Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 97 I 911



97 I 911

131. Extrait de l'arrêt du 17 novembre 1971 dans la cause Arnet et consorts
contre Cour de justice du canton de Genève Regeste

    Versammlungsfreiheit. Staatsrechtliche Beschwerde gegen
Vollzugsmassnahmen. Art. 89 OG.

    1.  Versammlungsfreiheit: auföffentlichemBoden,
aufprivatemBoden. Erfordernis einer vorherigen Bewilligung für eine
Demonstration auf öffentlichem Boden (Erw. 3).

    2.  Staatsrechtliche Beschwerde gegen Vollzugsmassnahmen: Berufung
auf unverjährbare und unverzichtbare verfassungsmässige Rechte, Berufung
auf andere verfassungsmässige Rechte (Erw. 4 a und b).

    Erschöpfung des kantonalen Instanzenzuges (Erw. 4 c).

    Aktuelles praktisches Interesse an der Beschwerde (Erw. 4 d).

Sachverhalt

                        Résumé des faits

    A.- Par lettre du 31 mai 1970, un "Comité de solidarité avec
les objecteurs de conscience" a demandé au Conseiller administratif
responsable du Service des parcs et promenades de la Ville de Genève,
ainsi qu'au Conseiller d'Etat chargé du Département de justice et police,
l'autorisation "d'organiser une manifestation non violente de solidarité
avec les objecteurs de conscience, du vendredi 5 juin à 11 heures
jusqu'au dimanche 7 juin à 22 heures". Cette manifestation devait se
tenir au centre de la plaine de Plainpalais. Aucun déplacement n'était
prévu, mais de grandes tentes devaient être installées pour servir de
stand le jour et de camping la nuit. Selon un tract distribué plus
tard pendant la manifestation, il s'agissait d'une "grève de la faim"
parallèle à celle qu'avaient décidé de faire pendant leur détention
trois objecteurs de conscience condamnés pour avoir refusé de payer la
taxe militaire. Il était prévu que, le dimanche 7 juin, trois citoyens
enverraient collectivement au Département militaire fédéral une lettre
exprimant leur refus de servir dorénavant dans l'armée. Le tract invitait
à venir sur la plaine de Plainpalais pour y discuter avec les grévistes,
pour signer une pétition destinée à accompagner la lettre de refus de
servir, pour écouter la lecturespectacle "Procès d'un objecteur" et pour
participer totalement ou partiellement au jeûne.

    Par lettre du 3 juin 1970, le Conseil administratif de la Ville de
Genève a refusé l'autorisation demandée, en considérant qu'il n'était "pas
opportun d'admettre qu'une manifestation puisse monopoliser, notamment
par l'installation de tentes, une partie de la plaine de Plainpalais
pendant trois jours, précédent qui ne manquerait pas d'être invoqué en
d'autres occasions". Par lettre du 4 juin, le Conseiller d'Etat chargé
du Département de justice et police a, lui aussi, refusé d'autoriser la
manifestation, en raison de la décision prise par le Conseil administratif.

    Les organisateurs ont passé outre au refus d'autorisation et la
manifestation a eu lieu, avec des attroupements. Une vingtaine de
"grévistes de la faim" ont campé sur la place de Plainpalais du 5 au
7 juin 1970, y faisant signer à 1600 personnes environ la pétition
annoncée par le tract. Tout s'est passé sans incident, dans le calme
et la dignité. La police n'est pas intervenue, si ce n'est que divers
agents de la gendarmerie cantonale se sont rendus à plusieurs reprises
sur les lieux pour prendre l'état civil des manifestants et les déclarer
en contravention, tout en saisissant des tracts.

    B.- Le Service cantonal des contraventions à infligé aux manifestants
des amendes allant de 50 à 125 fr.; ces amendes ayant été contestées,
le Procureur général a saisi le Tribunal de police pour diverses
infractions. Retenant l'infraction au "règlement des parcs, promenades et
jardins publics de la Ville de Genève" du 3 janvier 1969 (en abrégé: RPJ)
et se fondant sur l'art. 37 LPG, le Tribunal de police a condamné quatorze
contrevenants à 40 fr. d'amende et deux autres à 70 fr. d'amende, ces
derniers ayant une responsabilité accrue pour avoir, l'un, signé le tract
invitant la population à venir manifester en dépit du refus d'autorisation,
et l'autre pour avoir signé lui-même la demande d'autorisation, ce qui
aggravait le fait d'avoir passé outre.

    C.- Quinze des condamnés ayant appelé de ce jugement, la Cour de
justice (2e Section) a, par arrêt du 28 mai 1971, déclaré irrecevable
l'appel des contrevenants condamnés à des amendes de 40 fr. et non fondé
celui des deux autres, en confirmant le jugement attaqué.

    D.- Agissant par la voie du recours de droit public, les quinze
condamnés qui avaient fait appel requièrent le Tribunal fédéral d'annuler
l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève du 28 mai 1971.
Ils allèguent la violation des art. 4 et 58 Cst. et, subsidiairement,
la violation de la liberté de réunion.

    Ils soutiennent notamment que l'exigence d'une autorisation préalable
était, en l'espèce, d'une constitutionnalité douteuse, et que de toute
façon le refus de l'autorisation demandée était injustifié.

    E.- La Cour de justice se réfère aux considérants de son arrêt. Le
Ministère public du canton de Genève conclut au rejet du recours.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours dans la mesure où il était
recevable.

Auszug aus den Erwägungen:

                       Extrait des motifs:

Erwägung 3

    3.- Les recourants invoquent subsidiairement la violation de la liberté
de réunion. Ils ne contestent pas la validité formelle du règlement des
parcs, promenades et jardins publics de la Ville de Genève. Mais ils
mettent en doute la constitutionnalité de l'art. 10 de ce règlement,
qui soumet à l'exigence d'une autorisation préalable les manifestations
qui doivent se dérouler dans les parcs, promenades et jardins publics de
la ville.

    On peut douter qu'un tel grief puisse être soulevé contre la décision
attaquée, qui n'est pas une décision d'application de l'art. 10 RPJ
prétendument inconstitutionnel (cf. consid. 4 ci-dessous). Il n'est
cependant pas nécessaire de trancher la question, le grief soulevé se
révélant de toute façon mal fondé.

    a) La liberté de réunion est garantie par le droit constitutionnel
non écrit de la Confédération (RO 96 I 224). Comme toute liberté, elle
n'est cependant pas absolue; elle n'est garantie que dans les limites de
la constitution et de la loi; elle est notamment soumise aux restrictions
exigées par la sauvegarde de l'ordre public. Les recourants ne critiquent
pas la jurisprudence du Tribunal fédéral dans la mesure où elle a jugé
compatible avec la liberté de réunion l'exigence d'une autorisation
préalable pour une manifestation sur la voie publique (RO 96 I 224). En
revanche, ils mettent en doute la constitutionnalité de l'exigence de
l'autorisation préalable pour les manifestations qui doivent se dérouler
sur terrain privé, question laissée ouverte par l'arrêt précité. Ils
estiment que la manifestation qu'ils ont organisée sur la plaine de
Plainpalais, terrain privé de la Ville de Genève, pouvait l'être sans
autorisation préalable. Mais ils font confusion sur ce point.

    Dans l'arrêt précité (Nöthiger et Pinkus c. Zurich, RO 96 I 224,
230), c'est à propos d'une manifestation qui serait organisée sur la
propriété privée d'un tiers que la question de l'autorisation préalable
de l'autorité a été laissée ouverte. Or il va de soi que le propriétaire
civil peut, en vertu de son droit de propriété, s'opposer à ce qu'une
réunion ait lieu sur son fonds sans son consentement. Si donc la plaine
de Plainpalais était vraiment une pure propriété privée de la Ville de
Genève, comme le soutiennent avec insistance les recourants, le Conseil
administratif aurait pu, au nom de la commune propriétaire, interdire
purement et simplement que la manifestation prévue se déroule sur ce
terrain, sans qu'on ait à se demander si un tel refus était compatible
ou non avec la liberté de réunion, laquelle ne comprend en tout cas pas
le droit de s'assembler sur le fonds d'autrui.

    b) En réalité, si les recourants estiment qu'ils pouvaient utiliser
sans autorisation la plaine de Plainpalais, c'est bien en raison du
fait qu'elle sert à l'usage public, étant pratiquement ouverte à tout un
chacun comme n'importe quelle place relevant du domaine public cantonal
ou communal; en raison de sa destination et de son caractère, elle peut
être assimilée en effet à une dépendance du domaine public, quand bien
même elle n'en aurait pas le caractère formel selon le droit genevois.
D'ailleurs, si l'arrêt Nöthiger distingue entre les manifestations sur
terrain privé (soit pratiquement à l'intérieur de bâtiments) et celles qui
se déroulent sur le domaine public, c'est aussi parce que ces dernières
manifestations sont plus difficiles à tenir en main, qu'elles peuvent
dégénérer en actes de violence et qu'il faut compter avec le risque de
contre-manifestations. C'est bien le cas pour des manifestations qui
se dérouleraient sur la plaine de Plainpalais: il y a donc lieu de les
assimiler à des manifestations sur le domaine public. Or, comme on l'a
dit plus haut, les recourants ne contestent pas que ces manifestations
puissent être soumises à l'exigence de l'autorisation préalable.

Erwägung 4

    4.- Les recourants s'en prennent surtout au refus de l'autorisation
prévue par l'art. 10 RPJ, refus qu'ils qualifient d'incompatible avec
le droit constitutionnel invoqué. Mais ils n'ont pas recouru contre le
refus lui-même, dans le délai de trente jours dès sa notification. Ils
allèguent l'inconstitutionnalité du refus à l'occasion du recours contre
la décision qui leur inflige une amende en application de l'art. 15 du
règlement. Il faut examiner s'ils peuvent encore le faire valablement.

    a) Lorsqu'un justiciable entend alléguer l'inconstitutionnalité d'une
disposition de portée générale - légale ou réglementaire, cantonale ou
communale - il peut former un recours de droit public soit contre la
disposition elle-même, dans le délai de trente jours dès sa promulgation,
soit contre une décision appliquant cette disposition à un cas particulier,
dans le délai de trente jours dès la notification de ladite décision. Dans
le premier cas, il peut demander l'annulation de la disposition générale
elle-même et il a qualité pour le faire, à condition d'être touché
dans un intérêt personnel et juridique; il n'est pas nécessaire que la
disposition dont il se plaint lui soit actuellement applicable, il suffit
qu'elle puisse l'être un jour. Dans le second cas, il ne peut plus demander
l'annulation de la disposition générale elle-même, mais seulement celle de
la décision qui l'applique à un cas particulier; la qualité pour recourir
lui est alors reconnue s'il allègue que la décision attaquée le lèse
directement dans un intérêt juridique - en principe actuel - qui lui est
propre et correspond au droit constitutionnel dont il invoque la violation.

    Lorsque le recourant allègue l'inconstitutionnalité non pas de
la disposition générale elle-même, mais de son application au cas
particulier, il doit former son recours de droit public directement
contre cette décision, dansle délai de trentejours dès sa notification,
en alléguant que ladite décision le lèse dans des intérêts juridiquement
protégés qui lui sont propres et qui correspondent au droit constitutionnel
dont il invoque la violation. Il ne peut plus attaquer cette décision
ultérieurement, par exemple à l'occasion d'une décision ou d'une mesure
d'exécution ou de confirmation (RO 88 I 266, 90 I 349 s., 93 I 351). La
jurisprudence fait cependant une exception lorsque le droit constitutionnel
dont on allègue la violation est un droit imprescriptible et inaliénable;
mais il faut alors également que la décision ou la mesure d'exécution
ou de confirmation attaquée lèse le recourant dans un intérêt juridique
protégé par un tel droit (cf. RO 95 I 237 consid. 2 a, 88 I 266).

    b) En l'espèce, c'est la décision refusant l'autorisation qui constitue
un cas d'application de la norme; elle devait être attaquée dans les trente
jours dès la notification; elle ne peut plus l'être à l'occasion d'une
décision qui tire simplement la conséquence de cette première décision,
passée en force, faute d'avoir été attaquée. Elle ne pourrait l'être
encore que si elle constituait la violation d'un droit constitutionnel
imprescriptible et inaliénable.

    La distinction entre droits constitutionnels inaliénables et
imprescriptibles et droits constitutionnels ordinaires ne figure ni dans
la constitution, ni dans la loi d'organisation judiciaire; elle a été
introduite par la jurisprudence, qui a rangé dans la première catégorie
d'abord la liberté individuelle et la liberté d'établissement, pour en
élargir ensuite le catalogue par l'adjonction d'autres droits fondamentaux
de la personnalité, savoir la liberté de conscience, de croyance et de
culte, la liberté individuelle, la liberté du mariage, l'interdiction de
la prison pour dettes et des peines corporelles (RO 88 I 267, 93 I 351;
cf. aussi 95 I 237 consid. 2 a; BONNARD, Journal des tribunaux 1963 I 492
ss.). La liberté de réunion ne figure pas dans cette liste, qu'il n'y a
pas lieu d'étendre, en raison du caractère exceptionnel des dérogations
de procédure accordées aux droits qui y figurent.

    Au reste, la reconnaissance de la nature imprescriptible et inaliénable
à la liberté de réunion ne suffirait pas à rendre recevable le grief formé
contre le refus d'autorisation. En effet, le prononcé d'amende ne porte
pas en lui-même atteinte à la liberté de réunion, parce qu'il ne prononce
aucune interdiction et n'oblige qu'au paiement d'une somme d'argent,
d'ailleurs très modérée. La situation serait en revanche différente si
une peine privative de liberté avait été prononcée, car alors la liberté
personnelle - droit constitutionnel imprescriptible et inaliénable -
serait en jeu.

    c) On peut sans doute se demander si un prononcé d'amende peut
être assimilé à un acte d'exécution ou à une décision de confirmation.
C'est en fait un acte différent, qui ne consiste pas à exécuter ou à
confirmer une décision précédente, mais qui tire de cette décision -
demeurée inattaquée - une certaine conséquence juridique. Le fait cependant
qu'il s'agit d'une décision différente n'emporte pas comme conséquence
que le grief de violation constitutionnelle dirigé contre la première
décision puisse encore être recevable.

    Une raison en tout cas s'oppose à ce que l'on puisse remettre en
cause la constitutionnalité d'une décision administrative à l'occasion
d'un prononcé pénal. Sous réserve de certaines exceptions (énumérées
par l'art. 86 al. 2, 2e phrase, OJ et complétées par la jurisprudence:
cf. notamment RO 93 I 21, 96 I 643 s. et BIRCHMEIER, Organisation
der Bundesrechtspflege, p. 349 s.), justifiées par la nature même
des affaires en cause, la recevabilité du recours de droit public est
subordonnée à l'épuisement des voies de droit cantonal. Si l'administré
attend une condamnation pénale pour attaquer ensuite indirectement un refus
d'autorisation ou une interdiction contre lesquels il n'avait pas recouru,
les juridictions administratives cantonales n'auront pas eu l'occasion de
se prononcer au sujet des griefs soulevés contre la décision antérieure
prétendument inconstitutionnelle. Selon la jurisprudence, le juge pénal
n'a pas à examiner si la décision signifiée sous la menace de la peine
prévue à l'art. 292 CP était justifiée quant au fond et opportune (RO 90
IV 81 et les arrêts cités); cette règle vaut à plus forte raison lorsque
la sanction pénale est prévue non pas dans la décision elle-même, mais
dans une disposition de portée générale, comme c'est le cas en l'espèce
(art. 15 du règlement). Ainsi la constitutionnalité du refus d'autorisation
- non attaqué dans les délais - n'a pas pu être revue par les autorités
cantonales. Il n'y a pas de raison de la faire examiner directement par
le Tribunal fédéral, alors que les recourants pouvaient, en attaquant
à temps la décision administrative, parcourir normalement les diverses
voies de droit jusqu'au Tribunal fédéral.

    d) Les recourants objecteraient en vain que les circonstances ne
leur permettaient pas d'attendre une décision sur recours au sujet de
la constitutionnalité du refus opposé à l'autorisation sollicitée. Comme
ils étaient de toute façon décidés à passer outre au refus, ils auraient
très bien pu recourir contre ce refus, d'abord par les moyens de droit
cantonal, ensuite encore, le cas échéant, par la voie du recours de
droit public: dans un cas semblable, qui pouvait se reproduire dans
d'autres circonstances, le Tribunal fédéral aurait pu faire abstraction
de l'exigence de l'intérêt actuel (cf. RO 96 I 553, 94 I 33 et les arrêts
cités). Saisi de là dénonciation, le juge pénal aurait sans doute suspendu
l'examen de la cause jusqu'à droit connu sur le bien-fondé du refus.

    e) Pour toutes ces raisons, le grief d'inconstitutionnalité dirigé
contre le refus d'accorder l'autorisation sollicitée doit être déclaré
irrecevable.