Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 95 II 591



95 II 591

79. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour civile du 4 décembre 1969 dans la
cause S. contre S. Regeste

    Ehescheidung. Entehrendes Verbrechen. Art. 139 ZGB.

    Ein Ehegatte kann ein entehrendes Verbrechen des andern nur dann
als Scheidungsgrund anrufen, wenn ihm wegen dieses Verbrechens die
Fortsetzung der ehelichen Gemeinschaft nicht zugemutet werden darf. Der
Richter entscheidet in Würdigung der Umstände des einzelnen Falles.

Sachverhalt

                        Résumé des faits:

    Willy S. et Liliane W., qui étaient cousins, se sont mariés en
1964. Ils ont une fille. Avant le mariage, S. avait encouru plusieurs
condamnations pénales. Le 15 novembre 1967, il a été condamné derechef
à quatre ans de réclusion, pour vol, abus de confiance et instigation à
faux témoignage, délits commis en 1965 et 1966. Par le même jugement,
son épouse a été condamnée à huit mois d'emprisonnement avec sursis,
pour vol, recel et faux témoignage.

    En 1967, alors que son mari était en détention préventive, dame S. lui
a intenté une action en divorce.

    Le défendeur a conclu au rejet de la demande.

    Depuis le début de l'année 1968, l'épouse a un amant.

    Par jugement du 14 janvier 1969, le Tribunal de première instance de
Genève a rejeté l'action. Il a considéré que les époux s'entendaient bien
lors de leur arrestation; que dame S. ne s'était pas bornée à receler le
produit des vols de son mari, mais avait joué un rôle actif, notamment en
faisant le guet, ce qui démontre qu'elle approuvait l'activité délictueuse
de son conjoint; que le seul fait postérieur à l'arrestation des époux qui
fût de nature à entraîner la désunion était l'adultère de la demanderesse.

    Saisie d'un appel de l'épouse, la Cour de justice du canton de Genève,
par arrêt du 27 juin 1969, a confirmé le jugement de première instance.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours en réforme de dame S., annulé
l'arrêt attaqué et renvoyé la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle
complète ses constatations de fait et statue à nouveau.

Auszug aus den Erwägungen:

                       Extrait des motifs:

Erwägung 3

    3.- a) Selon l'art. 139 CC, chacun des époux peut demander le divorce
en tout temps, lorsque son conjoint a commis un délit infamant ou mène
une conduite si déshonorante que la vie commune est devenue insupportable
au demandeur. A la différence des art. 137 et 138 CC qui instituent
d'autres causes déterminées de divorce, l'art. 139 CC ne dispose pas
expressément que l'action est irrecevable en cas de pardon. Mais,
ainsi que le Tribunal fédéral l'a rappelé dans l'arrêt T., du 29 juin
1927 (RO 53 II 196), il n'en résulte pas que l'attitude de l'époux
lésé dans son honneur par les actes répréhensibles de son conjoint,
soit sans importance. Selon cet arrêt, même les causes déterminées de
divorce sont implicitement subordonnées à la condition que les actes de
l'époux coupable aient porté atteinte au lien conjugal, soit à l'affection
réciproque des parties et à la possibilité pour elles de continuer une vie
commune prospère. La loi attache simplement aux faits visés aux art. 137
à 139 CC une présomption selon laquelle le lien matrimonial est rompu,
de telle sorte que l'époux demandeur est dispensé d'apporter la preuve
de la désunion. S'il apparaît cependant qu'exceptionnellement, dans le
cas particulier, l'acte répréhensible du défendeur n'a pas provoqué la
désunion et n'a pas rendu la vie commune insupportable au demandeur,
celui-ci ne peut l'invoquer comme cause de divorce. Le Tribunal fédéral
a jugé qu'il en était ainsi en l'espèce. L'épouse demanderesse n'avait
en effet tiré aucune conséquence de la condamnation pénale infligée à
son mari. Au contraire, elle l'avait reçu au foyer à sa sortie de prison
et elle avait encore vécu avec lui pendant six ans et demi, c'est-à-dire
aussi longtemps qu'il occupait une place bien rétribuée et pouvait ainsi
subvenir aux besoins du ménage (arrêt cité).

    Dans la mesure où ses motifs faisaient allusion à l'art. 137 CC,
cet arrêt est resté isolé. Une jurisprudence bien établie tient en effet
l'adultère pour une cause absolue de divorce; hormis le consentement et
le pardon de l'époux offensé, et sous réserve de l'abus de droit au sens
de l'art. 2 CC, il n'est pas d'exceptions ni d'excuses propres à empêcher
l'action d'aboutir (RO 47 II 249, 57 II 245, 69 II 210, RO 95 II 510).

    Concernant le délit infamant, la jurisprudence a marqué certaines
hésitations. Dans un arrêt Sp., du 12 octobre 1962, non publié, le Tribunal
fédéral, tout en se référant à l'arrêt T. précité, a considéré que le
délit infamant était une cause absolue de divorce, sans égard aux effets de
l'acte sur la sensibilité du conjoint. Quelques jours plus tard, dans un
arrêt Z., du 18 octobre 1962, non publié, il a laissé indécis le point de
savoir si le délit infamant visé à l'art. 139 CC était un motif absolu de
divorce ou s'il ne constituait qu'une présomption légale de l'atteinte au
lien conjugal, selon l'arrêt T. déjà cité (RO 53 II 196). Plus récemment,
dans un arrêt R. du 21 novembre 1967, également non publié, le Tribunal
fédéral a statué à nouveau dans le sens de l'arrêt T. et dénié le droit
d'invoquer l'art. 139 CC à un mari qui n'avait pas ressenti le délit
infamant dont sa femme s'était rendue coupable comme une atteinte portée
au lien conjugal, mais avait au contraire maintenu la vie commune sans
réagir pendant plusieurs années.

    b) L'examen des travaux préparatoires du code civil montre cependant
que la question n'a pas échappé au législateur. L'avant-projet de 1900
contenait à l'art. 161 la disposition suivante: "Le divorce peut être
demandé en tout temps, lorsque l'un des époux a commis un délit, ou
porté par sa conduite une atteinte grave à son honneur, s'il résulte des
circonstances que la vie commune serait insupportable à son conjoint." Le
texte allemand disait: "Hat ein Ehegatte ein Verbrechen begangen oder
führt er einen in hohem Grade unehrenhaften Lebenswandel, und darf nach
den Umständen die Fortsetzung der ehelichen Gemeinschaft dem andern
Ehegatten nicht zugemutet werden, so kann dieser jederzeit auf Scheidung
klagen." A la séance de la commission d'experts du 17 octobre 1901, le
rapporteur, le professeur Eugène Huber, expliqua que la condition que la
vie commune fût devenue insupportable valait pour le cas du délit comme
pour celui de la conduite déshonorante (Protokoll der Experten-Kommission
1901-1902, édition originale, I, p. 124; édition Kümmerly et Frey, I-II, p.
157). Cette interprétation fut admise par la commission. Winkler déclara
qu'il n'y avait qu'à améliorer la rédaction.

    Schmid, qui entendait proposer l'adjonction: "und darf im einen wie
im andern Falle...", y renonça, après avoir entendu les explications
du rapporteur (op. cit., p. 125, resp. p. 158). La commission décida de
préciser le caractère du délit par l'adjonction du qualificatif "entehrend"
(infamant).

    Dans l'avant-projet de 1903, l'art. 161 fut dès lors rédigé comme il
suit: "Chaque époux peut demander le divorce en tout temps, lorsque son
conjoint a commis un délit infamant, ou porté par sa conduite une atteinte
si grave à son honneur que la vie commune est devenue insupportable au
demandeur" (avant-projet 1903, p. 31). "Hat ein Ehegatte ein entehrendes
Verbrechen begangen, oder führt er einen so unehrenhaften Lebenswandel,
dass die Fortsetzung der ehelichen Gemeinschaft dem andern Ehegatten
nicht zugemutet werden darf, so kann dieser jederzeit auf Scheidung
klagen" (Vorentwurf 1903, p. 33). Ces textes passèrent sans modification
dans le projet de code civil de 1904 et devinrent l'art. 146 (Message
et projet, version allemande p. 135, version française p. 132). Ils
ne furent pas modifiés par les commissions parlementaires et furent
adoptés par les Chambres fédérales. L'art. 139 du code est, dans le texte
allemand, identique à celui de l'art. 161 de l'avant-projet de 1903 et de
l'art. 146 du projet. Le texte français a subi en revanche une modification
rédactionnelle: les mots "ou porté une atteinte si grave à son honneur"
ont été remplacés par "ou mène une conduite si déshonorante". Le rapporteur
français au Conseil national, M. Rossel, commenta l'art. 146 du projet
dans le sens de l'interprétation donnée par Eugène Huber à l'art. 161 de
l'avant-projet de 1900; il déclara notamment: "... si le projet assimile
au délit infamant l'atteinte grave à l'honneur, il exige que ce délit
comme cette atteinte, pour constituer une cause déterminée de divorce,
soient de telle nature que la vie commune en devienne insupportable au
demandeur" (Bull. stén. CN 1905, p. 540).

    c) Les auteurs, qui ne sont pas unanimes, se sont exprimés de façon
nuancée. Pour GMÜR (Kommentar zum schweiz. ZGB, 2e éd., Berne 1918, n. 6
ad art. 139 CC), le délit infamant est une cause absolue de divorce; la
condition que la vie commune soit devenue insupportable au demandeur ne
se rapporte qu'à la conduite déshonorante, mais pas au délit infamant;
toutefois, selon une règle fondamentale du droit du divorce, seul le
conjoint lésé est habile à intenter action; s'il a consenti ou participé
à l'infraction, le juge ne saurait admettre que le demandeur a été lésé
moralement dans ses sentiments personnels et il rejettera l'action.

    EGGER (Kommentar zum schweiz. ZGB, 2e éd., Zurich 1936, n. 5 ad
art. 139 CC), qui invoque plus particulièrement le texte français de
la loi, considère lui aussi que le délit infamant constitue une cause
absolue de divorce. Mais il ajoute, en se référant à l'arrêt T. et à
quelques décisions rendues par des tribunaux cantonaux, que si l'autre
conjoint attend que l'époux coupable ait subi sa peine et reprend ensuite
la vie commune, le maintien de l'union conjugale pourra être exigé
raisonnablement; parfois il apparaîtra que le divorce n'est pas demandé
en raison du délit, mais pour des motifs tout à fait différents, et que le
demandeur n'a pas ressenti l'infraction comme une atteinte à son honneur.

    HINDERLING (Das schweizerische Ehescheidungsrecht, 3e éd., Zurich 1967,
p. 85 s.) estime que le délit infamant visé à l'art. 139 CC n'est pas
une cause absolue de divorce, mais ne justifie la dissolution du mariage
que s'il rend la vie commune insupportable à l'autre époux. Il ressort
des décisions cantonales citées par cet auteur que l'interprétation à
laquelle il adhère est la plus généralement suivie.

    d) Sur le vu des travaux préparatoires du code civil et en accord
avec le commentateur EGGER, le professeur HINDERLING et la jurisprudence
cantonale dominante, il faut conclure que le délit infamant commis par l'un
des époux ne peut être invoqué à l'appui d'une demande en divorce formée
par l'autre conjoint que s'il lui rend la vie commune insupportable. Si le
lien conjugal n'a pas été rompu par l'infraction, le divorce ne saurait
être prononcé en vertu de l'art. 139 CC. Le juge décidera en appréciant
les circonstances de chaque espèce.

    Lorsqu'un époux a consenti ou participé à l'activité délictueuse
de son conjoint, ou encore s'il en a tiré profit, il n'a peut-être
pas ressenti comme infamant un délit qui, objectivement, revêtait ce
caractère, de telle sorte que le maintien de la vie commune ne lui est
pas nécessairement insupportable. Cependant, il est possible que l'époux
en question ait subi l'influence mauvaise de son conjoint, ou bien qu'il
ait joué seulement un rôle très secondaire dans les faits incriminés. En
pareil cas, la complicité du demandeur n'exclut pas nécessairement qu'il
ait ressenti le délit comme infamant et que cet acte délictueux ait détruit
les fondements de l'union conjugale; l'art. 139 CC peut alors être invoqué
(cf. dans ce sens l'arrêt de la Cour d'appel du canton de Berne du 27
mai 1946 dans la cause L. c. L., RJB 1947 p. 357 ss.). Pour décider si
l'époux qui a participé au délit infamant commis par son conjoint ou qui
en a tiré profit est néanmoins fondé à demander le divorce en vertu de
l'art. 139 CC, le juge tiendra compte de l'ensemble des circonstances
de la cause, en particulier du degré de la participation du demandeur
à l'activité délictueuse du défendeur, de l'intensité de l'influence
exercée par celui-ci et de la gravité de l'atteinte que le délit a portée
au lien conjugal.