Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.798/1999
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1P.798/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        23 juin 2000

Composition de la Cour: M. Aemisegger, président, M. Féraud,
juge, Mme Pont Veuthey, juge suppléante.
Greffier: M. Thélin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

B.________, représenté Me Jean-Pierre Huguenin, avocat à
Boudry,

                           contre

l'arrêt rendu le 18 novembre 1999 par la Cour de cassation
pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel;

                     (frais judiciaires)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le dimanche 11 janvier 1998, un accident de
circulation s'est produit sur l'autoroute A5 à proximité de
Colombier. Un conducteur a perdu la maîtrise de son véhicule
et a heurté le parapet avant de s'immobiliser sur la chaus-
sée. Dans les minutes qui ont suivi, cinq autres véhicules se
sont successivement heurtés à cet endroit. Le conducteur du
premier véhicule est décédé sur les lieux de l'accident. Deux
des autres conducteurs ont été renvoyés devant le Tribunal de
police du district de Boudry. Les trois autres conducteurs,
dont B.________, ont été condamnés par voie d'ordonnance
pénale. Ce dernier a été reconnu coupable de violation grave
des règles de la circulation (art. 90 ch. 2 LCR), condamné au
versement d'une amende de 500 fr. ainsi qu'au paiement de 100
fr. de frais de justice. Deux des inculpés, en particulier
B.________, ont fait opposition à l'ordonnance pénale.

   Le 19 mai 1999, le Tribunal de police a reconnu
B.________ coupable de violation simple des règles de la
circulation (art. 90 ch. 1 LCR), et l'a condamné au versement
d'une amende de 350 fr. et au paiement des frais de justice
arrêtés à 1'650 fr. Le Tribunal de police justifiait cette
augmentation des frais de justice par la relative complexité
de l'affaire pénale, ayant entraîné la mort d'un homme et
nécessité une expertise dont le coût s'élevait à 10'200 fr.

   B.________ a recouru contre cette décision auprès de
la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal de Neuchâtel
qui a confirmé la décision de la première instance. Considé-
rant que B.________ ne contestait pas que le principe de la
couverture des frais eût été respecté, il a relevé que l'op-
position à l'ordonnance pénale la mettait à néant et que par
conséquent, elle ne liait pas le premier juge.

   B.- Agissant par la voie du recours de droit public,
B.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la décision
de la Cour cantonale. Il soutient qu'elle ne peut pas, sans
tomber dans l'arbitraire, admettre que le Tribunal de police
ait multiplié par seize les frais de justice mis à sa charge
alors même qu'il a obtenu en partie gain de cause. Il relève
également que ce procédé dissuade le plaideur d'utiliser la
voie de l'opposition à l'ordonnance pénale.

   Invités à répondre, la juridiction intimée et le
Ministère public cantonal ont renoncé à déposer des observa-
tions.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Une décision est arbitraire, et donc contraire
aux art. 9 Cst. ou 4 aCst., lorsqu'elle viole gravement une
norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou contre-
dit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de
l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution re-
tenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si sa
décision apparaît insoutenable, en contradiction manifeste
avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou
en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas
que les motifs de la décision soient insoutenables; encore
faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. A cet
égard, il ne suffit pas non plus qu'une solution différente
de celle retenue par l'autorité cantonale puisse être tenue
pour également concevable, ou apparaisse même préférable (ATF
125 I 166 consid. 2a p. 168; 125 II 10 consid. 3a p. 15, 129
consid. 5b p. 134; 124 V 137 consid. 2b p. 139; 124 IV 86
consid. 2a p. 88).

   2.- Le recourant se plaint d'une application arbi-
traire de l'art. 89 al. 1 du code de procédure pénale neuchâ-
telois (CPP neuch.) en tant que les frais de justice fixés à
100 fr. dans l'ordonnance pénale sont passés à 1'650 fr. dans
le jugement du Tribunal de police. Il ne conteste pas que le
principe de l'équivalence ou celui de la couverture des frais
aient été respecté, ni que l'abandon de certaines charges
n'entraîne pas d'office une diminution de frais. Le recours
porte uniquement sur l'augmentation massive des frais entre
les deux décisions, malgré la diminution de la peine.

   a) L'art. 89 al. 1 CPP neuch. prévoit qu'en règle
générale, la condamnation à une peine entraîne la condamna-
tion aux frais. Ceux-ci peuvent être réduits, si le prévenu
n'a pas été condamné pour tous les faits mis à sa charge par
la décision de renvoi, ou si les frais sont disproportionnés
eu égard à l'importance de la cause. Les frais dont il s'agit
sont ceux engagés à l'occasion d'un procès déterminé, soit
les dépenses engagées par les autorités répressives pour par-
venir à la manifestation de la vérité, ainsi que les débours
relatifs aux opérations effectuées pour les besoins de l'en-
quête, dont, notamment, les frais d'expertise (Gérard
Piquerez, Précis de procédure pénale suisse, 2e éd., 1994, n.
2132 p. 403).

   L'art. 11 CPP neuch. autorise le Ministère public à
rendre une ordonnance pénale lorsqu'il estime que les faits
sont suffisamment établis et que leur auteur ne peut encourir
qu'une amende ou une peine privative de liberté ne dépassant
pas trois mois, avec ou sans sursis. L'ordonnance indique
notamment le montant et la répartition des frais (art. 12 al.
1 CPP neuch.). L'ordonnance pénale se définit comme une or-
donnance décernée par un organe de justice, ici le Ministère
public, sommant le prévenu de se soumettre à une peine priva-
tive de liberté ou d'amende ou de requérir la procédure ordi-
naire en formant opposition au prononcé de la peine dans le

délai légal (Piquerez, op.cit. n. 2154 p. 408). En droit neu-
châtelois, les parties peuvent faire opposition à l'ordonnan-
ce pénale dans les vingt jours par une déclaration écrite au
Ministère public. L'ordonnance frappée d'une opposition rece-
vable vaut ordonnance de renvoi devant le Tribunal de police,
au sens de l'art. 10 CPP neuch. L'opposition n'est pas une
voie de recours, car l'ordonnance pénale est avant tout une
décision de procédure, sous la forme d'une "offre" faite au
délinquant de se soumettre à une peine et qui, si elle n'est
pas acceptée, est retirée, ce qui permet à la juridiction de
jugement, dans le cours de la procédure ordinaire, de pronon-
cer une peine plus sévère, comme une sanction plus douce,
voire un acquittement. Le juge doit en effet rendre un juge-
ment au fond, de telle sorte qu'il n'est nullement lié par la
peine fixée dans l'ordonnance qui a été décernée (Piquerez,
op.cit. n. 2166 p. 410).

   b) En l'occurrence, les frais de justice auxquels a
été condamné B.________ ne sont pas disproportionnés par rap-
port à l'événement dommageable. En effet, l'accident du 11
janvier 1998 revêtait une certaine gravité puisqu'il a impli-
qué un grand nombre de véhicules automobiles et a entraîné le
décès de l'un des conducteurs. En particulier, l'expertise
que le Juge d'instruction a ordonnée et confiée à l'Institut
de police scientifique et de criminologie de Lausanne, par
ordonnance d'expertise technique du 12 janvier 1998, était
pleinement justifiée par les circonstances. Il en résulte que
le montant total des frais de justice de 12'530 fr. et leur
répartition entre les coïnculpés et l'Etat, telle qu'elle
résulte du jugement du Tribunal de police, n'est en soi pas
arbitraire.

   Ce que le recourant conteste en réalité est l'aug-
mentation massive de ces frais qui n'est justifiée ni par un
nouvel acte de procédure ni par l'issue du recours qui a été
partiellement admis. Ce raisonnement méconnaît la nature de

l'ordonnance pénale frappée d'une opposition. L'ordonnance
pénale est une simple décision de procédure qui, lorsqu'elle
est frappée d'opposition, se transforme en ordonnance de ren-
voi. Le juge devant lequel l'affaire est renvoyée ne se trou-
ve pas dans la position d'un juge de recours. Il lui incombe
de rendre une décision de première instance sur la base de
l'ordonnance de renvoi rédigée par le Ministère public. Dès
lors, les éléments retenus par le Ministère public dans l'or-
donnance pénale sont mis à néant par l'opposition, autorisant
ainsi le juge, qui se saisit pour la première fois du dos-
sier, de rendre son jugement en toute liberté. En raison de
sa nature, l'ordonnance pénale ne crée aucune expectative
pertinente au regard du principe de la bonne foi, quant à la
quotité des frais qui pourraient être imputés au condamné à
l'issue d'une procédure ordinaire. L'opposant à l'ordonnance
pénale s'expose ainsi à être puni plus ou moins sévèrement
par l'autorité judiciaire, ou a être condamné à payer plus ou
moins de frais judiciaires. Autrement dit, l'interdiction de
la "reformatio in pejus" ne s'applique pas, de sorte que, de
ce point de vue également, le prononcé litigieux échappe au
grief d'arbitraire.

   3.- Le recours de droit public se révèle mal fondé
et doit donc être rejeté; l'émolument judiciaire incombe à
son auteur.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours.

   2. Met un émolument judiciaire de 3'000 fr. à la
charge du recourant.

   3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Ministère public et à la Cour de cas-
sation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Lausanne, le 23 juin 2000
THE/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,