Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.244/1999
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4P.244/1999

                  Ie  C O U R  C I V I L E
                  ************************

                       18 février 2002

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Corboz
et Favre, juges. Greffière: Mme Aubry Girardin.

                         ___________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________,

                           contre

le jugement rendu le 16 juin 1999 par la IIe Cour civile du
Tribunal cantonal valaisan dans la cause qui oppose le re-
courant à Z.________, représenté par Me Philippe Loretan,
avocat à Sion;

                   (droit d'être entendu)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- La société B.________ S.A. est propriétaire
d'un immeuble locatif dans le canton de Vaud.

    Par contrat du 14 octobre 1991, l'actionnaire uni-
que de B.________ S.A. a vendu la totalité des actions à
A.________ pour le prix de 5'200'000 fr. Un mois plus tard,
ce dernier a revendu les actions à C.________ pour le prix de
6'800'000 fr., mais cette vente a été annulée conventionnel-
lement le 13 décembre 1991.

    Le 16 décembre 1991, A.________ a vendu les actions
de B.________ S.A. à Z.________ pour le prix de 6'000'000 fr.
L'acheteur et le vendeur se connaissaient. Z.________, qui
est ingénieur civil de profession, s'occupait d'affaires im-
mobilières. Après déduction des dettes hypothécaires,
Z.________ a payé 900'000 fr. à A.________ en espèces et par
compensation de créances résultant de la reprise par ce der-
nier de deux appartements.

    L'avocat et notaire X.________ a établi l'acte au-
thentique de vente de l'un de ces appartements en signalant
expressément l'application à ce contrat de l'arrêté fédéral
du 6 octobre 1989 concernant un délai d'interdiction de re-
vente des immeubles non agricoles (ci-après: AFIR). Il n'a en
revanche rien indiqué lors de la signature, le même jour, de
la convention de vente des actions de B.________ S.A., à la-
quelle il assistait en tant que conseiller juridique des par-
ties et pour laquelle il a exigé une rémunération.

    La vente s'étant révélée nulle en application de
l'AFIR, Z.________ a, selon une convention du 23 septembre
1993, restitué les actions de B.________ S.A. à A.________,

lequel s'est reconnu débiteur de 900'000 fr. Comme ce dernier
était insolvable, Z.________ n'a pas pu récupérer le prix de
vente.

    B.-  Estimant qu'il avait été mal conseillé par
l'avocat et notaire X.________, Z.________ a ouvert, le 21
septembre 1994, une action en dommages-intérêts contre celui-
ci devant les tribunaux valaisans. Il lui a réclamé en der-
nier lieu la somme de 900'000 fr. avec intérêt.

    Par jugement du 2 mai 1997, la IIe Cour civile du
Tribunal cantonal valaisan a rejeté la demande avec suite de
frais.

    Le recours en réforme déposé par Z.________ à l'en-
contre de ce jugement a été partiellement admis par le Tribu-
nal fédéral, le 14 octobre 1998. Par arrêt du même jour, la
Cour de céans a déclaré sans objet le recours de droit public
formé parallèlement. En substance, il a été considéré que
l'avocat et notaire, en ne parlant pas de l'AFIR, avait violé
son devoir de diligence et que cette violation apparaissait
en relation de causalité adéquate avec le dommage allégué; la
cause a été renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle dé-
termine la quotité du dommage et qu'elle statue sur une éven-
tuelle faute concomitante.

    Par jugement du 16 juin 1999, la IIe Cour civile du
Tribunal cantonal valaisan a fixé le dommage total à
820'000 fr. Retenant une faute concomitante de la part de
Z.________, elle a réduit l'indemnité qui lui était due d'un
tiers. En conséquence, X.________ a été condamné à payer à
Z.________ la somme de 546'670 fr. avec intérêt à 5% dès le
23 septembre 1993.

    C.-  Contre le jugement du 16 juin 1999, X.________
a interjeté, par l'entremise de son avocat, un recours de
droit public au Tribunal fédéral. Invoquant une violation de
son droit d'être entendu et l'arbitraire, il conclut à l'an-
nulation du jugement entrepris.

    Parallèlement à son recours de droit public,
X.________ a également formé un recours en réforme au Tri-
bunal fédéral.

    En outre, sur le plan cantonal, il a demandé la ré-
vision du jugement du 16 juin 1999.

    Par ordonnance du 26 octobre 1999, le Président de
la Cour de céans a suspendu la procédure du recours de droit
public jusqu'à droit connu sur la demande de révision. Celle-
ci a été déclarée irrecevable par jugement du 3 septembre
2001.

    Invité à se prononcer sur le recours de droit pu-
blic, Z.________ a proposé principalement de le déclarer ir-
recevable, subsidiairement de le rejeter dans la mesure de sa
recevabilité. Quant à la cour cantonale, elle a renoncé à
présenter des observations, se référant aux considérants de
son jugement.

    En cours de procédure, l'avocat de X.________ a in-
formé le Tribunal fédéral qu'il avait résilié le mandat que
lui avait confié le recourant.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

    1.-  Rien ne justifie de déroger en l'espèce au
principe de l'art. 57 al. 5 OJ (cf. ATF 123 III 213 con-

sid. 1; 122 I 81 consid. 1; 120 Ia 377 consid. 1). Il sera
donc tout d'abord statué sur le recours de droit public.

    2.-  Le recourant se plaint en premier lieu d'une
violation de son droit d'être entendu. Il reproche en
substance à la cour cantonale d'avoir admis le dépôt de nou-
velles pièces par le demandeur, sans lui permettre de se dé-
terminer sur leur contenu, bien que le caractère indispensa-
ble de ces moyens de preuve ait été admis.

    a) La portée du droit d'être entendu et les moda-
lités de sa mise en oeuvre sont tout d'abord déterminées par
la législation cantonale, dont le Tribunal fédéral ne revoit
l'application que sous l'angle de l'arbitraire (ATF 126 I 19
consid. 2a p. 22; 125 I 257 consid. 3a).

    A l'appui de son grief, le recourant soutient, à
titre subsidiaire, que l'art. 174 de l'ancien Code de procé-
dure civile valaisan (ci-après: aCPC), applicable au moment
où la cour cantonale a eu à se prononcer sur les pièces pro-
duites par l'intimé, aurait été violé. Cette disposition pré-
voit que, si une partie soulève une exception contre l'admis-
sibilité ou la pertinence des moyens de preuve, le juge cite
d'office les parties pour liquider ces exceptions par la voie
de la procédure incidente. Elle traite donc du point de sa-
voir si le juge peut ou non prendre en considération certai-
nes preuves. Or, la violation du droit d'être entendu dont se
plaint le recourant ne porte pas sur le principe de l'admis-
sion, en cours de procédure, des documents déposés par la
partie adverse, dont il reconnaît du reste qu'il a pu s'y op-
poser. Elle concerne l'impossibilité dans laquelle il s'est
trouvé de se prononcer sur le contenu de ces nouveaux moyens
de preuve. Le droit cantonal cité par le recourant ne trai-
tant pas de cet aspect, il convient d'envisager le grief ex-
clusivement à la lumière des garanties prévues par la Cons-

titution, dont le Tribunal fédéral vérifie librement le res-
pect (ATF 126 I 15 consid. 2a et les arrêts cités).

    b) La jurisprudence a déduit du droit d'être en-
tendu découlant de l'art. 29 al. 2 Cst. (art. 4 aCst.), en
particulier le droit pour le justiciable de s'expliquer avant
qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de four-
nir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le
sort de la décision (ATF 125 V 332 consid. 3a p. 335), celui
d'avoir accès au dossier (ATF 126 I 7 consid. 2b p. 10), ain-
si que celui de participer à l'administration des preuves,
d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos
lorsque celles-ci sont de nature à influencer la décision à
rendre (ATF 127 I 54 consid. 2b p. 56; 126 I 15 consid.
2a/aa; 124 I 49 consid. 3a).

    Il convient d'examiner si ces garanties ont été
respectées s'agissant des pièces produites par l'intimé. Se-
lon le jugement entrepris et d'après les actes de la procédu-
re figurant au dossier, la cour cantonale a invité les par-
ties, à la suite de l'arrêt de renvoi du Tribunal fédéral du
14 octobre 1998, à présenter leurs observations en vue du
nouveau jugement, en précisant qu'il n'y aurait pas de com-
plément d'instruction. Puis, la Présidente de la IIe Cour
civile du Tribunal cantonal a indiqué qu'elle considérait
comme déterminant de connaître la valeur de la société
B.________ S.A. en 1994. L'intimé ayant requis le dépôt de
pièces relatives à cette valeur, elle a imparti un délai de
15 jours au recourant pour se prononcer sur le principe de la
production de ces nouveaux moyens de preuve. Celui-ci s'y est
opposé par courrier du 27 janvier 1999. Les pièces en cause
ont été annexées au mémoire de l'intimé du 29 janvier 1999.
Le recourant a présenté ses déterminations le même jour. Il
n'a ensuite plus eu l'occasion de s'exprimer, avant le juge-
ment du 16 juin 1999. C'est dans cette décision que la cour
cantonale a admis que le dépôt des nouvelles pièces produites

par l'intimé était indispensable. Elle s'est fondée sur ces
documents pour évaluer la valeur de l'immeuble propriété de
B.________ S.A. en 1994. Constatant que celle-ci avait forte-
ment baissé, elle a considéré que, même si l'intimé avait
commis une faute en restituant les actions sans se prévaloir
de l'exceptio non adimpleti contractus, le dommage n'aurait
pas été différent.

    Dans ces circonstances, il apparaît que, si le re-
courant a eu l'occasion de se prononcer sur la question de
l'admission des pièces que l'intimé entendait déposer dans
son mémoire final, il n'a jamais pu se déterminer sur le con-
tenu de celles-ci. Pourtant, la cour cantonale s'est fondée
sur ces documents pour ne pas tenir compte d'une faute conco-
mitante de l'acheteur et, partant, réduire dans une moindre
mesure les dommages-intérêts mis à la charge de l'avocat-
notaire. En ne permettant pas au recourant de se prononcer
sur ces nouveaux moyens de preuve, la cour cantonale a par
conséquent violé le droit d'être entendu garanti par l'art.
29 al. 2 Cst.

    c) Selon la jurisprudence, un tel vice peut être
considéré comme guéri lorsque le pouvoir de cognition de
l'instance de recours n'est pas limité par rapport à celui de
l'autorité inférieure et qu'il n'en résulte aucun préjudice
pour le recourant. Cette façon de remédier à une telle viola-
tion est exclue lorsqu'elle comprend une atteinte particuliè-
rement grave au droit des parties et doit demeurer l'excep-
tion (ATF 126 I 68 consid. 2 p. 72, V 130 consid. 2b p. 132;
125 I 209 consid. 9a p. 219, V 368 consid. 4c/aa p. 371; 107
Ia 1 consid. 1 p. 2 s.).

    En l'occurrence, la violation du droit d'être en-
tendu retenue, à supposer que l'on admette qu'elle puisse
être guérie, ne l'a en tous les cas pas été sur le plan can-
tonal, puisque la demande de révision déposée par le recou-

rant a été déclarée irrecevable. Ce vice n'a en outre pas été
réparé dans le cadre de la présente procédure. En effet, le
recours de droit public étant formé essentiellement pour ar-
bitraire dans l'établissement des faits et dans l'apprécia-
tion des preuves, le Tribunal fédéral ne dispose pas, en
l'espèce, d'une cognition aussi étendue de celle de la cour
cantonale.

    d) Dans ces circonstances, compte tenu de la nature
formelle du droit d'être entendu (ATF 126 V 130 consid. 2b p.
132; 125 I 113 consid. 3; 122 II 464 consid. 4a), il convient
d'admettre le recours et d'annuler le jugement attaqué pour
ce seul motif, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les au-
tres griefs soulevés par le recourant et indépendamment des
chances de succès du recours sur le fond.

    3.-  Eu égard à l'issue du litige, l'intimé, qui
succombe, sera condamné aux frais (art. 156 al. 1 OJ).

    Il se justifie d'allouer des dépens au recourant,
dont l'avocat a résilié son mandat après le dépôt du mémoire
de recours. Ceux-ci seront également supportés par l'intimé
(art. 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Admet le recours et annule le jugement attaqué;

    2. Met un émolument judiciaire de 8'000 fr. à la
charge de l'intimé;

    3. Dit que l'intimé versera au recourant une in-
demnité de 10'000 fr. à titre de dépens;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la IIe Cour civile du Tribunal cantonal valaisan.

                         __________

Lausanne, le 18 février 2002
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FÉDÉRAL SUISSE:
                        Le Président,

                        La Greffière,