Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 95 II 31



95 II 31

5. Arrêt de la IIe Cour civile du 6 février 1969 dans la cause Masse en
faillite de Michel Demierre contre Python. Regeste

    Gesetzliches Grundpfandrecht der Handwerker und Unternehmer (Art. 837
ZGB).

    Der Unternehmer, der die Frist von Art. 839 ZGB beobachtet, kann
sein gesetzliches Grundpfandrecht selbst nach Eröffnung des Konkurses
über den Besteller, dem das Grundstück gehört, eintragen lassen (Änderung
der Rechtsprechung).

Sachverhalt

    A. - Michel Demierre, à Fribourg, a fait construire un chalet sur
une parcelle dont il est propriétaire au Lac Noir, sur le territoire
de la commune de Planfayon. Il a confié les travaux de menuiserie et de
charpenterie à l'entrepreneur Gabriel Python, à Farvagny-le-Petit. En cours
d'exécution des travaux, le 3 octobre 1967, le Président du Tribunal de la
Sarine a prononcé la faillite de Michel Demierre. Le 6 octobre, Gabriel
Python a suspendu ses travaux. Le 21 octobre, il a établi sa facture,
qui s'élève à 33 317 fr. 85, montant sur lequel il a reçu des acomptes
à concurrence de 22 000 fr.

    Le 2 janvier 1968, Gabriel Python a requis l'inscription provisoire
d'une hypothèque légale d'entrepreneur pour le solde de sa créance,
soit 11 317 fr. 85. Le Président du Tribunal de la Singine a fait droit
à sa requête le 10 janvier 1968 par la voie des mesures d'urgence au
sens de l'art. 372 du Code de procédure civile fribourgeois, puis par
ordonnance du 5 février 1968. Il a imparti au requérant un délai de 20
jours, prolongé au 9 avril 1968, pour intenter action en inscription
définitive de l'hypothèque légale.

    Par acte du 23 mars 1968, les parties sont convenues de porter le
litige directement devant la Cour civile du Tribunal cantonal de l'Etat
de Fribourg, conformément à l'art. 149 al. 1 de la loi d'organisation
judiciaire fribourgeoise.

    B.- Gabriel Python a ouvert action en inscription définitive de
l'hypothèque légale par demande du 8 avril 1968.

    La masse en faillite de Michel Demierre a conclu au rejet de la
demande.

    Par arrêt du 2 juillet 1968, la Cour civile du Tribunal cantonal
fribourgeois a ordonné l'inscription définitive de l'hypothèque
légale. Elle a admis, comme les deux parties, que le délai de trois
mois fixé par l'art. 839 al. 2 CC avait été observé en l'espèce, car on
ne saurait assimiler la suspension des travaux, qui n'était pas encore
définitive le 6 octobre 1967, à leur achèvement. La juridiction cantonale
a considéré en outre que l'hypothèque légale d'entrepreneur pouvait être
inscrite au registre foncier, nonobstant la faillite du propriétaire du
terrain sur lequel les travaux étaient exécutés.

    C.- Contre cet arrêt, la masse en faillite de Michel Demierre recourt
en réforme au Tribunal fédéral. Elle conclut au rejet de la demande en
inscription définitive de l'hypothèque légale. Gabriel Python conclut au
rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Aux termes de l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC, les artisans et
entrepreneurs employés à des bâtiments et autres ouvrages peuvent requérir
l'inscription d'une hypothèque légale sur l'immeuble pour lequel ils ont
fourni des matériaux et du travail ou du travail seulement, en garantie
de leurs créances contre le propriétaire ou un entrepreneur. Cette
hypothèque n'est pas créée directement par la loi, qui confère uniquement
aux artisans et aux entrepreneurs le droit personnel de la constituer
par une inscription au registre foncier (RO 40 II 452). Peu importe à
cet égard que l'action tendant à la reconnaissance de la créance de
l'entrepreneur et à l'inscription définitive de l'hypothèque légale
ne soit pas une réclamation personnelle au sens de l'art. 59 Cst., de
sorte que le défendeur, recherché au lieu de situation de l'immeuble,
n'est pas admis à se prévaloir du for de son domicile (RO 41 I 284 ss.;
cf. aussi RO 93 I 551, 94 I 50). Ainsi que la IIe Cour civile l'a relevé,
cette jurisprudence de la Cour de droit public ne revêt pas le droit à
l'inscription d'un caractère réel (RO 81 II 282).

    Dans l'arrêt Masse en faillite Waldvogel contre Fils de J. Frutiger,
déjà cité (RO 40 II 452), le Tribunal fédéral a déduit du caractère
personnel de la prétention que l'inscription au registre foncier ne saurait
être requise ni contre la masse en faillite du propriétaire, ni contre le
tiers acquéreur de l'immeuble. Saisi d'un recours de droit administratif
en matière de registre foncier, il a décidé que le conservateur devait
refuser l'inscription de l'hypothèque légale requise par un artisan ou
un entrepreneur après la vente à un tiers de l'immeuble sur lequel les
travaux avaient été exécutés (RO 73 I 278).

    GUHL (Festgabe für das Bundesgericht, Berne 1924, p. 147 ss.) a cherché
à définir le droit à l'inscription d'une hypothèque légale comme un droit
personnel dont les effets seraient cependant "renforcés" et qui pourrait
être exercé contre le tiers acquéreur de l'immeuble. Quant à la faillite
du propriétaire, elle n'empêcherait pas, pour cet auteur, l'inscription de
l'hypothèque, mais celle-ci serait inopposable aux créanciers du failli
et ne produirait effet que si la faillite venait à être révoquée. Sans
se prononcer sur cette définition, ni sur le point de savoir si le droit
de requérir l'inscription d'une hypothèque légale d'entrepreneur pouvait
encore être exercé contre le tiers acquéreur de l'immeuble, la IIe Cour
civile a confirmé son opinion selon laquelle l'hypothèque ne pouvait
plus être inscrite après que la faillite du propriétaire eut été déclarée
(RO 81 II 279).

Erwägung 2

    2.- Dans la cause Robusti c. Kieswerk Hüntwangen, jugée le 24 novembre
1966 (RO 92 II 227 ss.), le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence
antérieure. Se référant à la doctrine récente et à l'arrêt Chiesa
c. Robbiani (RO 92 II 147), il a jugé que l'obligation de souffrir la
constitution d'une hypothèque légale d'entrepreneur fondée sur l'art. 837
al. 1 ch. 3 CC était une obligation propter rem, rattachée à la propriété
de l'immeuble sur lequel le bâtiment a été érigé ou l'ouvrage exécuté;
il a dès lors admis, en cas d'aliénation de l'immeuble, que l'entrepreneur
exerce son droit de requérir l'inscription d'une hypothèque légale contre
le nouveau propriétaire, bien que celui-ci ne fût pas le débiteur de la
créance garantie. Cependant, l'arrêt Robusti ne résout pas expressément
le point de savoir si l'hypothèque légale de l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC
peut encore être inscrite après que le propriétaire de l'immeuble a été
déclaré en faillite.

    La question demeure controversée en doctrine. Plusieurs auteurs ont
critiqué la solution négative de l'arrêt Masse en faillite Waldvogel, en
relevant qu'elle privait l'entrepreneur d'une garantie efficace au moment
où il en éprouvait le plus grand besoin (HOMBERGER, Kommentar, n. 37 ad
art. 961 CC; HOMBERGER ET MARTI, Fiches juridiques suisses no 61 l'p. 2 ch.
II; LIVER, Die Begründung des Bauhandwerkerpfandrechts, RJB 98, 1962,
p. 209 ss.; STAEHELIN, Probleme aus dem Grenzbereich zwischen Privat- und
Zwangsvollstreckungsrecht, Bâle 1968, p. 74 s.). D'autres auteurs estiment
que l'on ne saurait conférer à la prétention de l'art. 837 CC un effet réel
anticipé, et partant que l'hypothèque légale, une fois inscrite, ne saurait
l'emporter sur les droits d'exécution des créanciers dans la saisie ou
la faillite, pas plus que sur les droits réels existants, sous réserve de
l'indemnisation prévue par l'art. 841 CC (DESCHENAUX, Obligations propter
rem, Jus et Lex, Festgabe für Max Gutzwiller, Bâle 1959, p. 725; PIOTET,
Note sur le droit à la constitution d'une hypothèque légale (art. 837 CC)
..., JdT 1967 I 272; du même auteur, Le droit à l'hypothèque légale et
le privilège de l'entrepreneur, notamment quand l'immeuble est acquis
par un tiers ou réalisé dans une exécution forcée, RNRF 1968 p. 193 à 215).

Erwägung 3

    3.- L'hypothèque légale de l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC est une
restriction légale indirecte de la propriété foncière, qui affecte le
pouvoir de disposer du propriétaire. La loi ne confère pas directement à
l'artisan ou à l'entrepreneur qui exécute des travaux sur un immeuble une
hypothèque légale qui existerait sans inscription, comme les hypothèques
légales de l'art. 836 CC, mais une prétention tendant à la création du
droit de gage, qui naît en raison des travaux; elle prescrit formellement
l'inscription, qui est constitutive. La situation est analogue à celle des
servitudes nécessaires, lesquelles emportent une restriction indirecte du
droit d'user (cf. notamment art. 674, 691, 694, 710 CC; LIVER, Kommentar,
Dienstbarkeiten und Grundlasten, Einleitung, n. 87, p. 35; du même auteur,
Die Begründung des Bauhandwerkerpfandrechts, RJB 98, 1962, p. 229 ss.;
MEIER-HAYOZ, Kommentar, Das Sachenrecht, Das Eigentum, Systematischer
Teil, n. 194, p. 101; DESCHENAUX, Les restrictions légales de la propriété
foncière et le registre foncier, RNRF 1957 p. 321 ss., notamment 336 s.;
FORNI, Regime tabulare delle restrizioni legali della proprietà, thèse
Berne 1949, p. 22 ss.). Mais, à la différence des servitudes nécessaires,
l'inscription de l'hypothèque légale des artisans et entrepreneurs n'exige
pas la passation d'un contrat constitutif de gage. L'ayant droit peut la
requérir de son chef, en produisant les titres établissant les créances
en garantie desquelles l'hypothèque doit être inscrite (art. 22 al. 1
ORF). Il faut en outre que le montant de la créance garantie par gage soit
reconnu par le propriétaire ou par le juge ou que le propriétaire autorise
l'inscription (art. 839 al. 3 CC; art. 22 al. 2 ORF). La suppression ou
la modification de cette restriction indirecte du pouvoir de disposer est
formellement exclue par l'art. 837 al. 2 CC. Toutefois, il demeure loisible
à l'ayant droit de s'abstenir de faire valoir sa prétention dans le délai
de déchéance fixé par l'art. 839 al. 2 CC, comme de renoncer à la garantie
une fois qu'elle a été constituée (DESCHENAUX, loc.cit., p. 336 s.).

    Les actions personnelles en constitution d'une servitude nécessaire ou
d'une hypothèque légale, qui dérivent de restrictions légales indirectes
de la propriété foncière (art. 674, 691, 694, 710 et 837 CC), jouissent
d'une sorte de renforcement et même - du moins pour les servitudes - d'un
rang préférable à celui de tous les autres droits réels inscrits. Cette
vertu attribuée à une créance qui tend à la création d'un droit réel
tient à la nature particulière de l'action. L'obligation de conférer à
l'ayant droit (voisin ou créancier) une servitude ou un droit de gage
pèse sur la propriété de l'immeuble grevé dès que les conditions légales
sont réalisées. Assurément, la restriction légale est seulement virtuelle,
aussi longtemps que le bénéficiaire n'a pas exercé son droit. Il n'empêche
que la propriété du fonds est grevée de l'obligation de souffrir que
le bénéficiaire actualise sa prétention par les moyens appropriés que
détermine la loi (cf. DESCHENAUX, Les restrictions légales ..., op.cit.,
RNRF 1957, p. 326 s.; Obligations propter rem, op.cit., p. 726; Les
obligations dites réelles et leurs rapports avec le registre foncier,
RNRF 1962, p. 282 ss., notamment p. 284 s.).

Erwägung 4

    4.- Selon l'art. 197 al. 1 LP, tous les biens saisissables du failli
au moment de l'ouverture de la faillite forment une seule masse, quel
que soit le lieu où ils se trouvent, et sont affectés au paiement des
créanciers. Si l'on a pu comparer les effets de la faillite quant aux
biens du débiteur à une sorte de gage général au profit des créanciers
(sog. Konkursbeschlag), il ne s'agit pas, toutefois, d'un droit de
gage au sens du droit civil, mais d'une mainmise de droit public (eine
öffentlich-rechtliche Beschlagnahme) qui confère aux créanciers le droit
d'être désintéressés, dans les limites que fixe la loi, sur le produit
de la réalisation des biens du débiteur (RO 93 III 107, consid. 7 et les
auteurs cités). Cette mainmise de droit public frappe les biens du débiteur
dans l'état où ils se trouvent lors de la déclaration de faillite. Les
immeubles tombent dans la masse avec les restrictions légales indirectes
de la propriété foncière dont ils sont affectés, y compris l'obligation
propter rem de souffrir la constitution d'une hypothèque légale d'artisan
ou d'entrepreneur qui résulte de l'art. 837 al. 1 ch. 3 CC. Il faut dès
lors admettre l'inscription de cette hypothèque même après le jugement
de faillite. C'est la seule façon d'assurer la garantie réelle voulue
par le législateur aux créances des artisans et des entrepreneurs qui,
par leur travail, ont procuré une plus-value à l'immeuble. Il serait
inéquitable de priver ces créanciers de leur gage au moment où ils en
éprouvent justement le plus grand besoin. En effet, la déclaration de
faillite survient parfois de façon inattendue, avant même que les travaux
soient terminés (cf. LIVER, op.cit., RJB 98, 1962, p. 233).

    Contrairement à l'opinion exprimée par PIOTET (op. cit., RNRF
1968 p. 193 ss., notamment p. 203 s.), la solution adoptée n'est pas
incompatible avec la disposition de l'art. 841 CC. Le propriétaire tenu de
souffrir l'inscription d'une hypothèque légale d'artisan ou d'entrepreneur
conserve assurément le pouvoir de constituer d'autres droits de gage,
nonobstant la restric, tion indirecte du droit de disposer de son
immeuble. Mais en vertu de l'art. 841 CC, les créanciers gagistes de rang
antérieur aux artisans et entrepreneurs doivent les indemniser sur leur
propre part de collocation, déduction faite de la valeur du sol, dans la
mesure où les premiers pouvaient reconnaître que la constitution de leurs
gages porterait préjudice aux seconds. Cette réglementation particulière
institue un privilège en faveur des artisans et entrepreneurs à l'égard
des créanciers gagistes de rang antérieur; elle ne signifie nullement
que la restriction légale indirecte de la propriété foncière dérivant de
l'obligation de constituer l'hypothèque légale prévue à l'art. 837 al. 1
ch. 3 CC ne soit pas opposable à la masse en faillite du propriétaire
du fonds.

Entscheid:

              Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours et confirme l'arrêt rendu le 2 juillet 1968 par
la Cour civile du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.