Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.1/1999
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4P.1/1999

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                 **************************

                        13 juin 2000

Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu,
M. Corboz, Mme Klett, juges, et M. Aubert, juge suppléant.
Greffier: M. Carruzzo.

                        _____________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________ S.A., représentée par Me Christian Schmidt, avocat
à Genève,
                           contre

l'arrêt rendu le 16 novembre 1998 par la Chambre d'appel de
la juridiction des prud'hommes du canton de Genève dans la
cause qui oppose la recourante à L.________, représenté par
Me Jean-Bernard Waeber, avocat à Genève;

(art. 4 aCst.; procédure civile genevoise, appréciation des
preuves)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- Le 26 mai 1986, L.________ (ci-après: le
demandeur) a été engagé par X.________ S.A. (ci-après: la
défenderesse) comme mécanicien; son dernier salaire mensuel
était de 4860 fr. brut.

     Le 28 avril 1988, la défenderesse a adhéré, à
titre individuel, à la convention collective de travail con-
clue par l'Union professionnelle suisse de l'automobile
(UPSA) et la Fédération suisse des travailleurs de la métal-
lurgie et de l'horlogerie (FTMH). La déclaration de
soumission a la teneur suivante:

     "L'entreprise soussignée, après avoir pris connais-
     sance de la convention collective de travail de
     l'industrie des garages du 1er mars 1985, déclare y
     adhérer au sens de l'article 356b CO et prie les
     parties cocontractantes de lui donner acte de sa
     participation à ladite convention.

     Elle s'engage:

     - à en respecter les dispositions actuelles;
     - à en respecter les dispositions futures, mais
     sous réserve, si elle n'est pas membre d'une asso-
     ciation cocontractante, de refus par lettre recom-
     mandée adressée dans les 30 jours dès leur communi-
     cation aux parties cocontractantes."

    Le 1er janvier 1995 est entrée en vigueur une nou-
velle convention collective de travail pour les travailleurs
de l'industrie des garages du canton de Genève. Valable jus-
qu'au 31 décembre 1998, cette convention prévoit, notamment,
une durée hebdomadaire de travail de 40 heures au maximum, un
treizième salaire et une cinquième semaine de vacances. La
défenderesse était membre de l'organisation patronale con-

tractante lors de la signature de cette convention collecti-
ve.

    Par lettre du 24 septembre 1996, la défenderesse a
résilié le contrat de travail la liant au demandeur pour le
31 décembre 1996. Par une autre lettre du même jour, elle a
proposé à son employé de nouvelles conditions de travail qui
devaient prendre effet le 1er janvier 1997 (remplacement du
treizième mois par une gratification de fin d'année; durée
hebdomadaire du travail de 42 heures; quatre semaines de va-
cances).

    Dans une lettre du 22 octobre 1996, la défenderesse
a expliqué au demandeur qu'en raison des conditions économi-
ques et de la conjoncture difficile, il avait été nécessaire
de procéder à une restructuration du personnel afin, notam-
ment, de réduire le prix de revient et de maintenir le plein
emploi en évitant des licenciements.

    Le 31 octobre 1996, le demandeur a fait opposition
à son licenciement, en exigeant le respect de ses conditions
de travail.

    La défenderesse a démissionné de l'UPSA avec effet
au 31 décembre 1996.

    Les rapports de travail entre le demandeur et la
défenderesse ont pris fin le 31 décembre 1996 ensuite du re-
fus, par le salarié, des nouvelles conditions de travail.

    B.- Le 3 janvier 1997, le demandeur a assigné la
défenderesse en paiement de 29 160 fr., plus intérêts, à ti-
tre d'indemnité pour licenciement abusif.

    Par jugement du 30 mars 1998, le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève a rejeté la demande.

    Saisie par le demandeur, la Chambre d'appel de la
juridiction des prud'hommes a, par arrêt du 16 novembre 1998,
annulé ce jugement et condamné la défenderesse à payer au de-
mandeur la somme de 14 580 fr., plus intérêts, à titre d'in-
demnité pour licenciement abusif.

    C.- Parallèlement à un recours en réforme, la dé-
fenderesse exerce un recours de droit public en vue d'obtenir
l'annulation de l'arrêt de la Chambre d'appel.

    Le demandeur et intimé propose le rejet du recours.
La cour cantonale se réfère, quant à elle, aux motifs énoncés
dans son arrêt.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

    1.- La Chambre d'appel se voit reprocher, en pre-
mier lieu, d'avoir arbitrairement refusé de suspendre l'ins-
truction de la cause en attendant que soit jugée une autre
cause dans laquelle la FTMH, agissant contre la recourante, a
demandé qu'il soit constaté que cette dernière est liée en-
vers les membres du syndicat par la convention collective de
travail pour les travailleurs de l'industrie des garages du
canton de Genève, du 1er janvier 1995.

    Selon l'art. 107 de la loi de procédure civile du
canton de Genève (LPC gen.), applicable par analogie devant
la juridiction genevoise des prud'hommes, l'instruction de la
cause peut être suspendue lorsqu'il existe des motifs suffi-
sants, notamment s'il s'agit d'attendre la fin d'une procé-
dure ayant une portée préjudicielle pour la décision à rendre
ou qui pourrait influencer celle-ci de manière décisive.

    La cour cantonale a rappelé que le juge doit se
montrer strict dans l'appréciation des motifs suffisants de
nature à justifier la suspension de l'instruction et ne faire
usage de cette faculté que dans la mesure où il serait dérai-
sonnable de passer outre (Bertossa/Gaillard/Guyet, Commentai-
re de la loi de procédure civile genevoise, n. 1 et 2 ad art.
107). Elle a considéré que, en l'espèce, de tels motifs
n'existaient pas, car l'action en constatation de droit n'a
qu'un caractère subsidiaire par rapport à l'action en exécu-
tion d'une prestation (Bertossa/Gaillard/Guyet, op. cit.,
n. 3 ad art. 107).

    Certes, une décision définitive sur l'applicabilité
de la convention collective aux rapports entre la recourante
et l'intimé aurait sans doute été utile aux plaideurs. Toute-
fois, dans la présente procédure, les parties étaient libres
d'invoquer tous les arguments utiles sur la question détermi-
nante aux yeux de la recourante, soit l'applicabilité de la
convention collective au différend qui la divise d'avec l'in-
timé. Dans ces conditions, la Chambre d'appel - à laquelle la
loi cantonale reconnaît un large pouvoir d'appréciation -
pouvait admettre, sans arbitraire, qu'elle disposait de tou-
tes les données de fait et de droit nécessaires pour trancher
le litige et que l'action en exécution intentée par l'intimé
contre la recourante avait le pas sur l'action en constata-
tion de droit intentée contre cette dernière par un tiers (la
FTMH).

    2.- a) La recourante soutient ensuite que la Cham-
bre d'appel serait tombée dans l'arbitraire en refusant d'ad-
mettre que les modifications des conditions de travail propo-
sées par elle, avec effet au 1er janvier 1997, permettaient
de réduire les coûts de production.

    La Chambre d'appel a déclaré qu'elle ne voyait pas
comment la mesure consistant à augmenter l'horaire hebdoma-

daire de travail des employés et à réduire le droit aux va-
cances de ceux-ci, sans licenciements consécutifs, pouvait
aboutir à une réduction des charges relatives au prix de re-
vient de la main-d'oeuvre.

    Il faut concéder à la recourante qu'un tel raison-
nement est insoutenable. En effet, selon les propositions de
la recourante, le salaire mensuel brut de l'intimé restait
inchangé, comme la Chambre d'appel l'a constaté à la page 6,
lettre e, de son arrêt, qui renvoie à la missive de la recou-
rante à l'intimé du 24 septembre 1996, où figure le passage
suivant: "votre salaire mensuel brut restera inchangé (12
fois)...". Or, si, pour le même salaire mensuel, une personne
travaille 42 heures par semaine au lieu de 40 heures, si ses
vacances sont réduites de cinq à quatre semaines et si le
treizième mois est supprimé, il saute aux yeux que le coût de
l'heure de travail diminue notablement.

    En l'occurrence, le salaire mensuel de l'intimé
était, en 1996, de 4860 fr. brut pour 40 heures de travail
par semaine. Le coût de l'heure était donc de 28 fr.05 (la
durée mensuelle du travail était de 4,33 semaines x 40 heures
= 173,2 heures; 4860 fr./173,2 heures = 28 fr.05 l'heure). Si
le travailleur effectue 42 heures de travail par semaine, le
coût de l'heure est de 26 fr.75 (la durée mensuelle du tra-
vail est de 4,33 semaines x 42 heures = 181,85 heures;
4860 fr./181,85 heures = 26 fr.75 l'heure). Il faut ajouter à

cela l'économie résultant, pour l'employeur, de la suppres-
sion du treizième mois (4860 fr. par an) et d'une semaine de
vacances (1112 fr.40 par an).

     Un telle diminution du prix de revient de la main-
d'oeuvre était de toute évidence de nature à améliorer la
rentabilité de l'exploitation. Cette amélioration pouvait
profiter à la recourante même si elle ne procédait pas à des
licenciements, car elle lui permettait de fournir davantage
de prestations à sa clientèle sans augmenter ses charges sa-
lariales. Il lui était ainsi possible de réduire le taux de
facturation de l'heure, de façon à favoriser sa position dans
la concurrence entre les garages.

      b) Toutefois, il ne se justifierait d'annuler la
décision attaquée, pour constatation arbitraire des faits,
que si cette constatation avait une incidence sur le sort du
litige (ATF 123 I 1 consid. 4a et les arrêts cités). A ce dé-
faut, le recourant n'aurait pas d'intérêt à agir, de sorte
que son recours de droit public serait irrecevable sur ce
point. Tel est le cas en l'espèce pour les motifs indiqués
dans l'arrêt rendu ce jour sur le recours en réforme connexe.
Il en ressort que le licenciement de l'intimé est de toute
façon abusif pour une raison indépendante de sa justification
économique.

    Par conséquent, le deuxième grief articulé par la
défenderesse dans son recours de droit public est irreceva-
ble.

    3.- Dans un dernier moyen, la recourante reproche à
la cour cantonale d'avoir admis de manière arbitraire que sa
déclaration de soumission individuelle, du 28 avril 1988, à
la convention collective en vigueur de 1985 à 1989 vaudrait
également pour la convention collective applicable du 1er
janvier 1995 au 31 décembre 1998.

    La recourante ne prétend pas que la cour cantonale
aurait, de fait, constaté arbitrairement la volonté des par-
ties. Au contraire, elle dirige son grief contre l'interpré-
tation de sa déclaration de soumission du 28 avril 1988. Or,
cette déclaration doit être interprétée au regard du droit
fédéral (art. 1er et 18 CO; art. 2 CC). Le grief en question
peut être soumis au Tribunal fédéral par la voie du recours
en réforme (art. 43 al. 1 OJ). Il est donc irrecevable dans
le cadre d'un recours de droit public (art. 84 al. 2 OJ).

    4.- S'agissant de la gratuité de la procédure en
matière de litiges relevant du contrat de travail, prévue à
l'art. 343 al. 3 CO, la valeur litigieuse déterminante est
celle de la prétention du demandeur lors de l'ouverture de
l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41 et l'arrêt cité).
Elle se montait en l'occurrence à 29 160 fr. et excédait donc
la limite de 20 000 fr. fixée à l'art. 343 al. 2 CO. Aussi la
recourante, qui succombe, devra-t-elle payer les frais de la
procédure fédérale, conformément à l'art. 156 al. 1 OJ. Quant
à l'intimé, il a droit à des dépens en application de l'art.
159 al. 1 OJ.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

    1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

       2. Met un émolument judiciaire de 2000 fr. à la
charge de la recourante;

       3. Dit que la recourante versera à l'intimé une
indemnité de 3000 fr. à titre de dépens;

      4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction
des prud'hommes du canton de Genève (Cause no C/23/97-3).

                        _____________

Lausanne, le 13 juin 2000
Odi/ech

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,