Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 92 I 24



92 I 24

7. Arrêt du 2 mars 1966 dans la cause Rassemblement jurassien contre
Conseil-exécutif du canton de Berne. Regeste

    1.  Legitimation eines idealen Vereins zur staatsrechtlichen Beschwerde
gegen einen Entscheid, der seine statutarische Tätigkeit behindert;
Zulässigkeit der Beschwerde trotz Fehlens eines aktuellen praktischen
Interesses (Erw. 1).

    2.  Fehlen eines kantonalen Rechtsmittels zur Anfechtung eines Erlasses
der vollziehenden Behörde (Erw. 2).

    3.  Darf das Bundesgericht die materielle Prüfung einer
staatsrechtlichen Beschwerde ablehnen, weil die Beschwerde als
missbräuchlich erscheint? Frage offen gelassen, da die vorliegende
Beschwerde nicht missbräuchlich ist (Erw. 3).

    4.  Unzulässigkeit von Begehren, die sich nicht auf den angefochtenen
Entscheid, sondern auf Ausführungsmassnahmen beziehen, oder auf
Feststellung einer Rechtslage gerichtet sind (Erw. 4).

    5.  Die zuständige Behörde darf, auf Grund ihrer allgemeinen
Polizeigewalt, die verfassungsmässigen Freiheitsrechte beschränken,
z.B. den Veranstaltern einer Kundgebung ein bestimmtes Gebiet für diese
vorschreiben zur Vermeidung von Zusammenstössen mit der Bevölkerung
eines Dorfes oder mit Teilnehmern einer andern, in der Nachbarschaft
veranstalteten Kundgebung (Erw. 5 und 6).

    6.  Verhältnismässigkeit der auf die allgemeine Polizeigewalt
gestützten Massnahmen (Erw. 7).

    7.  Die vollziehende Behörde ist befugt, Strafen festzusetzen für den
Fall der Übertretung von Vorschriften, die sie auf Grund ihrer allgemeinen
Polizeigewalt erlässt (Erw. 8).

Sachverhalt

    A.- Le Rassemblement jurassien est une association régie par les
art. 60 ss. CC. Selon l'art. 1er de ses statuts, il a pour but principal
"d'affranchir le peuple jurassien de la tutelle bernoise par la création
d'un canton du Jura au sein de la Confédération suisse..., le cas échéant
par d'autres solutions". Il publie un hebdomadaire, le Jura Libre. Au
Rassemblement jurassien s'oppose l'Union des patriotes jurassiens, dont
les membres sont favorables au maintien du Jura dans le canton de Berne.

    B.- En automne 1965, l'Union des patriotes jurassiens décida
de célébrer à St-Imier, le 21 novembre 1965, le 150e anniversaire du
rattachement du Jura et de Bienne au canton de Berne. A la même époqee,
le Grand Conseil du canton de Berne s'occupa de problèmes fiscaux. Il
prit des décisions que le Rassemblement jurassien n'approuva pas. Dans le
Jura Libre du 17 novembre 1965 parut un communiqué disant notamment:

    "Le Comité directeur du Rassemblement jurassien s'est réuni
d'urgence... Il a entendu un rapport sur la hausse des impôts d'Etat,
décidée par le Grand Conseil bernois contre la volonté de la grande
majorité des députés du Jura... Estimant que la majorité bernoise pratique
une politique financière et fiscale contraire aux intérêts des catégories
sociales et professionnelles du Jura..., le Rassemblement jurassien
est résolu à étendre sa lutte sur ce terrain-là. Vu les circonstances,
l'assemblée commémorative organisée par l'UPJ le 21 novembre à St-Imier est
un acte de servilité que rejettent la grande majorité des Jurassiens de
langue française... le Rassemblement jurassien a décidé de répondre à la
provocation de l'UPJ... en organisant une contre-manifestation le... 21
novembre. Le Comité directeur a choisi Courtelary... comme lieu de la
manifestation populaire...".

    Entre-temps, le 16 novembre 1965, le Conseil-exécutif du canton de
Berne, par son président, avait demandé au Rassemblement jurassien de faire
savoir à la Chancellerie d'Etat, jusqu'au 17 novembre 1965 à 18 h., "quand,
où et dans quel cadre" la contre-manifestation aurait lieu et quels étaient
les organes et les personnes qui en assumaient la responsabilité. La
lettre ajoutait: "Au cas où les questions posées ci-dessus demeureraient
sans réponse, le Conseil-exécutif se réserve de prendre toutes mesures
utiles". Le Rassemblement jurassien ne répondit pas à cette lettre. En
revanche, le 17 novembre, il informa l'Office bernois de la circulation
routière de son projet d'organiser, le 21 novembre à 15 heures, sur
la place du Collège à Courtelary, une manifestation publique précédée
d'un cortège qui, partant de la gare, suivrait la route principale. Il
demandait que la circulation fût détournée durant la mani festation.

    Le Rassemblement jurassien adressa en outre à ses membres et à ceux
de divers groupements qui lui sont affiliés un appel ainsi conçu:

    "MANIFESTATION POPULAIRE

    Dimanche, 21 novembre 1965, à 15 h., place du Collège à Courtelary
CONTRE LA HAUSSE DES IMPÔTS ET LA POLITIQUE FINANCIÈRE DES AUTORITÉS
BERNOISES

    CONTRE L'ANNEXION DU JURA AU CANTON DE BERNE

    Citoyens! Citoyennes!

    Chers amis!

    Pour faire face aux événements, et à la demande des fédérations de
Courtelary, La Neuveville et Moutier, le comité directeur du Rassemblement
jurassien a décidé d'organiser la contre-manifestation mentionnée
ci-dessus. Nous ne pouvons laisser le champ libre à ceux qui trahissent
les intérêts de notre patrie au moment où Berne, contre l'avis de nos
députés, cherche à nous écraser un peu plus.

    L'année 1965 restera mémorable. Il faut que la manifestation de
Courtelary soit le dernier acte de libération, celui qui fera avancer
considérablement notre cause, tout en annihilant les effets de la
propagande bernoise.

    NOUS VOUS DEMANDONS DE VENIR DIMANCHE AU CHEF-LIEU DU DISTRICT DE
COURTELARY.

    LA MANIFESTATION SERA PRECEDEE D'UN CORTÈGE QUI SE FORMERA À 14 H. 30
PRÈS DE LA GARE DE COURTELARY.

    Soyez présents! Nous comptons sur vous tous! Que tous ceux qui le
peuvent passent, en voiture, par La Ferrière et Saint-Imier, pour montrer
l'emblème du Jura aux Bernois et valets de Berne présents en ce lieu.

    À 14 H. 30 À COURTELARY!"

    C.- Le 18 novembre 1965, la municipalité de St-Imier requit le
Conseil-exécutif d'interdire sur le territoire communal, le 21 novembre,
toute manifestation quelconque à l'exception de celle de l'Union des
patriotes jurassiens. Le même jour, la municipalité de Courtelarly
sollicita le Conseil-exécutif d'interdire dans cette localité, le 21
novembre, toutes les manifestations en rapport avec celle qu'avait annoncée
le Rassemblement jurassien. Elle ajoutait: "D'après les renseignements qui
nous sont parvenus et tenant compte de l'état d'esprit qui règne dans notre
village depuis l'annonce de cette manifestation, il est à craindre que
la sécurité ne puisse être maintenue et que l'ordre public soit troublé".

    Le 19 novembre 1965, le Conseil-exécutif prit l'arrêté suivant:

    "8172. Manifestation projetée dans le Vallon de St-Imier par le
Rassemblement jurassien; interdiction quant au lieu. -

    Le Conseil-exécutif du canton de Berne,

    considérant:

    -  que les autorités compétentes de police locale de Courtelary et
St-Imier ont demandé par lettres du 18 novembre 1965 au Conseilexécutif,
en vue du maintien de la tranquillité et de l'ordre, d'interdire sur
leur territoire communal toute manifestation du Rassemblement jurassien
organisée ou à prévoir pour dimanche, 21 novembre 1965,

    - que les autorités de police localc de Courtelary et St-Imier
considerent comme extrêmement grave et probable le danger de collisions
entre les membres du Rassemblement jurassien et des organisations qui lui
sont affiliées, d'une part, et les citoyens de la commune de Courtelary
et les participants à la fête commémorative de St-lmier, d'autre part,

    - que les autorités de police locale de Courtelary et St-Imier, qui
peuvent juger la situation de près, sont le mieux à même de dire si une
manifestation envisagée éveille des craintes du point de vue du maintien
de l'ordre public,

    - que l'assemblée prévue par le Rassemblement jurassien pour protester
contre la politique financière de l'Etat de Berne est sans rapport
avec le choix de la région et que manifestement le Vallon de St-Imier
n'a été retenu qu'en fonction de la célébration du 150e anniversaire
du rattachement du Jura et de Bienne au canton de Berne organisée par
l'Union des patriotes jurasiens pour le même jour à St-Imier,

    - que toute manifestation en un lieu public nécessite une autorisation
de police de sûreté et du trafic à cause de l'usage extraordinaire des
routes et des places qui en résulte,

    - que la liberté de réunion prévue dans les Constitutions fédérale
et cantonale n'est garantie que sous réserve des restrictions générales
de police (ATF 61 I 103 ss.),

    - que les organes compétents du Rassemblement jurassien et les
organisations qui lui sont affiliées se sont refusés, malgré sommation,
à fournir au Conseil-exécutif du canton de Berne des indications précises
concernant l'heure, le lieu, le genre de la manifestation projetée et le
nom des organisateurs responsables,

    - que le Conseil-exécutif n'a dès lors même pas été en mesure
d'examiner la question d'une autorisation à donner en vue de cette
assemblée de protestation dans le Vallon de St-Imier,

    - qu'il existe dans le Jura suffisamment d'endroits se prêtant à
l'organisation de cette assemblée de protestation sans qu'il en résulte
un danger de collision et sans que d'autres réunions soient troublées,

    arrête: 1. Il est assigné au Rassemblement jurassien et aux
organisations qui lui sont affiliées, en vue de tenir l'assemblée de
protestation projetée, le secteur sis au nord de la ligne La Cibourg -
Mont-Soleil -Mont Crosin - Pierre-Pertuis.

    2. Les intéressés auront, avant la manifestation projetée, à prendre
contact avec les organes compétents de l'autorité de police locale du
lieu choisi à cet effet.

    3. Le Rassemblement jurassien et les organisations qui lui sont
affiliées ont l'interdiction de tenir au sud de la ligne mentionnée sous
chiffre 1 ci-dessus toute manifestation projetée ou envisagée.

    4. Les infractions à la présente interdiction seront punies de l'amende
ou des arrêts, ces deux peines pouvant être cumulées.

    5. L'interdiction est applicable dimanche, 21 novembre 1965, de 0000
à 2400.

    6. La Police cantonale est chargée de l'application du présent arrêté.
Elle veillera en outre, en collaboration avec la Direction des travaux
publics, que les voies d'accès vers le Vallon de St-Imier restent
ouvertes."

    D.- Le 21 novembre, la manifestation préparée par l'Union des patriotes
jurassiens eut lieu à St-Imier. Celle du Rassemblement jurassien se
déroula aux Breuleux, dans le secteur délimité par l'arrêté du 19
novembre. Elles ne furent troublées ni l'une ni l'autre. Cependant,
plusieurs automobilistes, qui désiraient se rendre des Breuleux à St-Imier
par le Mont-Crosin se sont plaints de la grossièreté et de la brutalité
de la police bernoise, qu'ils accusent d'avoir usé de gaz lacrymogène et
coupé la route aux porteurs d'emblèmes jurassiens.

    E.- Par le présent recours de droit public, le Rassemblement jurassien
requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêté du Conseil-exécutif du
19 novembre 1965 et de déclarer contraires à l'ordre public suisse "les
procédés utilisés par la police cantonale bernoise envers la population
jurassienne et les Confédérés". Ses moyens seront repris ci-après dans
la mesure utile.

    Le Conseil-exécutif conclut à l'irrecevabilité, éventuellement au
rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Le recourant est une association à but idéal. L'arrêté attaqué
l'a entravé dans son activité statutaire. Il allègue qu'un certain nombre
de libertés individuelles qui lui sont garanties par la constitution ont
été violées à son préjudice. Il a dès lors qualité pour agir (art. 88 OJ;
RO 91 I 1931ettre c et 325/6).

    Peu importe qu'il se soit conformé à l'arrêté attaqué. S'il voulait
tenir la manifestation prévue tout en demeurant dans la légalité, il
n'avait pas d'autre issue. Il ne s'est pas pour autant privé du droit de
plaider l'inconstitutionnalité des mesures prises à son égard. Certes,
l'assemblée en vue de laquelle le Conseil-exécutif a pris l'arrêté attaqué
a déjà eu lieu. Le recourant n'a donc plus l'intérêt actuel et pratique
qui est en principe nécessaire pour recourir. Toutefois, la jurisprudence
renonce à cette exigence lorsque le recours vise un acte dont le Tribunal
fédéral ne pourrait sinon jamais revoir la constitutionnalité et qui peut
se reproduire en tout temps (RO 91 I 326 consid. 1). Or ces conditions
sont remplies en l'espèce.

Erwägung 2

    2.- Sous réserve d'exceptions qui ne sont pas réalisées ici (art. 86
al. 2, 2e phrase, OJ), le recours de droit public pour violation de droits
constitutionnels n'est recevable qu'après épuisement des moyens de droit
cantonal (art. 86 al. 1 et 2, 1e phrase, et art. 87 OJ). Constituent de
tels moyens les voies de droit qui sont ouvertes au recourant lui-même afin
de faire disparaître le préjudice juridique allégué et qui sont de nature
à obliger l'autorité saisie à statuer (RO 88 I 153, 90 I 204 et 230). Le
Rassemblement jurassien ne possédait aucun moyen de ce genre pour attaquer
l'arrêté du 19 novembre 1965. Certes, le Conseil-exécutif devait le porter
à la connaissance du Grand Conseil, qui avait le pouvoir de prendre
"des dispositions ultérieures" (art. 39 al. 2 Cst. bern.). Toutefois,
cette communication n'incombait pas au recourant et ne requérait pas
nécessairement des mesures du Grand Conseil. Les moyens de droit cantonal
sont donc épuisés.

Erwägung 3

    3.- Le Conseil-exécutif soutient que le présent recours, accompagné
d'une publicité insolite, n'a été déposé que dans un but de propagande. Il
en déduit qu'il est abusif et, partant, irrecevable. Point n'est besoin
de décider aujourd'hui si le Tribunal fédéral peut refuser d'examiner le
fond d'un recours de droit public qu'il considère comme abusif. Sans doute,
le Rassemblement jurassien a fait publier le texte de son recours par la
presse dans le dessein manifeste de stimuler ses adhérents et de gagner
la sympathie d'autres milieux. Rien ne laisse supposer cependant qu'il
se soit estimé battu d'avance et qu'il ait agi à seule fin de pouvoir,
une fois débouté, se plaindre des insuffisances de l'ordre juridique ou
de l'incompréhension des autorités judiciaires. Son recours ne saurait
dès lors être considéré comme abusif.

Erwägung 4

    4.- Le recourant demande au Tribunal fédéral de déclarer contraires à
l'ordre public suisse certains "procédés utilisés par la police cantonale
bernoise". Cette conclusion est irrecevable tout d'abord parce que
le recours de droit public ne pcut viser qu'un arrêté ou une décision
au sens de l'art. 84 OJ et non de simples actes d'exécution comme le
sont les agissements de la police bernoise. Elle l'est aussi parce que,
sous réserve d'exceptions qui ne sont pas réalisées ici, le recours de
droit public permet de faire non pas constater une situation juridique,
mais exclusivement annuler un arrêté ou une décision.

Erwägung 5

    5.- L'une des missions essentielles de l'Etat est d'assurer l'harmonie
de la vie collective. Le développement harmonieux de la vie collective
n'est possible que si règne l'ordre public. Il incombe dès lors à l'Etat
d'assurer cet ordre. Toutefois, les atteintes à l'ordre public, par
exemple aux institutions ellesmêmes, à l'activité de l'administration,
aux libertés individuelles, à d'autres valeurs morales ou matérielles
reconnues par la majorité des individus, peuvent revêtir des formes si
diverses que le constituant ni le législateur ne sauraient les prévoir
toutes. Ces atteintes doivent néanmoins pouvoir être empêchées ou
réprimées, puisqu'elles compromettent la réalisation d'une tâche étatique
fondamentale. C'est pour répondre à cette nécessité que la jurisprudence
a forgé la clause générale de police. Au regard des considérations qui
précèdent, celle-ci ni saurait, comme le recourant paraît vouloir le faire,
être contestée dans son principe même. Elle a acquis aujourd'hui, tant en
droit fédéral qu'en droit cantonal, la valeur d'un principe constitutionnel
non écrit. Elle confère à l'autorité exécutive le droit, en vertu de
son pouvoir général de police, c'est-à-dire sans base constitutionnelle
ou légale expresse, de prendre les mesures indispensables pour rétablir
l'ordre public s'il a été troublé, ou pour le préserver d'un danger sérieux
qui le menace d'une façon directe et imminente (RO 91 I 327). En se
fondant sur elle, l'autorité peut notamment limiter l'exercice des libertés
individuelles. Une jurisprudence constante et déjà ancienne lui a reconnu
ce pouvoir en ce qui concerne par exemple la liberté d'association (RO 60
I 209 et 353, 61 I 39 et 269), la liberté de réunion (RO 55 I 235 ss., 57
I 272), la liberté de presse (RO 60 I 121 s.), la liberté du commerce et
de l'industrie (RO 63 I 222, 67 I 76) et le droit de propriété (RO 20, p.
796, 35 I 148, 88 I 176) (voir en outre l'arrêt RO 91 I 326/327).

    Dans son ensemble, la doctrine suisse admet aussi la validité de la
clause générale de police (FLEINER, Schw. Bundesstaatsrecht, p. 321;
MÜLLER, Über Präventivpolizei, p. 91; RUCK, Schw. Verwaltungsrecht,
p. 46 ss.; VOIGT, Der liberale Polizeibegriff und seine Schranken in der
bundesgerichtlichen Judikatur, p. 48; plus réservé H. HUBER dans ZBl
vol. 33, p. 238). Seul GIACOMETTI paraît avoir eu, à un moment donné,
une opinion contraire (Schw. Bundesstaatsrecht, p. 384, spéc. note
52, et p. 247, spéc. note 37). Aujourd'hui cependant, il semble se
rallier à l'opinion dominante, qu'il avait du reste autrefois professée
(Allg. Lehren, p. 282, spéc. note 32; Staatsrecht der schw. Kantone,
p. 176, note 47). Les avis divergent davantage lorsqu'il s'agit de savoir
si l'autorité exécutive peut fonder sur la clause de police non seulement
des décisions d'espèce, mais aussi des ordonnances (en faveur du pouvoir
large: MARTI, Das Verordnungsrecht des Bundesrates, p. 111 ss.; MOSER,
Die Verordnung des Bundesrates, p. 60 ss.; SCHINDLER, RSJ vol. 31, p. 305
ss.; contra: GIACOMETTI, Staatsrecht der schw. Kantone, p. 503 ss., Schw.
Bundesstaatsrecht, p. 791 ss., RSJ vol. 31, p. 257 ss., 369 ss.). Pour sa
part, le Tribunal fédéral l'a admis une fois au moins (RO 64 I 370 ss.).
Point n'est besoin de décider aujourd'hui si cette jurisprudence doit être
maintenue. En effet, l'arrêté attaqué ne constituait pas une ordonnance,
c'est-à-dire un ensemble de règles à la fois générales et abstraites. Même
s'il visait un nombre indéterminé de personnes, il s'est appliqué dans
un cas concret. Il se caractérise dès lors comme une décision, d'une
espèce particulière il est vrai, mais qui diffère d'une ordonnance au
sens précisé ci-dessus.

    La clause générale de police s'est également imposée à l'étranger. A
ce sujet, le droit allemand se rapproche des conceptions helvétiques,
qu'il a manifestement influencées (cf. l'ouvrage classique de DREWS-WACKE,
Allgemeines Polizeirecht, spéc. p. 10). En France, non seulement les
traités de droit administratif admettent l'existence de la police générale,
dont la définition s'apparente à celle de la clause générale de police
(DUEZ et DEBEYRE, nos 736 ss.; LAUBADERE, nos 1005 ss.; WALINE, 8e éd.,
nos 1019 ss.), mais le Conseil d'Etat applique fréquemment la même notion,
d'une façon plus ou moins libérale suivant les circonstances (LONG,
WEIL et BRAIBANT, Les Grands arrêts de la jurisprudence administrative,
4e éd., spéc. p. 212 ss.).

    En définitive, l'étude de la doctrine suisse et étrangère plaide pour
le maintien de la jurisprudence fédérale. Il ne se justifie pas d'y déroger
dans le cas particulier en vertu de l'art. 111 Cst. cant., qui proscrit
les lois, ordonnances, décrets et arrêtés inconstitutionnels. La clause
générale de police est un principe constitutionnel qui limite valablement
les libertés garanties par la constitution. Dès lors, l'arrêté attaqué
n'aura violé aucun droit constitutionnel dans la mesure où il pourra
s'appuyer sur cette clause.

Erwägung 6

    6.- Pour décider si le Conseil-exécutif était fondé, en vertu de son
pouvoir général de police, à prendre l'arrêté attaqué, il faut déterminer
si l'assemblée que le recourant se proposait de réunir à Courtelary le
21 novembre 1965 menaçait l'ordre public d'un danger sérieux, de façon
directe et imminente. A cet égard, la Cour de céans ne reverra qu'avec
retenue les constatations de fait de l'arrêté attaqué. En revanche,
elle examinera librement les questions de droit (cf. RO 23 II 1498 ss.).

    Se fondant sur les demandes d'intervention que lui avaient adressées
les autorités de Courtelary et de St-Imier, le Conseilexécutif invoque
premièrement "le danger de collisions entre les membres du Rassemblement
jurassien et des organisations qui lui sont affiliées, d'une part, et les
citoyens de la commune de Courtelary", d'autre part. Sur cette question de
fait, le Tribunal fédéral n'a aucune raison de s'écarter de la manière de
voir de l'autorité cantonale. La manifestation qui devait avoir lieu le 21
novembre 1965 à Courtelary était en réalité une contre-manifestation. Si le
Rassemblement jurassien voulait protester contre la politique financière du
canton de Berne, il entendait aussi et surtout témoigner sa réprobation à
ceux qui s'assemblaient le même jour à St-Imier. Le communiqué et l'appel
mentionnés sous lettre B ci-dessus en sont la preuve éclatante. Dès lors,
les adversaires du recourant devaient se sentir directement visés par le
projet d'une réunion à Courtelary. Le risque qu'elle ne fût troublée par
les habitants de la localité paraissait d'autant plus grave que, selon
les déclarations du président de commune, une grande partie d'entre eux
ne sont pas acquis au mouvement séparatiste. Dans ces circonstances, les
appréhensions émises par le Conseil municipal de Courtelary, puis partagées
par le Conseil-exécutif au sujet d'un affrontement entre les séparatistes
et la population du village n'étaient pas vaines. Qu'elles s'inspirent de
raisons électorales ou autres, elles n'en sont pas affaiblies pour autant.

    L'arrêté attaqué fait état d'un second "danger de collision" entre
les manifestants de St-Imier et de Courtelary. Le Tribunal fédéral n'a pas
lieu non plus de mettre en doute cette considération, qui ressortit aussi
au domaine des faits. Certes, St-Imier et Courtelary sont distants d'une
dizaine de kilomètres. Toutefois, pour se rendre en automobile à la fête
de St-Imier, les Jurassiens du Nord devaient pour la plupart franchir
Courtelary. De même, pour gagner cette localité, les Suisses romands
que le recourant avait invités à sa réunion, auraient traversé en grand
nombre St-Imier. D'où le risque de rencontres et, partant, de conflits
entre adversaires. Le recourant est d'autant plus mal venu à sous-estimer
cette menace que, dans son appel, il avait recommandé à ses partisans de
passer "en voiture, par La Ferrière et St-Imier, pour montrer l'emblème du
Jura aux Bernois et valets de Berne présents en ce lieu". Nul ne saurait
affirmer que les antiséparatistes assemblés à St-Imier eussent assisté
sans réagir à des comportements qu'ils auraient pu tenir pour provocateurs.

    Les dangers redoutés paraissaient d'autant plus sérieux que le
Rassemblement jurassien avait omis de répondre aux questions que le
président du Conseil-exécutif lui avait posées par lettre le 16 novembre
1965. Même si, en principe, les assemblées publiques ne sont pas soumises
à autorisation dans le canton de Berne, il n'en est pas moins vrai qu'à
l'annonce de la réunion de Courtelary, soit en face d'une situation
alarmante, le Conseilexécutif était fondé à se renseigner sur les
intentions des organisateurs. Le recourant devait s'en rendre compte et
fournir les indications qui lui étaient demandées, sous peine de faire
naître des soupçons justifiés. Il ne pouvait se contenter d'adresser
à l'Office cantonal de la circulation routière une lettre que celui-ci
n'était pas tenu de transmettre au Conseilexécutif.

    En présence de cet état de choses, l'autorité cantonale craignait avec
raison que, si les partisans du Rassemblement jurassien se réunissaient
à Courtelary et ceux de l'Union des patriotes jurassiens à St-Imier, les
uns et les autres ne se heurtent sur la voie publique et que des actes
de violence ne s'ensuivent. Un risque de ce genre est un des plus graves
auxquels l'ordre public puisse être exposé. D'autre part, vu la tension
qu'avait créée l'annonce des deux manifestations simultanées, la menace
était directe et imminente. Dès lors, toutes les conditions d'application
de la clause générale de police étant remplies, l'arrêté attaqué l'invoque
à juste titre. Le recourant ne saurait objecter que, jusqu'à présent,
ses membres se sont, selon lui, toujours assemblés paisiblement. Une
manifestation qui groupe les adhérents d'une même cause est évidemment
moins dangereuse pour l'ordre public que la réunion d'adversaires dans des
localités voisines où ils ont l'occasion d'entrer en contact (RO 91 I 329).

Erwägung 7

    7.- Pour que les mesures incriminées se justifient, il ne suffit pas
qu'elles se fondent à bon droit sur la clause générale de police. Encore
faut-il qu'elles obéissent au principe de proportionnalité, c'est-à-dire
qu'elles ne dépassent pas le but visé (RO 91 I 327). Elles satisfont
cependant à cette exigence. Certes, au lieu d'obliger le recourant à
déplacer sa manifestation, le Conseil-exécutif aurait pu en tolérer le
maintien et prendre les dispositions nécessaires au respect de l'ordre
public. Toutefois, l'intérêt du recourant à tenir sa réunion à Courtelary
plutôt que dans une autre localité ne motivait pas la mobilisation
des forces considérables qui eussent prévenu tout risque de trouble
en l'occurrence. Au reste, il n'y a pas lieu de se demander si, dans
l'exécution de l'arrêté attaqué, la police bernoise a observé ou non
le principe de proportionnalité. Il ressort du considérant 4 que cette
question échappe à la connaissance du Tribunal fédéral dans la présente
procédure.

Erwägung 8

    8.- Enfin, le recourant reproche à tort au Conseil-exécutif d'avoir
menacé de l'amende ou des arrêts les contrevenants à l'arrêté attaqué, en
prévoyant la possibilité de cumuler ces peines (art. 4). L'art. 335 ch. 1
CP attribue aux cantons "le pouvoir de Iégiférer sur les contraventions
de police qui ne sont pas l'objet de la législation fédérale", et celui
"d'édicter des peines pour les contraventions aux prescriptions cantonales
d'administration et de procédure". En vertu de ce texte, les cantons sont
notamment compétents pour réprimer l'organisation d'une réunion de nature
à troubler l'ordre public (HAFTER, RDS, 1940 p. 27 a ss.; PANCHAUD, eodem
loco, p. 65 a s. et 75 a s.). Or il n'y a aucune raison de contester à
l'autorité exécutive qui se fonde sur la clause générale de police et se
substitue ainsi au législateur, le pouvoir de prendre les dispositions
dont le Code pénal réserve l'adoption aux cantons. On ne saurait lui
reconnaître la faculté d'ordonner des mesures et lui refuser celle d'en
assurer l'efficacité. En tout cas, rien n'empêchait le Conseil-exécutif
d'édicter des sanctions qui caractérisent les contraventions (cf. RO 86
IV 74). Ce qu'il convient simplement d'ajouter, c'est qu'il ne pouvait
déduire sa compétence de l'art. 292 CP, qui s'applique aux décisions
signifiées à des individus déterminés (RO 78 IV 238 s.).

Entscheid:

              Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours en tant qu'il est recevable.