Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.725/1999
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1P.725/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       29 février 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Nay, Aeschlimann, Jacot-Guillarmod et Favre. Greffière: Mme
Camprubi.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

A.________, représentée par Me Olivier Derivaz, avocat à
Monthey,

                           contre

l'arrêt rendu le 22 octobre 1999 par le Président du Tribunal
cantonal du canton du Valais, concernant la demande de récusa-
tion de Michel Dupuis, Juge I du district de Monthey, dans la
cause qui oppose la recourante à B.________, représenté par
Me Daniel Cipolla, avocat à Martigny, et au Ministère public
du  B a s - V a l a i s;

             (récusation, impartialité du juge),

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Le Juge I du district de Monthey, Michel Dupuis,
a été saisi pour jugement de la cause pénale opposant
A.________ à son père et au Ministre public du Bas-Valais,
qui l'accusent d'avoir déposé un faux témoignage (art. 307
CP) lors de la procédure de divorce de ses parents.
A.________ a requis la récusation de ce juge, au motif qu'il
avait traité du divorce. Celui-ci contesta sa récusation et
transmit la cause au Président du Tribunal cantonal du canton
du Valais, qui rejeta la requête de A.________ le 22 octobre
1999, sans allouer de dépens à son avocat d'office.

   B.- Agissant par la voie du recours de droit public,
A.________ invoque en premier lieu une violation de l'art. 6
al. 1 CEDH, de l'art. 58 de l'ancienne Constitution fédérale
(aCst.), ainsi qu'une application arbitraire de l'art. 33 al.
1 let. b du code de procédure pénale du canton du Valais du
22 février 1962 (CPP/VS), et demande au Tribunal fédéral
d'annuler l'arrêt du Président du Tribunal cantonal.
B.________ conclut au rejet du recours. Le Ministère public
du Bas-Valais et le Tribunal cantonal renoncent à des
observations.

           C o n s i d é r a n t  e n  d r o i t :

   1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité du recours de droit public (ATF 125 I 14
consid. 2a p. 16, 253 consid. 1a p. 254, 412 consid. 1a p.
414 et les arrêts cités).

    a) Selon la jurisprudence relative à l'art. 88 OJ,
a seul qualité pour agir celui qui est atteint par l'acte at-
taqué dans ses intérêts personnels et juridiquement protégés,
garantis soit directement par un droit fondamental spécifi-
que, soit par une règle de droit fédéral ou cantonal. L'in-
terdiction générale de l'arbitraire découlant de l'art. 4
aCst. ne confère pas à elle seule la légitimation exigée par
l'art. 88 OJ; le recourant doit encore se trouver dans la
sphère de protection des normes dont il se prévaut (ATF 123 I
41 consid. 5b p. 42; 122 I 44 consid. 2b p. 45 s et 3b/bb p.
47; 121 I 267 consid. 2 p. 268 s; cf. aussi ATF 125 II 86
consid. 3a p. 93 s). A défaut de qualité sur le fond, le re-
courant peut se plaindre de la violation de garanties de pro-
cédure équivalant à un déni de justice formel. Dans un tel
cas, l'intérêt juridiquement protégé exigé par l'art. 88 OJ
découle non pas du droit de fond, mais du droit de participer
à la procédure tel qu'il est reconnu par le droit cantonal
ou, directement, par la Constitution. Un tel droit existe
lorsque le recourant avait qualité de partie en procédure
cantonale (ATF 125 II 86 consid. 3b p. 94; 123 I 25 consid. 1
p. 26 s; 122 I 267 consid. 1b p. 270; 121 I 218 consid. 4a p.
223 et les arrêts cités).

    Selon cette jurisprudence, la recourante a qualité
pour agir en tant qu'elle invoque des droits fondamentaux
spécifiques et une application arbitraire de l'art. 33
CPP/VS, puisqu'elle est partie à la procédure cantonale por-
tant sur la récusation. Il n'y a donc pas lieu de s'interro-
ger sur le maintien de cette jurisprudence après l'entrée en
vigueur, le 1er janvier 2000, de la Constitution fédérale du
18 avril 1999 (Cst.). Par contre, en tant qu'elle critique le
fait que l'arrêt attaqué n'a pas alloué de dépens à son avo-
cat d'office, elle n'a pas elle-même d'intérêt personnel ju-
ridiquement protégé. Sur ce point, le recours est donc irre-
cevable.

     b) Les autres conditions posées à la recevabilité
du recours de droit public sont satisfaites. En particulier,
s'agissant d'une question portant sur l'organisation de la
procédure, selon la jurisprudence constante, les conditions
de l'art. 87 OJ ne s'appliquent pas (cf. ATF 117 Ia 396
consid. 2 p. 399 et les arrêts cités).

   Sous la réserve mentionnée, le recours est rece-
vable.

   2.- Le Président du Tribunal cantonal a considéré
que l'audition de la recourante par le magistrat intimé dans
le cadre de la procédure de divorce n'était pas de nature à
faire naître un doute quant à son impartialité dans l'affaire
pénale. Dans la procédure de divorce, le juge ne se serait
pas fait d'opinion sur sa culpabilité, il n'aurait agi qu'en
simple auditeur.

   a) La garantie d'un tribunal indépendant et impar-
tial instituée par l'art. 6 par. 1 CEDH, à l'instar de la
protection conférée par l'art. 58 aCst., permet au plaideur
de s'opposer à une application arbitraire des règles canto-
nales sur l'organisation et la composition des tribunaux, qui
comprennent les prescriptions relatives à la récusation des
juges. Elle permet aussi, indépendamment du droit cantonal,
d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le com-
portement est de nature à faire naître un doute sur son im-
partialité; elle tend notamment à éviter que des circonstan-
ces extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement
en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la
récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge
est établie, car une disposition interne de sa part ne peut
guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent
l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité
partiale du magistrat. Seules des circonstances constatées
objectivement doivent être prises en considération; les im-

pressions purement individuelles d'une des parties au procès
ne sont pas décisives (ATF 125 I 119 consid. 3a p. 122; 124 I
255 consid. 4a p. 261; 120 Ia 184 E. 2 S. 186 f.). Le fait
notamment qu'un magistrat ait déjà agi dans une cause peut
éveiller un soupçon de partialité. Le cumul des fonctions
n'est alors admissible que si le magistrat, en participant à
des décisions antérieures relatives à la même affaire, n'a
pas déjà pris position au sujet de certaines questions de ma-
nière telle qu'il ne semble plus à l'avenir exempt de préju-
gés et que, par conséquent, le sort du procès n'apparaisse
plus indécis. Pour en juger, il faut tenir compte des faits,
des particularités procédurales ainsi que des questions con-
crètes soulevées au cours des différents stades de la procé-
dure (ATF 119 Ia 221 consid. 3 p. 226 et les arrêts cités;
cf. aussi ATF 120 Ia 82 consid. 6 p. 83 ss).

   b) La Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst.),
entrée en vigueur le 1er janvier 2000, n'ayant pas amené de
changement à l'égard du droit à un tribunal indépendant et
impartial (cf. art. 30 al. 1 Cst.; Bull. off. CN 1998, Réfor-
me de la Constitution fédérale, p. 234; Bull. off. CE 1998,
Réforme de la Constitution fédérale, p. 50), c'est à la lu-
mière de la jurisprudence rappelée ci-dessus qu'il convient
d'examiner le recours.

   3.- La recourante fait valoir que l'arrêt incriminé
viole l'art. 33 al. 1 let. b CPP/VS, selon lequel un juge
doit se récuser dans une affaire en laquelle il a agi précé-
demment à un autre titre.

   a) Une décision est arbitraire selon la jurispru-
dence portant sur l'art. 4 aCst. lorsqu'elle viole gravement
une règle de droit ou un principe juridique clair et indis-
cuté, ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le
sentiment de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral
ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci est insou-

tenable, en contradiction manifeste avec la situation effec-
tive, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en viola-
tion d'un droit certain. Il ne suffit pas que sa motivation
soit insoutenable, encore faut-il qu'elle soit arbitraire
dans son résultat (pour l'art. 4 aCst.: ATF 125 I 161 consid.
2a p. 168 et la jurisprudence citée). La nouvelle Constitu-
tion n'a pas amené de changements à cet égard (cf. art. 8 et
9 Cst.).

   b) Le Président du Tribunal cantonal a indiqué que
la jurisprudence cantonale interprète la notion "d'affaire"
de manière restrictive, et en a déduit qu'ici, le divorce et
la procédure pénale représentaient deux affaires distinctes,
de sorte que l'art. 33 al. 1 let. b CPP/VS n'était pas appli-
cable. Cette interprétation est soutenable, une cause civile
pouvant légitimement être distinguée d'une cause pénale. La
disposition en question peut en outre être interprétée dans
le sens qu'elle ne règle pas les cas où, comme ici, le magis-
trat récusé agit deux fois au même titre, c'est-à-dire en
tant que juge.

   4.- L'arrêt attaqué viole en revanche le droit de la
recourante à un juge impartial tel qu'il est garanti par la
Constitution fédérale.

   a) Tout d'abord, les moyens de défense de la recou-
rante se trouvent réduits par l'union personnelle du juge de
divorce et du juge pénal. Comme le fait valoir la recourante,
le magistrat récusé a pris une part active aux faits qui doi-
vent être éclaircis et jugés dans la procédure pénale. Par
conséquent, elle ne peut, par exemple, remettre en cause la
forme de l'audition elle-même, sans faire de reproches indi-
rects au magistrat chargé de l'affaire.

   Par ailleurs, le juge de divorce ne peut être compa-
ré à un "auditeur" neutre, comme le soutient l'arrêt attaqué,
puisqu'il recueille non seulement les témoignages, mais sta-
tue en plus - indirectement, dans le cadre de l'appréciation
des preuves - sur leur véracité. Enfin, la recourante se voit
jugée par la personne même qui a recueilli sa déposition.
S'agissant d'un délit contre l'administration de la justice,
le magistrat aux dépens duquel le faux témoignage aurait été
commis se trouve dans une position proche de celle d'une vic-
time. Il est donc légitime que la recourante ait des doutes
concernant la capacité du juge intimé à apprécier de manière
indépendante et impartiale sa culpabilité.

   Dans ces conditions, il est inutile d'examiner le
rôle des faits nouveaux remettant en question l'appréciation
par le juge de divorce du témoignage de la recourante - la
recourante reconnaît que sa déposition ne correspondait pas à
la vérité -, et de comparer les questions tranchées par le
juge de divorce à celles qui se posent dans la procédure pé-
nale. La récusation du magistrat intimé s'impose d'autant
plus qu'il statue comme juge unique, et non comme membre d'un
tribunal (cf. ATF 114 Ia 143 consid. 7b p. 153).

   b) Le cas présent n'est pas comparable à celui qui a
donné lieu à l'arrêt non publié du 16 février 1998
(1P.562/1998), dans lequel le Tribunal fédéral a constaté que
le juge de divorce qui avait ordonné des mesures provisoires
pouvait, sans violer le droit à un juge impartial, juger de
l'accusation d'insoumission à celles-ci (art. 292 CP); en
effet, dans ce dernier cas, les faits reprochés s'étaient
produits après la procédure dans laquelle le magistrat avait
agi, et il n'y avait pris aucune part active. Le cas présent
diffère également de celui publié dans ATF 116 Ia 387 ss, où
le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion qu'un magis-
trat pouvait statuer sur la détention du prévenu, puis parti-
ciper à la décision sur la demande d'indemnité relative à

cette détention (cf. aussi ATF 119 Ia 221 consid. 2 p. 223
ss). Le fait que d'autres instances jugent différemment de la
légitimité de la détention n'est pas susceptible, objective-
ment, de faire naître un conflit d'intérêt. Sinon, les mem-
bres de chaque tribunal devant prendre une nouvelle décision
suite à l'admission d'un moyen de droit par une instance ju-
diciaire supérieure devraient toujours se récuser.

   5.- Au vu de ce qui précède, le recours doit être
admis dans la mesure où il est recevable. Un émolument judi-
ciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de l'intimé, qui suc-
combe (art. 156 al. 1 en relation avec les art. 153 et 153a
OJ). Il versera en outre une indemnité de dépens de 2'000 fr.
à la recourante, qui obtient gain de cause et a procédé avec
l'assistance d'un avocat (art. 159 al. 1 OJ). Comme la recou-
rante est dans le besoin, sa requête d'assistance judiciaire
doit être admise: son avocat est nommé avocat d'office, et,
au cas où les dépens ne peuvent être recouvrés, ils seront
supportés par la caisse du Tribunal fédéral pour le montant
de 1'500 fr. (art. 152 al. 2 OJ en relation avec art. 9 du
tarif pour les dépens alloués à la partie adverse dans les
causes portées devant le Tribunal fédéral [RS 173.119.1]).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1.- Admet le recours dans la mesure où il est rece-
vable, et annule l'arrêt du Président du Tribunal cantonal du
canton du Valais du 22 octobre 1999.

   2.- Met un émolument judiciaire de 2'000 fr. à la
charge de B.________.

   3.- Met à la charge de B.________ une indemnité de
2'000 fr. à verser à la recourante à titre de dépens.

   4.- Admet la requête d'assistance judiciaire de la
recourante:
   a) Maître Olivier Derivaz, avocat à Monthey, est
nommé avocat d'office;
   b) au cas où les dépens au sens du chiffre 3 ci-
dessus ne peuvent être recouvrés, la caisse du Tribunal fédé-
ral lui versera une indemnité de 1'500 fr. à titre d'honorai-
res.

   5.- Communique le présent arrêt en copie aux manda-
taires des parties, au Juge I du district de Monthey, au Mi-
nistère public du Bas-Valais, ainsi qu'au Tribunal cantonal
du canton du Valais.

Lausanne, le 29 février 2000
CAM/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        La Greffière,