Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4P.188/1999
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4P.188/1999

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                       7 février 2000

Composition de la Cour: MM. Walter, président, Leu et Corboz,
juges. Greffier: M. Ramelet.

                         ___________

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________ S.A., succursale de Genève, représentée par Me
Albert Rey-Mermet, avocat à Genève,

                           contre

l'arrêt rendu le 31 mai 1999 par la Chambre d'appel de la ju-
ridiction des prud'hommes genevoise dans la cause qui oppose
la recourante à P.________, représenté par Me Jean-Marie
Faivre, avocat à Genève;

     (art. 4 aCst; appréciation arbitraire des preuves)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                 les   f a i t s   suivants:

    A.- a) P.________ a fondé, en 1970, une société à
Genève, dont il a ensuite vendu le capital-actions, en 1972,
à T.________, domicilié en Valais; il a cependant continué de
diriger l'entreprise qu'il avait créée, devenant employé de
la société. Le contrat de travail, signé le 14 juin 1972,
disposait que P.________ exerçait les fonctions de directeur
de l'entreprise genevoise; le délai de résiliation était de 6
mois. A titre de rémunération, l'intéressé recevait un salai-
re fixe, ainsi qu'une commission déterminée en fonction du
chiffre d'affaires; il s'y ajoutait des frais forfaitaires.

    La société, aujourd'hui X.________ S.A., a fusionné
avec une autre entreprise avec effet au 1er janvier 1997; dès
cette date, P.________ a dû partager la direction de l'entre-
prise genevoise avec B.________. Des propositions lui ont été
faites pour modifier son statut, mais il les a refusées.

    b) P.________, qui prenait habituellement ses va-
cances annuelles au mois de janvier, ne les a pas prises en
janvier 1997, en raison des travaux consécutifs à la fusion.
Durant l'été 1997, il a été hospitalisé pendant quelques
jours pour des troubles liés à une surcharge de travail.

    Le 9 décembre 1997, P.________ a annoncé sa volonté
de prendre des vacances dès le 19 décembre 1997 et jusqu'à la
fin janvier 1998. Par lettre du 11 décembre 1997, X.________
S.A. a refusé, en faisant valoir qu'il devait assister à
l'inventaire du stock, lequel devait avoir lieu - comme cha-
que année - à fin décembre, soit plus précisément les 24, 26
et 27 décembre 1997. Par pli du 13 décembre 1997, le travail-
leur a répondu qu'il n'avait pas eu de vacances depuis long-
temps, que son médecin lui recommandait du repos et qu'il

n'avait pas l'intention de renoncer à ses vacances; dans ce
courrier, il déclarait en outre résilier le contrat de tra-
vail pour le 30 juin 1998. Le 19 décembre 1997, X.________
S.A. a informé P.________ que s'il partait en vacances, son
contrat serait résilié sans délai.

    P.________ est parti en vacances du 19 décembre
1997 jusqu'à fin janvier 1998. X.________ S.A. a résilié le
contrat de travail avec effet immédiat par lettre du 19 dé-
cembre 1997. Le salaire a été versé jusqu'à fin décembre
1997.

    B.-  Le 5 janvier 1998, P.________ a assigné
X.________ S.A. devant la juridiction des prud'hommes du ca-
nton de Genève, réclamant notamment son salaire jusqu'à fin
juin 1998 et les commissions auxquelles il aurait eu droit.

    Par jugement du 6 août 1998, le Tribunal des
prud'hommes a condamné la défenderesse à payer au demandeur
81 200 fr. brut avec intérêts à 5% dès le 5 janvier 1998.

    Réformant ce jugement, la Chambre d'appel de la ju-
ridiction des prud'hommes, par arrêt du 31 mai 1999, a consi-
déré que le demandeur, en partant en vacances contre la vo-
lonté de son employeur, avait violé ses obligations contrac-
tuelles, mais que cette violation, dans les circonstances
d'espèce, n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier
un licenciement immédiat. La cour cantonale a condamné l'em-
ployeur à verser au travailleur la somme de 69 600 fr. brut
correspondant au salaire de janvier à juin 1998, sous déduc-
tion du salaire (4074 fr. diminués des charges sociales et
légales) obtenu par le demandeur auprès d'une autre entrepri-
se durant le premier semestre 1998; elle a également condamné
l'employeur à verser au travailleur la somme de 3232 fr.50
brut à titre de commissions pour le premier semestre 1998. La
Chambre d'appel a cependant perdu de vue, par inadvertance,

la commission due pour l'année 1997, ce qui a donné lieu à un
arrêt rectificatif du 27 septembre 1999, ajoutant la somme de
6465 fr. brut.

    C.-  X.________ S.A. saisit le Tribunal fédéral pa-
rallèlement d'un recours de droit public et d'un recours en
réforme contre l'arrêt rendu le 31 mai 1999. Dans le recours
de droit public, elle invoque l'arbitraire dans l'établisse-
ment des faits et conclut - hormis le montant faisant l'objet
de l'arrêt rectificatif - à l'annulation de la décision atta-
quée.

    L'intimé conclut au rejet du recours dans la mesure
de sa recevabilité.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

    1.-  a) Conformément à la règle générale de l'art.
57 al. 5 OJ, il y a lieu de statuer d'abord sur le recours de
droit public.

    b) Le recours de droit public au Tribunal fédéral
est ouvert contre une décision cantonale pour violation des
droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a
OJ).

    L'arrêt rendu par la cour cantonale, qui est final,
n'est susceptible d'aucun autre moyen de droit sur le plan
fédéral ou cantonal dans la mesure où la recourante invoque
la violation directe d'un droit de rang constitutionnel, de
sorte que la règle de la subsidiarité du recours de droit
public est respectée (art. 84 al. 2, 86 al. 1 et 87 OJ). En
revanche, si la recourante soulève une question relevant de
l'application du droit fédéral, le grief n'est pas recevable,

parce qu'il pouvait faire l'objet d'un recours en réforme
(art. 43 al. 1 et 84 al. 2 OJ).

    La recourante est personnellement touchée par la
décision attaquée, qui la condamne à paiement, de sorte
qu'elle a un intérêt personnel, actuel et juridiquement pro-
tégé à ce que cette décision n'ait pas été prise en violation
de ses droits constitutionnels; en conséquence, elle a quali-
té pour recourir (art. 88 OJ).

    c) En instance de recours de droit public, le Tri-
bunal fédéral n'examine que les griefs exposés de manière
assez claire et détaillée pour qu'il puisse déterminer quel
est le droit constitutionnel dont l'application est en jeu.
Le recourant ne saurait se contenter de soulever de vagues
griefs ou de renvoyer aux actes cantonaux (ATF 122 I 70 con-
sid. 1c; 121 IV 317 consid. 3b; 119 Ia 197 consid. 1d).

    2.- a) En l'espèce, la recourante n'invoque que
l'interdiction de l'arbitraire, découlant de l'art. 4 aCst.,
en vigueur au moment de la décision cantonale.

    Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par
l'art. 4 aCst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre so-
lution pourrait entrer en considération ou même qu'elle se-
rait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la déci-
sion attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insou-
tenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la
situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un
principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de
manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité;
pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il
ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable,
il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son
résultat (ATF 125 I 166 consid. 2a; 125 II 10 consid. 3a, 129
consid. 5b; 124 I 247 consid. 5; 124 V 137 consid. 2b).

    S'agissant plus précisément de l'appréciation des
preuves et de l'établissement des faits, la décision est ar-
bitraire si le juge n'a manifestement pas compris le sens et
la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sé-
rieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modi-
fier la décision attaquée ou encore si, sur la base des élé-
ments recueillis, il a fait des déductions insoutenables.

    b) En l'espèce, la cour cantonale s'est demandée si
un employé qui prend ses vacances au mois de janvier est sup-
posé, dans le doute, avoir pris les vacances de l'année déjà
écoulée ou les vacances de l'année en cours; elle a estimé
qu'il fallait conclure qu'en s'absentant en janvier 1996, le
demandeur prenait les vacances afférentes à 1995. La recou-
rante taxe cette constatation d'arbitraire.

    L'argument critiqué par la défenderesse, qui figure
au considérant 4 de la décision attaquée, se rapporte cepen-
dant exclusivement à la discussion qui conduit à rejeter la
prétention du travailleur à une indemnité pour des vacances
non prises. Comme cette décision (rejet de la prétention du
travailleur) est entièrement favorable à la recourante, on ne
voit pas quel intérêt celle-ci pourrait avoir à remettre en
cause l'argumentation qui a abouti à ce résultat. Faute de
tout intérêt pratique actuel, le grief paraît irrecevable
(sur l'exigence d'un intérêt pratique actuel: cf. ATF 125 I
394 consid. 4a; 124 I 231 consid. 1b; 123 II 285 consid. 4 et
les arrêts cités).

     Il reste à se demander si, comme le soutien la re-
courante, cette argumentation critiquée aurait néanmoins joué
un rôle dans sa condamnation à paiement.

    La cour cantonale a retenu que l'employé, lequel
prenait habituellement ses vacances en janvier, ne l'avait
pas fait en janvier 1997; elle a également admis qu'il n'av-

ait pas pris de vacances à une autre période durant cette
année, mis à part quelques jours isolés. Sur tous ces points,
la recourante n'invoque ni ne démontre l'arbitraire. Il en
résulte nécessairement qu'en décembre 1997, le travailleur
avait droit à ses vacances annuelles pour l'année 1997; comme
il avait donné congé pour le 30 juin 1998, il avait également
droit, en 1998, à la moitié des vacances annuelles. Dès
l'instant où il n'est pas contesté que les vacances convenues
étaient de 4 semaines par an, la cour cantonale en a déduit
que le demandeur pouvait prendre, du 19 décembre 1997 à fin
janvier 1998, 6 semaines de vacances. On cherche vainement où
résiderait l'arbitraire de l'autorité cantonale.

    Il reste certes le sort de ces quelques jours de
congé isolés pris durant l'année 1997. A supposer qu'on doive
les imputer sur les vacances, cela signifierait tout au plus
que l'employé, en décembre 1997, revendiquait quelques jours
de vacances en trop. Ce motif n'a cependant jamais été allé-
gué à l'appui du licenciement, de sorte que cette question
est sans pertinence pour dire si les motifs invoqués par
l'employeur justifiaient ou non une résiliation immédiate. Au
demeurant, on peut penser sans arbitraire que si l'employé
avait revendiqué des jours de vacances auxquels il n'avait
pas droit, l'employeur n'aurait pas manqué de le faire valoir
à l'époque du congé. On ne voit donc pas en quoi l'argument
critiqué serait de nature à faire apparaître la décision at-
taquée, c'est-à-dire la condamnation de la recourante à paie-
ment, comme arbitraire dans son résultat.

    3.-  Le recours doit être rejeté dans la mesure de
sa recevabilité. Comme le montant de la demande, au moment de
l'ouverture de l'action, dépassait 20 000 fr., la procédure
n'est pas gratuite (cf. a contrario: art. 343 al. 2 et 3 CO;
ATF 115 II 30 consid. 5b). Partant, les frais et dépens se-
ront mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 156
al. 1 et 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

            l e  T r i b u n a l  f é d é r a l :

    1. Rejette le recours dans la mesure où il est re-
cevable;

    2. Met un émolument judiciaire de 3500 fr. à la
charge de la recourante;

    3. Dit que la recourante versera à l'intimé une in-
demnité de 4000 fr. à titre de dépens;

    4. Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties et à la Chambre d'appel de la juridiction
des prud'hommes genevoise.

                        _____________

Lausanne, le 7 février 2000
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,                                   Le Greffier,