Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 98 IA 105



98 Ia 105

15. Arrêt du 10 mars 1972 dans la cause Jaggi contre Grand Conseil et
Conseil d'Etat du canton de Neuchâtel. Regeste

    Kantonales Verfassungsrecht. Delegation der Rechtsetzungsbefugnis an
die Exekutive.

    Zulässigkeit der staatsrechtlichen Beschwerde nach Art. 84 und 85 OG
(Erw. 1).

    Voraussetzungen, unter denen eine Befugnis der gesetzgebenden Behörde
an die Exekutive delegiert werden darf (Bestätigung der Rechtsprechung);
Bejahung dieser Voraussetzungen im vorliegenden Falle (Erw. 2).

Sachverhalt

    A.- Selon l'art. 18 de la constitution neuchâteloise, "le peuple
exerce la souveraineté par le concours de trois pouvoirs distincts et
séparés: le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et administratif,
le pouvoir judiciaire".

    L'art. 39 al. 1 de la même constitution définit par une énumération
les attributions du Grand Conseil, lequel exerce principalement le pouvoir
législatif (art. 23). Il ressort notamment de cette énumération que le
Grand Conseil "arrête le budget de l'Etat" et "fixe le traitement des
fonctionnaires".

    Selon l'art. 39 al. 2, "les lois sont soumises à l'adoption ou au
rejet du peuple, si la demande en est faite par 6000 électeurs". Il en
est de même "des décrets qui sont d'une portée générale et qui n'ont
pas un caractère d'urgence". En vertu de l'art. 39 al. 3, sont soumis
obligatoirement au vote du peuple "les lois et décrets entraînant une
dépense non renouvelable supérieure à 200 000 francs ou une dépense
renouvelable supérieure à 30 000 francs par an".

    B.- Le 19 octobre 1971, le Grand Conseil adopta par 96 voix sans
opposition une nouvelle "loi concernant les traitements des titulaires
de fonctions publiques grevant le budget de l'Etat". Selon l'art. 2 de
cette loi, le traitement comprend le traitement de base, l'allocation
supplémentaire et les allocations diverses. Les art. 5 à 22 (chapitre II)
fixent le traitement de base et règlent le passage du minimum au maximum.
L'art. 23 (chapitre III) par le de l'allocation supplémentaire dans les
termes suivants:

    "Dans la mesure où l'indice suisse des traitements versés aux employés,
tel qu'il est déterminé par le Département fédéral de l'économie publique,
se sera modifié par rapport à l'indice d'octobre 1971, le Conseil d'Etat
est autorisé soit à décider le versement d'une allocation supplémentaire
adéquate aux titulaires de fonctions publiques grevant le budget de l'Etat,
soit à modifier en conséquence le taux d'une allocation supplémentaire déjà
accordée précédemment, soit encore à réduire congrûment les traitements
prévus au chapitre II.

    Dans la mesure où l'indice suisse des prix à la consommation établi par
le Département fédéral de l'économie publique aura subi une hausse de trois
points ou davantage depuis le 30 avril 1971 ou depuis la date à laquelle
l'allocation supplémentaire a été fixée pour la dernière fois, le taux de
l'allocation sera en tout cas adapté en conséquence par le Conseil d'Etat.

    Les mesures prévues au présent article sont prises après consultation
des associations du personnel."

    Dans son rapport, la commission du Grand Conseil avait souligné
que cet art. 23 contenait deux notions bien distinctes. Le deuxième
alinéa, disait-elle, confirme une disposition en vigueur qui permet une
adaptation automatique des traitements à l'indice suisse des prix à la
consommation. Le premier alinéa va plus loin, en ce qu'il autorise le
Conseil d'Etat à adapter les traitements à l'indice suisse des salaires
versés aux employés, cette faculté pouvant avoir pour conséquence de
"revaloriser" les salaires réels des fonctionnaires.

    Dans son propre rapport, le Conseil d'Etat avait déjà signalé que
l'art. 23 al. 1 du projet constituait une innovation, et il relevait que
ce système avait été adopté par le canton de Soleure, pour permettre
d'adapter constamment à l'évolution de la situation en Suisse les
traitements versés aux serviteurs de l'Etat. La nouvelle disposition
ne devait donner au gouvernement qu'une faculté, sans obligation, en
lui laissant une certaine marge de manoeuvre lui permettant de prendre
sa décision à la lumière de la situation économique du canton et de la
situation financière de l'Etat et des communes.

    Au cours des débats parlementaires, le député Jean-Claude Jaggi,
exprimant l'avis de son groupe, attira l'attention sur l'importante
innovation que constituait l'art. 23 al. 1 du projet; il se demanda s'il
n'y avait pas là une entorse à l'art. 39 Cst. cant., en tant que cette
disposition donne au Grand Conseil la compétence de fixer le traitement
des fonctionnaires. Mais il ne présenta aucune proposition divergente.

    L'art. 40 de la nouvelle loi disposait que celle-ci serait soumise
au vote du peuple. La votation eut lieu les 4/5 décembre 1971. La loi
fut acceptée.

    C.- Par acte du 30 décembre 1971, Jean-Claude Jaggi a formé un
recours de droit public par lequel il demande l'annulation de l'art.
23 al. 1 de la nouvelle loi sur les traitements. Il se fonde sur l'art. 84
al. 1 lit. a OJ. Il soutient que la disposition attaquée viole l'art. 39
al. 1 Cst. cant., en ce qu'elle prive le Grand Conseil d'une de ses
attributions constitutionnelles au profit du Conseil d'Etat. Il fait en
outre valoir qu'elle porte atteinte "aux droits référendaires du peuple",
en violation des règles sur le référendum financier obligatoire. La voie
budgétaire que le Conseil d'Etat pourra désormais utiliser en vertu
de l'art. 23 al. 1 de la nouvelle loi priverait même le peuple de la
possibilité du référendum facultatif, le budget n'étant pas soumis à ce
référendum en droit neuchâtelois. Pour donner au Conseil d'Etat cette
compétence nouvelle, il aurait fallu modifier la constitution, en suivant
la procédure des art. 82 à 85 Cst. cant. Le recourant invoque à ce propos
le principe du parallélisme des formes.

Auszug aus den Erwägungen:

Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- a) Présenté dans les formes requises et dirigé contre un acte de
droit public qui n'était évidemment susceptible d'aucun recours de droit
cantonal, le recours a en outre été formé en temps utile. S'agissant d'un
acte de portée générale soumis au référendum obligatoire, constitue en
effet communication au sens de l'art. 89 al. 1 OJ la publication officielle
du résultat de la votation populaire (BIRCHMEIER, Bundesrechtspflege,
p. 381). La date de cette publication n'est en l'espèce pas connue. Mais
peu importe, étant donné que le recours a été déposé moins de trente
jours après la votation populaire elle-même. Le recours est donc en
principe recevable.

    b) La question se pose cependant de savoir si Jean-Claude Jaggi avait
qualité pour recourir (art. 88 OJ). Pour pouvoir se fonder sur l'art. 84
al. 1 lit. a OJ, ainsi qu'il le fait, il aurait en effet fallu qu'il soit
personnellement lésé, à titre virtuel tout au moins, par la disposition
attaquée. Or tel n'est manifestement pas le cas. Les mesures que le Conseil
d'Etat pourra prendre à l'avenir en vertu de la délégation de pouvoir
contestée ne sont elles-mêmes pas de nature à toucher personnellement le
recourant, qui ne prétend pas être au nombre des "titulaires de fonctions
publiques grevant le budget de l'Etat".

    Le recourant se plaint d'un empiétement sur les attributions
constitutionnelles du Grand Conseil, mais ni sa qualité de citoyen ni
même celle de député ne lui donnaient la faculté de faire valoir un tel
grief (RO 82 I 98; arrêt Dupraz et consorts c. Fribourg, du 30 juin 1971,
consid. 2 in fine).

    Toutefois, se prévalant de sa qualité incontestée de citoyen actif,
c'est-à-dire d'électeur, le recourant soutient que la délégation de pouvoir
qu'il conteste porte atteinte aux "droits référendaires" du peuple,
en ceci qu'à l'avenir le Conseil d'Etat pourra par sa seule décision
majorer les traitements des fonctionnaires au-delà de la compensation
du renchérissement, en évitant non seulement le référendum obligatoire,
mais aussi le référendum facultatif. En cela, le recours relève de
l'art. 85 lit. a OJ, et il est recevable de la part d'un citoyen actif,
abstraction faite de tout intérêt personnel (RO 71 I 311, 89 I 260; arrêt
Dupraz et consorts précité, consid. 3). Il est vrai que la prétendue
atteinte au droit de référendum n'est encore que virtuelle en l'espèce;
elle ne deviendra effective - à supposer qu'elle existe - qu'au moment où
le Conseil d'Etat fera usage de la faculté que lui donne la disposition
attaquée. Mais peu importe, car mieux valait dans l'intérêt de la sécurité
du droit que le Tribunal fédéral soit appelé à dire maintenant déjà si la
délégation de pouvoir dont il s'agit était conforme à la constitution. Le
recourant a donc eu raison d'agir immédiatement.

Erwägung 2

    2.- Ce dont le recourant se plaint, c'est d'une délégation de pouvoir
qui serait selon lui inconstitutionnelle, étant donné que l'art. 39
al. 1 Cst. cant. attribue au Grand Conseil la compétence de fixer les
traitements des fonctionnaires.

    Même dans les cantons où la constitution, comme celle du canton de
Neuchâtel (art. 18), consacre expressément le principe de la séparation
des pouvoirs, la délégation d'une compétence de l'autorité législative
à l'autorité exécutive n'est pas absolument exclue. En accord avec la
doctrine dominante, et en dépit de l'opinion divergente de GIACOMETTI
notamment (Allgemeine Lehren des rechtsstaatlichen Verwaltungsrechts,
p. 158 ss.), le Tribunal fédéral admet depuis longtemps, et de façon
constante, qu'une telle délégation est possible à la triple condition de
n'être pas prohibée par la constitution elle-même, de se limiter chaque
fois à une matière déterminée, avec des directives précises portant sur
l'essentiel lorsqu'il s'agit de toucher gravement à la situation juridique
des administrés, et enfin d'être consentie par un acte soumis au référendum
lorsque la mesure à prendre en vertu de la délégation l'aurait elle-même
été si elle avait été prise par l'autorité législative (RO 88 I 33 ss.;
91 I 407; 92 I 45; 93 I 333/4; 94 I 36; 96 I 712). Cette jurisprudence
a reçu l'approbation de la doctrine la plus récente (AUBERT, Traité de
droit constitutionnel suisse, nos 1528 à 1536; GRISEL, Droit administratif
suisse, p. 84/85).

    En l'espèce, toutes ces conditions sont réalisées, ainsi qu'on va
le voir:

    a) On ne trouve dans la constitution neuchâteloise aucune disposition
prohibant la délégation de pouvoir de l'autorité législative à l'autorité
exécutive, et le recourant n'en invoque aucune. En fait, cette délégation
est fréquente, et parfois plus importante qu'en l'espèce, ainsi que cela
ressort de la réponse du Conseil d'Etat.

    Il ne saurait être question de soutenir - ce que le recourant
ne fait d'ailleurs pas - qu'en mentionnant spécialement la fixation
des traitements des fonctionnaires parmi les attributions du Grand
Conseil, le constituant a voulu exclure toute délégation de pouvoir
sur ce point. S'il en a expressément parlé, c'est sans doute parce
qu'il s'agissait là d'une compétence qui, de par sa nature, n'est pas
législative, mais relève plutôt de l'administration, sous réserve de
l'approbation du budget. Elle n'était donc pas nécessairement couverte
par la clause générale disant que le Grand Conseil "décrète et abroge les
lois". Il serait en outre paradoxal que la délégation soit possible pour
de véritables mesures législatives, lesquelles peuvent porter atteinte à
la situation juridique des administrés, et qu'elle ne le soit jamais, même
dans d'étroites limites, s'agissant des traitements des fonctionnaires.

    b) La délégation ne porte en l'espèce que sur une question déterminée:
l'adaptation des traitements au niveau général des salaires des employés
en Suisse. Les traitements de base, ainsi que les classes et les échelles
de traitement, restent fixés par la loi elle-même, et ne pourront
être modifiés que par elle, de même que les augmentations individuelles
périodiques par rapport au traitement de base et les allocations diverses
(allocation de ménage, allocation pour enfants, allocation pour personnes
à charge, primes de fidélité: art. 24 à 28 de la nouvelle loi). La
délégation est non seulement limitée, mais encore précise quant à la
mesure dans laquelle pourront intervenir les adaptations décrétées par le
Conseil d'Etat, puisque celles-ci ne pourront en tout cas pas dépasser
l'indice suisse des traitements versés aux employés, tel que déterminé
par le Département fédéral de l'économie publique. Même si l'on voulait
s'inspirer de l'art. 80 al. 1 de la loi fondamentale de la République
fédérale d'Allemagne, ainsi que le préconisent AUBERT (loc. cit., p. 551)
et GRISEL (loc. cit., p. 85), il faudrait dire que la clause de délégation
était ici acceptable, étant donné qu'elle indique l'objet, le but et
l'étendue (Inhalt, Zweck und Ausmass) de la compétence accordée.

    c) Enfin, la loi du 19 octobre 1971, et avec elle la disposition ici
attaquée, ont été soumises au référendum obligatoire, et le peuple les
a acceptées. Ce faisant, il a expressément donné son propre consentement
à la clause de délégation.

    Selon le recourant, le peuple ne se serait cependant rendu compte
ni de la portée financière de l'art. 23 al. 1 de la loi sur laquelle il
devait se prononcer, celle-ci lui ayant été soumise dans son ensemble, ni
de la question constitutionnelle qui se posait. Mais cet argument n'est pas
fondé, car, en cas de votation sur une loi, il appartient à chaque électeur
conscient de ses responsabilités d'en examiner toutes les dispositions et,
s'il en désapprouve une, il a la faculté de rejeter le tout, ainsi que cela
s'est d'ailleurs déjà vu. Au demeurant, le recourant ayant lui-même soulevé
la question de constitutionnalité au Grand Conseil, rien ne l'empêchait
d'attirer l'attention des citoyens sur ce point par des conférences,
des articles de presse ou de toute autre manière, personnellement ou par
l'intermédiaire de son parti. Il ne dit même pas l'avoir fait.

    d) Le recourant invoque le principe du parallélisme des formes, en
citant l'arrêt Blaser (RO 94 I 29 ss. consid. 3). Ce principe signifie
notamment que le législateur ne peut s'écarter d'une loi sujette
au référendum par un décret qui y est soustrait, et que l'autorité
législative ne saurait déléguer ses compétences à l'autorité exécutive,
en l'habilitant à s'écarter de la législation en vigueur, que par un
texte soumis au référendum. Or, de ces deux points de vue, le principe du
parallélisme des formes a été respecté en l'espèce. Ce que le recourant
soutient cependant, en invoquant ce principe, c'est qu'il aurait fallu
reviser la constitution, en suivant la procédure prévue à cet effet,
pour que la compétence de modifier les traitements des fonctionnaires
puisse être transférée du Grand Conseil au Conseil d'Etat.

    Cette manière de voir n'est pas fondée. En effet, il n'y a pas
eu matériellement modification de la constitution cantonale, puisque
celle-ci ne prohibe pas la délégation de pouvoir lorsqu'elle intervient aux
conditions définies plus haut et réalisées en l'espèce. Il n'aurait fallu
procéder à une revision constitutionnelle que si le Grand Conseil avait
entendu se dessaisir de façon générale et définitivement de son pouvoir
de fixer les traitements des fonctionnaires, ce qui n'est pas le cas.

    Aucun des griefs du recourant n'étant ainsi fondé, le recours doit
être rejeté.