Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung 1A.96/1999
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1A.96/1999

        Ie   C O U R   D E   D R O I T   P U B L I C
       **********************************************

                       10 février 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud et Catenazzi. Greffier: M. Thélin.

       Statuant sur le recours de droit administratif
                        formé par la

Fondation World Wildlife Fund - WWF (Suisse), à Zurich,
représentée par Me Bruno Kaufmann, avocat à Fribourg,

                           contre

l'arrêt rendu le 5 mars 1999 par le Tribunal administratif du
canton de Fribourg dans la cause qui oppose la recourante à
G.________, représenté par Me Damien Piller, avocat à
Fribourg, à la Direction des travaux publics du canton de
Fribourg, au Préfet du district du Lac et à la commune de
Misery-Courtion;

        (autorisation de construire en zone agricole)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

   A.- G.________, à Cournillens, exploite un domaine
agricole de 15 ha comprenant 10 ha en propriété et 5 ha af-
fermés. La production animale de ce domaine consiste dans la
production laitière et l'engraissement de poulets. La halle
d'engraissement existante, d'une capacité de cinq mille pla-
ces, est située sur la parcelle n° 156 de l'ancienne commune
de Cournillens, classée en zone agricole par le plan d'affec-
tation. Le 16 octobre 1997, l'exploitant a présenté une de-
mande d'autorisation de construire tendant à l'extension de
cette halle, afin de porter sa capacité à dix mille places;
la demande était accompagnée d'un document qui fut ultérieu-
rement accepté à titre de rapport d'impact sur l'environne-
ment. L'exploitant prévoyait d'abandonner la production lai-
tière en cas de réalisation de ce projet. Celui-ci a suscité
l'opposition de la Fondation World Wildlife Fund (Suisse),
ci-après WWF Suisse; celle-ci soutenait que le revenu de la
production indépendante du sol excéderait 25 %, voire même
33 % du revenu provenant de l'ensemble de l'exploitation, de
sorte que les exigences concernant les constructions nouvel-
les hors de la zone à bâtir ne lui paraissaient pas respec-
tées.

   Le 20 avril 1998, après avoir recueilli divers préa-
vis, la Direction des travaux publics du canton de Fribourg a
accordé l'autorisation spéciale de construire hors de la zone
à bâtir. Elle a considéré que le taux d'auto-approvisionne-
ment en matières sèches s'élèverait à 75 %; la construction
projetée était donc en relation avec l'exploitation agricole
et apparaissait ainsi conforme à l'affectation de la zone
agricole. Le 9 juin suivant, le Préfet du district du Lac a
délivré l'autorisation de construire et rejeté l'opposition
de la Fondation WWF Suisse.

   B.- Celle-ci a recouru sans succès au Tribunal admi-
nistratif du canton de Fribourg, qui a confirmé les décisions
attaquées par arrêt du 5 mars 1999.

   C.- Agissant par la voie du recours de droit admi-
nistratif, la Fondation WWF Suisse requiert le Tribunal fédé-
ral d'annuler l'arrêt du Tribunal administratif et les déci-
sions attaquées devant ce tribunal, et de refuser l'autorisa-
tion demandée par l'exploitant. Elle persiste à tenir le pro-
jet pour contraire à l'affectation de la zone agricole, et
contraire aux règles sur les autorisations exceptionnelles de
construire hors de la zone à bâtir.

   Invités à répondre, l'exploitant et les autorités
cantonales concernées proposent le rejet du recours; l'Office
fédéral de l'aménagement du territoire a déposé des observa-
tions sans prendre de conclusions. L'autorité communale n'a
pas procédé devant le Tribunal fédéral.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

   1.- a) Selon l'art. 34 de la loi fédérale sur l'amé-
nagement du territoire (LAT), le recours de droit administra-
tif est recevable contre les décisions concernant des autori-
sations exceptionnelles de construire en dehors de la zone à
bâtir, fondées sur l'art. 24 LAT. Cette disposition n'entre
en considération que si l'édifice en question doit se trouver
dans une zone non affectée à la construction et n'est pas
conforme à l'affectation de cette zone; cette dernière condi-
tion résulte de l'art. 22 al. 2 let. a LAT. Il est toutefois
possible de faire valoir à titre préjudiciel, par la voie du
recours de droit administratif pour violation de l'art. 24
LAT, que la conformité du projet à la destination de la zone
agricole a été admise ou, au contraire, déniée à tort; le

Tribunal fédéral examine alors si les principes de droit fé-
déral relatifs à la zone agricole, découlant de l'art. 16
LAT, ont été respectés (ATF 114 Ib 131 consid. 2 p. 132; voir
aussi ATF 120 Ib 48 consid. 1a p. 50, 118 Ib 49 consid. 1a
p. 51, 118 Ib 335 consid. 1a p. 337).

   b) La Fondation WWF Suisse a qualité pour recourir
selon les art. 103 let. c OJ et 55 al. 1 et 2 de la loi fédé-
rale sur la protection de l'environnement (LPE): elle fait
partie des organisations habilitées à recourir, désignées par
le Conseil fédéral (ch. 3 annexe ODOP; RS 814.076), et les
installations destinées à l'élevage d'animaux de rente, com-
prenant plus de six mille places pour poulets à l'engrais,
sont soumises à l'étude de l'impact sur l'environnement (ch.
80.4 annexe OEIE; RS 814.011).

   2.- Selon la jurisprudence relative à l'art. 16 LAT
(ATF 117 Ib 270 consid. 3a p. 278/279, 117 Ib 502 consid. 4a
p. 503; voir aussi ATF 123 II 499 consid. 3b/cc p. 508, 122
II 160 consid. 3a p. 162, 116 Ib 131 consid. 3a p. 134), les
zones agricoles comprennent les terrains qui se prêtent à
l'exploitation agricole ou horticole du sol et ceux qui, dans
l'intérêt général, doivent être utilisés pour l'agriculture.
Seules les constructions dont la destination correspond à la
vocation agricole du sol peuvent donner lieu à une autorisa-
tion ordinaire en application de l'art. 22 al. 2 let. a LAT.
Le sol doit être le facteur de production primaire et indis-
pensable; les modes d'exploitation dans lesquels le sol ne
joue pas un rôle essentiel ne sont pas agricoles au sens de
l'art. 16 LAT. Les constructions et installations pour l'éle-
vage de bétail ne peuvent être jugées conformes à la vocation
agricole du sol que si une part prépondérante des fourrages
provient de la production propre à l'exploitation; il ne suf-
fit pas, en particulier, qu'une halle d'engraissement soit
propre à assurer l'existence économique de l'exploitation par
le revenu complémentaire qu'elle procure (ATF 117 Ib 270

consid. 3c p. 280; 117 Ib 502 consid. 4c p.  504/505). La
fonction du sol pour la mise en valeur du purin n'est pas non
plus déterminante: le fait que les engrais de ferme puissent
être épandus sur les terres ne suffit pas à qualifier l'éle-
vage d'activité conforme à la destination de la zone agrico-
le. Une exploitation dont les activités sont en relation
étroite avec la culture du sol peut disposer de locaux acces-
soires se trouvant dans une relation fonctionnelle directe
avec la production agricole (grange, hangar à machines, par
exemple). L'admission de la conformité d'un projet de bâti-
ment ou d'installation doit résulter d'une appréciation glo-
bale du système d'exploitation, analysé à long terme, et des
moyens mis en oeuvre pour sa réalisation.

   En l'espèce, il est constant que l'approvisionnement
de l'élevage projeté par l'intimé, porté à dix mille poulets,
ne sera pas assuré de façon prépondérante par la production
propre de son exploitation; c'est donc à tort, en violation
des art. 16 et 22 al. 2 let. a LAT, que le Tribunal adminis-
tratif retient l'agrandissement de la halle comme conforme à
l'affectation de la zone agricole.

    3.- Les incidences du projet litigieux sur la plani-
fication locale ou sur l'environnement ne paraissent pas si
importantes que celui-ci ne puisse être élaboré que par le
biais d'un plan d'affectation spécifique (ATF 120 Ib 207
consid. 5 p. 212, avec références; voir aussi ATF 124 II 391
consid. 2a p. 393); l'hypothèse d'une autorisation exception-
nelle selon l'art. 24 LAT peut donc être examinée. Compte
tenu de l'ampleur de l'extension envisagée, celle-ci ne sau-
rait être admise sur la base de l'art. 24 al. 2 LAT, concer-
nant les rénovations ou transformations partielles d'instal-
lations existantes. L'art. 24 al. 1 LAT entre seul en consi-
dération; il soumet la délivrance d'une autorisation excep-
tionnelle à la condition que l'implantation de la construc-
tion hors de la zone à bâtir soit imposée par sa destination

(let. a) et à ce qu'aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose
(let. b). Ces deux conditions sont cumulatives. Pour satis-
faire à la première d'entre elles, l'implantation de l'ou-
vrage à l'emplacement prévu doit être justifiée par des rai-
sons objectives; les seuls motifs financiers ou de convenance
personnels ne suffisent pas (ATF 124 II 252 consid. 4 p. 255
et les arrêts cités).

   La jurisprudence admet que l'adjonction ou l'ac-
croissement d'une production animale indépendante du sol peut
éventuellement être nécessaire aux besoins du développement
interne de l'exploitation agricole concernée, et que l'im-
plantation hors de la zone à bâtir des constructions ou ins-
tallations servant à cette production est alors imposée par
la destination de celles-ci. Chaque cas doit être examiné
d'après la nature et l'importance de la production agricole
traditionnelle de l'exploitation, de la production indépen-
dante du sol que l'on veut entreprendre ou développer, et des
circonstances locales. Le revenu supplémentaire à attendre de
la production indépendante du sol doit apparaître nécessaire
pour assurer à long terme la survie de l'exploitation. Afin
que le sol demeure le facteur de production globalement pré-
pondérant, ce revenu supplémentaire ne doit pas excéder le
quart ou, tout au plus, le tiers du revenu total de l'exploi-
tation, cette proportion plus élevée étant admissible pour
les plus petites exploitations. Enfin, l'emplacement prévu
pour les installations doit être justifié par les besoins de
la surveillance et de l'entretien des animaux (ATF 117 Ib 270
consid. 4b p. 281, 117 Ib 502 consid. 5a p. 505; arrêt du 30
novembre 1999 dans la cause B., consid. 4b).

   En l'occurrence, l'appréciation des autorités canto-
nales est fondée exclusivement sur le taux d'auto-approvi-
sionnement en matières sèches, critère qui ne correspond pas
à ceux déterminants selon la jurisprudence précitée. Dans la
motivation de son arrêt, le Tribunal administratif critique

le critère quantitatif fondé sur la comparaison des revenus,
au motif qu'il s'agit d'une méthode seulement indirecte de
déterminer le genre d'activité exercée de manière prépondé-
rante dans l'exploitation, et au surplus sujette à caution en
raison de la fluctuation très forte des prix agricoles. Il
est certes possible qu'à l'avenir, dès l'entrée en vigueur de
l'art. 16a al. 2 nLAT adopté par l'Assemblée fédérale le 20
mars 1998 (FF 1998 p. 1186), d'après lequel les constructions
et installations servant au développement interne seront
conformes à l'affectation de la zone agricole, la méthode
fondée sur le taux d'auto-approvisionnement en matières sè-
ches puisse éventuellement aussi être prise en considération
pour appliquer cette nouvelle disposition. Cette méthode est
d'ailleurs envisagée à l'art. 34 al. 2 let. b du projet d'or-
donnance sur l'aménagement du territoire que le Département
fédéral de justice et police a soumis à la procédure de con-
sultation de septembre à novembre 1999. Selon ses observa-
tions, l'Office fédéral de l'aménagement du territoire tient
cette méthode pour valable en principe, mais il souligne que
plusieurs incertitudes subsistent au sujet de ses modalités
d'application; il insiste sur le rôle de l'ordonnance en
cours d'élaboration pour assurer une application uniforme et
cohérente de l'art. 16a al. 2 nLAT, et il fait valoir que cet
objectif pourrait être compromis par l'adoption prématurée de
pratiques cantonales nouvelles. L'Office fédéral prévoit que
les résultats de la procédure de consultation seront soigneu-
sement analysés et détermineront, le cas échéant, l'introduc-
tion de la méthode précitée dans la nouvelle ordonnance, avec
la définition des modalités à observer pour son application.

   La mise en vigueur de la loi du 20 mars 1998, en
particulier de l'art. 16a al. 2 nLAT, est déléguée au Conseil
fédéral et elle n'interviendra vraisemblablement qu'avec
celle de l'ordonnance correspondante, à une date encore indé-
terminée. Dans l'intervalle, il ne se justifie pas que le
Tribunal fédéral anticipe cette mise en vigueur par le biais

d'une révision de sa jurisprudence relative à l'art. 24 al. 1
let. a LAT; une telle retenue s'impose d'autant plus que la
portée de la nouvelle loi, quant aux possibilités de cons-
truire au titre du développement interne des exploitations
agricoles, comporte des incertitudes et fait l'objet d'une
controverse. Il convient au contraire de s'en tenir, dans
l'examen du projet litigieux, aux exigences du droit actuel.

   Ni l'arrêt attaqué, ni les pièces du dossier ne
contiennent d'indications sur la situation économique de
l'exploitation concernée et ses perspectives d'existence à
long terme, avec ou sans extension de la halle d'engraisse-
ment. Dans ces conditions, le Tribunal fédéral n'est pas en
mesure de vérifier la conformité du projet à l'art. 24 al. 1
let. a LAT. Le recours doit donc être admis pour constatation
manifestement incomplète des faits pertinents (art. 105 al. 2
OJ). Il appartiendra au Tribunal administratif de recueillir
les données économiques nécessaires et de rendre un nouvel
arrêt, ou de renvoyer la cause à l'autorité administrative
compétente.

   4.- L'intimé qui succombe doit acquitter, outre
l'émolument judiciaire, les dépens à allouer à la recourante
qui obtient gain de cause.

                       Par ces motifs,

          l e   T r i b u n a l   f é d é r a l  :

   1. Admet le recours et annule l'arrêt attaqué;

      Renvoie la cause au Tribunal administratif du
canton de Fribourg.

   2. Met à la charge de l'intimé G.________:
   a) un émolument judiciaire de 2000 fr.;
   b) une indemnité de 1000 fr. à verser à la recou-
         rante à titre de dépens.

   3. Communique le présent arrêt en copie aux parties
et au Tribunal administratif du canton de Fribourg, ainsi
qu'à l'Office fédéral de l'aménagement du territoire.

Lausanne, le 10 février 2000
THE/col

            Au nom de la Ie Cour de droit public
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        Le Greffier,