Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 95 I 596



95 I 596

86. Arrêt du 5 novembre 1969 dans la cause Securities Management Company
Limited contre Noël et Ministère public du canton de Genève. Regeste

    Staatsrechtliche Beschwerde. Unzulässigkeit von Rügen, die Widersprüche
enthalten.

Sachverhalt

    A.- En 1968, Noël, ressortissant français domicilié en France,
a commis, en France, deux abus de confiance au préjudice de la société
Securities Management Company, société anonyme domiciliée à Genève.

    Poursuivi à Genève pour ces infractions, Noël a contesté la
compétence du juge suisse devant la Chambre d'accusation du canton
de Genève. Celle-ci, statuant le 28 avril 1969, l'a néanmoins renvoyé
devant la Cour correctionnelle siégeant avec le jury, considérant, sur
la compétence, que les actions de la lésée étaient en majorité détenues
par des Suisses et que, partant, le juge suisse était compétent de par
l'art. 5 CP; qu'il serait d'ailleurs loisible à l'inculpé de soulever à
nouveaule déclinatoire devant le juge de répression.

    Devant la Cour correctionnelle, le 14 mai 1969, l'inculpé a plaidé
l'incompétence, la lésée, en qualité de partie civile et le Ministère
public, au contraire, la compétence du juge suisse. Dans l'ordonnance de
renvoi du 28 avril 1969, l'acte d'accusation dressé par le Ministère public
mentionnait, sur chacun des chefs, que la lésée était une "société anonyme
de droit suisse ayant son siège social à Genève, dont le capital-actions
appartient en majorité à des Suisses et à des personnes domiciliées en
Suisse". Dans les questions posées au jury, cette formule se trouve
modifiée par une correction manuscrite, de sorte que la fin du texte
précité porte: "dont le capital-actions appartient à concurrence de 37,5%
à des Suisses et à des personnes domiciliées en Suisse".

    Après en avoir délibéré en présence du président, lequel avait voix
consultative (art. 215 PP gen.), les jurés rentrèrent en audience et
se prononcèrent sur chacune des questions posées par les mots "sans
réponse". Le procès-verbal de l'audience ne mentionne aucune opération
ultérieure et ne comporte aucun dispositif.

    B.- Securities Management Company Ltd a formé un recours de
droit public. Elle demande au Tribunal fédéral d'ordonner à la Cour
correctionnelle de Genève, siégeant avec le concours du jury, de statuer
sur les questions telles qu'elles ressortent de l'ordonnance de renvoi de
la Chambre d'accusation rendue le 28 avril 1969. A la forme, elle allègue
avoir, comme partie civile, un intérêt à obtenir un verdict qui réponde
par oui ou par non aux questions touchant la culpabilité de Noël. Au fond,
elle affirme que, selon le système de la procédure pénale genevoise,
la question de compétence, qui a été effectivement soulevée devant la
Cour correctionnelle, relève, non pas du jury (art. 315 PP gen.), mais de
la Cour elle-même (art. 244 PP gen.); qu'aucune question ne lui ayant
été soumise sur ce point, le jury aurait dû se prononcer sur le fond
(art. 322 PP gen.) et a commis un déni de justice en ne le faisant pas.

    C.- Noël conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du
recours.

    D.- La Cour correctionnelle et le Procureur général du canton de
Genève concluent tous deux au rejet du recours. Ils allèguent notamment
que l'administrateur de la recourante a dû finalement reconnaître que la
société était la succursale d'une entreprise domiciliée aux Bahamas et que
la majorité de son capital-actions était détenue par des étrangers, ce qui
a justifié la correction apportée aux questions soumises au jury. La Cour
correctionnelle ajoute que l'inculpé, niant la compétence des tribunaux
suisses, avait demandé au jury de répondre aux questions par la négative;
que la partie civile, d'avis opposé sur la compétence, avait proposé
au jury de l'admettre et, partant, de donner des réponses affirmatives;
que le Ministère public, enfin, soulevant le déclinatoire, avait requis
le jury de ne pas répondre aux questions posées, afin d'éviter soit un
acquittement en cas de réponse négative, soit une condamnation en cas de
réponse affirmative.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

    La recourante admet que, par son refus de répondre aux questions,
le jury s'est prononcé sur la compétence des tribunaux suisses et l'a
niée. Elle n'est dès lors pas recevable à se plaindre d'un déni de justice
du fait qu'il a refusé de répondre aux questions posées sur le fond. Car
elle se met en contradiction avec elle-même lorsqu'elle reproche ce refus
à une autorité qui - elle le reconnaît - s'était déclarée incompétente.

    Il est vrai qu'elle lui conteste aujourd'hui le pouvoir de se prononcer
sur le déclinatoire opposé au juge suisse aussi bien par le Ministère
public que par l'inculpé. Mais la déclaration d'incompétence, fondée
sur le droit fédéral (art. 5 CP), aurait pu faire l'objet de la part du
Ministère public, à l'exclusion de la partie civile, d'un recours cantonal
(art. 437 al. 1 lit. b et 439 al. 1 PP gen.), puis d'un pourvoi en nullité
(art. 270 PPF). Ces voies de recours n'ayant pas été suivies, la décision
d'incompétence est passée en force. La recourante ne pourrait la faire
casser que par la voie exceptionnelle du recours de droit public; encore
faudrait-il, pour qu'elle fût recevable à le faire, qu'elle eût subi une
atteinte dans les droits que lui confère, soit l'art. 4 Cst. directement,
soit la loi genevoise de procédure pénale. Le seul droit dont elle pourrait
alléguer la violation dans la présente espèce serait celui d'exiger
que la décision sur le déclinatoire émane de l'autorité compétente. Car
c'est seulement de l'incompétence du jury pour statuer sur cette question
qu'elle se plaint. Or, supposé même qu'elle soit en principe recevable
à soulever ce moyen pour la première fois devant le Tribunal fédéral
(RO 89 I 250 b; 90 I 148 consid. 1; 356 consid. 3), elle ne le serait en
tout cas pas dans les circonstances de la présente cause, parce que, dans
l'instance cantonale, elle a manifesté une opinion contraire. En effet,
la compétence du juge suisse y ayant été déclinée et par l'inculpé et par
le Ministère public, elle n'a pas requis la Cour correctionnelle seule de
trancher ce point, mais a demandé au jury de répondre par l'affirmative aux
questions posées; c'était admettre qu'il se prononce sur le déclinatoire.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Déclare le recours irrecevable.