Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.757/1999
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1P.757/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                      23 février 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Favre. Greffier: M. Parmelin.

          Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

X.________ , représenté par Me Aba Neeman, avocat à Monthey,

                           contre

l'arrêt rendu le 28 octobre 1999 par le Juge unique de la
Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Va-
lais, dans la cause qui oppose le recourant au Chef du Ser-
vice de la circulation routière et de la navigation du can-
ton du  V a l a i s ;

        (procédure pénale; principe de l'accusation;
       droit d'être entendu; présomption d'innocence)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                 les  f a i t s  suivants:

     A.- Le 2 janvier 1999, à 14h45, la Police cantonale va-
laisanne a interpellé X.________ alors qu'il circulait à
Y.________, au volant d'un véhicule de marque Nissan Prime-
ra, dont les vitres latérales avant étaient recouvertes à
l'intérieur d'un film plastique translucide de couleur brune
qui diminuait la visibilité; elle a dressé un procès-verbal
de contravention et a invité le conducteur à soumettre son
véhicule à un nouveau contrôle technique.

     Le 18 février 1999, le Chef du Service de la circula-
tion routière et de la navigation du canton du Valais a in-
fligé à X.________ à raison de ces faits une amende de
100 fr. pour avoir contrevenu aux art. 29 et 93 de la loi
fédérale du 19 décembre 1958 sur la circulation routière
(LCR) et 57 de l'ordonnance fédérale du 13 novembre 1962 sur
les règles de la circulation routière (OCR).

     Le 9 mars 1999, X.________ a formé une réclamation con-
tre ce prononcé en exposant qu'il avait acquis son automobi-
le le 20 octobre 1992 avec les vitres latérales avant déjà
teintées et que le Service des automobiles et de la naviga-
tion du canton de Vaud n'avait émis aucune remarque lors des
inspections techniques effectuées les 20 octobre 1992, 30
août 1993 et 31 juillet 1996. Il a versé au dossier des pho-
tographies du véhicule et des témoignages visant à attester
la présence de ces feuilles teintées dès 1992.

     Le 29 mars 1999, il a présenté son véhicule à une nou-
velle inspection après avoir fait retirer les feuilles tein-
tées recouvrant les vitres latérales avant.

     B.- Par décision du 22 avril 1999, le Chef du Service
de la circulation routière et de la navigation a rejeté la
réclamation et a condamné X.________ à une amende de 100 fr.
ainsi qu'aux frais de la cause arrêtés à 62 fr. Il a consi-
déré que le jour du contrôle, le véhicule du réclamant ne
répondait pas aux prescriptions légales puisque les glaces
latérales avant se trouvaient recouvertes d'un film ou de
feuilles autocollantes teintées.

     Saisi d'un appel du condamné, le Juge unique de la Cour
de droit public du Tribunal cantonal valaisan (ci-après, le
Juge cantonal) a confirmé cette décision par arrêt du 28 oc-
tobre 1999; il a retenu que l'appelant avait enfreint inten-
tionnellement l'art. 93 ch. 2 LCR après le 2 janvier 1999,
car il aurait circulé avec son véhicule, muni des films
teintés, pendant au moins deux à trois semaines. Il tirait
cette conclusion du dernier paragraphe de la lettre de ré-
clamation de X.________ adressée le 9 mars 1999 au Chef du
Service de la circulation routière et de la navigation, aux
termes de laquelle celui-ci se déclarait prêt à enlever les
feuilles autocollantes.

     C.- Agissant par la voie du recours de droit public,
X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt.
Il se plaint d'avoir été condamné pour des faits sur les-
quels il n'a pas eu l'occasion de se déterminer et qui ne
seraient pas établis, en violation de son droit d'être en-
tendu découlant des art. 4 aCst. et 6 § 3 let. a CEDH, de la
présomption d'innocence garantie à l'art. 6 § 2 CEDH et du
droit à un procès équitable au sens de l'art. 6 § 1 CEDH. Il
reproche au Juge cantonal d'avoir violé le droit cantonal de
procédure en lui infligeant une amende pour une infraction
non visée par l'acte d'accusation et d'avoir procédé à une
appréciation arbitraire des preuves.

     Le Chef du Service de la circulation routière et de la
navigation conclut au rejet du recours; le Juge cantonal a
formulé des observations.

         C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

     1.- a) Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pé-
nale du Tribunal fédéral n'est pas ouvert pour se plaindre
d'une appréciation arbitraire des preuves et des constata-
tions de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a
p. 83 et les arrêts cités), ni pour invoquer la violation
directe d'un droit constitutionnel (ATF 120 IV 113 consid.
1a p. 114) ou d'un droit découlant de la Convention europé-
enne des droits de l'homme (ATF 121 IV 104 consid. 2b
p. 207; 119 IV 107 consid. 1a p. 109). Au vu des arguments
soulevés, seul le recours de droit public est ouvert en
l'occurrence.

     b) Le recourant est directement touché par l'arrêt at-
taqué qui confirme sa condamnation à une amende de 100 fr.;
il a un intérêt personnel, actuel et juridiquement protégé à
ce que cet arrêt soit annulé et a, partant, qualité pour re-
courir selon l'art. 88 OJ.

     Les autres conditions de recevabilité du recours de
droit public sont par ailleurs réunies, de sorte qu'il y a
lieu d'entrer en matière sur le fond.

     2.- Le recourant se plaint d'avoir été condamné pour
des faits sur lesquels il n'a pas eu l'occasion de se déter-
miner et qui ne seraient pas établis. Il dénonce à ce propos
une violation de son droit d'être entendu découlant des art.
4 aCst. et 6 § 1 et § 3 let. a CEDH ainsi que du principe de
la présomption d'innocence consacré à l'art. 6 § 2 CEDH.

     a) Composant du droit d'être entendu découlant de
l'art. 4 aCst., le principe de l'accusation implique que le
prévenu sache exactement les faits qui lui sont imputés et
quelles sont les peines et mesures auxquelles il s'expose,
afin qu'il puisse s'expliquer et préparer efficacement sa
défense (ATF 120 IV 348 consid. 2b p. 353 et les références
citées). Une condamnation fondée sur un état de fait diffé-
rent de celui qui figure dans l'acte d'accusation viole ain-
si le droit d'être entendu, si cet acte n'a pas été complété
ou modifié d'une manière suffisante en temps utile au cours
de la procédure, l'accusé en ayant été informé de façon à
pouvoir présenter ses observations et préparer sa défense
(ATF 116 Ia 455 consid. 3cc p. 458). L'art. 6 § 3 let. a
CEDH, en relation avec la garantie d'un procès équitable
consacrée à l'art. 6 § 1 CEDH, n'offre pas sur ce point une
protection plus étendue que celle que l'on peut déjà déduire
de l'art. 4 aCst.

     Le principe d'accusation est concrétisé en droit canto-
nal par les art. 135 et 139 du Code de procédure pénale va-
laisan du 22 février 1962 (CPP val.), dont le recourant in-
voque également la violation. En substance, toute nouvelle
infraction, ou autre qualification pénale de l'infraction
retenue, ou augmentation de la peine menace, sera "dénoncée"
à l'accusé pour qu'il puisse faire valoir son droit d'être
entendu, ce qui implique également la modification de l'acte
d'accusation, puisque le tribunal ne se prononce que sur les
faits retenus par ce dernier (art. 139 al. 1 CPP val.).

     b) Le Juge cantonal considère que la décision adminis-
trative attaquée devant lui ne tiendrait pas lieu d'acte
d'accusation. Cette opinion ne saurait être soutenue.

     L'art. 34h de la loi valaisanne du 6 octobre 1976 sur
la procédure et la juridiction administratives (LPJA) insti-
tue le "mandat de répression", sommairement motivé, par le-

quel les autorités administratives chargées de compétences
pénales, en vertu des art. 335 et 345 CP ainsi que de la lé-
gislation cantonale et communale, peuvent statuer sans audi-
tion préalable du contrevenant. Ceci, lorsque la situation
de fait paraît clairement établie et que l'infraction est
passible d'une amende de 5'000 fr. au plus. Aux termes de
l'art. 34i LPJA, le prévenu amendé peut former réclamation
contre le mandat de répression, soit une voie d'opposition
auprès de l'autorité qui a rendu la décision initiale (art.
34a al. 2 LPJA, applicable par renvoi de l'art. 34i LPJA).
Si la décision pénale rendue par l'autorité administrative
ne fait pas l'objet d'une telle réclamation, ou en cas de
retrait de celle-ci, le mandat de répression est assimilé à
un jugement exécutoire (art. 34i al. 2 LPJA).

     La décision sur réclamation est seule susceptible d'ap-
pel auprès d'un juge, qui se prononce en dernière instance
cantonale selon les règles du code de procédure pénale (art.
34k LPJA), ce qui ouvre la voie du pourvoi en nullité à la
Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral, le cas échéant
(Michel Perrin, Introduction à la procédure pénale valaisan-
ne, Martigny 1995, p. 110). Initialement, était compétent
pour connaître de cet appel le juge du district du for de
l'infraction. Actuellement, en vertu du décret du 1er décem-
bre 1998 modifiant le code de procédure pénale valaisan,
sont susceptibles d'appel à un juge du Tribunal cantonal,
qui statue définitivement, les prononcés des autorités can-
tonales ou communales concernant les infractions jugées en
application des art. 335 et 345 CP, ainsi que de la législa-
tion cantonale ou communale (art. 194bis CPP val.).

     Selon l'art. 194bis al. 2 CPP val., l'appel contre les
prononcés pénaux administratifs est notamment régi par
l'art. 191 ch. 1, 2, 4 et 5 CPP val. D'après l'art. 191 ch.
1 CPP val., les dispositions sur les débats et le jugement
en première instance, soit les art. 122 à 142 CPP val., sont

applicables en appel, sous certaines réserves non décisives
dans le cas présent. En particulier, l'art. 194bis ch. 2 CPP
val. exclut du renvoi l'art. 191 ch. 3 CPP val., traitant de
la modification de l'accusation (art. 135 CPP val.). Celle-
ci n'est admise que dans les limites de l'art. 193 ch. 2 CPP
val., qui prévoit l'interdiction de la reformatio in peius,
sauf le cas d'appel principal ou d'appel par voie de jonc-
tion introduit par le Ministère public ou la partie civile.
Cette exclusion de l'art. 135 CPP val. de la procédure d'ap-
pel contre les prononcés pénaux administratifs s'explique
par le fait que l'art. 194bis ch. 2 let. f CPP val. contient
une norme explicite quant à la reformatio in peius, d'après
laquelle le juge du Tribunal cantonal "peut (seulement) con-
firmer ou atténuer le prononcé". Par ailleurs, l'art. 194bis
ch. 2 let. d CPP val. confère au juge d'appel une certaine
latitude dans la conduite de l'instruction, qu'il peut com-
pléter "lorsqu'il l'estime utile", ces deux dispositions dé-
finissant son pouvoir d'instruction et d'examen par rapport
à l'objet du litige.

     c) Il découle de l'examen du droit cantonal pertinent
que le mandat de répression est assimilé à un jugement lors-
qu'il est devenu définitif, par l'écoulement du délai de ré-
clamation ou en cas de retrait de cette dernière. Selon le
système analogue du droit genevois (art. 218 à 218F du Code
de procédure pénale genevois), l'ordonnance de condamnation,
à l'instar du mandat de répression, ne déploie des effets
juridiques contraignants qu'en cas d'acceptation, manifestée
par une absence d'opposition des parties. En revanche, si
l'ordonnance de condamnation, respectivement le mandat de
répression, sont attaqués par la voie de l'opposition ou de
l'appel, ils ne constituent que des "propositions de juge-
ment" à l'autorité judiciaire compétente, dont ils définis-
sent la saisine; ils sont de la sorte pleinement assimila-
bles à des réquisitions ou à tout acte de poursuite émanant
de l'accusateur public (cf. ATF 124 I 76 consid. 2 p. 78/79

et les références citées) et forment le cadre du procès pé-
nal au sens de l'art. 139 al. 1 CPP val., applicable égale-
ment en matière d'appel sommaire déposé contre une décision
sur réclamation traitant d'un mandat de répression, en vertu
des art. 194bis ch. 2 et 191 ch. 1 CPP val.

     d) Le Juge cantonal prétend à tort que la procédure sur
réclamation différerait des procédures pénales ordinaires et
qu'il lui appartenait d'élucider d'office les faits en ap-
plication des art. 17 ss LPJA et de motiver sa décision en
fait et en droit. Il méconnaît en effet la portée des art.
194bis ch. 2 et 191 ch. 1 CPP val., qui fixent le cadre dans
lequel l'appelant peut faire valoir ses moyens de fait et de
droit. Le juge d'appel a certes la compétence de compléter
l'instruction "lorsqu'il l'estime utile" (art. 194bis ch. 2
let. d CPP val.). Il ne saurait toutefois modifier les faits
retenus par l'autorité dont il doit contrôler le prononcé.
En d'autres termes, il convient de ne pas confondre le prin-
cipe d'accusation avec la maxime d'office consacrée par
l'art. 194bis ch. 2 let. d CPP val., le premier traitant de
l'objet du litige et la seconde de l'établissement des faits
dans le cadre circonscrit par l'acte de saisine du juge
d'appel, soit en l'espèce la décision sur réclamation qui
est seule susceptible d'une telle procédure (art. 34k LPJA).
Même si le complément d'instruction est admis plus largement
pour la procédure d'appel sommaire en matière de mandat de
répression que dans le cadre de l'art. 190 CPP val., le juge
d'appel doit appliquer les règles du code de procédure péna-
le et non plus la loi sur la procédure et la juridiction ad-
ministratives, de sorte qu'il ne saurait étendre l'objet du
litige en violation des art. 194bis ch. 2, 191 ch. 1 et 139
ch. 1 CPP val. Il y a lieu de distinguer entre la définition
de l'objet du litige et le pouvoir d'instruction et d'examen
du juge d'appel: la décision attaquée devant ce dernier est
uniquement celle rendue sur réclamation, qu'il peut confir-
mer ou atténuer, mais non pas aggraver, en application de

l'art. 194bis ch. 2 let. f CPP val. interdisant la reforma-
tion in peius. L'interprétation de cette dernière règle dé-
montre que le cadre donné au juge d'appel est bien le pro-
noncé pénal administratif, soit plus précisément la décision
sur réclamation concernant le mandat de répression. C'est
cette dernière décision qui trace les limites du procès pé-
nal en appel et qui fixe les éléments pertinents sur les-
quels le contrevenant doit pouvoir faire valoir son droit
d'être entendu (ATF 116 Ia 455 consid. 3cc p. 458).

     e) En l'occurrence, la décision sur réclamation du 22
avril 1999 confirme l'amende de 100 fr. infligée à
X.________ pour avoir circulé le 2 janvier 1999 au volant
d'un véhicule dont les vitres latérales avant étaient revê-
tues d'un film plastique teinté diminuant la visibilité.
Elle ne retient pas en revanche que le recourant aurait con-
duit sa Nissan Primera avec les vitres teintées après cette
date. En considérant qu'aucune infraction ne pouvait être
reprochée sur le plan subjectif au contrevenant, jusque et y
compris le 2 janvier 1999, mais que ce dernier avait inten-
tionnellement enfreint l'art. 93 ch. 2 LCR après cette date,
en circulant au moins pendant deux ou trois semaines au vo-
lant d'un véhicule ne répondant pas aux exigences techniques
requises, sans l'avoir interpellé à ce sujet, le Juge canto-
nal a étendu l'accusation à des faits que le recourant ne
devait pas s'attendre à se voir reprocher, en violation du
droit d'être entendu déduit des art. 4 aCst. et 6 § 3 let. a
CEDH.

     f) Le recours doit par conséquent être admis pour ce
motif et l'arrêt attaqué annulé, sans qu'il soit nécessaire
d'examiner si le Juge cantonal pouvait retenir l'infraction
à l'art. 93 ch. 2 LCR pour réalisée en se fondant sur la
lettre de réclamation du 9 mars 1999 ou sur les déclarations
du recourant aux débats, sans violer le principe de la pré-
somption d'innocence.

     3.- Vu l'issue du recours, il y a lieu de statuer sans
frais (art. 156 al. 2 OJ); le canton du Valais versera en
revanche au recourant une indemnité de 1'000 fr. à titre de
dépens, conformément à l'art. 159 al. 1 OJ.

                      Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

     1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué;

     2. Dit qu'il n'est pas prélevé d'émolument judiciaire;

     3. Dit que le canton du Valais versera au recourant une
indemnité de 1'000 fr. à titre de dépens;

     4. Communique le présent arrêt en copie au mandataire
du recourant, au Chef du Service de la circulation routière
et de la navigation et au Juge unique de la Cour de droit
public du Tribunal cantonal du canton du Valais.

Lausanne, le 23 février 2000
PMN/mnv

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
        Le Président,                   Le Greffier,