Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.707/1999
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1P.707/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                   Séance du 29 mars 2000

Présidence de M. Aemisegger, Président de la Cour.
Présents: MM. les Juges Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi
et Favre. Greffier: M. Parmelin.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

Dame D.________, représentée par Me Olivier Derivaz, avocat à
Monthey,

                           contre

le jugement rendu le 2 juillet 1999 par la Cour d'appel pé-
nale du Tribunal cantonal valaisan dans la cause opposant la
recourante au Ministère public du  B a s - V a l a i s ;

  (art. 4 et 58 aCst., art. 6 § 1 CEDH; séquestre en vue de
          l'exécution d'une créance compensatrice)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- Dame D.________ est l'épouse de D.________. Elle
est copropriétaire pour moitié avec son mari d'un appartement
en propriété par étage et d'un garage, à Verbier (ci-après,
les PPE 53'043 et 53'052). Elle détient l'intégralité du
capital-actions et des actifs de la société B.________, qui
est propriétaire de la parcelle n° 2405 du registre foncier
de Bagnes, sur laquelle est érigé un chalet que les époux
D.________ occupent avec leurs trois enfants. Elle est en
outre titulaire de deux comptes bancaires auprès de la banque
X.________, à Verbier. La société A.________ est propriétaire
de la PPE 54'477, représentant une quote-part de 261/1000ème
de la parcelle de base n° 65 du registre foncier de Bagnes.
L'immeuble correspondant abrite un restaurant que D.________
exploite en qualité de gérant.

   B.- Le 1er mars 1991, le Juge d'instruction pénale
du Bas-Valais a ouvert une enquête pénale contre D.________
pour infractions à la loi fédérale sur les stupéfiants et
blanchissage d'argent.

   Le 16 novembre 1992, il a ordonné le séquestre, au-
près de tous les établissements bancaires valaisans, des
avoirs des époux D.________ et des sociétés A.________ et
B.________ (pièce n° 1-56 du dossier cantonal). Le même jour,
il a requis le séquestre des actions de ces deux sociétés et
de tous objets ou valeurs en relation avec les infractions
reprochées à D.________ (pièce n° 1-58).

   Le 20 novembre 1992, il a ordonné le séquestre de
tous les avoirs détenus dans des établissements bancaires en
Autriche, auprès de Y.________, aux noms des époux D.________
ou des sociétés A.________ et B.________ (pièce n° 1-75). Le

21 décembre 1992, il a demandé à ses homologues zurichois et
genevois de séquestrer les avoirs détenus par ces mêmes
personnes et sociétés auprès des établissements bancaires à
Zurich et à Genève (pièces nos 1-183 & 1-186).

   Le 7 juin 1993, il a requis l'annotation au registre
foncier d'une restriction du droit d'aliéner sur les PPE
53'043 et 53'052, propriété des époux D.________, sur la PPE
54'077, propriété de A.________, et sur la parcelle n° 2'405,
propriété de B.________ (pièce n° 1-299). Le 24 avril 1995,
il a levé le séquestre sur les comptes personnels de dame
D.________ auprès de la banque X.________, à Verbier.

   C.- Par décision du 11 mars 1994, le Juge d'instruc-
tion a ouvert une instruction d'office contre dame D.________
pour blanchissage d'argent, qu'il a close le 15 mai 1996. Le
18 février 1997, les époux D.________ ont été renvoyés en
jugement devant le Tribunal du IIIème arrondissement pour le
district de l'Entremont.

   Lors de l'audience de débats tenue le 9 décembre
1997, cette autorité a disjoint la cause dirigée contre dame
D.________ de celle ouverte contre D.________ et renvoyé
celle-ci à l'instruction; par jugement des 9 et 12 décembre
1997, elle a reconnu D.________ coupable de violation grave
de la loi fédérale sur les stupéfiants et l'a condamné à six
ans de réclusion ainsi qu'à une amende de 100'000 fr. Elle
l'a en outre astreint à verser à l'Etat du Valais une créance
compensatrice de 800'000 fr. et a levé les séquestres or-
donnés en cours d'instruction. Une copie de ce jugement a été
communiqué le 4 février 1998 au conseil de dame D.________.

   D.- Par plis recommandés postés respectivement les
2 et 5 mars 1998, le Ministère public du Bas-Valais et
D.________ ont déclaré faire appel de ce jugement auprès de
la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton du Va-

lais (ci-après, la Cour d'appel pénale). Le Ministère public
a notamment pris des conclusions tendant à ce que toutes les
valeurs patrimoniales d'origine criminelle détenues par l'ac-
cusé, son épouse, les sociétés B.________ et A.________ ou
par d'autres tiers, soient confisquées et dévolues à l'Etat.

   Le 20 octobre 1998, la Présidente de la Cour d'appel
pénale a informé le conseil de dame D.________ que les sé-
questres des comptes bancaires ordonnés en cours d'ins-
truction étaient maintenus jusqu'à l'issue de la procédure
d'appel et qu'en sa qualité de tiers concerné, celle-ci rece-
vrait une copie de la citation aux débats et pourrait faire
valoir, par écrit ou lors des débats, ses déterminations au
sujet du séquestre de ses comptes bancaires.

   A l'audience du 10 mai 1999, la Présidente de la
Cour d'appel pénale a pris acte du retrait par le Ministère
public des conclusions visant dame D.________ et autorisé
cette dernière et ses conseils à quitter la salle.

   Statuant le 2 juillet 1999, la Cour d'appel pénale a
réduit à cinq ans de réclusion la peine infligée à D.________
et porté l'amende à 200'000 fr. Elle a par ailleurs fixé à
2'000'000 fr. la créance compensatrice en faveur de l'Etat du
Valais et séquestré les valeurs patrimoniales saisies en
cours de procédure, dans le sens des considérants, en vue de
l'exécution de cette créance. Le jugement a été notifié aux
parties et communiqué pour information à dame D.________ le 8
octobre 1999.

   E.- Agissant par la voie du recours de droit public,
cette dernière demande au Tribunal fédéral d'annuler ce juge-
ment, subsidiairement le chiffre 3 de son dispositif en ce
qu'il prononce le séquestre des valeurs patrimoniales saisies
en cours de procédure. Elle prétend ne pas avoir bénéficié
d'un procès équitable au sens des art. 6 § 1 CEDH et 58 al. 1

aCst. et se plaint de violations répétées de son droit d'être
entendue garanti par l'art. 4 aCst. Elle reproche en outre à
la Cour d'appel pénale d'avoir adopté une attitude contra-
dictoire contraire au principe de la bonne foi en ordonnant
le séquestre de ses biens saisis en cours de procédure en vue
de l'exécution de la créance compensatoire de son mari sans
lui reconnaître les droits de partie à la procédure. Elle lui
fait enfin grief d'avoir réglé de manière arbitraire la ques-
tion des frais soulevée par son intervention en procédure
d'appel.

   La Cour d'appel pénale se réfère aux considérants de
son jugement. Le Ministère public du Bas-Valais conclut au
rejet du recours.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- Le Tribunal fédéral examine d'office et libre-
ment la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 125
I 412 consid. 1a p. 414; 125 II 497 consid. 1a p. 499; 125
III 461 consid. 2 p. 463 et la jurisprudence citée).

   a) Le séquestre ordonné en vertu de l'art. 59 ch. 2
al. 3 CP est une mesure provisoire et purement conservatoire,
qui tend à éviter que le débiteur ne dispose de ses biens
pour les soustraire à l'action future du créancier (Message
du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal
suisse et du code pénal militaire du 30 juin 1993, FF 1993
III 305). Il ne modifie pas les rapports de droit civil exis-
tant sur les valeurs patrimoniales qui font l'objet de cette
mesure (ATF 120 IV 365 consid. 1c p. 367; 119 Ia 453 consid.
3d p. 457; 103 Ia 8 consid. 1b p. 11 et les références ci-
tées) et ne constitue pas une décision préjudicielle ou inci-
dente susceptible d'être attaquée par la voie du pourvoi en

nullité (cf. ATF 123 IV 252 consid. 1 p. 253 et les arrêts
cités). Seul le recours de droit public est dès lors ouvert
contre une telle mesure (cf. Niklaus Schmid, Kommentar Ein-
ziehung, organisiertes Verbrechen und Geldwäscherei, vol. I,
Zurich 1998, n. 175, § 2 ad art. 59 CP).

   b) Aux termes de l'art. 88 OJ, la qualité pour for-
mer un recours de droit public est reconnue aux particuliers
ou aux collectivités lésés par les arrêtés ou décisions qui
les concernent personnellement ou qui sont de portée géné-
rale. Le recours de tiers qui n'étaient pas parties à la pro-
cédure cantonale ayant donné lieu à l'arrêt attaqué n'est re-
cevable que si ce dernier les touche personnellement dans
leurs intérêts juridiquement protégés, c'est-à-dire dans des
intérêts privés dont le droit constitutionnel invoqué assure
la protection (ATF 123 I 41 consid. 5b p. 42; 122 I 44 con-
sid. 2b p. 45 et les arrêts cités; sur le recours de tiers,
voir ATF 114 Ia 93 consid. 1b p. 95; 107 Ia 175 consid.
II/6b/aa p. 179/180). Il incombe au recourant d'alléguer les
faits qu'il considère comme propres à fonder sa qualité pour
recourir de telle sorte que le Tribunal fédéral puisse déter-
miner en quoi la décision attaquée porte une atteinte actuel-
le et personnelle à ses intérêts juridiquement protégés; la
lésion de purs intérêts de fait ne suffit pas (ATF 121 I 367
consid. 1b p. 369; 120 Ia 227 consid. 1 p. 229).

   Dame D.________ prétend qu'elle serait personnelle-
ment touchée par le séquestre ordonné au chiffre 3 du dispo-
sitif du jugement attaqué quand bien même cette mesure por-
terait, selon les considérants, uniquement sur les avoirs
appartenant à son mari ainsi qu'aux sociétés B.________ et
A.________, de par le renvoi aux ordonnances de séquestre
successivement rendues par le Juge d'instruction pénale, qui
viseraient certains de ses biens; elle se réfère en particu-
lier aux actions de la société B.________, à l'appartement et

au garage qu'elle détient à Verbier en copropriété avec son
mari et à ses avoirs bancaires.

   En l'occurrence, selon le chiffre 3 du dispositif du
jugement attaqué, la Cour d'appel pénale a séquestré les va-
leurs patrimoniales saisies en cours de procédure, "dans le
sens des considérants", en vue de l'exécution de la créance
compensatrice mise à la charge de D.________.

   Le considérant 15d, plus particulièrement consacré
aux séquestres, est libellé en ces termes:

     "En conséquence, les divers séquestres sur les
     avoirs appartenant à l'appelant ainsi qu'aux so-
     ciétés B.________ et A.________ prononcés en cours
     d'instruction sont maintenus jusqu'au paiement de
     la créance compensatrice, soit jusqu'à l'issue de
     la procédure d'exécution, si cela est nécessaire.
     Ce séquestre concerne, entre autres ordonnances
     procédurales avec leurs aménagements successifs,
     les décisions concernant le Valais (16.11.1992:
     1-56; 24.11.1993: 2-567), l'Autriche (20.11.1992;
     1-75 et 2-578; cl. 9/96), Zurich (21.12.1992:
     1-183; cl. 10/96; 6-1515), Genève (21.12.1992:
     1-186; cl. 10/96) et les autres cantons suisses
     (cl. 1 à 8/96); il s'étend également à la restric-
     tion du droit d'aliéner les immeubles de Verbier
     (PJ 43'237/Bagnes) appartenant aux mêmes personnes,
     en particulier les PPE 53'043 et 53'052, parcelle
     de base n° 1461, la PPE 54'477, parcelle de base n°
     65, et l'immeuble n° 2045 (07.06.1993: 1-299)."

   Les actions des sociétés A.________ et B.________
ont été séquestrées en cours de procédure en application
d'une ordonnance rendue par le Juge d'instruction pénale le
16 novembre 1992 et cotée sous chiffre n° 1-58 dans le
dossier cantonal; le jugement attaqué ne se réfère pas à
cette décision, mais uniquement à celle rendue le même jour
et enregistrée sous chiffre n° 1-56, ordonnant le séquestre
des avoirs existant ou ayant existé au nom de D.________, de
son épouse et des sociétés B.________ et A.________, auprès

des établissements bancaires valaisans. Les actions que la
recourante détient au sein de la société B.________ ne sont
donc pas visées par le chiffre 3 du dispositif du jugement
attaqué.

   Le séquestre s'étend également à l'appartement et au
garage, dont les époux D.________ sont propriétaires à
Verbier, qui ont fait l'objet d'une restriction du droit
d'aliéner annotée au registre foncier conformément à la re-
quête du Juge d'instruction pénale du 7 juin 1993. Cependant,
cette mesure n'a trait, aux termes du considérant précité du
jugement attaqué, qu'aux immeubles appartenant "aux mêmes
personnes", soit à D.________ et aux sociétés A.________ et
B.________. Le chiffre 3 du dispositif doit dès lors être
compris en ce sens que seule la part de copropriété de l'ac-
cusé D.________ sur les immeubles constitués en propriété par
étages est visée par le séquestre. Il n'y a en effet aucune
raison d'admettre que l'autorité intimée n'aurait pas donné
suite à l'abandon par le Ministère public des conclusions
visant au séquestre des biens de dame D.________ et qu'elle
aurait également étendu cette mesure aux avoirs de cette der-
nière. Le même raisonnement s'applique aux comptes bancaires
que la recourante détient auprès de la banque X.________, à
Verbier, et qui ont été séquestrés en cours de procédure,
sans qu'il y ait lieu d'examiner si dame D.________ a
satisfait, sur ce point, à l'obligation que lui fait l'art.
90 al. 1 let. b OJ d'établir les faits propres à fonder sa
qualité pour recourir (cf. ATF 120 Ia 227 consid. 1 précité).

   Le recours est par conséquent irrecevable en tant
qu'il émane de la recourante, faute pour cette dernière
d'être personnellement touchée par le jugement attaqué,
respectivement par le chiffre 3 de son dispositif, dont elle
demande l'annulation.

   2.- Dame D.________ reproche également à la Cour
d'appel pénale d'avoir réglé de manière arbitraire la ques-
tion des frais, soulevée par son intervention en appel. Selon
elle, l'autorité intimée aurait commis un déni de justice en
ne statuant pas sur ses conclusions en frais et dépens parce
qu'elle n'était pas partie à la procédure d'appel; une telle
manière de procéder ne serait pas conforme aux nouvelles dis-
positions de la loi valaisanne fixant le tarif des frais et
dépens devant les autorités judiciaires ou administratives du
14 mai 1998.

   a) La recourante a en principe qualité, selon l'art.
88 OJ, pour se plaindre de la violation des dispositions ré-
gissant la répartition des frais et dépens de la procédure
d'appel à laquelle elle a participé en qualité de tiers con-
cerné. Le grief est cependant mal fondé. Dans la mesure où
elle pouvait de manière soutenable retenir que dame
D.________ n'était pas partie à la procédure, faute pour
celle-ci d'avoir interjeté appel dans le délai imparti par
l'art. 186 du code de procédure pénale valaisan (CPP val.) ou
de s'être joint à l'appel formé par D.________ selon l'art.
187 ch. 1 CPP val., la Cour d'appel pénale pouvait également
admettre, sans verser dans l'arbitraire, qu'elle n'avait à
prendre aucune décision sur les frais et dépens à son égard;
elle n'a donc pas commis de déni de justice en ne statuant
pas expressément sur ce point.

   b) La Cour d'appel pénale n'a par ailleurs pas adop-
té une attitude contradictoire en admettant l'intervention de
dame D.________ à la procédure pénale dirigée contre son mari
en qualité de tiers concerné tout en lui refusant les droits
de partie, dès lors qu'une telle obligation ne découle ni du
droit de procédure pénale cantonal, ni de l'art. 4 aCst. (cf.
Jean-François Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'or-
ganisation judiciaire, vol. V, note 2 ad art. 156, p. 144;
arrêt non publié du 22 décembre 1998 dans la cause C. contre

Président de la Cour d'assises criminelle de Lugano, consid.
3f). Le moyen tiré d'une prétendue violation des règles de la
bonne foi est mal fondé sans qu'il soit nécessaire d'examiner
sa recevabilité.

   3.- Le recours doit par conséquent être rejeté, dans
la mesure où il est recevable, aux frais de la recourante qui
succombe (art. 156 al. 1, 153 et 153a OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours, dans la mesure où il est re-
cevable;

   2. Met un émolument judiciaire de 5'000 fr. à la
charge de la recourante;

   3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire de la recourante, au Ministère public du Bas-Valais et
à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton du
Valais.

Lausanne, le 29 mars 2000
PMN/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
            Le Président,           Le Greffier,