Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 96 II 337



96 II 337

45. Arrêt de la Ire Cour civile du 26 octobre 1970 dans la cause La
Colline SA contre Etat de Vaud. Regeste

    Unzulässigkeit einer Schadenersatzklage gegen den Staat für Schäden
aus Bauarbeiten an einer Autobahn. Enteignung.

    1.  Vor der Übernahme des Werkes besteht keine Haftung des Eigentümers
gemäss Art. 58 OR, sondern einzig eine Haftung aus unerlaubter Handlung
(Erw. 2).

    2.  Haftung des Staates für Schäden aus Bauarbeiten an einer Autobahn;
zivilrechtliche Streitigkeit im Sinne von Art. 42 Abs. 1 OG (Erw. 3 und 4).

    3.  Haftung des Staates nach Art. 679 und 684 ZGB (Erw. 5).

    4.  Wann kann der Nachbar wegen übermässigen und unvermeidlichen
Einwirkungen aus einem staatlichen Grundstück auf dem Wege der Enteignung
Schadenersatz verlangen (Erw. 6)?

Sachverhalt

    A.- La Colline SA Territet, société immobilière fondée en 1964 et
dont le siège est à Montreux, est propriétaire de deux biens-fonds sis
au Mont-Fleuri, commune de Montreux:

    a) la parcelle no 5769 de 5397 m2, sur laquelle est édifiée une
ancienne clinique;

    b) la parcelle no 6739, de 20 007 m2, non bâtie.

    La Colline SA a transformé cette ancienne clinique en appartements
destinés à être revendus en propriété par étage. Elle a obtenu à cette
fin de la "Foundation of the Old Age" à Vaduz un crédit de construction
de 1 350 000 fr. au taux de 10%, puis de 12% l'an, dont le remboursement
était prévu grâce au produit des ventes. Elle se proposait de construire
ultérieurement divers bâtiments d'habitation sur la seconde parcelle. En
mai 1968, elle avait vendu 13 appartements et chambres indépendantes;
les autres droits étaient encore en sa propriété.

    B.- L'Etat de Vaud entreprend depuis plusieurs années la construction
de la route nationale no 9, dite autoroute du Léman. Dans la région de
Montreux-Glion-Territet, son tracé emprunte un secteur géologiquement
complexe de crêtes et de vallonnements, dont le franchissement est assuré
au moyen de ponts et de tunnels. La croupe de Mont-Fleuri se termine au
sud par une pente boisée très raide. Cet éperon rocheux est couvert de
moraines argileuses instables.

    Depuis 1957, de nombreuses études ont été ordonnées par le Département
cantonal vaudois des travaux publics et confiées au Laboratoire de
géotechnique de l'EPUL, puis à des géologues; des forages ont été
effectués. En 1964, l'ensemble du dossier a été soumis au Service
fédéral des routes et des digues. En 1965, le Conseil fédéral a approuvé
le projet de percement de deux tunnels parallèles sous le Mont-Fleuri,
à environ 100 mètres sous le bâtiment de La Colline SA Une galerie de
reconnaissance a été forée d'août 1966 à juillet 1967. L'entreprise
privée chargée de ce travail a procédé au décapage du pied du versant
sud du Mont-Fleuri; cette opération avait pour but de préparer le front
d'attaque des tunnels en le débarrassant des éboulis qui recouvraient le
roc. Ces travaux ont fait l'objet de contrôles suivis. Dès l'été 1967,
le percement de la galerie de reconnaissance a été poursuivi et a fait,
comme les précédents travaux, l'objet de contrôles hebdomadaires.

    L'attaque du portail d'entrée du tunnel amont a commencé au printemps
1968. En dépit des mesures prises, des mouvements de terrain se sont
produits en dessus du chantier. Ils ont provoqué la rupture d'une conduite
d'eau sur le plateau de Mont-Fleuri, à l'est du bâtiment de La Colline SA
Différentes fissures de roches ont été constatées, à fin mars et au début
d'avril. Dès le 1er mai, les mouvements de terrain se sont accélérés. Dans
la nuit du 2 au 3 mai, une violente secousse due à un tir d'abattage dans
le tunnel a été ressentie par les habitants du voisinage. Le 6 mai, un
"claquement" sec a marqué une rupture de la maçonnerie dans le bâtiment
de La Colline SA, suivie les jours suivants de nouvelles fissures et de
ruptures de conduites d'eau. Ces phénomènes faisaient suite à une période
très pluvieuse. Le 13 mai enfin, un important glissement de terrain
s'est produit en contre-bas du bâtiment de La Colline SA, recouvrant
tout le front d'attaque des tunnels. A partir du 20 mai, l'ensemble du
glissement a pu être stabilisé, notamment au moyen d'ancrages profonds
et d'injections de ciment effectués par l'entreprise.

    C.- Ces événements ont provoqué dans le bâtiment de La Colline SA
des dommages considérables; il a été "cassé en deux". Le 9 mai 1968, ses
habitants ont été contraints de l'évacuer. L'Etat de Vaud a procédé à la
réfection complète de l'immeuble, après l'avoir rétabli par vérinage;
il l'a réalisée à ses frais et à ses risques. Les propriétaires des
appartements vendus ont pu les réintégrer dès le 25 novembre 1969.

    D.- Les pourparlers engagés entre la propriétaire et l'Etat de
Vaud pour vider leur différend ont échoué. Les tentatives de réduire le
préjudice croissant du fait de l'accumulation des intérêts du crédit de
construction n'ont pas abouti.

    E.- La Colline SA a assigné l'Etat de Vaud, directement devant le
Tribunal fédéral, en dommages-intérêts (art. 42 OJ). Fondant son action
sur les art. 58 et 41 ss. CO, elle élève notamment contre le défendeur le
grief d'impéritie dans les études géologiques et d'un manque de précautions
dans l'exécution des travaux qui seraient la cause des glissements de
terrain et des dégâts causés à sa propriété. Ses conclusions tendent à
la réparation d'un triple préjudice, à savoir:

    a)  une prétention de 1 104 500 fr. représente le prix des appartements
libres le 5 mai 1968 et qui auraient perdu toute valeur marchande;

    b)  l'intérêt moratoire de 1% par mois dès cette date est dû par la
demanderesse à la fondation de Vaduz, sous imputation des acomptes versés
sur cet article par le défendeur;

    c)  une somme d'au moins 1 500 000 fr. constitue la dépréciation
subie par le terrain que la demanderesse destinait à la construction et
qu'elle ne pourrait plus utiliser à cette fin.

    F.- L'Etat de Vaud a proposé de limiter sa réponse à la question
de la recevabilité de la demande. A son avis, le litige relève de la
procédure d'expropriation dont le Tribunal fédéral n'est pas habile à
connaître en instance unique (art. 42 al. 2 OJ). Le juge délégué a accédé
à cette requête. Dans son mémoire de réponse, le défendeur conclut à
l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet.

    En réplique, la demanderesse s'oppose à l'exception
d'incompétence. Elle requiert le jugement de cette question préjudicielle
"rendu sur pièces, sans autre procédé complémentaire". Le défendeur
est d'accord que le Tribunal fédéral "se prononce sur la question de
recevabilité sans nouvelles mesures d'instruction et sans débats".

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Le Tribunal fédéral connaît en instance unique des "contestations
de droit civil" entre un canton d'une part et un particulier ou une
collectivité d'autre part, lorsque l'une des parties le requiert en temps
utile et que la valeur litigieuse atteint au moins 8000 fr. (art. 42
al. 1 OJ). Cette disposition ne s'applique pas aux contestations en
matière d'expropriation pour cause d'utilité publique (art. 42 al. 2 OJ).

    La demanderesse soutient que sa cause constitue une contestation
de droit civil. Le défendeur y voit un différend relevant du droit
d'expropriation fédéral dont seules peuvent connaître les juridictions
spéciales créées à cet effet par la législation fédérale et pour lesquelles
le système du procès direct n'existe pas.

Erwägung 2

    2.- La demanderesse recherche en premier lieu l'Etat de Vaud en sa
qualité de propriétaire d'ouvrage selon l'art. 58 CO.

    a) En jurisprudence constante, la corporation publique répond selon
le droit privé des conséquences des vices de construction ou du défaut
d'entretien d'un ouvrage. L'art. 58 est aussi applicable aux personnes
morales du droit public. L'action est alors un procès civil au sens strict
du terme. Certes, la responsabilité encourue par les cantons du fait de
leurs routes relèverait plutôt du droit public. C'est en vue de prévenir
d'éventuelles lacunes de ce droit que le Tribunal fédéral admet le recours
à l'art. 58 CO (cf. RO 72 II 201, 76 II 216, 78 II 152, 84 II 266). Avec
un tel fondement juridique, la demande constituerait indéniablement une
contestation de droit civil au sens de l'art. 42 al. 1 OJ.

    b) L'application de l'art. 58 suppose la propriété de l'ouvrage de
l'Etat défendeur. Les parties ne s'expliquent guère à ce sujet.

    Selon la loi, les routes nationales sont placées sous la souveraineté
des cantons, sous réserve des attributions de la Confédération (cf. art. 8
LRN et Message du Conseil fédéral à la loi sur les routes nationales,
FF 1959 II p. 103). La RN 9 est ainsi présumée propriété de l'Etat de
Vaud sur son territoire, ce qu'il ne conteste pas.

    Selon une jurisprudence ancienne, récemment confirmée, la
responsabilité causale du propriétaire d'ouvrage instituée par l'art. 58 CO
présuppose un vice de construction ou un défaut d'entretien d'un ouvrage
terminé et utilisé conformément à sa destination. Elle n'existe pas pour
les conséquences d'une imperfection passagère due à sa construction ou à
sa réparation. Il appartient aux constructeurs eux-mêmes de prendre les
mesures adéquates pour prévenir les risques et remédier aux défauts. Ils
encourent une responsabilité civile soit en vertu du contrat, soit à raison
des art. 41 ss. CO. La responsabilité causale du propriétaire ne naît qu'à
partir de la prise en charge par lui de l'ouvrage complètement terminé
et son utilisation conforme à sa destination (RO 41 II 697 consid. 3,
46 II 257 consid. 2; 63 II 208 et 95 II 233 consid. 2 et cit.).

    La législation sur les routes nationales ne déroge pas à ce système.
L'art. 43 LNR précise que leur mise en service n'interviendra qu'au moment
où l'état des travaux et les mesures de sécurité prises permettent un
trafic sans danger (cf. Message cité, FF 1959 II p. 119). A l'évidence,
cette condition préalable n'était pas réalisée en l'espèce. La construction
de l'autoroute du Léman commençait dans le secteur de Mont-Fleuri;
aucune circulation n'y était autorisée, ni même possible, au moment des
événements dommageables. L'ouvrage lui-même ne pouvait être affecté d'un
vice du moment qu'il n'existait pas encore. Lorsqu'un dommage survient
pendant la construction de l'ouvrage, le propriétaire ne saurait être
rendu responsable à raison du défaut de mesures de précaution qu'en vertu
des règles générales sur la responsabilité civile découlant des actes
illicites (RO 46 II 258).

    c) Sans doute, l'art. 42 al. 1 LRN impartit aux cantons l'obligation de
prendre "les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des travaux de
construction, protéger les personnes et les biens et mettre les riverains
à l'abri d'inconvénients qu'ils ne peuvent être tenus de tolérer".
Mais cette réglementation spéciale ne saurait imposer aux cantons,
considérés comme maîtres ou propriétaires d'ouvrages, la surveillance
immédiate des chantiers, et par là la responsabilité civile qui découlerait
d'un manquement à ce devoir de surveillance. La législation sur les routes
nationales oblige aussi les cantons, dans l'intérêt général, à construire
selon les méthodes techniques les plus modernes (art. 41 al. 1 LRN)
et à exiger des entreprises chargées des constructions l'application
des mesures de sécurité prescrites (art. 42 LRN). Ces textes légaux,
qui concordent avec le droit commun et la jurisprudence du Tribunal
fédéral, ne sauraient être interprétés différemment. Ce n'est que dans
l'hypothèse où le canton exécuterait lui-même l'ouvrage comme entrepreneur
ou exercerait la surveillance immédiate par ses propres services, sans
le concours d'un bureau d'ingénieurs privé, qu'une responsabilité de ce
genre serait engagée.

    La demanderesse ne met pas en doute que l'exécution de l'ouvrage a
été confiée à une entreprise privée et que la surveillance de l'ouvrage
a fait l'objet d'un mandat confié à un bureau d'ingénieurs autonome.

    L'action de La Colline SA ne saurait donc être fondée sur l'art. 58 CO.

Erwägung 3

    3.- La demanderesse est d'avis que la responsabilité de l'Etat de Vaud
est aussi engagée en vertu des art. 41 ss. CO. Elle demande la réparation
du préjudice consécutif aux actes illicites imputables à l'Etat. Elle lui
reproche de n'avoir pas pris de mesures de précaution suffisantes pour
prévenir les glissements de terrain. Elle lui impute encore des fautes
techniques et des tirs d'abattage nocifs.

    a) Cette argumentation suppose un acte illicite, c'est-à-dire contraire
au droit, et une faute personnelle (intention, négligence) du responsable
ou de ses employés. Une personne morale ne peut commettre d'actes illicites
que par le truchement des personnes physiques dont elle répond. Il
s'agit de faute d'organes (art. 55 CC) ou d'employés (art. 55 CO). La
demanderesse semble reprocher simultanément au défendeur une négligence
de ses agents, notamment du Bureau de construction des autoroutes (BAR)
qui le représentait, et une négligence de tiers chargés de la direction et
de l'exécution des travaux. Elle entend l'en rendre civilement responsable.

    En tout état de cause, le fondement de la responsabilité aquilienne
ne saurait être ni l'art. 55 CC ni l'art. 55 CO. Il a échappé à la
demanderesse que l'Etat, en assumant la construction de l'autoroute du
Léman, exécute une tâche de droit public et agit dans le cadre de sa
souveraineté (art. 1er, 8, 21 et 41 de la loi fédérale sur les routes
nationales du 8 mars 1960). Il en découle que les fautes éventuelles
des agents de l'Etat de Vaud ne relèvent plus du droit civil, mais de
la législation de droit public. Les art. 59 al. 1 CC et 61 al. 1 CO
soustraient les corporations de droit public à l'empire du droit civil
fédéral. La responsabilité d'un canton pour les actes illicites de ses
fonctionnaires ou agents ne peut donc être instituée que par le droit
cantonal (RO 79 II 432/3 et cit.; 89 I 488 consid. 2).

    b) La responsabilité de l'Etat de Vaud, de ses communes et de leurs
agents est réglée par la loi cantonale du 16 mai 1961. Celle-ci régit
"la réparation des dommages causés illicitement ou en violation des
devoirs de service dans l'exercice de la fonction publique cantonale ou
communale" (art. 1er). Outre les membres des autorités proprement dites
(Grand Conseil, Conseil d'Etat, etc.; art. 3 ch. 1 à 3), les agents
de la fonction publique cantonale sont notamment les fonctionnaires et
"les personnes engagées par contrat de droit privé au sens de l'art. 5,
alinéas 1 et 2, de la loi du 9 juin 1947 sur le statut général des
fonctions publiques cantonales" (art. 3 ch. 9 et 10). Les agents ne
sont pas tenus personnellement envers le lésé de réparer le dommage
(art. 4). Les dispositions du code des obligations "relatives aux
obligations résultant d'actes illicites sont, au surplus, applicables
par analogie à titre de droit cantonal" (art. 8).

    Ainsi en droit vaudois, la responsabilité de l'Etat a pour fondement
un acte illicite, soit une faute comme le Tribunal fédéral l'a admis
implicitement en la cause Nyfeler (RO 89 I 488 ss.). Une action fondée sur
le comportement illicite d'un agent de l'Etat ressortit au droit public
cantonal, et non au droit civil fédéral (RO 79 II 432 et les arrêts cités).

    c) Il est de jurisprudence constante qu'une telle action est une
contestation de droit civil au sens de l'art. 42 OJ et qu'elle peut être
portée directement devant le Tribunal fédéral. Ce dernier a toujours
interprété de façon très large cette notion. Il en a jugé ainsi des procès
en responsabilité civile contre les cantons, même si, strictement parlant,
ils ressortissent au droit public cantonal (RO 79 II 431/2 consid. 1 et
cit.; 89 I 488 consid. 1; ATF non publié du 2 novembre 1965 dans l'affaire
Mercier c. Vaud, consid. 1).

    La qualification erronée que la demanderesse a attribuée à son
action ne saurait lui nuire, si les faits de nature à la motiver ont été
régulièrement articulés, conformément aux règles de la procédure. Le
Tribunal fédéral applique d'office le droit fédéral dans sa plénitude
(RO 89 II 339/40; 90 II 40 consid. 6 b, 317 consid. 1; 92 II 312
consid. 5). Ce principe posé dans le cadre des art. 43 et 63 OJ est
applicable par analogie au procès direct visé par l'art. 42 OJ.

Erwägung 4

    4.- La responsabilité aquilienne de l'Etat défendeur doit partant
être examinée à la lumière de la loi vaudoise de 1961.

    a) A défaut de précisions sur ce point, le renvoi de l'art. 8 de
la loi vaudoise aux dispositions du CO pour les obligations résultant
d'actes illicites ne peut signifier que les art. 41 ss. CO valent aussi
pour la responsabilité des autorités. Les art. 3 et 4 de la loi vaudoise
placent les magistrats sur un pied d'égalité avec les autres agents de
l'Etat pour tout ce qui concerne l'action directe du lésé contre l'Etat.
Il s'ensuit que la responsabilité des membres des autorités vaudoises
est analogue à celle de l'art. 55 CC pour les organes d'une personne
morale privée. Cette responsabilité est dérivée de la réserve en faveur du
droit public prévue à l'art. 59 al. 1 CC (cf. OFTINGER, Haftpflichtrecht,
2e éd., II/1, p. 105/6 et 115 ss.).

    Les griefs articulés en demande ne visent manifestement pas des
organes de l'Etat, tels que le Conseil d'Etat ou le Grand Conseil. Leur
responsabilité ne saurait découler que d'un acte illicite commis
personnellement par leurs membres dans l'exercice régulier de leur
magistrature.

    En sa qualité constante de maître de l'oeuvre, l'Etat de Vaud,
agissant par ses représentants autorisés, ne saurait se voir imputer un
acte illicite pour avoir entrepris les travaux de l'autoroute ou pour les
avoir adjugés à des tiers. Et encore moins en faisant exécuter l'ouvrage
selon le plan directeur et le projet général qui lui ont été imposés par
un service fédéral (art. 9-13 LRN; art. 27-48 de l'ordonnance d'exécution
citée).

    b) La responsabilité de l'Etat de Vaud pourrait cependant être engagée
à raison d'une culpa in eligendo, instruendo ou custodiendo (RO 41 II 698,
46 II 257 consid. 2).

    A cet égard, la demanderesse n'émet à l'encontre de l'autorité aucun
grief visant le choix de ses exécutants. Elle n'allègue aucun fait de
nature à mettre en doute les capacités professionnelles des ingénieurs
et entrepreneurs chargés de l'exécution.

    L'Etat a fait appel à des entreprises privées spécialisées pour la
réalisation de cet ouvrage. Il a conclu avec elles des contrats de mandat
et d'entreprise. Une culpa in instruendo paraît dès lors difficilement
concevable. La demande n'allègue que fort peu sur ce point. Elle articule
que l'Etat "avait l'obligation de faire exécuter une étude géologique de
l'ensemble de la région". Cette étude aurait permis de déceler la nature
instable des terrains et la nécessité de les drainer et de les stabiliser,
ainsi que de préconiser d'autres mesures techniques pour l'exécution du
travail. Mais la demanderesse ne pose nullement en fait que ces mesures
n'ont pas été prises. De son côté, l'Etat soutient avoir fait procéder
dès 1957 à des études très complètes, notamment sur le plan géologique
et géotechnique, et avoir choisi les points d'attaque des tunnels dans
le secteur le plus stable. Son rapport sur l'historique des études tend
à démontrer le soin avec lequel le tracé de l'autoroute a été choisi par
les autorités compétentes après de nombreuses études géologiques et de
multiples sondages et forages. Une expertise géologique a été confiée
hors procès par les deux parties au professeur Badoux, de l'Université
de Lausanne, afin de déterminer les causes du mouvement de terrain dans
la région de Mont-Fleuri. Elle relève que, vu la structure géologique
défavorable de ce secteur, c'est avec raison que le front d'attaque
a été choisi à cet endroit précis pour l'entrée des tunnels et que
les travaux eux-mêmes ont été exécutés "en prenant des mesures qui,
normalement, auraient dû empêcher tout mouvement du terrain", mais qui se
sont révélées à l'usage "partiellement inadéquates". La demanderesse n'a
pas contesté ces documents, dont elle a produit en justice le premier à
l'appui de ses prétentions. Au contraire, elle a déclaré se référer pour la
recevabilité de son action aux pièces produites. Ces documents réduisent
à néant le grief d'une négligence dans les études géologiques. Un défaut
d'instructions ne saurait donc être imputé au défendeur ou à ses organes.

    La demanderesse n'invoque à l'appui de sa demande aucune carence dans
la surveillance des travaux.

    Une responsabilité des autorités vaudoises au sens de la loi de 1961
doit donc être exclue.

    c) La demanderesse met en cause le Bureau des autoroutes (BAR) qui
"agit au nom du maître de l'oeuvre" et qui en est son agent au sens de
la législation vaudoise. Elle ne pose pas en fait que ce bureau aurait
commis une fauté propre ou une négligence in eligendo, instruendo et
custodiendo dans ses rapports avec les exécutants, faute de nature
à engager la responsabilité aquilienne du défendeur (art. 8 de la loi
vaudoise du 1961 et 55 CO). Elle n'allègue pas non plus une faute d'autres
fonctionnaires de l'Etat de Vaud.

    Il ressort du dossier que les mouvements de terrain dommageables,
s'ils n'étaient pas des conséquences totalement imprévisibles des
travaux, appartenaient aux risques inhérents à des constructions de
cette nature dans un terrain de mauvaise qualité et qu'ils étaient
difficilement évitables. Des événements de ce genre ne sauraient engager la
responsabilité aquilienne de l'Etat qu'à certaines conditions non réalisées
ici. L'obligation imposée à l'Etat de construire l'autoroute selon le tracé
imposé par les autorités fédérales en fait un acte régulier, légitime du
souverain qui comporte des risques évidents. L'obligation de réparer le
préjudice en découlant n'existe qu'à la condition d'être instituée par la
loi (RO 47 II 71 et 497; 74 I 234 ss.; SECRETAN, Des dommages résultant de
l'utilisation et de la modification légale du domaine public, RDA 1951,
p. 266). L'exercice de la souveraineté ne constitue pas en soi un acte
contraire au droit, même si un dommage en découle.

    d) Dans l'hypothèse où des négligences seraient imputables aux
entrepreneurs ou aux ingénieurs chargés de la surveillance et de
la direction locale des travaux, l'Etat n'en répond pas selon le
droit commun. La responsabilité du propriétaire n'est pas engagée en
vertu de l'art. 55 CO pour le dommage dû à la faute de l'entrepreneur
indépendant auquel il a confié le travail ou de son personnel (RO 46 II
257 consid. 2). A supposer que le décapage du front d'attaque des tunnels
à la pelle mécanique constitue une faute technique, d'après la version
de la demanderesse, elle serait le fait des entrepreneurs et ingénieurs
chargés des travaux. Le défendeur n'en répondrait pas.

Erwägung 5

    5.- Les conditions d'application des art. 58 et 41 ss. CO (ou de la
législation vaudoise sur la responsabilité de l'Etat) font défaut. L'action
civile de la demanderesse se trouve ainsi privée du fondement juridique
qu'elle lui a donné. Il convient toutefois de rechercher si le droit
privé n'offre pas une autre voie. La qualification juridique erronée
du procès ne saurait nuire à la demanderesse du moment que le Tribunal
fédéral applique d'office le droit (RO 90 II 40 et 317; 92 II 312).

    A cet égard, la réglementation des droits de voisinage du code civil,
qui n'a pas été invoquée, pourrait constituer le dernier moyen de droit
civil de nature à étayer la demande.

    a) Un acte de l'autorité, même légal au regard du droit administratif
et accompli sur le domaine public, peut constituer un excès du propriétaire
au sens des art. 679 et 684 CC. Les actions du droit de voisinage
concourent avec celles des art. 58 et 41 ss. CO (RO 91 II 187 ss., 479
consid. 3, 482 ss. consid. 5 et cit.; SECRETAN, op.cit., p. 273; GUISAN,
JdT 1951 I 142). Selon une jurisprudence nouvelle de la IIe Cour civile
du Tribunal fédéral, confirmée depuis lors par la Cour de droit public et
approuvée par la doctrine, l'Etat peut encourir la responsabilité prévue
par le droit civil aux art. 679 et 684 CC, non seulement dans l'usage privé
d'un fonds lui appartenant ou soumis à sa haute police, mais même quand il
agit dans l'exercice de sa souveraineté. Ce principe souffre une importante
restriction: pour ne pas entraver l'Etat dans l'accomplissement de ses
tâches publiques, l'action civile en cessation de trouble est refusée au
lésé chaque fois que le préjudice est inévitable ou ne peut être évité
sans frais excessifs (RO 91 II 483 s. et la doctrine citée; RO 93 I 301;
94 I 297 consid. 6; cf. aussi RO 88 I 195). Le critère distinctif des
dommages évitables et inévitables ne doit pas être apprécié d'une façon
trop abstraite: il y a lieu de tenir compte des circonstances du cas
(RO 93 I 300 consid. 2 et 3, spéc. 301/2.)

    b) En l'espèce, les immissions provenant du chantier de l'autoroute
étaient excessives et comportaient pour les voisins des conséquences
dommageables manifestement insupportables. Rétrospectivement, il appert
que certaines mesures supplémentaires auraient pu être prises pour éviter
ou atténuer les effets préjudiciables du percement des tunnels. Néanmoins,
l'importance et l'urgence des travaux étaient telles que l'adoption de ces
mesures, indépendamment de leur coût, aurait selon toute vraisemblance
nui à l'exécution rapide de l'ouvrage. Le présent cas est comparable à
l'affaire Gallizia, où le Tribunal fédéral a exclu l'action civile de
l'art. 679 (RO 93 I 295, spéc. 301 s. consid. 3).

    La demanderesse, à qui un avis des travaux a été notifié dans le
cadre de la procédure d'expropriation, n'a fait aucune opposition, ni
émis de réserves, bien que les tunnels fussent prévus sous son terrain,
à 100 m de profondeur, et que leurs portails fussent tout proches. Elle
était apparemment du même avis que les constructeurs qui pensaient que
les travaux ne produiraient pas d'immissions dommageables sur les fonds
voisins. De fait, le percement des galeries de reconnaissance, non plus
que l'attaque des tunnels n'ont provoqué ni mouvements de terrain ni
dégâts jusqu'au 22 mars 1968. Pendant plus d'un an, les travaux n'ont
pas entraîné de modifications visibles du sol. L'emplacement des tunnels
a été reconnu par l'expert Badoux comme le seul du secteur qui présentait
certaines garanties. Les conditions météorologiques très défavorables dues
à la survenance de fortes pluies en mars, avril et mai 1968 ont favorisé
les glissements. L'expertise démontre que le processus dommageable est
la conséquence de cause diverses, difficilement prévisibles ou évitables
dans un terrain reconnu instable. Les responsables de l'autoroute ont dû
prendre certains risques qui constituaient le moindre danger dans la zone
que l'autoroute devait traverser.

    Il en découle que l'action civile des art. 679 et 684 CC est également
fermée à la demanderesse.

Erwägung 6

    6.- En l'absence d'un fondement juridique entrant dans les prévisions
de l'art. 42 al. 1 OJ, il reste à examiner si le procès ne constitue pas
une contestation d'expropriation pour cause d'utilité publique (art. 42
al. 2 OJ).

    a) Le voisin touché par des immissions excessives et inévitables
des pouvoirs publics n'est pas tenu pour autant de supporter leurs
conséquences dommageables et la perte du droit d'en demander la cessation
au juge (RO 93 I 302 ss., consid. 4 et 5). Il est en droit de réclamer
des dommages-intérêts par la voie de l'expropriation. L'expropriation de
droits de voisinage immobiliers est expressément prévue par l'art. 5 de
la loi fédérale sur l'expropriation du 20 juin 1930 (LEx.). La LRN impose
également aux cantons le devoir d'éviter aux voisins les inconvénients
que ceux-ci ne peuvent être tenus de tolérer (art. 42 al. 1), comme aussi
le devoir d'assurer l'utilisation économique de la propriété foncière
(art. 42 al. 3). La jurisprudence et la doctrine dominante considèrent
licites les immissions consécutives à l'usage normal du domaine public. Il
n'y a pas un "abus du droit de propriété" au sens des art. 679 ss. CC,
partant pas d'illicéité. La contrepartie consiste alors en une obligation
de l'Etat de réparer le préjudice en résultant selon le droit public
(RO 44 II 36; OFTINGER, op.cit., II/1 p. 15).

    b) La LEx. place bien le problème de l'indemnisation sur ce
terrain. Les dégâts causés aux fonds voisins par l'exécution ou
l'exploitation d'un ouvrage de l'expropriant sont indemnisés selon
cette loi. L'objet exproprié consiste dans la suppression des
droits de voisinage et dans les inconvénients que doivent supporter
les fonds voisins. La réparation des préjudices de cette nature
s'intègre parfaitement dans les prévisions des art. 5, 7 al. 3, 16 et
19 litt. a et c LEx. Son art. 64 al. 1 litt. c attribue expressément
aux Commissions fédérales d'estimation la compétence de statuer sur
les demandes d'indemnité dérivant de l'obligation de sauvegarder les
fonds voisins. Ces textes visent incontestablement les excès au sens de
l'art. 684 CC inhérents à l'ouvrage pour lequel le propriétaire jouit du
droit d'exproprier.

    Peu importe la procédure d'expropriation suivie: un tel préjudice,
déjà prévu lors du dépôt des plans, peut faire l'objet de la procédure
ordinaire des art. 27 ss. LEx. ou d'une opposition du lésé selon l'art. 35
LEx. S'il s'agit de dommages surgissant ou reconnaissables au cours des
travaux seulement, les voies des art. 41 litt. c et 66 litt. b LEx. sont
ouvertes au lésé, voire, le cas échéant, la procédure préconisée par
l'arrêt Emser Werke AG (RO 92 I 176).

    c) Certes, on se trouve ici à la limite entre le droit public et le
droit privé. Toutefois, dans une procédure d'expropriation ou simplement
au cours de la construction d'un ouvrage pour lequel le droit d'exproprier
a été accordé, les prétentions des lésés ont toujours été jugées selon
la loi sur l'expropriation, si le préjudice était la conséquence d'actes
accomplis dans le cours normal de la construction ou de l'utilisation de
l'ouvrage, et s'il ne résultait pas d'un acte manifestement fautif des
constructeurs de nature à engager d'emblée leur responsabilité aquilienne
(RO 4 p. 67 et 72; 18 p. 59; 34 I 694; 40 I 451; 40 II 290; 49 I 380; 62
I 11; 62 I 269; 64 I 230; 64 I 381; 66 I 142; 87 I 88; 88 I 195 consid. 2;
93 I 295; 95 I 302 consid. 4).

    La demanderesse entend distinguer entre les effets dommageables
des ébranlements "normaux" provoqués par l'utilisation des machines de
chantiers (qui relèveraient du droit public) et ceux dus à des glissements
de terrain consécutifs aux procédés utilisés par le constructeur (qui
relèveraient du droit privé). Cette distinction n'est ni claire, ni
justifiée. Il est juridiquement sans incidence que l'effet dommageable
soit la conséquence directe ou indirecte des travaux. En matière
d'expropriation, le critère doit rester celui que le Tribunal fédéral a
dégagé dès le début: les immissions excessives inévitables ou difficilement
évitables, par opposition à celles qui découlent d'un acte fautif du
constructeur engageant d'emblée sa responsabilité aquilienne (RO 18 p. 59).

    Ce critère jurisprudentiel a du reste été adopté par le législateur
fédéral à l'art. 20 de la loi sur les chemins de fer du 20 décembre
1957. Il correspond à une claire organisation judiciaire, comme aussi
à l'économie du procès. Il détermine sans ambiguïté la compétence du
juge à raison de la matière, sans nécessiter d'expertise technique
préalable. Les litiges de voisinage en rapport avec la construction ou
l'usage normal de l'ouvrage de l'expropriant relèvent en principe des
juridictions d'expropriation, lorsque l'expropriant est recherché. Il n'en
ira autrement que dans l'hypothèse où le dommage apparaît d'emblée être la
conséquence d'un comportement fautif de tiers. Tous les litiges auxquels
l'ouvrage de l'expropriant donne ouverture seront soumis aux Commissions
d'estimation en matière d'expropriation. Ainsi, un même propriétaire ne
sera pas tenu d'engager contre l'expropriant plusieurs procès devant des
juridictions différentes.

    d) L'art. 42 al. 2 OJ exclut l'action directe au Tribunal
fédéral de particuliers contre un canton pour les contestations en
matière d'expropriation pour cause d'utilité publique, qu'il s'agisse
d'expropriation formelle ou matérielle (RO 81 I 284 ss.). Puisque tel
est le cas, la demande est irrecevable.

Erwägung 7

    7.- Le Tribunal fédéral a jugé qu'en cas d'irrecevabilité de l'action
dans un procès direct au sens de l'art. 42 OJ, l'art. 60 al. 1 OJ est
applicable par analogie, lorsque la Cour est unanime; le jugement peut
être rendu sans autre procédé et sans débats contradictoires (RO 92 II
214 consid. 5). Par ailleurs, les deux parties ont renoncé à tout débat
sur la question préjudicielle. Il a ainsi été fait abstraction des débats
préparatoires (art. 35 al. 4 PCF), malgré l'importance du litige et des
questions de droit qu'il pose.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Déclare la demande irrecevable.