Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 94 I 68



94 I 68

12. Arrêt du 1er mars 1968 dans la cause Roussy contre l'Administration
fédérale des contributions. Regeste

    Warenumsatzsteuer: Begriff des Werkstoffs (Änderung der
Rechtsprechung). Anwendung auf den bei der Herstellung von Zahnprothesen
verwendeten Gips.

Sachverhalt

                        Résumé des faits:

    Lucien Roussy, dentiste diplômé, exploite à Yverdon un cabinet dentaire
et un laboratoire de fabrication de prothèses dentaires. Ce laboratoire
est inscrit au registre du commerce et au registre des grossistes de
l'Administration fédérale des contributions (en abrégé: AFC).

    Pour fabriquer ses prothèses, Roussy utilise le procédé de la cire
perdue. Il confectionne tout d'abord un modèle en cire, qu'il moule dans
du plâtre. La cire est ensuite évacuée après liquéfaction et remplacée
par un alliage chrome-cobalt en fusion. Le métal refroidi, le moule de
plâtre est brisé et libère la pièce coulée.

    Roussy a importé en franchise d'impôt, en sa qualité de grossiste,
du plâtre de moulage ainsi que divers appareils et outils, parmi lesquels
figurent notamment des "meulettes".

    A la suite d'un contrôle fiscal, l'AFC établit, pour la période
courant du premier trimestre de 1961 au deuxième trimestre de 1966,
deux décomptes complémentaires, décomptes comportant notamment une
reprise d'impôt sur le chiffre d'affaires, au titre de la consommation
particulière, d'un montant de 435 fr. 40 pour le plâtre de moulage et
de 1286 fr. 50 pour des appareils et des outils (parmi lesquels des
"meulettes"), tous importés en franchise d'impôt.

    Roussy n'ayant pas admis ces décomptes, l'AFC lui notifia, le 3 janvier
1967, une décision les confirmant. Par décision du 20 octobre 1967, elle
rejeta la réclamation formulée par Roussy et requit de lui paiement du
montant des reprises d'impôt (réduit à 920 fr. par compensation avec des
montants perçus en trop et par un versement à compte).

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de droit administratif formé
par Roussy contre cette dernière décision.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Aux termes de l'art. 13 al. 1 lettre a AChA, l'impôt sur le
chiffre d'affaires frappe notamment la livraison sur territoire suisse et
la consommation particulière de marchandises par des grossistes. Selon
l'art. 16 al. 1 lettre a, il y a consommation particulière lorsqu'un
grossiste affecte des marchandises qu'il s'est procurées en franchise
d'impôt, à des fins autres que la revente ou l'emploi comme matière
première dans la fabrication professionnelle de marchandises. En l'espèce,
il n'est pas contesté que le recourant a importé son plâtre et ses
"meulettes" sans payer l'impôt et qu'il ne les a pas revendus, mais
utilisés dans la fabrication professionnelle de prothèses dentaires. Seul
reste litigieux le point - décisif pour l'assujettissement à l'impôt -
de savoir s'il s'agit de matières premières.

    La définition légale de la matière première, à l'art. 18 AChA,
englobe deux concepts différents: d'une part les matières brutes ou
les produits intermédiaires qui sont convertis en marchandises ou qui
tombent comme déchets en cours de fabrication, d'autre part les matières
servant à la production d'énergie ou à d'autres fins semblables qui sont
consommées ou qui tombent comme déchets en cours de fabrication. (Les
règles relatives aux constructions et aux fourrages, contenues elles
aussi dans cette disposition, sont évidemment inapplicables in casu et
n'ont pas à être examinées.)

    En l'espèce, la fonction du plâtre et celle des "meulettes"
dans le processus de fabrication ne sauraient être assimilées à la
production d'énergie ou autres fins semblables (cf., en ce qui concerne
les "meulettes", les arrêts publiés dans Archives, vol. 15, p. 527, 16,
p. 231 et 18, p. 35). En revanche, il faut examiner si ces objets peuvent
être rangés dans les matières brutes ou les produits intermédiaires qui
sont convertis en marchandises ou qui tombent comme déchets en cours
de fabrication.

    La qualité de matière première, ainsi que cela résulte clairement de
la définition légale, ne dépend ni du fait que l'objet ou la matière en
cause sont nécessaires à la fabrication, ni du point de savoir si et dans
quelle mesure leur coût influe sur le prix du produit fabriqué et, partant,
sur l'impôt qui le frappe. Est déterminant en revanche le point de savoir
si cet objet ou cette matière peuvent être considérés, ne serait-ce que
de manière indirecte, comme partie intégrante du produit fabriqué (ou
comme déchets). Le Tribunal fédéral en a jugé ainsi à plusieurs reprises
dans les premières années qui ont suivi l'entrée en vigueur de l'AChA
(RO 71 I 185 et 453, 73 I 165 et 267). La notion de déchets est elle-même
liée à la précédente. Tout objet utilisé dans le processus de fabrication
et rendu inutilisable par cet usage ne vaut pas matière première. Seuls
sont considérés comme telle les résidus de matières brutes et de produits
intermédiaires qui, pour le surplus, ont passé dans le produit fabriqué (RO
71 I 186 et l'arrêt plus récent, du 19 février 1960, publié dans Archives,
vol. 28, p. 524). Ce dernier arrêt insiste particulièrement, s'agissant
de produits employés dans la fabrication, sur la distinction entre les
"produits intermédiaires", qui passent totalement ou partiellement dans
le produit fabriqué, et les moyens auxiliaires de fabrication ("produits
auxiliaires"), qui n'y passent pas. Il constate que l'AChA ne reconnaît
la qualité de matière première qu'aux premiers, à l'exclusion des seconds.

Erwägung 2

    2.- Le recourant ne prétend pas que le plâtre ou les "meulettes"
qu'il utilise se retrouvent, de quelque façon que ce soit, comme parties
intégrantes des prothèses fabriquées. Avec raison. Le plâtre, sous forme
de moule, ne fait qu'entourer la pièce coulée et doit être détruit pour
la dégager. Il a la même fonction que le bois de coffrage en matière de
bétonnage (RO 71 I 187). Le recourant ne fournit aucune explication sur la
fonction des "meulettes", se bornant à affirmer qu'elles ne peuvent être
utilisées chacune que pour une seule prothèse. S'il s'agit, comme l'expose
l'AFC, de petits disques abrasifs destinés au polissage des prothèses
coulées, on comprend mal que leur utilisation soit aussi restreinte. Ce
point, toutefois, n'a pas à être élucidé. La qualité de matière première
ne dépend pas, en effet, du point de savoir si l'objet ou la matière en
cause est utilisable plusieurs fois ou une fois seulement.

    Si l'on s'en tient à la définition légale et à la jurisprudence
rappelée ci-dessus, le recours apparaît mal fondé. Toutefois, le recourant
soutient que le plâtre et les "meulettes" ne sont pas des outils, mais des
produits intermédiaires, nécessaires à la fabrication et tombant ensuite
comme déchets au cours du processus. Cet argument pourrait trouver un
appui dans les développements de l'arrêt Aberegg-Steiner & Cie AG c. AFC
(RO 74 I 505 ss.), que l'on peut résumer comme suit:

    La notion de matière première doit s'entendre de manière extensive. De
même, doit s'entendre extensivement le principe qui veut que la matière
première soit caractérisée par le passage dans le produit fabriqué. A cet
égard, doivent être considérés comme matière première les matières et
les produits qui sont ajoutés au produit fabriqué pour en être ensuite
extraits. Ces substances ne se trouvent pas dans le produit fini, mais
elles sont néanmoins des matières premières, car la condition nécessaire
et suffisante a été remplie à un certain moment au cours du processus. Est
donc matière première tout ce qui, à un stade quelconque du processus
de fabrication, est partie intégrante du futur produit fabriqué. Il en
va de même des produits qui constituent la marchandise elle-même à un
stade préliminaire. Dans la fabrication des clichés - qui était alors
en cause - les projets, négatifs, matrices, etc. ne passent pas dans le
produit fini et sont donc, en règle générale, des moyens auxiliaires de la
fabrication et non des matières premières. Toutefois, s'il est fabriqué
spécialement pour donner suite à une commande unique et que le tirage
soit limité à un seul exemplaire ou à un nombre restreint d'exemplaires,
le négatif - ou autre produit auxiliaire analogue - peut être identifié
à la marchandise. Il représente cette marchandise elle-même à un stade
préliminaire du processus de fabrication. Extérieurement, cette relation
se manifeste par le fait que le produit auxiliaire est, dans certaines
circonstances, livré en même temps que la marchandise. Ainsi, le caractère
de matière première doit être reconnu aux négatifs, matrices et autres
produits analogues, à condition qu'ils soient confectionnés spécialement
en vue du tirage d'un exemplaire ou d'un nombre restreint d'exemplaires
du produit fini.

    En ce qui concerne les "meulettes", l'arrêt Aberegg n'est d'aucun
secours pour le recourant. En revanche, l'application des principes
qu'il dégage à la présente espèce conduirait à l'exonération du plâtre
de moulage, en tant que l'on assimile le moule aux matrices ou aux
négatifs. Il est évident en effet que le moule est fabriqué spécialement
pour chaque prothèse et qu'il n'est utilisable qu'une seule fois.

Erwägung 3

    3.- L'arrêt Aberegg, toutefois, a fait l'objet de critiques
(cf. notamment KURT AMMON, Der Eigenverbrauch in der eidgenössischen
Warenumsatzsteuer, thèse Berne 1957, p. 53; W. WELLAUER, Die eidgenössische
Warenumsatzsteuer, p. 226, no 371). Deux arrêts postérieurs (Archives, vol.
20, p. 202 et vol. 21, p. 152) ont expressément désigné comme exception
au principe général l'extension de la qualité de matière première à "la
marchandise à un stade préliminaire". Il convient dès lors de rechercher
si cette exception est conciliable avec le texte légal et de soumettre
cette jurisprudence à un nouvel examen, comme le suggère l'AFC dans ses
observations.

    En son considérant 2, dernier alinéa (RO 74 I 514), l'arrêt Aberegg
pose tout d'abord que les substances incorporées à la marchandise en cours
de fabrication ont satisfait à ce moment-là à la condition nécessaire
et suffisante pour qu'elles revêtent la qualité de matière première et
doivent donc être tenues pour telle, alors même qu'elles seront par la
suite extraites du produit. Cette argumentation se concilie difficilement
avec le texte clair de l'art. 18 AChA, qui fait état des matières brutes et
des produits intermédiaires qui sont "convertis en marchandises". Le texte
français - comme le texte italien, qui lui est semblable - exprime ainsi
clairement que la matière première doit encore se trouver substantiellement
dans le produit terminé. Le texte allemand, en parlant de matières qui
"passent dans les marchandises fabriquées" ("die in die hergestellten
Waren... übergehen"), exprime de façon un peu différente la même idée,
la marchandise devant toujours s'entendre au sens de produit au stade où
il est prêt à être livré par l'entreprise en cause. Sur la base de ces
textes, il ne se justifie pas de conférer la qualité de matière première
à une matière qui, pour s'être trouvée incorporée à un moment ou à un
autre dans le produit en cours de fabrication, ne se retrouve plus dans
le produit achevé. De même, il n'y a pas lieu d'assimiler la "marchandise
à un stade préliminaire" - notion au demeurant difficile à saisir - au
produit achevé. Il faut évidemment réserver le cas où l'incorporation
provisoire d'un produit au produit fabriqué s'accompagne de phénomènes
chimiques, impliquant dégagement ou apport d'énergie. Le produit peut
alors, le cas échéant, être considéré comme matière première, ainsi que
le relève l'AFC dans ses observations, mais en tant que "produit servant
à la production d'énergie ou autres fins semblables".

    S'agissant plus particulièrement de la fabrication de clichés, c'est
à bon droit que l'arrêt commence par attribuer aux projets, négatifs,
matrices et autres produits du même genre la qualité de moyens auxiliaires
de la fabrication, leur déniant, en règle générale, la qualité de matière
première, parce qu'ils ne passent pas dans le produit achevé. En revanche,
l'exception faite, au considérant 3, dernier alinéa (RO 74 I 515), pour
le cas où le moyen auxiliaire est fabriqué spécialement pour l'exécution
d'une commande unique et en vue du tirage d'un seul exemplaire ou d'un
nombre restreint d'exemplaires, ne se justifie pas. Le fait qu'un moyen
auxiliaire soit confectionné spécialement en vue de l'exécution d'une
seule commande n'en change par le caractère et ne justifie pas son
assimilation à la marchandise, que ce soit au stade final ou à un stade
préliminaire. Quant à la distinction fondée sur le nombre d'exemplaires
tirés - critère au reste imprécis - elle s'explique peut-être par le fait
que la décision a été rendue alors qu'était encore en vigueur l'ancien
texte de l'art. 18, 2e phrase, qui posait expressément que ne valaient
pas matière première les objets (machines, outils, etc.) qui pouvaient
être employés de façon répétée ou durable dans la fabrication. Pourtant,
cela ne signifie pas qu'un objet utilisable une fois seulement vaudrait
matière première; pour être considéré comme telle, l'objet doit, ainsi
que l'a toujours exigé le Tribunal fédéral, satisfaire aux conditions
positives définies par la première phrase dudit article (cf. RO 71 I
452, 73 I 164, 73 I 267, et l'arrêt en cause, p. 513). Au reste, cette
seconde phrase, jugée superflue et source d'interprétations erronées,
a été supprimée avec effet au 31 décembre 1954 (FF 1954 II p. 783). Le
fait qu'un moyen auxiliaire ne puisse être employé qu'une seule fois est
donc sans influence sur sa qualification. N'est pas non plus déterminant
le fait que les négatifs ou autres produits analogues sont parfois livrés
avec le produit fini: cela s'explique simplement par la raison que ces
objets peuvent présenter de l'intérêt pour le client, tandis qu'ils n'en
ont plus pour le fabricant. Ils n'en deviennent pas pour autant partie
intégrante de la marchandise fabriquée.

    L'extension de la notion de matière première, telle qu'elle résultait
du dernier alinéa de chacun des considérants 2 et 3 de l'arrêt Aberegg,
ne peut être maintenue. Partant, la qualité de matière première ne peut
pas être reconnue au plâtre de moulage dont le recourant fait usage. Il
s'ensuit que le recours doit être entièrement rejeté.