I. Zivilabteilung 4C.255/1996
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4C.255/1996 Ie C O U R C I V I L E **************************** Séance du 28 mars 2000 Composition de la Cour: M. Walter, président, M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et M. Nyffeler, juges. Greffier: M. Carruzzo. _____________ Dans la cause qui oppose X.________ S.A. et Y.________ S.A., représentées par Mes Hildebrand de Riedmatten et Stéphane Riand, avocats à Sion, demanderesses, à la République et Canton du Jura, représentée par son Gou- vernement, défenderesse; (contrat d'entreprise; résiliation anticipée) Vu les pièces du dossier d'où ressortent les f a i t s suivants: A.- Le 30 juin 1994, le consortium formé par les sociétés X.________ S.A. et Y.________ S.A. et (ci-après: le consortium) a répondu à une mise au concours de la République et Canton du Jura (Service des Ponts et Chaussées; ci-après: SPC) concernant l'exécution de divers travaux, dont la four- niture et la pose de chemins de câbles destinés aux galeries techniques dans les tunnels du Mont-Terri et du Mont-Russe- lin, le long de la Transjuranne. Selon les dossiers d'appel d'offres (ci-après: DAO), la hauteur requise des chemins de câbles dans les galeries techniques des deux tunnels était différente: il était prévu 60 mm pour le Mont-Terri et 85 mm pour le Mont-Russelin. L'épaisseur de ces chemins de câbles ne faisait l'objet d'aucune spécification. Les offres du consortium ont été retenues par la République et Canton du Jura. Le 29 septembre 1994, le SPC a fait poser des ques- tions complémentaires au consortium au sujet des chemins de câbles proposés pour le tunnel du Mont-Russelin. Par courrier du 17 octobre 1994, le consortium a répondu, en indiquant no- tamment qu'il entendait utiliser, pour les chemins de câbles dans la galerie technique, "une tôle en acier zinguée, ajou- rée, d'une épaisseur de 1,5 mm". Le 2 novembre 1994, le consortium et les responsa- bles de la République et Canton du Jura se sont réunis, afin d'approfondir certains points et d'harmoniser les matériaux dans les deux tunnels. Pour respecter la hauteur distincte demandée dans chaque DAO, le consortium avait proposé, pour les galeries techniques, des chemins de câbles qui diffé- raient dans leur procédé de fabrication, mais pas dans leurs matériaux. Dans un souci d'uniformisation, il a été précisé que la commande porterait vraisemblablement sur le même type de chemin de câbles, à savoir celui de 60 mm de hauteur pour les deux tunnels. Le consortium a été prié de fournir rapide- ment des échantillons. Le 16 novembre 1994, le consortium a transmis au maître d'oeuvre divers échantillons comprenant les chemins de câbles qu'il se proposait d'utiliser dans les galeries tech- niques des deux tunnels. La République et Canton du Jura a fait analyser le zingage de ces échantillons par la société Z.________. Le 14 mars 1995, soit le jour où s'est ouvert le chantier, les adjudications ont été confirmées. Les ingé- nieurs du SPC, sur la base de renseignements oraux donnés par Z.________, ont rendu le consortium attentif au fait que les couches de zingage à chaud mesurées sur les échantillons re- mis en 1994 étaient à la limite inférieure exigée et ils lui ont également indiqué qu'il y avait des piquages (cloques). Le 25 avril 1995, le SPC a informé le consortium que les chemins de câbles dans le tunnel du Mont-Russelin présentaient de graves problèmes de qualité et l'a avisé qu'il n'était pas autorisé à commencer les travaux dans le tunnel du Mont-Terri. Le consortium a lui-même décidé d'arrê- ter la pose des chemins de câbles dans le tunnel du Mont-Rus- selin. Le 5 mai 1995, le SPC a autorisé le consortium, à sa demande, à commencer de manière limitée les travaux dans le tunnel du Mont-Terri. Lors d'une séance du 17 mai 1995, le SPC a remis au consortium une copie de six rapports d'expertise établis par la société Z.________ concernant le matériel livré et posé. Il a rappelé qu'il avait été initialement prévu d'installer une tôle en acier zinguée d'une épaisseur de 1,5 mm, comme cela avait été confirmé par le consortium dans son courrier du 17 octobre 1994. Après contrôle, il a été constaté que le matériel livré n'était pas conforme à l'offre, dès lors no- tamment que l'épaisseur des chemins de câbles n'était que de 1 mm et que le zingage présentait des impuretés. Le SPC a or- donné de démonter les chemins de câbles déjà installés et de les renvoyer, de même que tout le matériel en stock. Avant la reprise des travaux, le consortium a été sommé de fournir de nouveaux échantillons. Dans le courant du mois de mai 1995, le consortium a prié son fournisseur, la maison W.________ AG, de mandater le Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche (ci-après: EMPA), afin qu'il procède à des analyses. Le 30 mai 1995, le consortium a présenté de nou- veaux échantillons, identiques à ceux envoyés à l'EMPA. Leur épaisseur était de 1,5 mm. Le 6 juin 1995, le consortium a obtenu une copie du rapport établi par Z.________ au sujet des échantillons de novembre 1994. Celui-ci mentionnait une couche de zingage à chaud de 55 plus ou moins 2 microns, mais ne faisait aucune remarque concernant des cloques ou piquages. Le 12 juin 1995, le SPC et les membres du consor- tium ont signé deux contrats portant sur les travaux à effec- tuer dans le tunnel du Mont-Russelin et dans celui du Mont- Terri. Il y était précisé, entre autres choses, que le choix de matériaux différents de ceux offerts était soumis à appro- bation. Le questionnaire complémentaire du 29 septembre 1994 ainsi que les réponses du consortium du 17 octobre 1994 fai- saient partie intégrante du contrat relatif au Tunnel du Mont-Russelin et y étaient annexés. Lors d'une séance du 26 juin 1995, de nouveaux rap- ports d'expertise de Z.________ relatifs aux échantillons présentés à fin mai 1995 ont été remis au consortium. Le SPC a refusé les échantillons, au motif que le zingage était de mauvaise qualité. Le consortium a fourni, de son côté, la contre-analyse effectuée par l'EMPA dont il ressortait que le matériel était correct. Le 3 juillet 1995, le Ministre compétent a ratifié les contrats d'entreprise signés le 12 juin 1995. Le 18 septembre 1995, les représentants de la Répu- blique et Canton du Jura, le fournisseur, ainsi que les mem- bres du consortium se sont réunis. Le SPC a contesté les con- clusions de l'EMPA touchant l'expertise de zingage. Il a in- diqué que le fournisseur, la maison W.________ , lui avait directement livré des échantillons de chemins de câbles, que le zingage de ces échantillons le satisfaisait et que, si de tels chemins de câbles étaient livrés et installés, les tra- vaux pouvaient continuer. Le consortium a souligné que l'épaisseur du type de chemins de câbles offert était de 1 mm. Le SPC a rappelé, pour sa part, qu'il avait toujours été question d'une épaisseur de 1,5 mm et que la livraison de chemins de câbles de 1,5 mm était maintenue, car il s'agis- sait de celle offerte. Par courrier du 13 octobre 1995, le consortium a critiqué le contenu du procès-verbal de la séance du 18 sep- tembre 1995. Il a mis en doute les conclusions formulées par Z.________ dans ses analyses et a souligné le sérieux de l'EMPA. S'agissant de l'épaisseur des chemins de câbles, le consortium a soutenu, en substance, que c'était par erreur qu'il avait mentionné 1,5 mm dans son courrier du 17 octobre 1994; à son avis, le passage à des chemins de câbles de 1,5 mm entraînerait des plus-values totales de 59 430 fr. qu'il serait possible de réduire en augmentant la distance entre les consoles. En réponse à cette lettre, le SPC a informé le con- sortium, le 31 octobre 1995, que, comme celui-ci persistait à ne pas fournir la qualité et le type de chemins de câbles ad- jugés, il avait décidé de rompre les contrats conclus. Par la suite, les parties ont encore tenté en vain de parvenir à une solution. B.- Le 11 mars 1996, la République et Canton du Ju- ra a envoyé au mandataire du consortium une lettre recomman- dée comprenant notamment les passages suivants: "... Nous pouvons donc constater sans équivoque, après vous avoir fixé à plusieurs reprises un délai convenable pour nous garantir une exécution des travaux conforme aux conventions conclues, que vous entendez poursuivre les travaux au mépris de vos engagements contractuels. Après avoir soumis ce dossier sur les plans techni- que et juridique à l'Office fédéral des routes, nous vous notifions formellement que nous résilions les contrats conclus les 12 juin/3juillet 1995 ..., conformément à l'article 366 alinéa 2 CO, dès lors qu'il est manifeste que le consortium X.________ SA - Y.________ SA entend poursuivre l'exécution du contrat d'une manière qui est à la fois défectueuse et contraire aux conventions conclues. Par ailleurs, comme le prévoit également l'article 366 alinéa 2 CO, les travaux seront confiés à des tiers aux frais et risques de vos clients. L'Etat jurassien fera également valoir les domma- ges-intérêts occasionnés par l'attitude du consor- tium X.________ SA - Y.________ SA. Les services en charge de ce dossier vous adresseront ultérieure- ment le montant détaillé de ces prétentions. Veuillez agréer ..." C.- Par mémoire-demande du 29 mai 1996, X.________ S.A. et Y.________ S.A. (ci-après: les demanderesses) ont assigné la République et Canton du Jura directement devant le Tribunal fédéral. Elles font valoir que la défenderesse n'avait pas le droit de se départir des contrats d'entreprise en cause sans les indemniser complètement et réclament, de ce fait, le paiement de 502 811 fr.75, avec intérêts à 5% dès l'introduction de l'action, à titre d'indemnité au sens de l'art. 377 CO, frais et dépens en sus. Dans sa réponse datée du 4 octobre 1996, la défen- deresse a confirmé et développé le point de vue qu'elle avait soutenu dans sa lettre du 11 mars 1996, précitée, concluant dès lors au déboutement des demanderesses avec suite de frais et dépens. A titre reconventionnel, elle a réclamé le paie- ment de dommages-intérêts à concurrence de 181 641 fr.30, plus intérêts à 5% dès le dépôt de sa demande, à compenser avec la somme de 59 523 fr.30 correspondant aux travaux exé- cutés par les demanderesses et admis par elle. Invitées à répliquer, les demanderesses, par mémoi- re du 7 novembre 1996, ont confirmé leurs conclusions et re- quis le rejet de la demande reconventionnelle, dans la mesure de sa recevabilité. Dans sa duplique du 6 décembre 1996, la défenderes- se a maintenu ses conclusions libératoires et reconvention- nelles. Le 10 janvier 1997, les demanderesses ont adressé au Tribunal fédéral un "dernier mémoire complémentaire". Tout en se prononçant sur les faits nouveaux allégués dans la du- plique, elles y ont confirmé leur position. L'audience préparatoire s'est tenue le 17 janvier 1997. La conciliation tentée à cette occasion a échoué. Il a été convenu de procéder à une expertise technique et finan- cière, ainsi qu'à l'audition de témoins. Les parties ont été invitées à présenter des questions destinées à l'expert, ce qu'elles ont fait. Le 30 janvier 1997, la défenderesse a déposé un mé- moire complémentaire en réponse à celui des demanderesses du 10 janvier 1997. Le 6 février 1998, le juge délégué à l'instruction de la cause a formellement ordonné une expertise et désigné l'ingénieur A.________ en qualité d'expert. Un questionnaire, établi sur la base des propositions des parties, lui a été adressé. L'expert a fourni un premier rapport daté du 17 août 1998. Après en avoir pris connaissance, les parties ont formulé des remarques et questions complémentaires. L'expert y a répondu dans un second rapport du 10 juin 1999. Par ordonnance du 23 juin 1999, le juge délégué a demandé aux parties si elles sollicitaient d'autres mesures probatoires que celles déjà effectuées. La défenderesse a re- quis l'audition de six témoins. Le 27 octobre 1999 s'est déroulée une audience d'administration des preuves au cours de laquelle cinq des six témoins proposés par la défenderesse ont été entendus, l'intéressée ayant renoncé à l'audition de son dernier té- moin. Lors de cette séance, il a également été convenu que le Tribunal fédéral statuerait d'abord sur la validité de la ré- siliation litigieuse des contrats, l'examen de la question du dommage étant reporté à une phase ultérieure de la procédure. Le juge délégué a prononcé la clôture de l'administration des preuves au sujet de la validité de la résiliation. Les par- ties ont renoncé à plaider sur ce point et convenu de présen- ter un mémoire final dans un délai fixé au 15 décembre 1999. Dans leur mémoire final du 13 décembre 1999, les demanderesses ont conclu, s'agissant de la nature de la rési- liation, à ce qu'il soit dit que les conditions de l'art. 366 CO ne sont pas réalisées en l'espèce, de sorte que la rési- liation des contrats d'entreprise doit être envisagée sous l'angle de l'art. 377 CO. Quant à la défenderesse, elle a maintenu, dans son mémoire final du 15 décembre 1999, sa position selon laquelle la résiliation est intervenue confor- mément à l'art. 366 al. 2 CO. C o n s i d é r a n t e n d r o i t : 1.- La recevabilité de l'action est examinée d'of- fice (art. 3 al. 1 PCF). La présente demande, déposée direc- tement devant le Tribunal fédéral, repose sur des relations contractuelles nouées par deux personnes morales de droit privé avec un canton et elle tend à obtenir la condamnation de celui-ci à payer un montant de 502 811 fr.75 à titre de dommages-intérêts. Elle remplit donc les conditions de l'art. 42 al. 1 OJ en ce qui concerne tant la nature de la cause que la valeur litigieuse requise (cf. ATF 118 II 206 consid. 2). En outre, comme les demanderesses n'ont pas entrepris de dé- marches judiciaires auprès d'autorités cantonales, ni ne se sont soumises implicitement à leur juridiction, l'action a été formée en temps utile (cf. ATF 81 I 266 consid. 1; Pou- dret, COJ, n. 2.4 ad art. 42, p. 85); par conséquent, elle est donc en principe recevable. Il en va de même de la deman- de reconventionnelle formée par le canton (art. 31 al. 1 PCF). 2.- Les deux sociétés demanderesses se sont organi- sées en consortium, afin de réaliser les travaux en cause, de sorte qu'elles constituent une société simple pour cette tâ- che (Gauch, Le contrat d'entreprise [adaptation française par Benoît Carron], n. 243). Dès lors que les associés forment une consorité nécessaire sur le plan actif en vertu du droit fédéral, ils doivent agir conjointement pour faire valoir les créances concernant la société (cf. l'arrêt du Tribunal fédé- ral du 14 octobre 1996 reproduit in SJ 1997 p. 396, consid. 3c). C'est ainsi à juste titre que les deux membres du con- sortium agissent ensemble en dommages-intérêts. 3.- Conformément à ce qui a été convenu lors de l'audience du 27 octobre 1999, il ne s'agit pas de trancher le litige dans son ensemble à ce stade de la procédure, mais uniquement de déterminer le fondement de la résiliation des contrats par la défenderesse. A cet égard, il convient de préciser que, le 31 oc- tobre 1995, le SPC a informé par écrit les demanderesses de sa volonté de rompre les contrats des 12 juin/3 juillet 1995 avant la fin des travaux. Cet acte ne saurait toutefois cons- tituer une résiliation formelle, le SPC n'en ayant pas la compétence. C'est par la lettre recommandée du 11 mars 1996 susmentionnée que le gouvernement cantonal, seul compétent en ce domaine, a valablement signifié aux deux sociétés qu'il résiliait les contrats et entendait en confier l'exécution à des tiers, à leurs frais et risques. L'analyse juridique se concentrera dès lors sur la portée de ce dernier acte. 4.- Les contrats à l'origine du présent litige avaient trait à la fourniture et à l'installation par les de- manderesses de chemins de câbles et de tubes de protection dans deux tunnels, moyennant une rémunération versée par la défenderesse. Il s'agit manifestement de contrats d'entrepri- se au sens des art. 363 ss CO (cf. ATF 122 III 10 consid. 3). Les demanderesses considèrent que la défenderesse a résilié les contrats sur la base de l'art. 377 CO, raison pour laquelle elles entendent être indemnisées en application de cette disposition. Pour sa part, la défenderesse invoque l'art. 366 al. 2 CO, reprochant au consortium d'avoir voulu poursuivre l'exécution du contrat d'une manière défectueuse et contraire aux conventions conclues. Elle demande, à titre reconventionnel, la réparation du préjudice subi, dès lors qu'elle a confié les travaux à des tiers. Il convient donc d'examiner si le maître était fondé à se prévaloir de l'art. 366 al. 2 CO à l'appui de sa résiliation, en invoquant une exécution fautive des entrepreneurs. 5.- Les deux contrats ne contiennent aucune clause particulière relative à la résiliation avant la fin des tra- vaux. Ils renvoient à la norme SIA 118 dans sa version 1977/ 1991. L'art. 183 de cette norme prévoit, sous réserve des rè- gles particulières qu'elle contient, que l'extinction préma- turée du contrat est régie par les dispositions légales ap- plicables, par exemple les art. 97, 107, 119 et 366 CO. L'art. 184 al. 1 de ladite norme, se référant à l'art. 377 CO, pose le principe que, tant que l'ouvrage n'est pas termi- né, le maître peut en tout temps se départir du contrat en indemnisant complètement l'entrepreneur. Il n'existe en re- vanche pas de règles particulières dans la norme SIA 118 quant à l'extinction du contrat par le maître avant l'achève- ment de l'ouvrage en raison d'une faute de l'entrepreneur (cf. consid. 2a, non publié, de l'ATF 117 II 503). C'est donc bien à la lumière de l'art. 366 CO qu'il convient d'analyser le courrier de la défenderesse du 11 mars 1996. 6.- L'art. 366 CO permet au maître de l'ouvrage de faire valoir certains droits de manière anticipée. Selon son al. 2, qui seul importe en l'espèce, lorsqu'il est possible de prévoir avec certitude, pendant le cours des travaux, que, par la faute de l'entrepreneur, l'ouvrage sera exécuté d'une façon défectueuse ou contraire à la convention, le maître peut fixer ou faire fixer à l'entrepreneur un délai convena- ble pour parer à ces éventualités, en l'avisant que, s'il ne s'exécute pas dans le délai imparti, les réparations ou la continuation des travaux seront confiées à un tiers, aux frais et risques de l'entrepreneur. Avant d'examiner, le cas échéant, quels sont les droits que cette disposition confère au maître, il faut commencer par rechercher si ses conditions d'application étaient réalisées au moment où la défenderesse s'était séparée des demanderesses (au sujet de ces condi- tions, cf., parmi d'autres: Gauch, op. cit., n. 872 ss; Kol- ler, Commentaire bernois, n. 511 ss ad art. 366 CO; Zindel/ Pulver, Commentaire bâlois, n. 31 ss ad art. 366 CO; Niklaus, Das Recht auf Ersatzvornahme gemäss Art. 366 Abs. 2 OR, thèse Saint-Gall 1999, p. 51 ss). a) L'art. 366 al. 2 CO exige premièrement qu'il soit possible de prévoir avec certitude, pendant le cours des travaux, que l'ouvrage sera exécuté de façon défectueuse ou contraire à la convention. Cette distinction n'a pas de por- tée pratique. En effet, tant l'exécution défectueuse que cel- le contraire à la convention sont couvertes par la notion de défaut au sens juridique (cf. ATF 100 II 30 consid. 2; Kol- ler, op. cit., n. 511 ad art. 366 CO). L'art. 166 de la norme SIA 118, applicable en l'espèce (cf. supra consid. 5), va dans le même sens, puisqu'il prévoit qu'il y a défaut en cas d'absence soit d'une qualité promise ou autrement convenue, soit d'une qualité que le maître était de bonne foi en droit d'attendre même sans convention spéciale. La défenderesse reproche aux demanderesses de lui avoir livré des chemins de câbles destinés aux galeries tech- niques comportant plusieurs défauts qui peuvent être classés en deux catégories, à savoir les défauts relatifs au zingage et ceux concernant l'épaisseur des matériaux utilisés. aa) S'agissant du zingage, il ressort des dossiers d'appels d'offre, auxquels les contrats se réfèrent, que les charges de corrosion, définies en fonction des lieux d'ins- tallation, correspondent, dans la galerie technique, à un ty- pe d'atmosphère comparable à celui de la campagne, qualifié de non agressif. En ces lieux, l'influence des gaz d'échappe- ment et du sel antiverglas est à négliger. En revanche, dans l'espace du tunnel réservé au trafic, l'atmosphère est décri- te comme agressive et assimilée à celle d'une industrie, dans laquelle l'influence du trafic (gaz d'échappement et sel) est à prendre en considération. Dès novembre 1994 et en 1995, les demanderesses ont fourni plusieurs échantillons des chemins de câbles destinés aux galeries techniques. La défenderesse a considéré que leur qualité de zingage était insuffisante en se fondant sur des analyses effectuées par la société Z.________. Les demande- resses ont contesté cette appréciation et ont également sou- mis certains échantillons à l'EMPA qui, pour sa part, a jugé que le zingage correspondait aux exigences. Selon l'expertise judiciaire et les témoignages des employés de Z.________ ayant participé aux tests, cette so- ciété ignorait le lieu où devaient se trouver les chemins de câbles qu'elle a analysés et a supposé qu'ils étaient desti- nés à l'espace trafic et non à une galerie technique. L'ex- pert a souligné que les conditions climatiques dans ces deux endroits n'étaient pas assimilables, ce qui est confirmé par la description des charges de corrosion figurant dans les DAO, telle qu'évoquée ci-dessus. Se prononçant sur les tests effectués par Z.________, l'expert les a jugés excessivement sévères et a considéré que les conclusions formulées étaient fausses, sous réserve de deux échantillons. Quant aux rap- ports de l'EMPA, il a relevé que la description de l'état des pièces était satisfaisante et les commentaires conformes aux notions généralement admises. Il a ajouté que ce laboratoire avait une réputation internationale en tant que spécialiste de la corrosion du zinc. L'expert judiciaire a conclu qu'à l'exception de deux échantillons clairement insuffisants, les autres pièces, sans être d'une grande qualité, étaient con- formes à ce que l'on pouvait attendre d'un zingage à chaud moyen. En l'occurrence, il n'y a pas lieu de s'écarter de l'expertise judiciaire. D'une part, il est établi que Z.________ a testé les échantillons en fonction de l'atmos- phère régnant dans un tunnel routier et non dans une galerie technique, de sorte que ses conclusions, qui se fondent sur des exigences à l'évidence trop sévères, ne sont pas détermi- nantes. D'autre part, l'expertise judiciaire est corroborée par l'EMPA, laboratoire spécialisé dans ce genre d'analyses. Dans ces circonstances, il n'apparaît pas que le zingage des chemins de câble, même s'il n'était pas d'une qualité remar- quable, puisse être qualifié de défectueux. Le responsable de la direction générale des travaux au moment des faits a d'ailleurs lui-même admis que ce n'était pas le zingage qui était à l'origine du litige. bb) Reste la question de l'épaisseur des chemins de câbles. Les DAO ne contiennent aucune exigence sur ce point. Dans un courrier du 17 octobre 1994, les demanderesses, en réponse à une question du SPC, ont indiqué que le matériau utilisé pour les chemins de câbles dans la galerie technique située dans le tunnel du Mont-Russelin était "une tôle en acier zinguée, ajourée, d'une épaisseur de 1,5 mm". Cette lettre fait partie intégrante du contrat relatif au Tunnel du Mont-Russelin, auquel elle est annexée. Il importe peu qu'aucune épaisseur minimale n'ait été exigée dans les DAO, dès lors que, par la suite, les de- manderesses ont elles-mêmes expressément promis une épaisseur de 1,5 mm. Celles-ci soutiennent que cette donnée se référait au chemin de câbles de 85 mm de hauteur initialement prévu pour le tunnel du Mont-Russelin, mais que le chemin de câbles de 60 mm qu'il a finalement été décidé d'installer dans les deux tunnels n'avait lui que 1 mm d'épaisseur. Cette version ne peut pas être retenue, car, à la séance du 2 novembre 1994, lorsqu'il a été décidé d'équiper les deux tunnels de chemins de câbles de 60 mm, les demanderesses ont elles-mêmes affirmé qu'il n'y avait aucune différence de matériaux s'agissant des chemins de câbles de hauteurs différentes pro- posés (dans le même sens, cf. l'allégué 81 du mémoire de ré- ponse de la défenderesse, admis par les demanderesses). Par la suite, les demanderesses ont également soutenu que c'était "par erreur" qu'il avait été fait mention de 1,5 mm dans le courrier du 17 octobre 1994. Or, cette thèse, qui repose sur leurs seules affirmations et qu'aucun élément concret ne vient étayer, est en contradiction avec leur propre explica- tion selon laquelle l'épaisseur se référait aux chemins de câbles de 85 mm. Au demeurant, les demanderesses ont signé, le 12 juin 1995, le contrat relatif au tunnel du Mont-Russe- lin sans émettre de réserves au sujet de l'épaisseur des che- mins de câbles, alors que leur lettre du 17 octobre 1994 y était annexée et que la défenderesse avait déjà attiré leur attention sur ce problème le 17 mai 1995. L'épaisseur de 1,5 mm constituait donc bien une qualité convenue, de sorte que les chemins de câbles d'une épaisseur moindre doivent être considérés comme défectueux. Il ressort du procès-verbal de la séance du 18 sep- tembre 1995 et du courrier des demanderesses du 13 octobre 1995 que celles-ci ont livré et installé des chemins de câ- bles d'une épaisseur de 1 mm. De plus, elles entendaient con- tinuer de le faire, à moins qu'une plus-value soit acceptée. La défenderesse, qui n'était nullement tenue d'accepter cette dernière condition, contraire aux stipulations contractuel- les, pouvait ainsi prévoir avec certitude, pendant le cours des travaux, que les chemins de câbles situés dans les gale- ries techniques auraient une épaisseur inférieure à ce qui avait été convenu. L'art. 366 al. 2 CO n'exige pas que l'ouvrage soit totalement défectueux. Il suffit, pour admettre que la pre- mière condition d'application de cette disposition est réali- sée, qu'il soit possible de prévoir avec certitude, pendant le cours des travaux, que l'ouvrage comportera au moins une des défectuosités alléguées par le maître. Comme on vient de le voir, tel est le cas en l'espèce s'agissant de l'épaisseur des chemins de câbles. Sans doute convient-il de réserver l'hypothèse où le défaut invoqué serait tout à fait insigni- fiant du point de vue technique, de sorte qu'il serait con- traire aux règles de la bonne foi d'en tirer argument, et celle où, pour quelque motif que ce soit, le maître abuserait de son droit en se prévalant du défaut avéré, auxquels cas l'application de la disposition citée serait exclue. C'est à l'entrepreneur qu'il incombe d'alléguer et de prouver les faits pertinents à cet égard. En l'espèce, les demanderesses n'ont fourni aucun élément permettant d'imputer un comporte- ment abusif à la défenderesse. Elles n'ont, en particulier, pas établi que cette dernière n'attachait pas d'importance à l'épaisseur des chemins de câbles et qu'elle ne se serait pas prévalue des droits conférés par l'art. 366 al. 2 CO si elle avait su, à l'époque, que la qualité du zingage n'était pas contestable. Qu'il existe une corrélation entre l'épaisseur d'un matériau et sa résistance est du reste indéniable. Par conséquent, la première condition d'application de l'art. 366 al. 2 CO est réalisée en l'occurrence. b) L'exigence d'une faute de l'entrepreneur, comme deuxième condition d'application de l'art. 366 al. 2 CO, est controversée en doctrine (sur l'état de la controverse, cf. Niklaus, op. cit., p. 101, note 375, et Koller, op. cit., n. 541). Selon certains auteurs, il suffit que l'exécution dé- fectueuse ne soit pas personnellement imputable au maître pour qu'il y ait "faute de l'entrepreneur" au sens de cette disposition (Gauch, op. cit., n. 880 s.; Zindel/Pulver, op. cit., n. 35 ad art. 366 CO; Tercier, Les contrats spéciaux, 2e éd., n. 3478). D'autres auteurs s'en tiennent à la stricte exigence d'une faute (Koller, op. cit., n. 542 ad art. 366 CO; Niklaus, op. cit., p. 101, n. 2.100; Dürr, Du contrat d'entreprise, 2e éd., p. 54; Corboz, Contrat d'entreprise III/Les défauts de l'ouvrage, in FJS n° 460, p. 12, note 93), alors qu'un auteur la limite à l'exécution contraire à la convention (Bühler, Commentaire zurichois, n. 65 ad art. 366 CO). Il n'est pas nécessaire d'entrer plus avant dans cette controverse pour résoudre le présent litige. En effet, sur le vu des constatations de fait opérées plus haut, il est mani- feste que les demanderesses ont manqué à la diligence due, dans la mesure où elles ont commencé et poursuivi l'exécution de l'ouvrage sans en respecter les spécifications techniques touchant l'épaisseur des chemins de câbles. Il y a donc eu faute contractuelle de leur part. Les demanderesses invoquent certes l'art. 369 CO en soutenant que le maître de l'ouvrage avait reçu des échantil- lons avant la conclusion du contrat et qu'il les avait accep- tés sans formuler d'observations, ni fait de réserves lors de sa commande. En argumentant ainsi, elles perdent toutefois de vue que ce sont elles qui ont promis des chemins de câbles d'une épaisseur de 1,5 mm et que cette exigence a été reprise dans le contrat qui a été signé postérieurement à la remise des premiers échantillons, sans qu'elles aient émis de réser- ves à ce propos. En outre, depuis le début des travaux, la défenderesse n'a eu de cesse de répéter qu'elle exigeait que l'épaisseur promise de 1,5 mm soit respectée. Il n'apparaît donc pas que l'on puisse lui reprocher d'être exclusivement à l'origine du défaut, de sorte qu'il n'y a pas matière à ap- pliquer l'art. 369 CO en l'espèce (cf. Gauch, op. cit., n. 1918). c) aa) Troisièmement, l'art. 366 al. 2 CO suppose que le maître ait fixé (ou fait fixer) à l'entrepreneur un délai convenable pour parer au défaut lato sensu, en l'avi- sant que, s'il ne s'exécute pas dans le délai fixé, les répa- rations ou la continuation des travaux seront confiées à un tiers, aux frais et risques de l'entrepreneur. Conformément au principe général de l'art. 108 ch. 1 CO, la fixation d'un tel délai n'est pas nécessaire s'il ressort de l'attitude du débiteur que cette mesure serait sans effet, soit notamment si l'entrepreneur a déjà manifesté clairement, de manière expresse ou par acte concluant, sa volonté définitive de ne rien modifier à son mode de faire (Niklaus, op. cit., p. 74 ss, n. 2.46; Koller, op. cit., n. 27 ad art. 366 CO; Zindel/ Pulver, op. cit., n. 36 ad art. 366 CO; Gauch, op. cit., n. 885; Corboz, op. cit., p. 11). Point n'est besoin, en revan- che, que l'entrepreneur ait conscience d'agir contrairement au contrat. Par exemple, lorsqu'il refuse une fois pour tou- tes de réparer un défaut en ayant la conviction de ne pas en être responsable, son comportement permet au maître de renon- cer à la fixation d'un délai (Koller, op. cit., n. 283 ad art. 366 CO et les références). bb) Depuis le 17 mai 1995, la défenderesse a récla- mé à plusieurs reprises que les chemins de câbles aient une épaisseur de 1,5 mm, conformément à ce que les demanderesses avaient promis. Celles-ci ont refusé, soutenant que le pre- mier échantillon accepté avait une épaisseur de 1 mm et que c'était par erreur qu'elles avaient mentionné 1,5 mm dans leur courrier du 17 octobre 1994. Par lettre du 13 octobre 1995, elles ont ajouté que le passage à des chemins de câbles de 1,5 mm entraînerait des plus-values. Quelques jours plus tard, soit le 31 octobre 1995, le SPC les a informées de sa volonté de rompre les contrats avec effet immédiat et de leur verser les montants correspondant aux travaux déjà effectués dans les deux tunnels. Par la suite, les parties ont encore cherché un terrain d'entente, mais sans succès et, le 11 mars 1996, la défenderesse a formellement renoncé aux services des demanderesses, en invoquant l'art. 366 al. 2 CO, au motif que celles-ci entendaient poursuivre l'exécution de l'ouvrage en violation des stipulations contractuelles. Ces éléments démontrent que la défenderesse a fait état, à plusieurs reprises, de l'épaisseur insuffisante des chemins de câbles et a indiqué qu'elle n'accepterait pas une épaisseur de 1 mm. Les demanderesses étaient donc parfaite- ment au courant de ses exigences; pourtant, il résulte de leur attitude qu'elles entendaient bien livrer et installer des chemins de câbles de 1 mm d'épaisseur. Le 13 octobre 1995, elles ont du reste indiqué que le passage à une épais- seur de 1,5 mm impliquerait des plus-values, exigeant ainsi une augmentation du prix fixé, sans se prévaloir de l'une des conditions de l'art. 373 al. 2 CO. Peu importe, à cet égard, qu'elles aient été convaincues d'avoir le droit d'agir de la sorte. Seul est déterminant le fait que leur attitude tradui- sait un refus clair d'exécuter les contrats conformément à ce qui avait été convenu. Dans ces circonstances, la défenderes- se pouvait se dispenser de leur fixer un délai (art. 108 ch. 1 CO). d) Les conditions d'application de l'art. 366 al. 2 CO étant réalisées s'agissant de l'épaisseur des chemins de câbles, la défenderesse est fondée à se prévaloir des droits découlant de cette disposition. Il suit de là que les deman- deresses ne sauraient invoquer l'art. 377 CO à l'appui de leur action en paiement. 7.- a) L'art. 366 al. 2 CO prévoit que, si l'entre- preneur ne s'exécute pas dans le délai fixé, les réparations ou la continuation des travaux seront confiées à un tiers, aux frais et risques de l'entrepreneur. Cette disposition, à l'instar d'autres règles particulières (cf. les art. 259b let. b, 288 al. 1 et 392 al. 3 CO), se rattache à l'art. 98 al. 1 CO qui régit de façon générale l'exécution par substi- tution (ou exécution in rem; "Ersatzvornahme"), dans les rap- ports contractuels relevant du droit privé, en cas de viola- tion d'une obligation de faire (Gauch, op. cit., n. 870 et les auteurs cités). C'est l'art. 1144 du Code civil français (CCF) qui a servi de modèle au législateur fédéral à cet égard (Bühler, op. cit., n. 60 ad art. 366 CO; Zindel/Pulver, op. cit., n. 45 ad art. 366 CO; Gautschi, Commentaire ber- nois, n. 2d ad art. 366 CO; Honsell, Schweizerisches Obliga- tionenrecht, Besonderer Teil, 5e éd., p. 265; Bucher, Schwei- zerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil [cité: AT], p. 332, note 19); dans sa teneur actuelle, il énonce ce qui suit: "Le créancier peut aussi, en cas d'inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur. Celui-ci peut être condamné à faire l'avance des sommes nécessaires." (cf. Dalloz 2000, p. 827). Cependant, contrairement à cette disposition et à la règle générale du Code des obligations, l'art. 366 al. 2 CO ne subordonne pas à une autorisation du juge le droit du maître de procéder à l'exécution par substitution. Pour que le maître soit en me- sure d'empêcher une exécution défectueuse de l'ouvrage qui est prévisible avec certitude, il doit, en effet, pouvoir agir rapidement suivant les circonstances, sans devoir re- quérir au préalable une autorisation du juge (Gauch, op. cit., n. 887; Koller, op. cit., n. 504 ad art. 366 CO; Ni- klaus, op. cit., p. 46 s., n. 1.109). aa) L'exécution par substitution, au sens de l'art. 366 al. 2 CO, suppose que le maître renonce à faire réparer l'ouvrage par l'entrepreneur ou à laisser ce dernier conti- nuer les travaux. Cette manifestation de volonté formatrice et irrévocable, qui n'est pas soumise à l'exigence d'une for- me spéciale et qui peut intervenir au moment de la fixation ou après l'expiration du délai de grâce prévu par la disposi- tion citée, a pour effet de modifier les droits et obliga- tions des parties relativement à la prestation de l'entrepre- neur: le maître renonce définitivement à exiger de celui-ci qu'il procède lui-même à l'exécution des travaux (réparation ou achèvement de l'ouvrage) et il en confie le soin à un tiers (ou le fait lui-même) aux frais et risques de l'entre- preneur; ainsi, l'obligation de faire, qui incombait à l'ori- gine à l'entrepreneur en vertu du contrat d'entreprise (art. 363 CO), se transforme en une obligation de payer les frais de l'exécution par substitution à laquelle viendra s'ajouter, suivant les circonstances, l'obligation de payer des domma- ges-intérêts (cf. art. 98 al. 1 in fine CO). Toutefois, comme l'exécution in rem n'est qu'un succédané de l'exécution con- venue, l'existence du contrat d'entreprise initial n'en est pas affectée, nonobstant le changement de nature de l'obliga- tion à exécuter par l'entrepreneur et la mise en oeuvre par le maître d'un tiers sur la base d'un second contrat d'entre- prise. Le maître reste tenu de payer le prix de l'ouvrage, tel qu'il a été fixé dans le contrat d'entreprise, mais il peut exiger de l'entrepreneur qu'il lui rembourse - voire, pour une partie de la doctrine, qu'il lui avance - les frais de l'exécution par substitution ("Kostenersatz" par opposi- tion au "Schadenersatz" ou dommages-intérêts) et, de sur- croît, qu'il assume, en principe, les conséquences, non cou- vertes par le tiers, d'une mauvaise exécution in rem, puisque cette exécution se fait non seulement aux "frais" mais encore aux "risques" de l'entrepreneur; les deux créances récipro- ques pourront être éteintes par voie de compensation (pour plus de détails au sujet de l'exécution par substitution et des controverses que suscitent certaines de ses modalités, cf. parmi d'autres: Gauch, op. cit., n. 868 ss; Koller, op. cit., n. 465 à 473, n. 547 ss et n. 615 ad art. 366 CO; Niklaus, op. cit., p. 111 ss). bb) Il faut encore examiner si l'exécution par substitution, dont on vient de tracer les grandes lignes, re- vêt un caractère exclusif ou si le maître peut agir par une autre voie à l'encontre de l'entrepreneur lorsque les condi- tions d'application de l'art. 366 al. 2 CO sont réalisées. Les avis sont partagés au sein de la doctrine. Pour Gauch (op. cit., n. 867, 869 et 893), l'art. 366 al. 1 CO, qui confère sans conteste au maître le droit d'option prévu à l'art. 107 al. 2 CO, et l'art. 366 al. 2 CO régissent des états de fait différents. Par conséquent, le maître ne peut pas se départir du contrat s'il est en mesure de procéder à une exécution par substitution; il peut le faire, en revan- che, par une application analogique de l'art. 366 al. 1 CO, si l'entrepreneur est tenu d'exécuter l'ouvrage en personne et est ainsi irremplaçable ou si, eu égard aux circonstances de l'espèce, on ne peut raisonnablement exiger du maître qu'il commette un entrepreneur de remplacement. Zindel/Pulver (op. cit., n. 41 ad art. 366 CO) suivent cette opinion et mentionnent d'autres exemples de situations dans lesquelles une exception peut être faite au principe posé par Gauch. Quant à Engel (Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 443 s.), il se réfère à cet auteur et n'évoque que la possibilité d'une exécution par substitution. Un autre courant doctrinal accorde au maître, les conditions d'application de l'art. 366 al. 2 CO étant remplies, le droit d'option prévu à l'art. 107 al. 2 CO (Koller, op. cit., n. 477 ss ad art. 366 CO; Niklaus, op. cit., p. 42, n. 1.98 et la note 154 où l'auteur renvoie à Bühler, op. cit., n. 66 ad art. 366 CO; Corboz, ibid.; Bucher, Obligationenrecht, Besonderer Teil, 3e éd., p. 214; Gautschi, op. cit., n. 7d ad art. 366 CO; Honsell, ibid; cf. aussi Duri Pally, Mangelfolgeschaden im Werkvertrags- recht, thèse Saint-Gall 1995, p. 24 s.; Weber, Commentaire bernois, n. 62 ad art. 98 CO). Les tenants de cette opinion, qu'ils ne motivent d'ailleurs pas tous de la même façon, considèrent, en substance, qu'il ne se justifie pas de trai- ter moins bien le maître qui est confronté à un ouvrage dé- fectueux (art. 366 al. 2 CO) que celui qui subit le retard de l'entrepreneur (art. 366 al. 1 CO). Le Tribunal fédéral se range à l'avis de ce dernier groupe d'auteurs. L'art. 366 CO, qui sanctionne le retard dans l'exécution de l'ouvrage (al. 1) et l'exécution défec- tueuse de celui-ci (al. 2), envisage de manière complète l'inexécution ou la mauvaise exécution apparaissant au cours des travaux. Il n'y a pas de raison de penser que le légis- lateur fédéral ait voulu traiter le maître moins favorable- ment en cas de défaut qu'en cas de retard. Aussi l'exécution par substitution doit-elle être conçue comme une faculté sup- plémentaire accordée au maître dans une situation où une ac- tion rapide s'imposera plus souvent que dans l'hypothèse d'un simple retard (Koller, op. cit., n. 477 ad art. 366 CO, p. 326). On peut également aborder le problème sous un autre an- gle et soutenir qu'à l'instar de l'entrepreneur qui ne com- mence pas les travaux à temps ou en diffère indûment l'exécu- tion, l'entrepreneur qui ne prend pas les mesures nécessaires pour parer à l'éventualité d'une exécution de l'ouvrage dé- fectueuse ou contraire à la convention doit être traité comme un débiteur en demeure, à l'égal du premier, son obligation de remédier à cet état de choses étant incluse dans l'obliga- tion générale d'exécuter l'ouvrage qui lui incombe. Considéré de ce point de vue, l'art. 366 al. 2 CO entrerait dans les prévisions de l'art. 366 al. 1 CO (dans ce sens, cf. Niklaus, ibid.). Peu importe, en définitive, le fondement théorique de la solution retenue, dès lors que celle-ci n'est pas exclue par le texte légal et qu'elle vise à traiter de la même ma- nière deux situations comparables. Il faut donc poser que le maître qui invoque l'art. 366 al. 2 CO et qui ne souhaite pas procéder à l'exécution par substitution dispose, comme en cas de retard (art. 366 al. 1 CO), des facultés offertes au créancier par l'art. 107 al. 2 CO. Les auteurs qui n'admet- tent pas cette possibilité sont du reste obligés de réserver de nombreuses exceptions à la règle de l'exécution par subs- titution ou la prise en considération des circonstances par- ticulières, ce qui n'est certes pas de nature à favoriser la sécurité du droit. Au demeurant, la solution retenue est cel- le qui s'harmonise le mieux avec les règles générales sur la demeure et, singulièrement, avec l'art. 98 al. 1 CO, puis- qu'il est communément admis que le créancier d'une obligation de faire peut se prévaloir des art. 107 ss CO plutôt que de solliciter du juge l'autorisation d'exécuter l'obligation aux frais du débiteur (Weber, op. cit., n. 91 ad art. 98 CO; Wie- gand, Commentaire bâlois, n. 8 ad art. 98 CO; Bucher, AT, p. 332, ch. 5 et note 19; von Tuhr/Escher, Allgemeiner Teil des Schweizerischen Obligationenrechts, vol. II, p. 92 in fine; Gauch/ Schluep/Schmid/Rey, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, vol. II, 7e éd., n. 2590; Schwenzer, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, p. 354, n. 61.07; Guhl/Merz/Koller, Das Schweizerische Obligationen- recht, 8e éd., p. 38). Le maître peut donc choisir, parmi les trois possi- bilités que lui offre l'art. 107 al. 2 CO, celle de renoncer à la prestation promise et de réclamer des dommages-intérêts positifs à l'entrepreneur qui a commis une faute (Corboz, ibid.; Koller, op. cit., n. 477 ad art. 366 CO; Gautschi, ibid.). S'il le fait, il est tenu d'accepter les parties de l'ouvrage déjà exécutées, pour autant qu'elles soient utili- sables, et d'en payer le prix (cf. Gauch, op. cit., n. 662). Son dommage équivaut à l'intérêt qu'il avait à l'exécution régulière de l'obligation de l'entrepreneur (Niklaus, op. cit., p. 163, n. 4.22). Pour en juger, il convient de se demander quelle eût été sa situation patrimoniale si l'en- trepreneur avait continué les travaux et lui avait livré le solde de l'ouvrage en conformité avec les clauses de leur contrat (sur la notion d'intérêt positif, cf. Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p. 717 s.). Le maî- tre pourra ainsi porter en compte, entre autres postes de son dommage, tous les frais se rapportant à l'achèvement de l'ou- vrage ainsi que le préjudice découlant d'un éventuel retard dans la livraison de celui-ci ("Verspätungsschaden"; cf. Gauch, op. cit., n. 665), pour autant que ce retard soit en relation de cause à effet avec le comportement fautif de l'entrepreneur ayant conduit le maître à renoncer à la pres- tation promise; mais il devra imputer sur sa créance de dom- mages-intérêts, selon la théorie de la différence, ce qu'il aurait dû payer à l'entrepreneur si ce dernier avait exécuté régulièrement le solde des travaux et lui avait livré à temps l'ouvrage achevé. Une fois établi, de manière concrète ou abstraite (cf. Koller, op. cit., n. 605 ss ad art. 366 CO), le dommage du maître, il conviendra de fixer l'étendue de la réparation en fonction des critères mentionnés aux art. 43 et 44 CO, dispositions applicables en matière contractuelle par renvoi de l'art. 99 al 3 CO. Il va de soi que le maître qui renonce à la presta- tion promise et réclame des dommages-intérêts positifs (art. 107 al. 2 deuxième hypothèse CO) ne saurait jouer sur les deux tableaux et profiter, de surcroît, des avantages qu'au- rait pu lui procurer l'exécution par substitution (sur les incidences, positives et négatives, liées au choix entre ces deux partis, cf. Koller, op. cit., n. 603 ss ad art. 366 CO; Niklaus, op. cit., p. 164 ss, n. 4.24 ss). Ainsi, le maître n'aura certes pas à rendre compte à l'entrepreneur de l'uti- lisation des fonds qu'il aura perçus au titre des dommages- intérêts. En revanche, il ne pourra pas exiger de l'entre- preneur qu'il lui avance les frais à payer pour l'achèvement de l'ouvrage - à supposer que l'on admette le principe d'une telle obligation dans le cadre de l'exécution par substitu- tion, question qui peut rester ici indécise -, il devra s'en prendre à lui-même si, procédant à un calcul abstrait, il ré- clame un montant qui s'avère insuffisant pour payer le solde de l'ouvrage et, enfin, comme l'exécution par le tiers n'in- tervient plus, dans cette hypothèse, "aux risques" de l'en- trepreneur initial, il ne pourra pas se retourner contre celui-ci, par exemple, en cas de mauvaise exécution du solde des travaux par le tiers et d'insolvabilité de ce dernier. cc) Savoir si le maître a opté pour l'exécution par substitution ou pour la renonciation à la prestation promise et l'octroi de dommages-intérêts positifs est une question d'interprétation de la manifestation de volonté y relative. Pour la résoudre, il faut appliquer les règles ordinaires touchant l'interprétation des déclarations de volonté, notam- ment le principe de la confiance, et considérer, en particu- lier, les conclusions des parties ainsi que le type de domma- ge réclamé (cf., mutatis mutandis, Niklaus, op. cit., p. 82, n. 2.61 et Weber, op. cit., n. 119 ad art. 107 CO). b) La lettre précitée du 11 mars 1996, par laquelle la défenderesse a renoncé à la collaboration des demanderes- ses, manque de clarté. En effet, si, dans un premier temps, le maître y manifeste sa volonté de "résilier" les contrats d'entreprise, il y indique ensuite que les travaux seront confiés à des tiers aux frais et risques des demanderesses, comme le prévoit l'art. 366 al. 2 CO, ajoutant qu'il "fera également valoir les dommages-intérêts occasionnés par l'at- titude" des entreprises demanderesses. Or, on a souligné plus haut que le maître ne peut pas à la fois renoncer à la pres- tation promise, conformément à l'art. 107 al. 2 deuxième hy- pothèse CO, et procéder à l'exécution du solde des travaux aux frais et risques de l'entrepreneur. Il convient donc de rechercher, par voie d'interprétation, quel est le choix qui a été fait, en définitive, par la défenderesse. Les circonstances ayant entouré la manifestation de volonté litigieuse plaident en faveur de la thèse de la re- nonciation à la prestation promise, assortie d'une demande de dommages-intérêts positifs. De fait, la volonté de la défen- deresse de ne plus avoir affaire aux demanderesses, de quel- que manière que ce soit, ressort nettement de la lettre adressée le 31 octobre 1996 par la première aux secondes, dans laquelle le maître déclare notamment ceci: "... nous décidons de rompre les contrats ... avec effet immédiat". Considérée à la lumière de ce courrier, la lettre du 11 mars 1996 n'apparaît, dès lors, que comme la confirmation, après l'échec des dernières tentatives d'arrangement, de la volonté de la défenderesse, déjà manifestée antérieurement, de renon- cer à l'exécution et de réclamer aux demanderesses des dommages-intérêts pour cause d'inexécution. Il ressort du comportement ultérieur des parties qu'elles ont toutes deux attribué une telle signification à la manifestation de volonté en question. On notera, à ce pro- pos, que ce sont les entreprises demanderesses, et non le maître, qui ont ouvert action en premier lieu en fondant leurs prétentions sur l'art. 377 CO, disposition régissant la "résiliation par le maître ..." selon sa note marginale. Quant à la défenderesse, elle déclare expressément, dans son mémoire de réponse, qu'elle entend compenser la créance des demanderesses pour les travaux exécutés avec "son propre dom- mage résultant de l'inexécution du contrat" (allégué 100) et qu'elle réclame des "dommages et intérêts" (allégué 101). El- le n'a du reste pas invité les demanderesses à avancer les frais afférents au solde des travaux et n'a pas non plus ré- servé un règlement de comptes après l'achèvement de ceux-ci. Enfin, lors de la séance du 27 octobre 1999, les parties ont chargé le Tribunal fédéral de statuer d'abord sur la validité de la "résiliation" litigieuse. Force est d'admettre, dans ces conditions, que la défenderesse a renoncé purement et simplement aux prestations promises par les demanderesses, qu'elle l'a fait valablement au regard de l'art. 366 CO et qu'elle est dès lors fondée à réclamer à ces dernières des dommages-intérêts pour cause d'inexécution (art. 107 al. 2 deuxième hypothèse CO). 8.- Comme convenu lors de la séance du 27 octobre 1999, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur la question de l'étendue de la réparation dans le cadre du présent juge- ment incident. Quant aux frais et dépens, ils seront fixés au terme de la procédure. Par ces motifs, l e T r i b u n a l f é d é r a l : 1. Dit que la résiliation des relations contrac- tuelles par la défenderesse est valablement intervenue au regard de l'art. 366 CO; 2. Dit que la défenderesse est fondée à réclamer des dommages-intérêts; 3. Dit que la suite de la procédure sera fixée par ordonnance séparée du juge délégué; 4. Dit que les frais et dépens seront fixés dans le jugement final; 5. Communique le présent jugement incident en copie aux mandataires des parties. _______________ Lausanne, le 28 mars 2000 ECH Au nom de la Ie Cour civile du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE: Le Président, Le Greffier,