Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.784/1999
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1P.784/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       17 février 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Nay, Juge présidant,
Jacot-Guillarmod et Favre. Greffier: M. Kurz.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

S.________, représenté par Me Claude Brügger, avocat à
Tavannes,

                           contre

l'arrêt rendu le 26 novembre 1999 par la Cour pénale du Tri-
bunal cantonal de la République et canton du Jura, dans la
cause qui oppose le recourant au Procureur général du canton
du Jura;

                     (procédure pénale)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Par jugement du 29 octobre 1999, rendu sur op-
position à une ordonnance de condamnation, la Présidente II
du Tribunal de district de Delémont a condamné S.________ à
300 fr. d'amende et aux frais, par 1500 fr., pour violation
de l'art. 36 al. 2 LCR. Le 10 décembre 1997, à Bassecourt,
alors que S.________ quittait un stop pour s'engager sur la
droite, son véhicule fut heurté à l'arrière par celui de
R.________, qui circulait sur la route prioritaire. Le juge-
ment retient que même si R.________ arrivait à une vitesse
de 90 km/h alors que, sur ce tronçon, elle était limitée à
60 km/h, S.________ ne pouvait se prévaloir du principe de la
confiance car il avait aperçu le véhicule de R.________ à
80 m au moins, et en avait mal apprécié la vitesse. Même si
R.________ avait circulé à la vitesse autorisée, un démarrage
rapide tel qu'effectué par S.________ ne pouvait permettre
d'éviter la collision. Dans ces circonstances, le prévenu
aurait dû renoncer à s'engager.

   B.- Par arrêt du 26 novembre 1999, la Cour pénale du
Tribunal cantonal jurassien a rejeté le pourvoi en nullité
interjeté par S.________. Aux dires du sergent H.________ (et
contrairement à l'opinion de l'expert, qui avait varié en
cours de procédure), la collision aurait pu être évitée si
R.________ avait roulé à 60 km/h. S.________ aurait néanmoins
dû faire preuve de plus de vigilance dès lors qu'il pouvait
se rendre compte de la vitesse excessive du véhicule auquel
il devait la priorité.

   C.- S.________ forme un recours de droit public con-
tre ce dernier arrêt, dont il demande l'annulation. Il re-
quiert l'effet suspensif.

   Le Tribunal de district, la Cour pénale et le Procu-
reur général concluent au rejet du recours.

   Par ordonnance du 26 janvier 2000, le Président de
la Ie Cour de droit public a accordé l'effet suspensif.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- a) Le recours de droit public est formé en temps
utile contre un arrêt final rendu en dernière instance canto-
nale. Le recourant a qualité pour agir (art. 88 OJ).

   b) Selon l'art. 84 al. 2 OJ, le recours de droit pu-
blic n'est pas recevable lorsque la violation alléguée peut
être portée par un autre moyen de droit, notamment devant le
Tribunal fédéral. Or en l'espèce, pour l'essentiel, le recou-
rant se plaint d'une violation de l'art. 26 LCR, soit du
principe de la confiance. Il s'agit là d'une règle de droit
fédéral, de sorte que le moyen devrait en principe être invo-
qué dans un pourvoi en nullité auprès de la Cour de cassation
du Tribunal fédéral (art. 269 al. 1 PPF). Le recourant sou-
tient qu'un tel pourvoi n'était pas possible, car le pouvoir
d'appréciation de la cour cantonale était limité à la viola-
tion évidente du droit. La jurisprudence considère en effet
que les arrêts des juridictions cantonales supérieures sta-
tuant avec une cognition limitée sur l'application de droit
fédéral, de même que le jugement de l'instance inférieure, ne
peuvent faire l'objet d'un pourvoi en nullité, seul étant ou-
verte la voie du recours de droit public (ATF 102 IV 59
consid. 1a, 71 IV 222; Corboz, Le pourvoi en nullité à la
Cour de cassation du Tribunal fédéral, SJ 1991 p. 66/67;
Piquerez, Précis de procédure pénale suisse, Lausanne 1994,
n° 2604/2605 p. 496). Tel est le cas en l'espèce: selon
l'art. 346 ch. 5 du code de procédure pénale jurassien, le
pourvoi en nullité, recevable contre les jugements non sus-

ceptibles d'appel, permet d'invoquer une violation évidente
du droit ou une appréciation manifestement inexacte des preu-
ves. Il s'agit d'un contrôle limité à l'arbitraire, ce qui
exclut le pourvoi en nullité au Tribunal fédéral.

   Il s'ensuit que le recours de droit public est ou-
vert.

   2.- Le recourant se plaint d'arbitraire. Selon lui,
la cour cantonale aurait gravement méconnu le principe de la
confiance consacré à l'art. 26 LCR. Ne pouvant se rendre
compte de la vitesse du véhicule de R.________, distant de
quelque 80 m, il pouvait supposer que ce dernier respectait
la limitation de vitesse. Si tel avait été le cas, l'accident
aurait été évité, compte tenu du démarrage rapide effectué
par le recourant. Ce dernier n'aurait commis aucune impru-
dence, l'accident étant exclusivement imputable à l'excès de
vitesse commis par R.________. En définitive, le recourant
devait pouvoir compter sur une attitude réglementaire des
autres usagers de la route.

   Le recourant se plaint aussi d'une appréciation ar-
bitraire des preuves, mais ce grief n'a aucune portée propre
par rapport à son argumentation principale. Le recourant au-
rait dû démontrer en quoi la décision attaquée serait insou-
tenable sur ce point (art. 90 al. 1 let. b OJ), sans se con-
tenter de reprendre l'argumentation développée devant les
instances cantonales. En l'espèce, le recours n'indique pas
quelle preuve aurait été arbitrairement appréciée, ou quel
fait aurait été retenu de manière insoutenable. Le grief est
par conséquent irrecevable.

   a) Une décision est arbitraire lorsqu'elle viole
gravement une règle ou un principe juridique clair et indis-
cuté, ou lorsqu'elle contredit de manière choquante le senti-
ment de la justice ou de l'équité. La décision attaquée doit

être insoutenable tant dans ses motifs que dans son résultat.
Il ne suffit pas qu'une autre solution apparaisse possible,
voire préférable à celle qui a été adoptée (ATF 125 I 166
consid. 2a p. 168).

   b) Déduit de l'art. 26 al. 1 LCR, le principe de la
confiance permet à l'usager de la route qui respecte les rè-
gles de la circulation d'attendre des autres usagers, aussi
longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas
l'en dissuader, qu'ils se comportent de même (ATF 125 IV 83
consid. 2b p. 87, 124 IV 81 consid. 2b p. 84 et les arrêts
cités). Le débiteur de la priorité peut se réclamer de ce
principe lorsque le conducteur prioritaire viole les règles
de la circulation d'une manière imprévisible pour lui (ATF
120 IV 252 consid. 2d p. 253). En revanche, une prudence
particulière s'impose, notamment lorsqu'il apparaît qu'un
usager de la route va se comporter de manière incorrecte
(art. 26 al. 2 LCR). La probabilité lointaine d'une faute ne
suffit pas.

   c) Le recourant se réfère pour l'essentiel à l'ATF
118 IV 277, selon lequel le débiteur de la priorité qui veut
s'engager sur une route principale n'a pas à compter avec la
possibilité qu'un conducteur prioritaire survienne à une vi-
tesse largement excessive, même si d'importants dépassements
de la vitesse autorisée sont fréquents. Sur les routes prin-
cipales, on ne doit en général pas compter avec des dépasse-
ments de plus de 10 km/h. Le recourant en déduit qu'il n'a-
vait pas, lui non plus, à compter avec le dépassement de
quelque 30 km/h commis par R.________.

   Le recourant perd de vue que cette jurisprudence se
rapporte aux intersections où la visibilité n'est pas suffi-
sante. Dans ces cas en effet, il ne serait plus possible de
s'engager sur une route prioritaire, lorsque le trafic est
intense, s'il fallait tenir compte de l'éventualité de l'ap-

parition soudaine de véhicules circulant à une vitesse exces-
sive (ATF 118 IV 277 consid. 5a p. 283). En l'espèce, l'arrêt
attaqué retient, à l'instar du jugement de première instance,
que le recourant a aperçu le véhicule de R.________ à une
distance de 80 m, et pouvait ainsi se rendre compte que
celui-ci roulait à une vitesse largement excessive. Le recou-
rant tente de soutenir qu'il n'a aperçu le véhicule de
R.________ que dans les miroirs disposés en face de l'inter-
section, ce qui ne permettait pas d'apprécier correctement sa
vitesse. Les juridictions cantonales ont toutefois retenu que
la visibilité était excellente et portait sur 250 m, de sorte
que le recourant avait, à tout le moins, la possibilité de se
rendre compte que sa manoeuvre n'était pas possible sans gê-
ner le véhicule prioritaire. Cette considération, fondée sur
une appréciation des preuves que le recourant ne remet pas en
cause, ne saurait être qualifiée d'arbitraire. Le principe de
la confiance n'est en effet d'aucune aide pour le recourant
qui devait tenir compte, puisqu'il en avait la possibilité,
de la vitesse effective et réelle du prioritaire (Bussy,
Priorité aux intersections, questions diverses, FJS n° 8a, p.
2). Son démarrage très rapide démontre que le recourant lui-
même avait conscience du caractère risqué de sa manoeuvre.

   En dépit de la faute manifeste commise par
R.________ (qui a été sanctionnée), les juridictions cantona-
les pouvaient donc, sans arbitraire, tenir le recourant pour
coupable d'une violation de l'art. 36 al. 2 LCR.

   3.- Le recours de droit public doit par conséquent
être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Conformément
à l'art. 156 al. 1 OJ, un émolument est mis à la charge du
recourant, qui succombe.

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l ,

                      vu l'art. 36a OJ:

   1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.

   2. Met à la charge du recourant un émolument judi-
ciaire de 3000 fr.

   3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, au Procureur général et au Tribunal can-
tonal du canton du Jura, ainsi qu'à la Présidente II du Tri-
bunal du district de Delémont.

Lausanne, le 17 février 2000
KUR/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                     Le Juge présidant,

                        Le Greffier,