Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1P.601/1999
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1P.601/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                         17 mai 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Mme la Juge suppléante Pont Veuthey.
Greffier: M. Jomini.

           Statuant sur le recours de droit public
                          formé par

X.________, représenté par Me Jacques H. Wanner, avocat à
Lausanne,

                           contre

l'arrêt rendu le 13 septembre 1999 par le Tribunal adminis-
tratif du canton de Vaud, dans la cause qui oppose le recou-
rant à la Municipalité de la commune de Jouxtens-Mézery;

         (permis de construire, ordre de démolition)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.-  X.________ est propriétaire à Jouxtens-Mézery
de la parcelle n° 403 et de la villa qui s'y trouve. Cette
maison est reliée à la voie publique, le chemin de la Rueyre,
par une route privée. En avril 1991, X.________ a demandé à
la Municipalité de la commune de Jouxtens-Mézery (ci-après:
la municipalité) l'autorisation de poser un miroir à l'inter-
section des deux routes précitées, afin d'améliorer la visi-
bilité pour les conducteurs de véhicules s'engageant, depuis
chez lui, sur le chemin de la Rueyre. La municipalité n'a pas
fait droit à cette demande, expliquant dans ses lettres des
25 avril et 13 mai 1991 qu'elle appliquait depuis plusieurs
années une pratique consistant à refuser la pose de miroirs
aux débouchés des chemins privés sur la voie publique et
qu'au demeurant, la visibilité était bonne à cette intersec-
tion.

   Nonobstant ce refus, X.________ a installé un miroir
sur le mur (appartenant à un tiers) faisant face au débouché
de la route privée sur le chemin de la Rueyre. Le 20 juin
1991, la municipalité a invité le propriétaire du mur à enle-
ver ce miroir. X.________ a lui-même recouru contre cette dé-
cision. Le Tribunal administratif du canton de Vaud a ins-
truit cette affaire, tenant notamment une audience sur place
le 26 février 1992; à cette occasion, avec l'accord des par-
ties, il a suspendu la procédure pour permettre à la munici-
palité d'étudier et d'ordonner les mesures utiles à améliorer
la visibilité à l'endroit litigieux.

   X.________ a ensuite remplacé le premier miroir par
un nouveau, installé au même endroit (miroir de 70 cm sur 90
cm avec support métallique). Par une lettre du 13 juillet
1992, la municipalité lui a écrit qu'elle renonçait, jusqu'à

l'établissement de mesures de modération du trafic, à prendre
une décision tendant à faire supprimer ce miroir et qu'elle
admettait de le tolérer jusqu'à ce moment-là. Le recours au
Tribunal administratif a dès lors été retiré et le juge ins-
tructeur a rayé la cause du rôle par une ordonnance du 9 sep-
tembre 1992.

   B.-  Le 8 janvier 1998, la municipalité a informé
X.________ de l'achèvement des travaux de mise en place de la
modération du trafic sur le territoire communal. Elle l'a en
conséquence invité à enlever le miroir posé en 1992.
X.________ ayant répondu qu'il s'opposait à cette injonction,
la municipalité a, par une lettre du 4 février 1998, confirmé
sa décision, fondée sur des motifs d'esthétique (son but
étant d'"éviter au maximum la pose de nouveaux miroirs à
Jouxtens-Mézery"). Elle a par ailleurs transmis l'opposition
au Tribunal administratif, afin qu'il la traite comme un re-
cours.

   Une inspection locale a été organisée par le Tribu-
nal administratif, qui a notamment pu voir les aménagements
réalisés pour la modération du trafic le long du chemin de la
Rueyre (trottoir carrossable, rehaussements à environ 50 m de
part et d'autre du débouché litigieux).

   Par un arrêt rendu le 13 septembre 1999, le Tribunal
administratif a rejeté le recours formé par X.________ et
confirmé la décision de la municipalité lui ordonnant d'enle-
ver son miroir. Il a considéré, en substance, qu'une telle
installation nécessitait un permis de construire et que la
municipalité était fondée à refuser une régularisation a
posteriori, sur la base des règles du droit cantonal et du
droit communal concernant l'esthétique des constructions et
installations; en outre, les conditions du droit cantonal et
du droit constitutionnel pour en ordonner la suppression

étaient remplies. L'arrêt a été notifié à X.________ le 14
septembre 1999.

   C.-  Agissant par la voie du recours de droit public
pour violation de l'art. 4 aCst. - le mémoire de son manda-
taire ayant été déposé le 11 octobre 1999 -, X.________ de-
mande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du Tribunal admi-
nistratif et de renvoyer l'affaire à cette juridiction afin
qu'elle annule la décision municipale. Il prétend que la mu-
nicipalité aurait dû tolérer le maintien de son miroir, comme
elle le fait pour d'autres miroirs installés sur le territoi-
re communal. Il soutient en outre qu'en considérant que la
pose du miroir aurait nécessité un permis de construire, le
Tribunal administratif a appliqué de façon arbitraire la
règle cantonale définissant les constructions et installa-
tions soumises à autorisation, à savoir l'art. 103 al. 1 de
la loi cantonale sur l'aménagement du territoire et les
constructions (LATC). Il se plaint encore d'une application
arbitraire de la clause d'esthétique et affirme qu'au regard
du principe de la proportionnalité, les considérations de sé-
curité du trafic routier auraient dû l'emporter et justifier
le maintien du miroir.

   La municipalité et le Tribunal administratif
concluent au rejet du recours de droit public.

   Le 12 novembre 1999, X.________ a, spontanément et
sans le concours de son avocat, déposé une lettre et produit
des déclarations écrites de certains voisins appuyant ses dé-
marches.

   D.-  Par ordonnance du 5 novembre 1999, le Président
de la Ie Cour de droit public a admis la requête d'effet sus-
pensif présentée par le recourant.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.-  Propriétaire de l'installation litigieuse et
destinataire de l'ordre de démolition, X.________ a mani-
festement qualité pour recourir au sens de l'art. 88 OJ (cf.
ATF 126 I 81 consid. 3b p. 85 et les arrêts cités). L'acte
déposé par son avocat répond aux exigences de recevabilité
des art. 84 ss OJ. Il y a donc lieu d'entrer en matière.

   Il n'est pas tenu compte du complément au recours
déposé le 12 novembre 1999, après l'échéance du délai de
trente jours de l'art. 89 al. 1 OJ.

   2.-  Le recourant soutient que la pose du miroir
était admissible sans autorisation de construire, en raison
de sa structure et de ses dimensions, et il se plaint à ce
propos d'une interprétation arbitraire, par le Tribunal admi-
nistratif, de l'art. 103 al. 1 LATC.

   a)  Une décision est arbitraire - et partant
contraire à l'art. 9 Cst. ou à l'art. 4 aCst., encore en vi-
gueur au moment où le Tribunal administratif a statué - lors-
qu'elle méconnaît gravement une norme ou un principe juridi-
que clair et indiscuté ou lorsqu'elle heurte de manière cho-
quante le sentiment de la justice ou de l'équité. Le Tribunal
fédéral ne s'écarte de la solution retenue en dernière ins-
tance cantonale que si elle est insoutenable, en contradic-
tion manifeste avec la situation effective, si elle a été
adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit cer-
tain. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit
insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son
résultat (ATF 125 I 166 consid. 2a p. 168; 125 II 10 consid.
3a p. 15, 129 consid. 5b p. 134; 124 V 137 consid. 2b p. 139;
124 IV 86 consid. 2a p. 88 et les arrêts cités).

   b)  L'art. 103 al. 1 LATC dispose qu'"aucun travail
de construction ou de démolition, en surface ou en sous-sol,
modifiant de façon sensible la configuration, l'apparence ou
l'affectation d'un terrain ou d'un bâtiment, ne peut être
exécuté avant d'avoir été autorisé". Le Tribunal administra-
tif a considéré que la pose du miroir litigieux entrait dans
le champ d'application de cette disposition (ce qui entraîne
l'obligation de respecter les règles matérielles du droit des
constructions), en mentionnant d'autres installations analo-
gues nécessitant également un permis de construire selon la
pratique cantonale (antenne parabolique individuelle, mât
d'éclairage). Le recourant conteste dans le cas particulier
le caractère "sensible" de la modification apportée à l'en-
droit litigieux.

   L'exigence d'une autorisation de construire, énoncée
en droit cantonal à l'art. 103 al. 1 LATC, s'applique en ver-
tu du principe de l'art. 22 al. 1 de la loi fédérale sur
l'aménagement du territoire (LAT; RS 700) à la création ou à
la transformation de toutes les constructions et installa-
tions. Les autorités communales ou cantonales ont un certain
pouvoir d'appréciation dans l'interprétation des notions de
construction et d'installation et, dans la pratique, elles
sont confrontées à de nombreux cas limites ou à des situa-
tions posant des problèmes spécifiques (cf. Alexander Ruch,
Commentaire LAT, Zurich 1999, art. 22 N. 25). Le miroir liti-
gieux pourrait représenter un cas limite, à l'instar de di-
vers autres ouvrages de peu d'importance; exerçant son pou-
voir d'appréciation, la municipalité a considéré qu'il répon-
dait néanmoins à la définition de l'installation selon le
droit de l'aménagement du territoire. Une telle interpréta-
tion, confirmée par le Tribunal administratif, n'est pas ar-
bitraire. Cela étant, il n'est pas davantage arbitraire d'es-
timer qu'un miroir posé en bordure d'une route communale, à
un endroit où il est bien visible, modifie de façon relative-

ment sensible la configuration des lieux, selon le critère de
l'art. 103 al. 1 LATC.

   3.-  Le recourant qualifie d'arbitraire l'ordre qui
lui a été donné d'enlever son miroir, car le Tribunal admi-
nistratif aurait violé le principe de la proportionnalité.

   a)  La décision attaquée est fondée sur l'art. 105
LATC, qui permet à la municipalité d'imposer la suppression
ou la modification des travaux non conformes aux dispositions
légales et réglementaires. Le Tribunal administratif a égale-
ment appliqué les exigences, tirées du droit constitutionnel,
concernant l'ordre de démolir une construction ou installa-
tion réalisée sans permis, et pour laquelle une autorisation
ne pouvait pas être accordée. Ainsi, selon la jurisprudence,
celui qui place l'autorité devant le fait accompli, en négli-
geant de demander un permis de construire, doit s'attendre à
ce qu'elle se préoccupe de rétablir une situation conforme au
droit, en dépit des inconvénients qu'il doit subir en tant
que propriétaire; cet élément doit être pris en compte dans
l'examen de la proportionnalité. L'autorité ne renoncera donc
à la remise en état des lieux que si les dérogations à la
règle sont mineures, si l'intérêt public lésé n'est pas de
nature à justifier le dommage que la démolition causerait au
propriétaire, si celui-ci pouvait de bonne foi se croire
autorisé à réaliser son installation ou encore si, après une
modification législative, il y a des chances sérieuses de
faire reconnaître celle-ci comme conforme au nouveau droit
(ATF 123 II 248 consid. 4a p. 255; 111 Ib 213 consid. 6 p.
221; 108 Ia 216 consid. 4b p. 218; 104 Ib 301 consid. 5 p.
303).

   b)  Le recourant ne prétend pas qu'il pouvait se
croire autorisé à installer puis à conserver son miroir;
l'attitude de la municipalité a été suffisamment claire à son

égard dès 1991, en refusant d'emblée son projet. Il ne pré-
tend pas que le motif du refus - la sauvegarde du caractère
du village, qui serait compromis par l'installation de mi-
roirs le long des rues - ne reposerait pas sur un intérêt
public sérieux et il ne conteste pas qu'une telle décision
peut être fondée sur des normes du droit cantonal et communal
(l'art. 86 LATC, qui pose une règle générale en matière d'es-
thétique et d'intégration des constructions, et l'art. 4 du
règlement communal sur l'aménagement et les constructions,
qui charge la municipalité de prendre toutes mesures pour
éviter l'enlaidissement du territoire communal). La municipa-
lité jouit d'un pouvoir d'appréciation étendu en matière
d'esthétique; elle peut, de ce point de vue, accorder une
attention particulière aux abords des voies publiques en y
proscrivant certains types d'installations - des miroirs,
notamment -, qui compromettraient l'aspect général des rues
ou le caractère du village. La fonction même des miroirs
exclut qu'ils soient posés en retrait des voies publiques de
façon à ne pas être visibles, ou qu'ils soient conçus ou
posés différemment, de manière à mieux s'intégrer dans le
milieu bâti.

   Une interdiction générale de certaines installa-
tions, fondée sur la clause d'esthétique, doit cependant
pouvoir connaître des dérogations, dans des circonstances
spéciales. Le recourant prétend qu'il aurait dû en être ainsi
dans le cas particulier, pour des motifs de sécurité de la
circulation routière. Cet élément n'a pas été ignoré par le
Tribunal administratif, qui a cependant considéré que le
miroir litigieux n'était pas indispensable, après avoir exa-
miné différentes hypothèses de trafic; il a aussi pris en
compte les effets de la modération du trafic, incitant les
conducteurs à rouler prudemment à cet endroit. Il apparaît
donc que la municipalité a aménagé le domaine public de façon
à garantir la sécurité du trafic et qu'une installation com-

plémentaire d'un propriétaire privé, visant le même but, ne
s'imposait pas. Dans ces conditions, il n'est pas arbitraire
de ne pas accorder un caractère prépondérant aux motifs, même
défendables, qui ont conduit le recourant à installer un mi-
roir sans autorisation et en violation des normes sur l'es-
thétique et l'intégration des constructions.

   Sous l'angle de la proportionnalité, le Tribunal ad-
ministratif a encore retenu que le miroir litigieux n'était
pas une installation très coûteuse et qu'il pouvait aisément
être démonté. Cela n'est pas contesté par le recourant, dont
les griefs à ce propos sont en définitive mal fondés.

   4.-  Le recourant qualifie encore d'arbitraire la
pratique de la municipalité, qui tolérerait la pose ou le
maintien d'autres miroirs. Il n'obtiendrait donc pas le même
traitement que d'autres citoyens, et cela sans motifs objec-
tifs suffisants et sérieux.

   Le Tribunal administratif a constaté la présence
d'autres miroirs sur le territoire communal, en retenant ce-
pendant que les situations n'étaient pas comparables à celle
du recourant. Certains miroirs avaient été installés depuis
près de trente ans: une tolérance sans réserve pendant une si
longue durée peut en effet, suivant les circonstances, priver
l'autorité du droit d'exiger la démolition (cf. ATF 107 Ia
121 consid. 1 p. 123 et la jurisprudence citée); on ne sau-
rait la comparer à une tolérance pendant sept ans, dont le
recourant a bénéficié, d'autant plus que l'autorité lui avait
d'emblée indiqué à quel moment elle exigerait l'enlèvement de
l'installation. Le Tribunal administratif a aussi mentionné
le cas d'un miroir présentant une utilité certaine en raison
de la configuration des lieux, ce qui le distingue objective-
ment du miroir litigieux. Enfin, certains miroirs ont été
installés à l'insu de la municipalité, qui n'en a constaté

l'existence qu'à l'occasion de la procédure ouverte par le
recourant; on ne saurait en déduire que cette autorité les
tolérera à l'avenir et qu'elle s'écartera de sa pratique
constante tendant à éviter, dans toute la mesure du possible,
ce genre d'installations pour des motifs d'esthétique. Le
recourant n'invoque en outre pas, de façon suffisamment pré-
cise, d'autres situations comparables à la sienne. Son grief
d'arbitraire, tiré d'une prétendue inégalité de traitement,
est donc mal fondé.

   5.-  Le recours de droit public, entièrement mal
fondé, doit être rejeté. Le recourant, qui succombe, doit
supporter l'émolument judiciaire (art. 153, 153a et 156 OJ).
La municipalité, procédant sans le concours d'un mandataire,
n'a pas droit à des dépens (art. 159 al. 1 et 2 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

   1.  Rejette le recours;

   2.  Met un émolument judiciaire de 4'000 fr. à la
charge du recourant;

   3.  Dit qu'il n'est pas alloué de dépens;

   4.  Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire du recourant, à la Municipalité de la commune de
Jouxtens-Mézery et au Tribunal administratif du canton de
Vaud.

Lausanne, le 17 mai 2000
JIA/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,