
poursuivre M. H.________ au cas où M. C.________ junior se-
rait dans l'incapacité de rembourser ses propres dettes à M.
A.________" montre également que les dettes étaient indépen-

dantes et que l'on a voulu écarter la figure juridique de la
solidarité. Certes, l'addition des deux dettes individuali-
sées conduit à un résultat inexpliqué, mais cela n'enlève
rien au fait que le recourant s'est engagé à rembourser per-
sonnellement 124 500 fr. à un moment où les parties ne vou-
laient plus d'une dette solidaire.

    Sur la base de l'ensemble des éléments recueillis,
la cour cantonale n'a pas statué arbitrairement en retenant
qu'au moment du versement des 64 000 fr. par le tiers, il n'y
avait pas de déclaration de solidarité et que le tiers ne
voulait pas éteindre ainsi partiellement la dette du recou-
rant. Même si l'on devait considérer que ces questions de
fait sont douteuses, cela ne suffirait pas pour rendre la
décision attaquée arbitraire dans son résultat, puisque -
comme on l'a vu - il incombait au recourant de prouver les
faits permettant de constater sa libération.

    3.- Les frais et dépens doivent être mis à la char-
ge du recourant qui succombe (art. 156 al. 1 et 159 al. 1
OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Rejette le recours;

    2. Met un émolument judiciaire de 4000 fr. à la
charge du recourant;

    3. Dit que le recourant versera à l'intimé une in-
demnité de 5000 fr. à titre de dépens;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre civile de la Cour de jus-
tice du canton de Genève.

                        _____________

Lausanne, le 1er février 2000
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,