Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 99 IA 689



99 Ia 689

79. Arrêt du 11 juillet 1973 dans la cause Praz contre Conseil d'Etat du
canton de Genève Regeste

    Demonstration auf öffentlicher Strasse; Verweigerung der Bewilligung.

    1.  Kassatorische Natur der staatsrechtlichen Beschwerde; Ausnahme
(Erw. 2).

    2.  Aktuelles und unmittelbares Interesse an der Beschwerde; Ausnahme
(Erw. 3).

    3.  Begründung des kantonalen Entscheides (Erw. 5).

    4.  Erfordernis der Bewilligung für eine Demonstration auf öffentlichem
Grund (Erw. 6).

    5.  Gründe, die eine Verweigerung der Bewilligung rechtfertigen;
Verhältnismässigkeit (Erw. 7).

Sachverhalt

    A.- Par lettre du 23 juin 1972, Narcisse René Praz a demandé au
Département de justice et police du canton de Genève, au nom du journal
"La Pilule" dont il est l'éditeur et le rédacteur en chef, l'autorisation
"d'organiser une manifestation de rue pacifique, dans le but d'attirer
l'attention des gens sur la nécessité urgente d'obtenir que soient
désarmés tous les policiers suisses, tous les douaniers suisses, tous les
gardes-chasse suisses". La manifestation devait avoir lieu le 28 juin,
à 18 h 15, du boulevard Carl-Vogt à la place du Bourg-de-Four. Le 26
juin, Praz a adressé au Département de justice et police un télégramme
l'informant que, sans réponse affirmative jusqu'à midi, il reporterait la
manifestation au 30 juin. N'ayant pas reçu de réponse, il a écrit dans le
même sens des lettres au Département de justice et police et au Conseil
d'Etat le 28 juin. Ce même jour, le Département de justice et police a
écrit à Praz pour l'informer que sa demande avait été soumise au Conseil
d'Etat, qui avait décidé de refuser l'autorisation demandée.

    B.- Agissant par la voie du recours de droit public, Praz et "La
Pilule" concluent à l'annulation de la décision du Conseil d'Etat. Praz
demande de plus au Tribunal fédéral de dire que luimême et le journal
"La Pilule", dont il est l'éditeur, sont autorisés à organiser une
manifestation de rue pacifique dans le but d'attirer l'attention
de l'opinion publique sur la nécessité urgente d'obtenir que soient
désarmés tous les policiers suisses, tous les douaniers suisses et
tous les gardes-chasse suisses. Ils se plaignent d'une violation des
droits constitutionnels des citoyens, en particulier de l'art. 4 Cst. Ils
affirment que la décision du Conseil d'Etat viole la liberté d'expression
et la liberté de réunion, ainsi que le principe de la proportionnalité.

    Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- (Question de procédure.)

Erwägung 2

    2.- Le recours de droit public ne peut tendre en principe qu'à
l'annulation de la décision attaquée. Est dès lors irrecevable
la conclusion qui demande au Tribunal fédéral d'accorder luimême
l'autorisation sollicitée. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une autorisation
de police, le recourant peut requérir la cour de céans d'enjoindre à
l'autorité cantonale d'accorder une autorisation refusée prétendument
à tort.

Erwägung 3

    3.- La manifestation envisagée aurait dû se dérouler le 28 juin 1972,
éventuellement le 30 juin. Déposé le 28 juillet 1972, le présent recours
est postérieur à ces deux dates, de sorte que même s'il était admis, la
manifestation ne pourrait avoir lieu aux dates envisagées. Mais le recours
n'est pas irrecevable pour autant: le Tribunal fédéral renonce en effet
à l'exigence de l'intérêt actuel et pratique à l'admission d'un recours
lorsque cette exigence fait obstacle au contrôle de la constitutionnalité
d'un acte qui peut se reproduire dans les mêmes conditions (RO 97 I 918
et les arrêts cités). La recevabilité du recours doit d'autant plus
être admise en l'espèce que les recourants ont déclaré vouloir reporter
la manifestation à une date ultérieure. 4. - (Epuisement des instances
cantonales.)

Erwägung 5

    5.- Les recourants déclarent expressément ne pas contester la
base légale invoquée par le Conseil d'Etat pour refuser l'autorisation
sollicitée, dès lors que ce refus peut être fondé aussi bien sur la clause
générale de police que sur l'art. 2 lettre d du règlement genevois sur
la tranquillité publique que le Conseil d'Etat a édicté le 8 août 1956
en application de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1941. Selon
cette disposition, sont interdits:

    "les sérénades et aubades, "répétitions marchantes", roulements de
tambours, cortèges, rassemblements, assemblées, meetings, réunions ou
autres manifestations analogues qui ont lieu sur la voie publique et pour
lesquels le département de justice et police n'a pas accordé préalablement
son autorisation. L'autorisation doit être requise au moins quarante-huit
heures d'avance avec tous renseignements à l'appui."

    Les recourants entendent en revanche contester "les raisons ayant
amené le Conseil d'Etat à refuser la demande d'autorisation ou plutôt
... l'absence de motif à l'appui de ladite décision".

    Ils ne paraissent cependant pas vouloir tirer d'une telle absence de
motif le grief de violation du droit d'être entendu. A tout le moins, s'ils
entendaient le faire, leur recours ne satisferait pas aux prescriptions de
forme prévues à l'art. 90 al. 1 lettre b OJ, selon lequel le recours doit
contenir un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes
juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Les recourants
ne font état d'aucune disposition du droit cantonal qui eût imposé au
Conseil d'Etat l'obligation de motiver sa réponse; ils ne se plaignent pas
non plus d'une violation du droit d'être entendu découlant directement de
l'art. 4 Cst. Selon la jurisprudence, on ne saurait d'ailleurs formuler
des exigences trop grandes à l'égard de l'administration, lorsque le
droit cantonal ne prévoit pas l'obligation de motiver, notamment lorsque
l'intéressé peut se rendre compte des motifs qui ont conduit l'autorité
à opposer un refus à sa requête (RO 96 I 723).

    En l'espèce, l'absence de motif pouvait s'expliquer par le temps
très bref qui s'est écoulé entre le moment où l'autorité cantonale a
reçu la demande du vendredi 23 juin et le moment où elle a dû y répondre
(mercredi 28 juin). Mais l'absence de motif dans la décision attaquée n'a
pas entravé les recourants dans la défense de leurs droits: le Conseil
d'Etat a indiqué les motifs de son refus dans sa réponse au recours
de droit public, au sujet de laquelle les recourants ont pu largement
s'exprimer dans un mémoire complétif, en application de l'art. 93 OJ.

    En réalité, c'est au bien-fondé de ces motifs que les recourants s'en
prennent essentiellement, et c'est la question qu'il y a lieu d'examiner
spécialement.

Erwägung 6

    6.- La constitution fédérale garantit de façon expresse la liberté
de conscience et de croyance (art. 49), la liberté de la presse (art.
55) et la liberté d'association (art. 56); le Tribunal fédéral reconnaît
en outre l'existence de droits constitutionnels non écrits, notamment la
liberté de réunion et la liberté d'expression (RO 96 I 224 et 592, 97 I
896 et 914), qu'il considère comme la condition de l'exercice d'autres
libertés et le fondement indispensable de l'ordre juridique suisse et
de la démocratie. Mais le Tribunal fédéral admet lui-même qu'il ne faut
user qu'avec prudence du procédé consistant à reconnaître l'existence
de droits constitutionnels non écrits (RO 96 I 107 et 223; cf. AUBERT,
Traité de droit constitutionnel suisse, no 312 p. 125).

    Au sujet de la liberté de manifestation, qui ne figure pas parmi les
garanties expresses de la constitution, le Tribunal fédéral a examiné,
dans l'arrêt Nöthiger et Pinkus (RO 96 I 224), s'il y avait lieu de lui
reconnaître le caractère de droit constitutionnel non écrit, à côté de
la liberté d'expression et de la liberté de réunion. Aussi longtemps,
a-t-il relevé, que la manifestation prend la forme d'une réunion et
se déroule sur propriété privée, la protection découlant de la liberté
d'expression et de la liberté de réunion apparaît pleinement suffisante;
en revanche, le problème se pose de façon différente lorsqu'il s'agit
de manifestations sur le domaine public, notamment de cortège sur une
voie publique: dans ce cas, il y a usage accru du domaine public, de
sorte que les autorités ont la faculté d'exercer, en vue de sauvegarder
l'intérêt public, un contrôle plus étendu que s'il s'agit d'une réunion
sur propriété privée. Aussi a-t-il pu se dispenser de trancher la question
dans l'arrêt Nöthiger. On peut également se dispenser de la trancher ici.

    En effet, le Conseil d'Etat ne conteste pas aux citoyens le droit de
manifester dans la rue, mais il déclare vouloir être juge de l'opportunité
ou de l'inopportunité d'une manifestation, des limites qu'il s'impose
de lui assigner quant aux lieux où elle doit se dérouler, quant aux
formes et modalités qu'elle doit revêtir sur la voie publique, quant à
la fréquence aussi de telles manifestations. De leur côté, les recourants
reconnaissent expressément la légalité de l'art. 2 du règlement genevois
du 8 août 1956 et admettent que la manifestation envisagée ne pouvait
avoir lieu sur la voie publique qu'avec l'autorisation du Département
de justice et police. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ils ont
eux-mêmes requis une telle autorisation.

Erwägung 7

    7.- Le point essentiel à examiner est ainsi celui de savoir si le
Conseil d'Etat était fondé à refuser l'autorisation sollicitée in casu.

    Selon la jurisprudence, l'autorité compétente n'est pas libre
d'accorder ou de refuser une autorisation de police; lorsqu'il s'agit de
manifestation sur la voie publique, elle ne saurait donner la préférence
inconditionnelle au seul trafic; saisie d'une demande d'autorisation,
elle doit peser les intérêts en présence selon des critères objectifs et
prendre sa décision en appréciant équitablement la situation (RO 96 I 232).

    a) Le Conseil d'Etat affirme avoir procédé de cette façon. Il relève
que les manifestations sont nombreuses à Genève et produit un dossier
dont il résulte que, durant la période du 17 mai 1968 au 13 juin 1972,
27 manifestations ont été autorisées - totalement ou partiellement - sur
la voie publique, tandis que 10 manifestations étaient interdites. Sur les
27 manifestations autorisées, 13 l'ont été avec cortège; en revanche, pour
4 d'entre elles, les cortèges ont été interdits. Il ajoute qu'à diverses
reprises des manifestants, généralement étrangers aux organisateurs
de la manifestation, ont commis diverses déprédations (bris de vitres,
dégâts à des voitures).

    Les raisons qui ont amené le Conseil d'Etat à refuser en l'espèce
l'autorisation sollicitée sont exposées dans son mémoire de réponse;
elles sont, en bref, les suivantes:

    Praz, qui édite un journal satirique, s'en prend constamment aux
corps constitués, et notamment à la police; ses écrits ont contribué à
préparer le climat d'agitation et d'opposition dans lequel s'est déroulée
la visite à Genève du Shah d'Iran, donnant lieu, le 13 juin 1972, à
une manifestation interdite et à des affrontements violents entre les
participants et la police, causant pour quelque 10 000 francs de dégâts
matériels. La demande d'autorisation des recourants a été déposée 10
jours après la manifestation du 13 juin, et la manifestation envisagée
présentait un caractère provocateur évident, le cortège devant se former
aux abords de l'Hôtel de police, pour gagner le Bourg-de-Four, siège des
autorités politiques et judiciaires. Cette manifestation était prévue dans
une période où un état de tension régnait au sein du corps de police, à
la suite des articles parus dans "La Pilule" et dans "une certaine presse
à grand tirage", et où, à la suite des événements précités, un climat de
malaise s'était institué entre la population et le corps de police.

    Le Conseil d'Etat a craint dès lors que la manifestation envisagée par
Praz ne créât "chez les esprits déjà sensibilisés un climat franchement
hostile aux corps constitués visés". Et la situation déjà tendue aurait
pu s'aggraver au risque d'engendrer des affrontements violents entre
éléments incontrôlés, manifestants et forces de l'ordre.

    Il ajoute qu'il ne se justifie pas, pour donner satisfaction à
quelques esprits animés d'une obsession anti-policière, antidouanière,
voire anti-uniforme, de créer un climat d'insécurité et de paralyser des
voies de circulation. Les contribuables genevois auraient difficilement
admis que l'on oblige les forces de police à accomplir des heures
supplémentaires dans un climat de tension pour sauvegarder des intérêts
privés pour le moins discutables. Il déclare enfin qu'il lui appartient de
prendre en considération le renom international de Genève, qui est terni
lorsque de telles manifestations dégénèrent et que leurs participants
s'en prennent à des biens étrangers.

    b) Le recourant a sans doute le droit - qui ne lui est d'ailleurs
pas contesté - de défendre son opinion tendant au désarmement des forces
de police et des corps similaires. Il peut ainsi organiser en salle une
réunion publique dans laquelle il défendrait les thèses exposées dans
sa requête au Département. Mais s'il entend organiser un cortège pour
défendre ces thèses, il appartient alors aux autorités, responsables de
l'ordre et de la sécurité publics, d'examiner la demande d'autorisation
en fonction notamment du règlement sur la tranquillité publique.

    Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité supérieure de surveillance
qui puisse se substituer au Conseil d'Etat pour apprécier les circonstances
de fait et se prononcer librement sur le point de savoir si les craintes
de l'autorité cantonale étaient fondées ou non. Même là où son pouvoir
d'examen n'est pas limité à l'arbitraire parce qu'est en jeu la liberté
individuelle - invoquée également par les recourants à côté de l'art. 4
Cst. -, le Tribunal fédéral s'impose une certaine retenue à l'égard des
constatations de fait de la décision attaquée (RO 92 I 33).

    Dans la présente espèce, le Tribunal fédéral constate qu'effectivement
la requête des recourants a fait suite à des affrontements sérieux qui
ont opposé certains éléments de la population aux forces de police
et qui ont provoqué des désordres et des déprédations. Comme une
certaine tension régnait à Genève à l'époque, il n'était pas exclu
que la manifestation projetée par les recourants pût donner lieu à
de nouveaux affrontements. Des désordres et des déprédations étaient
d'autant plus à craindre que le recourant Praz n'agissait pas au nom d'un
groupe de citoyens, mais entendait prendre à lui tout seul l'initiative
d'organiser un cortège; ainsi n'offrait-il pas les garanties que peut
en général présenter, pour l'organisation d'une manifestation publique,
un groupe structuré, tel qu'un parti politique ou une organisation
analogue. L'expérience a démontré que lorsqu'il s'agit de problèmes
politiques délicats, les organisateurs doivent disposer d'une structure
suffisante pour pouvoir maintenir une certaine discipline parmi les
manifestants et rester maîtres de la manifestation. Les recourants n'ont
ni prouvé ni même allégué qu'une telle structure existât au sein du journal
"La Pilule".

    On ne saurait dès lors reprocher au Conseil d'Etat d'avoir abusé de son
pouvoir d'appréciation en refusant d'accorder l'autorisation sollicitée.

    c) Les recourants allèguent également la violation du principe de
la proportionnalité, en soutenant que le Conseil d'Etat, plutôt que
d'interdire la manifestation, aurait pu se contenter d'en modifier le
parcours, voire l'horaire. Le Conseil d'Etat estime qu'il n'en est rien;
une telle modification, dit-il, n'aurait entraîné aucun apaisement ni
prévenu les désordres que l'on pouvait craindre.

    Le cortège projeté devait suivre un certain parcours, c'est-à-dire
conduire les manifestants de l'Hôtel de police au Palais de justice et
au Département de justice et police; cette circonstance a été considérée
par le Conseil d'Etat comme un élément provocateur. Mais les manifestants
auraient pu envisager eux-mêmes une modification du parcours; il n'en ont
rien fait. D'ailleurs le Conseil d'Etat a rendu plausible que ce n'est
pas seulement le parcours, mais le principe même du cortège envisagé qui
pouvait le rendre dangereux pour l'ordre public. Il n'a donc pas porté
atteinte au principe de la proportionnalité en refusant l'autorisation
sollicitée.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral: Rejette le recours.