Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.786/1999
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1P.786/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        19 juin 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Favre. Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                    formé par

X.________, représenté par Me Alain Berger, avocat à Genève,

                           contre

la décision rendue le 13 octobre 1999 par le Conseil d'Etat
du canton de Genève;

         (refus de promotion; droit d'être entendu)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Né en 1953, X.________ est entré au corps de
police de la gendarmerie genevoise en 1976 avant d'être promu
appointé en 1986 et sous-brigadier en 1990.

   Le 28 juillet 1999, le Commandant de la gendarmerie
a adressé une "sérieuse mise en garde" à X.________, au motif
que son attitude ne reflétait pas le professionnalisme atten-
du de la part d'un cadre de gendarmerie et prétéritait une
promotion future. Il relevait par ailleurs les diverses sanc-
tions disciplinaires dont celui-ci avait fait l'objet durant
sa carrière. Dans une note remise le 18 août 1999 au Chef de
la police genevoise, il a proposé que l'intéressé ne soit pas
nommé au grade de brigadier.

   X.________ s'est exprimé sur les reproches formulés
à son encontre dans deux courriers adressés respectivement le
25 août 1999 au Commandant de la gendarmerie et le 24 septem-
bre 1999 au Chef du Département de justice et police et des
transports du canton de Genève (ci-après: le Département)
ainsi qu'aux membres de la Commission instituée par l'art. 27
al. 2 de la loi genevoise sur la police, du 26 octobre 1957
(LPol), chargée d'émettre un préavis lorsque le Département
entend déroger aux règles en matière de promotions dans le
corps de police.

   Cette commission s'est réunie le 30 septembre 1999
pour traiter le cas de X.________; elle était composée du
Chef du Département, du remplaçant du Commandant de la gen-
darmerie, ainsi que du Président et de l'un des membres du
Comité de l'Union du personnel du corps de police du canton
de Genève (UPCP). Selon le procès-verbal de la séance, les
deux représentants de l'UPCP ont soutenu la promotion de

X.________ au grade de brigadier alors que les membres de la
hiérarchie de la police l'ont combattue, "les votes étant
équilibrés". Le remplaçant du Commandant de la gendarmerie
ayant précisé qu'il était légitimé à représenter tant le chef
de la police que le chef du service auquel appartient
X.________, il a été décidé, "par 3 voix contre 2", de propo-
ser au Conseil d'Etat de ne pas nommer ce candidat au grade
de brigadier.

   Adoptant le préavis de la commission, le Conseil
d'Etat genevois a décidé, le 13 octobre 1999, de ne pas nom-
mer X.________ au grade de brigadier.

   B.- Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation de l'art. 4 aCst., X.________ demande au Tri-
bunal fédéral d'annuler cette décision. Il voit diverses
violations de son droit d'être entendu dans l'impossibilité
dans laquelle il s'est trouvé de participer à l'établissement
des faits, de présenter ses moyens de preuve et de s'exprimer
avant que le Conseil d'Etat ne statue, dans la composition
irrégulière de la commission chargée de préaviser sur son cas
et dans l'absence de motivation de la décision attaquée. Il
se plaint également d'une violation du principe de l'égalité
de traitement et d'une application arbitraire de l'art. 27
LPol.

   La procédure a été suspendue du 26 janvier au 10
avril 2000, dans l'attente de la décision de la Commission de
recours des fonctionnaires de police et de la prison du can-
ton de Genève, intervenue le 27 mars 2000.

   Invité à répondre, le Département conclut au rejet
du recours.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 125
I 412 consid. 1a p. 414; 125 III 461 consid. 2 p. 463).

   a) Aux termes de l'art. 88 OJ, ont qualité pour for-
mer un recours de droit public les particuliers ou les col-
lectivités lésés par des arrêtés ou décisions qui les concer-
nent personnellement ou qui sont d'une portée générale; cette
voie de recours leur est ouverte uniquement pour qu'ils puis-
sent faire valoir leurs intérêts juridiquement protégés; en
revanche, elle ne permet pas de défendre des intérêts de por-
tée générale ou de purs intérêts de fait. La qualité pour
agir par la voie du recours de droit public se détermine ex-
clusivement selon l'art. 88 OJ; il est sans importance que la
qualité de partie ait ou non été reconnue au recourant en
procédure cantonale (ATF 126 I 43 consid. 1a p. 44). En ce
qui concerne plus particulièrement l'interdiction de l'arbi-
traire - qui prévaut dans toute activité étatique -, la ju-
risprudence considère qu'elle ne confère pas, à elle seule,
un droit juridiquement protégé au sens de l'art. 88 OJ (ATF
123 I 279 consid. 3c/aa p. 280). La qualité pour former un
recours fondé sur l'art. 4 aCst. dépend bien plutôt du fait
que la législation dont l'interprétation ou l'application ar-
bitraire est alléguée accorde un droit au recourant (ATF 126
I 33 consid. 1 p. 34) ou a pour but de le protéger d'une at-
teinte à ses intérêts (ATF 117 Ia 90 consid. 2b p. 93).

   b) Selon l'art. 27 al. 1 let. a LPol, les promotions
dans la gendarmerie se font selon le rang du matricule pour
les grades de sous-brigadier et brigadier. Les fonctionnaires
de la gendarmerie genevoise peuvent donc en principe déduire
de cette norme un droit à la promotion à l'un de ces grades
lorsqu'ils en réunissent les conditions. Toutefois, l'art. 27

al. 2 LPol permet au Département de déroger à cette règle,
après avoir recueilli le préavis de la commission instituée à
cet effet. L'incidence de cette faculté dérogatoire sur la
qualité pour agir au fond d'un gendarme qui n'aurait pas été
promu au grade de sous-brigadier ou de brigadier en dépit de
son ancienneté peut demeurer indécise, car le recours doit de
toute façon être admis pour des motifs formels que X.________
est habilité à invoquer.

   En effet, même s'il n'a pas qualité pour agir au
fond, un recourant peut se plaindre de la violation d'une ga-
rantie de procédure qui équivaut à un déni de justice formel.
Dans un tel cas, l'intérêt juridiquement protégé exigé par
l'art. 88 OJ découle non pas du droit de fond, mais du droit
de participer à la procédure. Un tel droit existe lorsque le
recourant avait qualité de partie en procédure cantonale. Si
tel est le cas, il peut se plaindre de la violation des
droits de partie que lui reconnaît la procédure cantonale ou
qui découlent directement de dispositions constitutionnelles
telles que l'art. 4 aCst (ATF 125 II 86 consid. 3b p. 94).
Cette condition est également remplie lorsqu'un particulier
invoque une violation de l'art. 58 aCst., qui garantit au
justiciable le droit de voir les litiges auxquels il est
partie soumis à un tribunal régulièrement constitué d'après
la constitution, la loi ou les règlements en vigueur, et gé-
néralement compétent pour statuer sur le litige en question
(cf. arrêt non publié du 23 août 1994 dans la cause S. contre
Tribunal administratif du canton de Fribourg; sur la portée
de cette garantie, ATF 100 Ib 137 consid. II/1 p. 148; 91 I
399 consid. b p. 401 et les références citées). Il doit en
aller de même, s'agissant de la constitution d'un organe
chargé de donner un préavis à l'autorité compétente sur le
fond.

   Le recourant est donc habilité à se plaindre de la
composition prétendument irrégulière de la commission insti-

tuée à l'art. 27 al. 2 LPol, indépendamment de sa qualité
pour agir sur le fond.

   2.- L'art. 27 al. 2 LPol prévoit que, lorsque le Dé-
partement veut déroger aux règles de promotion énoncées à
l'alinéa 1, il est tenu de soumettre le cas à une commission
chargée d'émettre un préavis. Cette commission est composée:
a) du conseiller d'Etat chargé du département, b) du chef de
la police, c) du chef du service auquel appartient l'intéres-
sé (gendarmerie ou sûreté), d) de deux représentants désignés
par le personnel du service auquel appartient l'intéressé.

   Cette disposition fixe ainsi la composition de la
commission de préavis à l'intention du Conseil d'Etat. En
particulier, cette commission doit obligatoirement siéger
dans son effectif de cinq membres, aucun quorum n'étant pré-
vu, comme cela est le cas dans d'autres lois, par exemple à
l'art. 20 al. 2 de la loi genevoise sur la profession d'avo-
cat, du 15 mars 1985. Cette composition à cinq est d'ailleurs
rendue indispensable par l'aspect paritaire voulu entre les
représentants de la hiérarchie de la police, d'une part, et
ceux du personnel, d'autre part, sous l'égide du conseiller
d'Etat présidant le Département de justice et police et des
transports. La loi sur la police ne renferme aucune règle
autorisant le vote in abstentia ou par délégation. Le premier
mode serait d'ailleurs inconcevable, vu l'obligation de déli-
bérer en commun à cinq membres. Il n'y a pas lieu de trancher
la question de savoir si le chef de la police et le chef du
service auquel appartient le candidat à la promotion peuvent
se faire remplacer. Une telle possibilité ne pourrait en ef-
fet se concevoir qu'en faveur d'une autre personne que le
commandant de la gendarmerie, de manière à assurer la présen-
ce de cinq membres au sein de la commission. Tel n'a pas été
le cas en l'espèce puisque celle-ci a siégé à quatre membres,
soit dans une composition irrégulière, qui ne lui a pas per-
mis de dégager, par un vote clair, le préavis qu'elle devait

transmettre au Conseil d'Etat dans les quinze jours (art. 27
al. 3 LPol).

   Il ressort en effet du procès-verbal de la séance du
30 septembre 1999 que deux voix se dégageaient en faveur de
la nomination du recourant au grade de brigadier, alors que
deux autres voix y étaient opposées, de sorte que "les votes
(étaient) équilibrés". Ainsi, au terme de cette séance, la
Commission n'était pas en mesure de formuler un préavis à
l'intention du Conseil d'Etat, comme elle en avait le devoir,
et de lui présenter les éléments nécessaires pour que cette
autorité prenne sa décision. L'adjonction de la voix du chef
de la police, quelques jours plus tard, dans des circonstan-
ces qui ne ressortent pas clairement du dossier, mais en tout
cas en dehors de la délibération des membres de la commis-
sion, n'a pas permis de corriger le vice inhérent à son ab-
sence. Or, selon la jurisprudence, une autorité doit siéger
dans la composition prévue par la loi sous peine de voir sa
décision invalidée (ATF 100 Ia 28 consid. 3 p. 30/31). Cette
irrégularité constitue en règle générale un motif de nullité,
à l'instar de l'incompétence qualifiée de l'autorité qui a
rendu la décision (cf. ATF 122 I 97 consid. 3a/aa p. 98; 118
Ia 336 consid. 2a p. 340; 116 Ia 215 consid. 2c p. 219). Le
fait que la commission instituée par l'art. 27 al. 2 LPol ne
soit qu'un organe de préavis ne change rien aux considéra-
tions qui précèdent. Cette commission est chargée de l'ins-
truction de la procédure sur laquelle tranche le Conseil
d'Etat, cette dernière autorité adoptant son préavis ou ne
pouvant s'en écarter que moyennant une motivation propre res-
pectant le droit d'être entendu du fonctionnaire de police en
cause, notamment si le fondement juridique de la décision de-
vait être imprévisible (ATF 126 I 19 consid. 2c/aa et 2d/bb
p. 22 et 24; 125 V 368 consid. 4a p. 370).

   En l'espèce, le Conseil d'Etat a pris sa décision de
ne pas nommer le recourant au grade de brigadier sur la base

du "préavis émis par la commission (...) dans la séance
qu'elle a tenue le 30 septembre 1999". L'autorité intimée
s'en est donc entièrement rapportée à la procédure qui
s'était déroulée devant la commission instituée par l'art. 27
al. 2 LPol. Or, ce jour-là, cet organe, siégeant à quatre
membres et non pas selon sa composition légale, en violation
de l'art. 27 al. 2 LPol, n'a pu formuler son préavis dès lors
qu'aucune majorité n'a été dégagée. De plus, l'acte soumis au
Conseil d'Etat le 13 octobre 1999, avec son adjonction, ne
reflétait pas les votes exprimés à la séance du 30 septembre
1999. Il doit en conséquence être considéré comme nul, ce qui
entraîne, dans les circonstances particulières du cas pré-
sent, la nullité de la décision du Conseil d'Etat, lequel ne
pouvait pas se prononcer valablement sur la base d'un tel do-
cument ne répondant pas à la définition de préavis au sens de
l'art. 27 al. 2 et 3 LPol.

   Le recours doit donc être admis pour ce motif et la
décision attaquée être annulée, ce qui replace la procédure
dans l'état où elle se trouvait avant la séance du 30 septem-
bre 1999, pour la formulation d'un nouveau préavis émis dans
les formes légales et dans le respect des droits, notamment
du droit d'être entendu, du recourant.

   3.- Vu l'issue du litige, il n'y a pas lieu de per-
cevoir un émolument judiciaire (art. 156 al. 2 OJ). En revan-
che, l'Etat de Genève versera une indemnité de dépens au re-
courant qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un
homme de loi (art. 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Admet le recours;

   2. Annule la décision du Conseil d'Etat de la Répu-
blique et canton de Genève du 13 octobre 1999;

   3. Dit qu'il n'est pas perçu d'émolument judiciaire;

   4. Dit que l'Etat de Genève versera au recourant une
indemnité de 1'500 fr. à titre de dépens;

   5. Communique le présent arrêt en copie au mandatai-
re du recourant et au Conseil d'Etat du canton de Genève.

Lausanne, le 19 juin 2000
PMN/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,