Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.612/1999
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1P.612/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                        13 mars 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Aeschlimann et Catenazzi. Greffier: M. Jomini.

           Statuant sur le recours de droit public
                         formé par

B.________, représentée par Me Louis-Marc Perroud, avocat à
Fribourg,

                           contre

la décision rendue le 9 septembre 1999 par la Commission can-
tonale de recours en matière d'améliorations foncières du
canton de Fribourg, dans la cause qui oppose la recourante au
Syndicat d'améliorations foncières de Cheyres-Yvonand, p.a.
Louis Bersier, président du comité, à Cheyres;

                  (remaniement parcellaire)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.-  Le Syndicat d'améliorations foncières de Chey-
res-Yvonand (ci-après: le syndicat) a pour but, notamment, le
remaniement parcellaire sur le territoire de la commune de
Cheyres. Dans l'ancien état de propriété (abrégé "AE", c'est-
à-dire avant les opérations de remembrement), B.________ y
était propriétaire de deux biens-fonds, les parcelles n° 948
AE (de 821 m2) et n° 373 AE (de 663 m2), de nature agricole
et à vocation fruitière. La première parcelle est située au
sud du village de Cheyres, la seconde au nord.

   B.-  La procédure de révision du plan d'aménagement
local de la commune de Cheyres s'est déroulée conjointement
avec les travaux du syndicat. Le nouveau plan a été approuvé
par le Conseil d'Etat du canton de Fribourg le 2 septembre
1998. Les deux parcelles de B.________ sont classées dans la
zone agricole, la parcelle n° 948 AE se trouvant toutefois à
la limite de la zone à bâtir.

   C.-  Les organes du syndicat ont mis à l'enquête en
1998 le nouvel état de propriété (NE). Selon ce projet,
B.________ se voit attribuer un seul bien-fonds, la parcelle
n° 111-01 NE, au sud du village de Cheyres, en zone agricole
et à proximité de la parcelle n° 373 AE. Ce nouveau bien-
fonds a une surface de 1'426 m2; comme la valeur du terrain,
dans ce secteur, a été taxée à un montant relativement élevé,
le projet prévoit une soulte de 2'249.30 fr. à la charge de
B.________, en faveur du syndicat.

   B.________ s'est opposée à ce projet d'attribution,
en demandant en substance de pouvoir conserver dans le nouvel
état la parcelle n° 948 AE.

   La commission de classification du syndicat a statué
sur cette opposition le 22 février 1999; elle l'a rejetée.

   D.-  B.________ a recouru contre la décision de la
commission de classification auprès de la Commission canto-
nale de recours en matière d'améliorations foncières du can-
ton de Fribourg (ci-après: la commission cantonale). Elle a
critiqué l'attribution de la parcelle n° 948 AE à un autre
propriétaire du syndicat, P.________. Cela représenterait
pour ce dernier, selon la recourante, un avantage considé-
rable et injustifié car il pourrait mettre ce terrain à la
disposition de sa fille, propriétaire d'une parcelle contiguë
dans la zone à bâtir; cette parcelle n° 948 AE serait en ou-
tre elle aussi vouée à un classement dans la zone à bâtir,
compte tenu de sa situation et de son équipement.

   La commission cantonale a rejeté le recours par une
décision rendue le 9 septembre 1999 (ch. 1 du dispositif),
après une inspection des lieux et une tentative de concilia-
tion le 30 juin 1999. Cette autorité a considéré, en substan-
ce, que les principes fondamentaux du remaniement parcellai-
re, énoncés dans la jurisprudence et à l'art. 110 de la loi
cantonale sur les améliorations foncières (LAF), avaient été
respectés par les organes du syndicat; ceux-ci pouvaient en
particulier se fonder exclusivement sur l'affectation et la
vocation agricoles de la parcelle n° 948 AE, aucun élément
objectif n'établissant la perspective d'un classement de ce
terrain en zone à bâtir. Son attribution, dans le nouvel
état, à P.________ est par ailleurs conforme aux buts du re-
maniement, ce propriétaire obtenant à cet endroit un terrain
agricole de forme cohérente. La commission cantonale s'est
encore prononcée sur la soulte mise à la charge de la recou-
rante. Elle a évoqué plusieurs solutions, par une modifica-
tion de l'attribution au nouvel état de propriété, pour en
réduire le montant; finalement, elle a qualifié d'admissible
la solution des organes du syndicat, en invitant toutefois la

commission de classification à "prendre contact" avec la re-
courante, dans les trente jours dès la notification de sa dé-
cision, "afin de lui proposer un nouveau lotissement dans la
parcelle 111-01 NE mais avec une surface telle que la soulte
en faveur du syndicat soit réduite, dans le sens des considé-
rants" (ch. 2 du dispositif).

   E.-  Agissant par la voie du recours de droit pu-
blic, B.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler la dé-
cision de la commission cantonale. Critiquant le refus de lui
attribuer le terrain correspondant à son ancienne parcelle n°
948 AE, elle se plaint de violations de la garantie de la
propriété, du principe de l'égalité de traitement et de la
règle de l'interdiction de l'arbitraire. Elle requiert une
inspection locale.

   Invitée à répondre, la commission cantonale se ré-
fère à sa décision, sans prendre de conclusions.

   Les organes du syndicat n'ont pas répondu.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.-  a)  La voie du recours de droit public pour
violation de droits constitutionnels des citoyens (art. 84 ss
OJ) est ouverte.

   La commission cantonale a rejeté le recours dont
elle était saisie (ch. 1 du dispositif), tout en donnant des
instructions à un organe du syndicat afin qu'il propose à la
recourante une attribution différente dans le nouvel état
(ch. 2 du dispositif). Il ne s'agit pas à proprement parler
d'une décision de renvoi de la juridiction cantonale à l'au-
torité de première instance, puisque le rejet du recours met

formellement fin à la procédure cantonale, la commission de
classification étant uniquement tenue de faire une proposi-
tion, et non pas de statuer à nouveau. Dans ce cadre, elle ne
pourrait au demeurant pas proposer une remise en cause fonda-
mentale du nouvel état de propriété - conformément à ce que
demande la recourante - car seule la forme et la surface de
la parcelle n° 111-01 NE pourraient être revues. Aussi la dé-
cision attaquée doit-elle être considérée comme une décision
finale au sens des art. 86 al. 1 et 87 OJ, contre laquelle le
recours de droit public est en principe recevable (cf. ATF
122 I 39 consid. 1a p. 41 et la jurisprudence citée).

   Propriétaire de terrains inclus dans le périmètre
d'un remaniement parcellaire dont elle conteste le résultat,
B.________ a manifestement qualité pour recourir au sens de
l'art. 88 OJ. L'acte de recours a en outre été déposé en
temps utile (art. 89 al. 1 OJ). Il y a lieu d'entrer en ma-
tière.

   b)  Il ne se justifie pas de procéder à l'inspection
locale requise par la recourante, ses griefs pouvant être
examinés sur la base du dossier.

   2.-  a)  La recourante invoque la garantie de la
propriété, l'égalité de traitement ainsi que l'interdiction
de l'arbitraire pour se plaindre d'une violation de la
Constitution dans la mise en oeuvre, dans son cas particu-
lier, des principes du remaniement parcellaire consacrés tant
par la législation cantonale que par la jurisprudence.

   La jurisprudence a dégagé de la garantie de la pro-
priété (art. 22ter aCst., art. 26 Cst.) le principe de la
compensation réelle - ou de l'équivalence - qui régit la
confection du nouvel état de propriété dans les remaniements
parcellaires. Selon ce principe, les propriétaires intéressés
à une telle entreprise ont une prétention à recevoir dans la

nouvelle répartition des terrains équivalant, en quantité et
en qualité, à ceux qu'ils ont cédés, pour autant, naturelle-
ment, que le but du remaniement et les nécessités techniques
le permettent. S'agissant d'un remaniement agricole qui
touche aux bases mêmes de l'existence d'une exploitation,
l'autorité doit tenir compte non seulement de l'emplacement
des terres, de leur nature et de leur qualité, mais aussi de
l'organisation de l'entreprise et de ses particularités. Il
faut rechercher toutes les solutions objectivement conceva-
bles pour résoudre les difficultés techniques susceptibles de
compromettre la mise en oeuvre du principe de la compensation
réelle (ATF 119 Ia 21 consid. 1a p. 24 et les références). La
commission cantonale s'est fondée sur le principe de la com-
pensation réelle, tel qu'il vient d'être évoqué, ainsi que
sur l'art. 110 LAF, qui le concrétise dans la législation
cantonale, en prévoyant aussi que les avantages et les incon-
vénients découlant du remaniement doivent être répartis
équitablement entre tous les membres du syndicat (al. 3).

   La recourante ne discute pas la constitutionnalité
du droit cantonal quant au principe de la compensation réel-
le; elle ne s'en prend qu'à son application au cas particu-
lier. Aussi le Tribunal fédéral se bornera-t-il à examiner si
la solution retenue est arbitraire, c'est-à-dire si elle
viole de manière grossière une prescription légale ou un
principe élémentaire du remaniement (ATF 122 I 120 consid. 6
p. 128; 119 Ia 21 consid. 1a p. 25; 105 Ia 324 consid. 2b p.
326). Le droit à l'égalité, que la recourante invoque, n'a
pas une portée véritablement différente dans ce contexte.
S'il faut effectivement répartir équitablement les avantages
et les inconvénients découlant du remaniement, il est rare-
ment possible d'assurer à chacun des propriétaires englobés
dans le périmètre une participation proportionnellement iden-
tique à l'enrichissement collectif. Pour le Tribunal fédéral
qui, saisi d'un recours de droit public, n'a pas à substituer
son appréciation à celle des autorités cantonales, il suffit

que les disparités révélées à l'issue de la confection du
nouvel état ne soient pas manifestes ou choquantes (ATF 119
Ia 21 consid. 1b p. 26; 105 Ia 324 consid. 2c p. 326).

   b)  La recourante prétend que son ancienne parcelle
n° 948 AE est vouée à un classement en zone à bâtir et
qu'elle aurait dû pouvoir la conserver en raison de ces pers-
pectives de meilleure utilisation.

   La commission cantonale a estimé que seule l'affec-
tation actuelle de cette parcelle, en zone agricole, était
déterminante, car rien n'indique que les autorités communales
envisageraient une modification de leur plan d'affectation.
La recourante n'allègue aucun élément concluant à l'encontre
de cette analyse. Elle se prévaut certes de l'existence d'un
chemin et d'autres infrastructures d'équipement, ou de la
vision panoramique remarquable dont on jouirait depuis cet
endroit, mais elle n'indique pas pour quel motif la délimita-
tion de la zone agricole et de la zone à bâtir, qui vient
d'être revue par les autorités compétentes en relation avec
la réalisation du remaniement parcellaire, ne pourrait pas
être considérée comme déterminante. Le syndicat pouvait, sur
le point essentiel de la séparation des zones agricole et à
bâtir, se fonder sur un plan d'affectation très récent, met-
tant en oeuvre les principes de la loi fédérale sur l'aména-
gement du territoire; il n'était pas tenu d'envisager d'au-
tres hypothèses d'utilisation à long terme que celles prévues
par ce plan d'affectation, à savoir une destination agricole.
La juridiction cantonale n'a donc pas violé les principes du
remaniement en refusant de prendre en considération la possi-
bilité de construire sur le terrain litigieux.

   c)  La recourante ne conteste pas la décision atta-
quée qui retient que le regroupement des parcelles de la re-
courante, au nouvel état, constitue un "net avantage agrico-
le" par rapport à la situation précédente. Elle invoque ce-

pendant un attachement à la parcelle n° 948 AE pour des rai-
sons sentimentales ou affectives, soit pour des motifs indé-
pendants du souhait de pouvoir l'utiliser pour la construc-
tion. Cet argument n'est pas concluant. L'attachement à une
petite parcelle agricole est certes concevable, si par exem-
ple le terrain est un élément du patrimoine familial, mais -
sauf circonstances spéciales non alléguées en l'espèce - ce
n'est pas un motif permettant de faire obstacle à la mise en
oeuvre des principes du remaniement agricole, soit notamment
le regroupement des terres et la constitution de nouvelles
parcelles adaptées à la culture.

   En l'occurrence, la commission cantonale a considéré
que l'attribution de la parcelle n° 948 AE à P.________ se
justifiait, car elle était encastrée dans un terrain plus
vaste revenant à ce dernier (n° 610.08 NE). Cette solution,
pour cet autre membre du syndicat, ne consacre manifestement
pas une application arbitraire des principes du remaniement.
Aussi pouvait-on faire abstraction de l'attachement de la
recourante à son ancien bien-fonds.

   d)  Sous l'angle de l'égalité de traitement, la re-
courante dénonce les avantages considérables dont P.________
aurait bénéficié dans le remaniement. Elle ne critique cepen-
dant que l'attribution à ce propriétaire de son ancienne par-
celle n° 948 AE, qui pourrait servir d'espace de dégagement à
la fille de ce dernier, habitant une maison directement voi-
sine dans la zone à bâtir.

   La commission cantonale a, dans la décision atta-
quée, évoqué diverses hypothèses, l'une consistant notamment
à réduire la surface de la parcelle n° 610.08 NE de
P.________ pour attribuer à cet endroit 1'000 m2 de terrain à
la recourante. Elle a en définitive confirmé la solution des
organes du syndicat. Le Tribunal fédéral, en se prononçant
sur le respect des principes de la compensation réelle ou de

l'égalité de traitement (dans les limites rappelées plus haut
- consid. 2a in fine), n'examine que le résultat du remanie-
ment à l'issue de la procédure cantonale, et non pas les so-
lutions alternatives qui n'ont pas été retenues (cf. ATF 105
Ia 324 consid. 2a p. 326).

   Les situations respectives de la recourante et de
P.________, au début du remaniement, étaient sensiblement
différentes: la recourante n'était propriétaire que de deux
petites parcelles, tandis que le domaine de P.________ avait
une surface globale de plusieurs hectares, relativement mor-
celée. Pour ce dernier propriétaire, l'objectif était de
créer de nouvelles surfaces cohérentes et suffisamment vas-
tes. Les situations de fait ou de droit des deux propriétai-
res concernés sont objectivement différentes et elles sont
donc de nature à justifier certaines différences de traite-
ment (cf. ATF 122 I 120 consid. 6 p. 129). On peut admettre,
avec la recourante, que P.________ bénéficie d'un certain
avantage de fait, en pouvant le cas échéant mettre à la dis-
position de sa fille un espace de dégagement agréable devant
sa maison; cela ne signifie pas, manifestement, que la situa-
tion de ce propriétaire serait, à l'issue du remaniement,
excessivement favorable ou choquante. Les griefs de la recou-
rante à cet égard sont à l'évidence mal fondés.

   3.-  Il s'ensuit que le recours de droit public, en
tous points mal fondé, doit être rejeté. La recourante, qui
succombe, doit payer l'émolument judiciaire (art. 153 al. 1,
153a al. 1 et 156 al. 1 OJ). Le syndicat d'améliorations fon-
cières, qui n'a pas procédé, n'a pas droit à des dépens (cf.
art. 159 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1. Rejette le recours;

   2. Met à la charge de la recourante un émolument
judiciaire de 2'500 fr.;

   3. Dit qu'il n'est pas alloué de dépens;

   4. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et à la Commission cantonale de recours en matière d'amélio-
rations foncières du canton de Fribourg.

Lausanne, le 13 mars 2000
JIA/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,