Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilabteilung 4C.314b/1992
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4C.314/1992

                 Ie   C O U R   C I V I L E
                ****************************

                 Séance du 11 décembre 2001

Présidence de M. Walter, président de la Cour.
Présents: M. Leu, M. Corboz, Mme Klett et Mme Rottenberg
Liatowitsch, juges.
Greffière: Mme Charif Feller.

                          ________

                  Dans la cause qui oppose

le Canton du Valais, représenté par Me Yannis Sakkas, avocat
à Martigny,
                                                   demandeur,

                              à

l'Elvia, Compagnie d'Assurances S.A., représentée par Me
Jean-Luc Martenet, avocat à Monthey,
                                                défenderesse;

            (contrat d'assurance; procès direct)

          Vu les pièces du dossier d'où ressortent
                  les  f a i t s  suivants:

    A.- Les 6 et 17 août 1977 deux accidents de la cir-
culation se sont produits sur deux tronçons distincts de la
route nationale A 114 Martigny-Grand-St-Bernard, soit entre
Bovernier et Sembrancher, au lieu-dit "Les Trappistes", et
entre Martigny et Bovernier, sous la galerie du Tiercelin. Un
revêtement auquel avait été incorporé du Verglimit, un pro-
duit destiné à empêcher la formation de verglas, avait été
posé sur lesdits tronçons respectivement entre le 30 juin et
le 7 juillet 1977 ainsi qu'entre le 12 et le 15 juillet 1977.
Ces accidents ont fait l'objet de deux jugements rendus par
le Tribunal fédéral le 9 octobre 1990, respectivement dans
les causes C.508/1985 et C.302/1984 (publiée aux ATF 116 II
645). Le Tribunal fédéral a conclu à la responsabilité du
canton, en qualité de propriétaire d'une route (art. 58 CO),
en concours avec celle du détenteur du véhicule automobile, à
raison de 1/2 à la charge de chaque responsable pour le pre-
mier accident (Carron), et à raison de 1/3 et de 2/3 à la
charge de chaque responsable pour le second accident (Gian-
nelli).

    Par demande du 8 octobre 1992, le canton du Valais
a introduit un procès direct devant le Tribunal fédéral. Le
demandeur réclamait à son assureur en responsabilité civile,
l'Elvia, Compagnie d'Assurances S.A. (ci-après: Elvia ou dé-
fenderesse), ainsi qu'aux fournisseurs du produit, Verglimit
S.A. et Plastiroute S.A. 677 426 fr.80, plus intérêts. Cette
somme correspondait, d'une part, aux montants qui avaient
fait l'objet des deux jugements du Tribunal fédéral du 9 oc-
tobre 1990 et, d'autre part, à divers montants que le deman-
deur alléguait être en rapport avec lesdits accidents.

    Dans sa réponse du 8 janvier 1993, l'Elvia a requis
à titre préjudiciel, d'une part, la disjonction de sa cause
de celles opposant le demandeur à Verglimit S.A. et à Plasti-
route S.A. et, d'autre part, que sa cause ne soit reprise
qu'une fois connu le sort des deux autres. Quant au fond,
l'Elvia a conclu au rejet de l'action du demandeur, dans la
mesure où elle est recevable.

    Le juge délégué à l'instruction a ordonné, le 22
juillet 1999, la disjonction des causes et, par conséquent,
la suspension du procès en tant qu'il concernait l'action di-
rigée contre l'Elvia.

    Le 21 novembre 2000, le Tribunal fédéral a conclu à
la responsabilité de Verglimit S.A. et Plastiroute S.A. à
raison de 50% et les a condamnées à verser au demandeur la
somme de 339 138 fr.40, avec intérêts, soit la moitié de la
somme réclamée initialement par le demandeur.

    B.- Le 10 janvier 2001, le juge délégué à l'ins-
truction a ordonné la levée de la suspension du procès oppo-
sant le demandeur à l'Elvia.

    Dans son mémoire final du 23 avril 2001, le deman-
deur conclut à ce que la défenderesse soit reconnue lui de-
voir 339 138 fr.40, avec intérêts à 5% sur diverses sommes.

    Pour sa part, la défenderesse conclut, dans son mé-
moire final du 28 juin 2001, au rejet de la demande.

    Avec l'accord des parties, le juge délégué a fait
abstraction des débats préparatoires. Il a ordonné la clôture
de la procédure préparatoire, le 13 juillet 2001. Les parties
ont renoncé à plaider compte tenu des mémoires finals déjà
présentés.

          C o n s i d é r a n t   e n   d r o i t :

    1.- La compétence du Tribunal fédéral pour connaî-
tre du litige en instance unique au sens de l'art. 42 al. 1
OJ (dans sa version antérieure du 19 juin 1959, applicable en
l'espèce) est manifestement donnée quant à la nature de la
contestation et à la valeur litigieuse.

    2.- Le demandeur expose en premier lieu que ses
prétentions contre la défenderesse ne sont pas prescrites.
Celle-ci ne soulève pas d'exception de prescription, mais re-
lève seulement qu'elle a informé "dès le début" le demandeur
de son refus de couverture, notamment par courriers du 14
mars 1979 et du 10 juillet 1979. Cette déclaration de refus
de couverture - ou de refus de prestations - n'a cependant
pas été faite en rapport avec la prescription (Eugen Bucher,
Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, 2ème éd.,
p. 446). Dès lors et conformément à l'art. 142 CO (applicable
par renvoi de l'art. 100 al. 1 LCA), faute d'avoir été invo-
quée par la défenderesse, la prescription n'a pas à être exa-
minée d'office.

    3.- Le demandeur fonde ses prétentions sur le con-
trat d'assurance responsabilité civile qu'il avait conclu
avec la défenderesse. La police d'assurance, qui débutait le
1er janvier 1976 et expirait le 31 décembre 1980, garantis-
sait une somme globale de 4 millions de francs par événement,
pour l'ensemble des dommages corporels et matériels. Le de-
mandeur a payé annuellement une prime de 167 750 fr., augmen-
tée ultérieurement. En l'espèce, il n'est pas contesté que
les conditions générales d'assurance (ci-après: CGA) font
partie intégrante du contrat d'assurance. L'art. 10 CGA pré-
voit une franchise maximale de 5000 fr. en cas de dégâts ma-
tériels.

    A l'appui de son refus de couverture, la défende-
resse invoque, d'une part, la tardiveté de l'avis de sinistre
(art. 22 et 24 CGA) et, d'autre part, la probabilité de la
survenance des sinistres (art. 7i CGA). Ces deux questions
seront, pour autant qu'elles puissent être dissociées, exami-
nées successivement.

    a) L'art. 22 CGA prévoit que le preneur doit immé-
diatement aviser par écrit la Société si, à la suite d'un
événement de nature à faire intervenir l'assurance:
a) un dommage est survenu ou menace de survenir,
b) une réclamation en dommages-intérêts contre lui ou un as-
suré lui a été adressée judiciairement ou extrajudiciaire-
ment, ou
c) une procédure pénale a été ouverte contre lui ou un assu-
ré.

    L'art. 24 CGA ajoute que si le preneur d'assurance
contrevient aux dispositions concernant l'avis de sinistre ou
si un assuré agit contrairement aux règles de la bonne foi,
la Société est libérée de ses obligations, à moins que l'as-
suré ne prouve qu'il a agi sans faute ou que son attitude n'a
modifié ni sa situation juridique, ni celle de la Société et
n'a par conséquent exercé aucune influence sur le règlement
du sinistre.

    b)aa) La défenderesse considère, en substance, que
le demandeur savait depuis le 20 juillet 1977 au plus tard,
soit depuis la lettre que lui avait adressée le commandant de
la police cantonale, que la chaussée était en cause. Le de-
mandeur ne l'aurait avisée que plusieurs mois après, alors
que plus de 20 accidents avaient déjà été enregistrés offi-
ciellement et que les organes responsables étaient informés

de l'hécatombe intervenue sur les tronçons incriminés. Pour
la défenderesse, le demandeur avait l'obligation de l'aviser,
dès leur survenance, de sinistres qui entraîneraient vraisem-
blablement l'intervention ultérieure des lésés. Elle relève
que dans la lettre du 20 juillet 1977, le commandant de la
police cantonale avait écrit ce qui suit: "quelques acciden-
tés ont déjà déclaré aux agents enquêteurs qu'ils allaient
ouvrir une action pénale contre l'Etat du Valais". La défen-
deresse soutient encore qu'à l'instar de l'art. 38 LCA, le
but de l'art. 22 CGA est de donner à l'assureur la possibili-
té d'établir les faits et, le cas échéant, d'intervenir au-
près de son assuré pour qu'il remédie à la situation, comme
le prévoit l'art. 15 CGA. En ne l'avisant pas immédiatement,
le demandeur aurait empêché la défenderesse de prendre les
mesures décrites par tous les experts consultés et qui s'im-
posaient indépendamment de la cause de l'hécatombe survenue.

    bb) Aux termes de l'art. 38 al. 1 LCA, en cas de
sinistre, l'ayant droit doit, aussitôt qu'il a eu connais-
sance du sinistre et du droit qui en découle en sa faveur de
l'assurance, en donner avis à l'assureur. Si par sa faute,
l'ayant droit contrevient à cette obligation, l'assureur a le
droit de réduire l'indemnité à la somme qu'elle comporterait
si la déclaration avait été faite à temps (al. 2). L'assureur
n'est pas lié par le contrat, si l'ayant droit a omis de fai-
re immédiatement sa déclaration dans l'intention d'empêcher
l'assureur de constater en temps utile les circonstances du
sinistre (al. 3).

    Les dispositions de l'art. 38 LCA ne sont pas impé-
ratives. Les conditions d'assurance peuvent donc poser des
exigences plus sévères pour l'ayant droit (ATF 115 II 88 con-
sid. 2 et les références; Willy Koenig, Der Versicherungsver-
trag, in: Schweizerisches Privatrecht, vol. VII/2, p. 555 et
la jurisprudence cantonale citée ad note 3) pourvu qu'elles
n'attachent des effets de péremption aux violations des dis-

positions conventionnelles qu'en cas de faute de l'assuré ou
de l'ayant droit (ATF 74 II 93 consid. 2); les clauses de dé-
chéance doivent être interprétées restrictivement et selon le
principe de la bonne foi (Bernard Viret, Droit des assurances
privées, 3ème éd. 1991, p. 140 et la référence). En effet, en
cas de modification voulue par l'assureur, notamment par une
clause excluant l'application d'un article de la LCA, les rè-
gles sur l'interprétation des contrats (art. 2 al. 1 CC et
art. 18 CO) s'appliquent au contrat d'assurance et aux condi-
tions générales qui en font partie intégrante (ATF 117 II 609
consid. 6c p. 221; 115 II 264 consid. 5a p. 268). Lorsque la
volonté intime et concordante des parties ne peut pas être
établie, le juge doit rechercher la volonté présumée en in-
terprétant leurs déclarations de volonté selon le principe de
la confiance; cette interprétation dite objective consiste à
rechercher le sens que chacune des parties pouvait et devait
raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'au-
tre, en tenant compte des termes utilisés ainsi que du con-
texte et de l'ensemble des circonstances dans lesquelles el-
les ont été émises.

    En l'espèce, la similitude entre les conditions gé-
nérales d'assurance précitées et l'art. 38 LCA porte sur les
expressions "immédiatement" et "aussitôt", qu'elles contien-
nent respectivement et qui ont le même sens (arrêt du Tribu-
nal fédéral du 11 novembre 1983 reproduit in SJ 1983 225 et
RBA XV n° 56, consid. 2). En revanche, l'obligation faite à
l'assuré d'annoncer non seulement le dommage qui est survenu
mais aussi celui qui menace de survenir (art. 22 let. a CGA)
constitue une exigence plus sévère à son égard. De même,
l'art. 24 CGA qui prévoit la déchéance des droits de l'assuré
en cas de violation par celui-ci de l'obligation découlant de
l'avis de sinistre, à moins qu'il ne prouve l'absence de sa
faute ou l'absence d'incidence de son attitude sur le règle-
ment du sinistre, instaure un renversement du fardeau de la
preuve au détriment de l'assuré (cf. à ce sujet Jürg Nef,

Basler Kommentar, 2001, n. 17 ad art. 38 LCA; Brehm, Le con-
trat d'assurance RC, Bâle et Francfort-sur-le-Main 1997, n.
369).

    cc) Quant à la question de savoir si l'obligation
d'aviser est liée à la survenance du dommage ou plutôt au mo-
ment où le lésé fait valoir des prétentions en dommages-
intérêts, elle a été discutée en rapport avec l'art. 38 LCA
et laissée ouverte par le Tribunal fédéral (ATF 100 II 403
consid. 3 et les références), alors que la doctrine est par-
tagée à ce sujet (Jürg Nef, op. cit., n. 7 ad art. 38 LCA et
les références). Plus particulièrement, Fritz Frank (Die ver-
sicherungsrechtliche Anzeigepflicht nach Eintritt des be-
fürchteten Ereignisses, Thèse Berne 1952, p. 39) estime que
l'avis de sinistre commence à courir dès la survenance du
sinistre que l'assuré doit tenir pour l'événement redouté. La
cour cantonale lucernoise a quant à elle admis que l'avis de
sinistre ne doit être donné qu'à compter du moment où l'on
est en présence d'un sinistre à proprement parler, et, en ma-
tière d'assurance RC, ce n'est le cas que lorsqu'une réclama-
tion judiciaire ou extrajudiciaire est adressée par le lésé à
l'assuré (RBA VI n° 271; cf. par analogie ATF 126 III 278
consid. 7 qui pose que dans l'assurance RC, le "fait d'où
naît l'obligation", au sens de l'art. 46 al. 1 LCA, n'est pas
l'événement dommageable, mais la condamnation définitive et
exécutoire de l'assuré à verser une indemnité au lésé).

    Dans le cas présent, l'art. 22 CGA prévoit les deux
hypothèses (let. a et b), ce qui fait dire à la défenderesse
que le demandeur avait l'obligation de l'aviser, dès leur
survenance, de sinistres qui entraîneraient vraisemblablement
l'intervention ultérieure des lésés. On se trouverait donc
dans la situation où l'assuré doit supputer s'il y a lieu de
s'attendre à des prétentions de la part du lésé. A tout le
moins, dans les cas où l'assuré ne paraît pas responsable du
préjudice du lésé, l'appréciation de son erreur quant à la

situation réelle devra se faire avec mansuétude dans le cadre
de l'art. 45 LCA (Brehm, op. cit., n. 340; Jürg Nef, op.
cit., n. 7 in fine ad art. 38 LCA).

    Il convient d'examiner sur quoi l'avis de sinistre
devait porter en l'espèce.

    4.- a) Selon le jugement partiel du Tribunal fédé-
ral du 21 novembre 2000 (ci-après: jugement partiel du 21 no-
vembre 2000), la survenance de deux accidents seulement sur
les tronçons incriminés n'est pas avérée au vu des pièces du
dossier. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette conclu-
sion, puisque hormis les deux sinistres du 15 (rapport n°
2880) et 23 juillet 1977 (rapport n° 2821), dont le demandeur
admet qu'ils sont survenus sur les tronçons incriminés, deux
autres accidents ont également eu lieu sur lesdits tronçons,
soit le 7 juillet 1977 (rapport n° 2424 qui mentionne, à
l'instar du rapport n° 2821, la pose d'un revêtement par
l'entreprise Billieux et des traces d'une substance provenant
de l'asphalte) et le 17 juillet 1977 (rapport n° 2822 qui
mentionne la pose d'un revêtement par l'entreprise Erval et
des traces d'une substance provenant de l'asphalte). Toute-
fois, les rapports de police produits par la défenderesse ne
permettent pas de déterminer le nombre exact d'accidents sur-
venus au total sur les tronçons incriminés, d'une part, et le
rapport de causalité entre les sinistres et le Verglimit,
d'autre part. En effet, les dénominations des lieux des acci-
dents n'y sont parfois qu'approximatives, l'asphaltage dans
l'un ou l'autre de ces rapports pourrait concerner d'autres
tronçons, la glissance pourrait être due à un nouveau revête-
ment sans Verglimit (cf. jugement partiel du 21 novembre 2000
consid. 9c/bb/aaa) mais, surtout, des facteurs étrangers au
revêtement apparaissent comme déterminants dans la survenance
de beaucoup d'accidents cités par la défenderesse. A supposer
que ceux-ci se soient tous produits sur les tronçons liti-
gieux, et pour autant qu'ils aient fait l'objet d'un rapport

de police, des réserves dues au comportement des conducteurs
impliqués s'imposeraient pour la plupart de ces sinistres, à
l'instar de celles émises au sujet des accidents Carron et
Giannelli. Ainsi il découle desdits rapports de police qu'un
conducteur était pris de boisson et qu'il roulait avec une
roue mal gonflée (rapport n° 2424 précité), qu'un autre avait
peut-être omis d'enclencher l'indicateur de direction lors
d'une manoeuvre de dépassement (rapport n° 2689), qu'une con-
ductrice avait été éblouie par les phares d'une voiture rou-
lant en sens inverse (rapport n° 2739), qu'une personne se
trouvant au milieu de la route avait provoqué le freinage
brusque des véhicules accidentés (rapport n° 2779), qu'un au-
tomobiliste avait probablement perdu la maîtrise de son véhi-
cule alors qu'il pleuvait (rapport n° 2892), que les conduc-
teurs faisaient vraisemblablement la course lorsqu'ils ont
heurté un véhicule de police à l'arrêt (rapport n° 3376),
etc.

    Dans ces conditions, le demandeur ne pouvait être
considéré, à la réception du courrier du 20 juillet 1977,
comme ayant la certitude que la chaussée était en cause, ce
qui ne le dispensait cependant pas, dans le doute, de veiller
à l'installation de signalisations complémentaires sur les
tronçons incriminés (jugement partiel du 21 novembre 2000,
consid. 9c/bb/aaa).

    b) Par ailleurs, vu la fréquence des accidents sur
la route du Grand-St-Bernard (tronçon Martigny-Sembrancher),
telle qu'attestée par les statistiques des accidents de 1976
à 1980 (pièce 8 demandeur), l'art. 22 CGA, interprété objec-
tivement, permet de poser que le demandeur - à supposer qu'il
ait été averti de l'ensemble de ces accidents dès leur surve-
nance, ce qui paraît invraisemblable au vu des 2000 km de
routes dont il est responsable - ne pouvait et ne devait
d'emblée et systématiquement annoncer à l'assureur tous les
sinistres, mais seulement ceux dont la gravité apparente

laissait craindre des conséquences dommageables couvertes par
l'assurance (ATF 52 II 154 consid. 1a, reproduit in JdT 1926
I 368 et RBA V n° 146; ATF 23 II 1833 consid. 3 1839).
S'agissant plus particulièrement des accidentés lesquels au-
raient déclaré vouloir ouvrir une action pénale contre le
canton du Valais, hormis le fait que l'on ne sait pas s'ils
ont concrétisé leurs déclarations, vraisemblablement faites
alors qu'ils étaient encore sous le choc, et, surtout, si
celles-ci ont donné lieu à un règlement quelconque de la part
de l'assureur, le demandeur pouvait pour les mêmes raisons -
fréquence des accidents et en sa qualité de canton responsa-
ble de l'ensemble du réseau routier - attendre avant d'aviser
son assureur qu'une réclamation concrète lui parvienne (cf.
RBA VI n° 271 précité), ce qui, du reste, est conforme aux
termes précis de l'art. 22 let. b CGA.

    En bref, le demandeur pouvait de bonne foi penser
qu'il n'était pas tenu d'aviser la défenderesse de l'ensemble
des "accidents survenus et survenant encore sur les tronçons
litigieux". Seuls étaient déterminants, dans le cas particu-
lier, les avis de sinistre concernant les accidents graves
avec suite mortelle, soit les accidents Carron et Giannelli.
L'avis de sinistre relatif à celui-ci ne fait l'objet d'aucu-
ne contestation de la part de la défenderesse et ne sera donc
pas examiné - quant à une éventuelle tardiveté - comme du
reste les avis concernant les autres sinistres qu'elle cite
et dont on ignore s'ils ont donné lieu à un règlement quel-
conque de sa part.

    5.- a) La jurisprudence est stricte quant au délai
au cours duquel l'ayant droit doit accomplir son obligation
d'aviser l'assureur de la survenance du sinistre. Ainsi le
Tribunal fédéral a considéré comme tardif l'avis de sinistre
donné deux jours après l'accident et un jour après que la
personne de qui il émanait avait eu connaissance des droits
découlant pour elle de l'assurance (RBA V n° 329 cité in

Fritz Frank, op. cit., p. 65). La jurisprudence allemande,
qui considère comme tardif l'avis donné une semaine après la
survenance du dommage, va dans le même sens (Prölss/Martin,
Versicherungsvertragsgesetz, 26ème éd., Munich 1998, n. 6 ad
§ 33 DVVG).

    Il ressort du dossier que le formulaire "avis de
sinistre" concernant l'accident Carron date du 23 septembre
1977. Il a donc été rempli un mois et demi après la surve-
nance de cet accident le 6 août 1977. Si l'on tient compte de
la gravité de l'accident, et si l'on considère que l'ayant
droit doit aviser l'assureur dès la survenance du sinistre
qu'il doit tenir pour l'événement redouté (Fritz Frank, op.
cit., p. 39; cf. consid. 3b/cc ci-avant), on peut se demander
si l'avis de sinistre n'est pas tardif en l'espèce. Cette
question peut toutefois demeurer indécise, étant donné que le
refus de couverture invoqué par l'assureur doit de toute ma-
nière être écarté pour le motif suivant.

    b) L'avis donné par l'ayant droit suite à la surve-
nance de l'événement redouté est une incombance qui a pour
but la diminution du dommage (Willy Koenig, op. cit., p.
553). Dans la mesure où la violation de cette obligation n'a
pas exercé une influence sur la survenance de l'événement re-
douté ou sur l'étendue des prestations de l'assureur, celui-
ci ne peut se prévaloir d'une clause de déchéance (art. 29
al. 2 LCA; Willy Koenig, op. cit., p. 559). L'obligation
d'aviser l'assureur de la survenance d'un sinistre, telle
quelle ressort de l'art. 38 LCA, doit permettre à l'assureur
de vérifier l'existence d'un droit à des prestations et d'or-
donner, si nécessaire, des mesures pour réduire le dommage.
Il s'agit donc d'une incombance dépendante (unselbständige
Obliegenheit) qui ne poursuit pas un but en soi, mais qui
vise à maintenir le rapport d'équivalence dans le contrat
d'assurance. Ce n'est que lorsque la violation de l'incomban-
ce s'étend à l'ensemble des rapports contractuels qu'il en

résulte des effets juridiques. La violation d'une obligation
qui ne porte pas atteinte à l'équivalence n'est pas détermi-
nante et est dépourvue d'effets juridiques (Roland Schaer,
Rechtsfolgen der Verletzung versicherungsrechtlicher Oblie-
genheiten, Thèse Berne 1972, p. 61 ss).

    L'art. 24 CGA prévoit que l'assureur est libéré de
ses obligations si l'assuré ne prouve pas qu'il a agi sans
faute ou que son attitude n'a pas modifié la situation juri-
dique de la société, c'est-à-dire que cette attitude n'a pas
exercé d'influence sur la prestation due par l'assureur et,
par conséquent, sur l'équivalence dans le contrat d'assuran-
ce. Ladite disposition reconnaît donc le caractère dépendant
de l'incombance et tient compte de la causalité de manière
appropriée (cf. Roland Schaer, op. cit., p. 138 s.).

    c) Selon le demandeur, le formulaire du 23 septem-
bre 1977 a été rempli à la demande de la défenderesse, suite
à un courrier du 21 septembre 1977, dans lequel elle l'infor-
mait qu'en rapport avec l'accident Carron, la Continentale,
compagnie générale d'assurances S.A. exerçait un droit de re-
cours, en vertu de conventions internes entre assurances. Le
courrier du 21 septembre 1977 n'a pas été versé au dossier,
mais le fait n'est pas contesté par la défenderesse. On peut
par conséquent admettre qu'elle a été mise au courant de la
survenance d'au moins deux sinistres, qu'elle impute au Ver-
glimit, avant ou au plus tard le 21 septembre 1977. Dès cette
date au plus tard, la défenderesse aurait pu sans autre pren-
dre les mesures qui s'imposaient, quitte à s'enquérir par la
suite des circonstances exactes desdits sinistres auprès de
l'assuré (Jürg Nef, op. cit., n. 12 ad art. 38 LCA). Or ce
n'est qu'environ deux ans plus tard, au terme de la procédure
pénale ayant abouti à l'acquittement de l'automobiliste
Carron, que la défenderesse a fait concrètement mention, dans
son courrier du 10 juillet 1979, de mesures qui auraient per-
mis de parer au danger sur le tronçon en cause. On ne peut

exclure que la défenderesse ait attendu de disposer de plus
d'éléments en la matière pour y voir plus clair, notamment du
rapport rendu le 6 juin 1978 par l'expert Crottaz, dans le
cadre de l'enquête pénale sur l'accident Carron. L'expert
Crottaz avait précisément été mandaté, le 13 septembre 1977,
par la Continentale, compagnie générale d'assurances S.A. et
avait abordé la question desdites mesures. Dès lors, on ne
voit pas en quoi le demandeur aurait empêché son assureur de
prendre à temps les mesures qui s'imposaient, puisqu'elles ne
semblent pas avoir été d'emblée aisément déterminables par
celui-ci. A cet égard, il ne suffit pas de prétendre au-
jourd'hui que les accidents sur les tronçons en cause, en
rapport avec le nouveau revêtement, auraient cessé le 20 août
1977, soit trois jours après l'introduction d'une limitation
de vitesse par le demandeur; en effet, cette affirmation ne
trouve aucune assise dans le dossier, puisqu'elle est contre-
dite par les statistiques des accidents de 1976 à 1980, pro-
duites par le demandeur.

    La preuve d'une perturbation de l'équivalence dans
le contrat d'assurance n'ayant pas été rapportée, le rapport
de causalité entre la violation de l'incombance et le montant
de la prestation due n'est donc pas établi; par conséquent
cette violation ne peut être considérée comme juridiquement
déterminante.

    d) Il sied encore de relever que le principe prévu
à l'art. 8 ch. 3 LCA, en vertu duquel l'assureur ne peut pas
se départir du contrat s'il connaissait ou devait connaître
l'événement qui n'a pas été déclaré (cf. Alfred Koller, recht
1987, p. 60 ss, spécialement p. 61), s'applique également
dans le cadre de l'art. 38 LCA et découle du but de l'obliga-
tion d'aviser en cas de sinistre. En l'espèce, la défenderes-
se a eu connaissance du sinistre autrement que par l'assuré;
dès lors qu'elle s'est bornée à lui demander de remplir un
formulaire, en s'abstenant de prendre les mesures qui s'impo-

saient, le rapport de causalité entre la violation de l'obli-
gation d'aviser et le montant de la prestation due par l'as-
sureur ne peut pas non plus être tenu pour établi.

    e) Au demeurant, comme le relève le demandeur, la
question se pose de savoir si ce n'est pas la défenderesse
qui a renoncé à se prévaloir de la tardiveté de l'avis, puis-
qu'elle ne s'en est prévalue que dans son mémoire-réponse du
8 janvier 1993 (cf. arrêt du Tribunal fédéral du 11 juin 1913
reproduit in RBA III n° 121; RBA V n° 170; RBA X n° 50 et la
référence), alors que dans ses courriers du 14 mars et du 14
juillet 1979, le seul argument invoqué était tiré d'une pré-
tendue violation de l'art. 7i CGA.

    6.- Selon l'art. 7i CGA, sont exclus de l'assurance
la responsabilité pour des dommages dont la survenance était
très probable ou dont on a délibérément accepté l'éventualité
en choisissant une certaine méthode de travail afin de dimi-
nuer les frais ou d'accélérer les travaux.

    a) C'est à juste titre que la défenderesse ne pré-
tend pas que la deuxième des deux conditions alternatives
contenues à l'art. 7i CGA serait réalisée, puisqu'aucun élé-
ment du dossier ne permet de considérer que le demandeur au-
rait délibérément accepté l'éventualité de la survenance du
dommage en choisissant une certaine méthode de travail afin
de diminuer les frais ou d'accélérer les travaux (cf. juge-
ment partiel du 21 novembre 2000, consid. 9b).

    En revanche, la réalisation de la première des deux
conditions alternatives précitées ne fait aucun doute pour la
défenderesse, le demandeur sachant, depuis la pose à des fins
d'essai d'un revêtement contenant du Verglimit sur le tronçon
du Brocard en 1974, que des problèmes pouvaient resurgir. La
défenderesse mentionne encore les réserves émises par l'ingé-
nieur adjoint auprès du service des ponts et chaussées du

canton, celles formulées par le fabricant du mélange bitumi-
neux ainsi que les avertissements du commandant de la police
cantonale. De l'avis de la défenderesse, des mesures d'urgen-
ce, peu onéreuses, auraient dû être prises immédiatement par
le demandeur le 20 juillet 1977, soit à la réception du cour-
rier de la police cantonale.

    b) Le problème soulevé peut être examiné à la lu-
mière de l'art. 14 LCA qui règle les conséquences du sinistre
causé fautivement.

    L'art. 14 al. 1 LCA prévoit que l'assureur n'est
pas lié par le contrat si le sinistre a été causé intention-
nellement par le preneur d'assurance ou l'ayant droit. L'acte
intentionnel est celui qui est commis avec conscience et vo-
lonté. Comme pour la faute grave, l'assureur doit prouver
l'intention de causer le sinistre et établir le rapport de
causalité entre l'acte intentionnel et le sinistre. En l'es-
pèce, un acte intentionnel du demandeur peut d'emblée être
exclu.

    Il reste donc à examiner si celui-ci a commis une
faute grave autorisant l'assureur à réduire ses prestations
dans la mesure répondant au degré de la faute (art. 14 al. 2
LCA), comme invoqué subsidiairement par celui-ci, ou si l'on
est en présence d'une faute légère maintenant une responsa-
bilité entière de l'assureur (art. 14 al. 4 LCA).

    Commet une faute grave celui qui viole un devoir
élémentaire de prudence dont le respect s'impose à toute per-
sonne raisonnable placée dans la même situation (ATF 119 II
443 consid. 2a et les arrêts cités). La faute légère est gé-
néralement définie par opposition à la faute grave. Elle re-
pose sur un comportement qui, sans être excusable, n'est pas
particulièrement répréhensible. La faute grave ne s'oppose
pas seulement à la faute légère, mais aussi à la faute inter-

médiaire ou moyenne (ATF 100 II 332 consid. 3a p. 338) qui
n'est pas suffisante pour justifier l'application de l'art.
14 al. 2 LCA (Brehm, op. cit., n. 520; Alfred Maurer, Schwei-
zerisches Privatversicherungsrecht, 3ème éd. 1995, p. 351 no-
te 889; Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2ème
éd., p. 466).

    c) Dans la mesure où cela n'a pas déjà été fait
ci-avant, il convient d'atténuer à plusieurs égards les re-
proches formulés par la défenderesse à l'encontre du deman-
deur. En effet, il n'a jamais été prétendu que les mesures
que celui-ci a omis de prendre auraient à elles seules permis
d'éviter les sinistres en cause. Cela est confirmé par le ju-
gement partiel du 21 novembre 2000 lequel s'il pose (consid.
8d) que "d'autres facteurs ont également contribué à la sur-
venance des accidents, ce qui est confirmé par les différen-
tes expertises ayant trait aux sinistres et à la présente
cause", précise également que "lesdites signalisations au-
raient permis si ce n'est d'éviter les accidents, du moins de
limiter leurs effets" (consid. 9b/ccc). Il en découle que
l'absence de signalisations supplémentaires n'est qu'un élé-
ment parmi d'autres ayant joué un rôle dans la survenance des
accidents. L'expertise Bühlmann illustre bien ces différents
facteurs ayant fait l'objet des différents jugements rendus à
ce jour en rapport avec les deux accidents Carron et Giannel-
li. S'exprimant sur le déroulement de l'accident, l'expert
affirme que l'attitude du conducteur Carron constituait la
cause primaire de l'accident, l'adjonction du Verglimit la
cause secondaire, l'absence de mesures prises suite aux aver-
tissements du commandant de la police cantonale la première
cause tertiaire et l'adhérence initiale du revêtement la se-
conde cause tertiaire de l'accident. Par conséquent, même si
dans la délimitation des responsabilités entre le propriétai-
re de l'ouvrage et le fournisseur du Verglimit (jugement par-
tiel du 21 novembre 2000) une faute a été retenue à la charge
du demandeur, due à l'absence de mesures prises sur les tron-

çons incriminés, elle ne saurait être transposée telle quelle
aux rapports entre l'assuré qu'il est et son assureur RC. Il
convient davantage de tenir compte de l'ensemble des juge-
ments rendus par le Tribunal fédéral au sujet des accidents
Carron et Giannelli.

    Selon les jugements du 9 octobre 1990, la responsa-
bilité du canton, en concours avec celle du détenteur du vé-
hicule automobile, était à raison de 50% à la charge de cha-
que responsable pour le premier accident, et à raison de 1/3
et 2/3 à la charge de chaque responsable pour le second acci-
dent. Le jugement partiel du 21 novembre 2000 a conclu que le
canton du Valais et le fournisseur du Verglimit étaient res-
ponsables à raison de 50% chacun. En tenant compte de tous
les jugements rendus en rapport avec les deux accidents en
question, la responsabilité du canton correspond à 1/4 dans
le cadre du premier accident et à 1/6 dans le cadre du se-
cond. Cette quantification, résultat d'une appréciation, dé-
montre derechef qu'en l'espèce, la prévisibilité des sinis-
tres en question n'était pas évidente, contrairement à ce que
laisse entendre la défenderesse, tant il est vrai qu'une mul-
titude d'éléments - parfois imprévus (cf. RBA XIV n° 22) -
étaient en cause.

    Au vu de ce qui précède, l'attitude reprochée au
demandeur, qui découle d'une mauvaise appréciation des cir-
constances, ne saurait être considérée comme constitutive
d'une faute grave, au sens de l'art. 14 al. 2 LCA. Par consé-
quent, elle n'entraîne pas la réduction de la prestation de
l'assureur.

    7.- Cela étant, la demande doit être admise. La dé-
fenderesse mentionne à l'état de faits la franchise prévue à
l'art. 10 CGA, sans toutefois formuler de conclusions à ce
sujet. Il n'y a donc pas lieu d'en tenir compte. La défende-

resse, qui succombe, supportera les frais judiciaires et les
dépens (art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).

                       Par ces motifs,

           l e   T r i b u n a l   f é d é r a l :

    1. Admet la demande et condamne la défenderesse à
verser au demandeur la somme de 339 138 fr.40, avec intérêts
à 5% sur les sommes suivantes:

-sur     500 fr.,       dès le 16.06.1981,
-sur     750 fr.,       dès le 27.04.1982,
-sur     650 fr.,       dès le 23.11.1982,
-sur     100 fr.,       dès le 23.11.1982,
-sur   1 000 fr.,       dès le 01.05.1984,
-sur   2 750 fr.,       dès le 12.06.1984,
-sur   2 500 fr.,       dès le 18.09.1984,
-sur   1 750 fr.,       dès le 05.05.1986,
-sur   3 500 fr.,       dès le 05.05.1986,
-sur   2 832 fr.10,     dès le 27.10.1990,
-sur 117 552 fr.50,     dès le 16.11.1990,
-sur   1 032 fr.50,     dès le 19.12.1990,
-sur   1 239 fr.50,     dès le 21.12.1990,
-sur  17 500 fr.,       dès le 27.12.1990,
-sur     201 fr.50,     dès le 01.01.1991,
-sur  14 218 fr.,       dès le 22.01.1991,
-sur  36 909 fr.80,     dès le 01.02.1991,

    2. Met un émolument judiciaire de 15 000 fr. à la
charge de la défenderesse;

    3. Dit que la défenderesse versera au demandeur la
somme de 20 000 fr. à titre de dépens;

    4. Communique le présent jugement en copie aux
mandataires des parties.

                        ____________

Lausanne, le 11 décembre 2001
ECH

                 Au nom de la Ie Cour civile
                 du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
                        Le Président,

                        La Greffière,