Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 92 II 1



92 II 1

1. Arrêt de la Ire Cour civile du 15 février 1966 dans la cause Alex Martin
SA contre l'Association suisse des fabricants de cigarettes. Regeste

    Art. 60 Abs. 1 OR (und Art. 23 Abs. 1 KG)

    1.  Für die Festsetzung des Beginns der Verjährungsfrist des Art. 60
OR ist die Kenntnis der tatsächlichen Verhältnisse, nicht diejenige ihrer
rechtlichen Qualifikation massgebend (Erw. 1 a).

    2.  Der Schaden aus einer Einzelhandlung, aus einem Dauerzustand oder
aus mehreren, auf demselben Beschluss beruhenden Handlungen ist bei der
Festsetzung des Beginns der Verjährungsfrist des Art. 60 OR als Einheit
zu behandeln, selbst wenn sich die einzelnen gleichartigen, nacheinander
eingetretenen Schadensbestandteile ermitteln lassen (Erw. 2-7).

Sachverhalt

    A.- Comme elle subissait une discrimination de prix de la part des
fabricants de cigarettes, groupés en une association suisse dont elle
refusait de respecter les conditions de vente aux détaillants, la société
Alex Martin SA, grossiste en tabacs à Fribourg, assigna l'association
devant le Tribunal fédéral, par demande du 6 décembre 1962. Elle concluait
à la cessation du boycott et au paiement de dommages-intérêts. Les 9
janvier et 18 novembre 1963, elle chiffra la seconde conclusion à fin
octobre 1962, respectivement 1963, réservant le préjudice ultérieur.

    Par arrêt du 16 mars 1965 (RO 91 II 25 sv.), la Ie Cour civile du
Tribunal fédéral admit partiellement la demande: l'association refusait à
tort au boycotté la bonification de 0,75% à 1,5% prévue par l'art. 13 de
la convention conclue entre les fabricants le 15 décembre 1960; elle devait
inviter aussitôt ses membres à l'accorder; elle était en outre condamnée à
payer à la demanderesse une indemnité de 73 413 fr. 10, qui représentait le
dommage causé par la discrimination du 1er avril 1961 au 31 octobre 1962.

    Décidée le 12 janvier 1961 en assemblée générale, la mesure
était en effet entrée en vigueur le 1er avril. Dès cette date, les
fabricants ont omis la bonification dans les factures destinées à la
demanderesse. Celle-ci a donc subi le dommage consécutif à la décision
illicite au für et à mesure de leurs livraisons; à réception de chaque
facture, elle connaissait exactement le préjudice qui lui était causé.

    En exécution de l'arrêt, la défenderesse a payé, outre le montant
qui y est fixé, une indemnité pour la période allant du 1er juillet 1964
au 16 mars 1965. Elle a refusé en revanche de réparer le dommage causé
du 1er novembre 1962 au 30 juin 1964, que les parties arrêtent à 90 566
fr. Elle soutient que cette créance était prescrite.

    Le 29 juin 1965, la demanderesse lui a fait notifier un commandement
de payer, frappé d'opposition.

    B.- Les parties étant convenues de saisir directement le Tribunal
fédéral, Alex Martin SA a ouvert une seconde action le 9 novembre 1965. La
demande tend au paiement de 90 566 fr. avec intérêts à 5% dès le 29 juin
1965. La défenderesse conclut au rejet de l'action.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Seule l'exception de prescription est litigieuse, et plus
précisément le point de départ du délai d'un an fixé par l'art. 60 al. 1 CO
(en vertu de l'art. 23 al. 1 Lcart.):

    Certains arguments de la demande sont manifestement dépourvus de
fondement.

    a) Rétablissant la jurisprudence antérieure à l'arrêt publié au
RO 88 II 209, la Cour de céans a reconnu à la défenderesse la qualité
d'association au sens des art. 60 sv. CC et, partant, la personnalité
juridique et la capacité d'ester en justice (RO 90 II 333). L'incertitude
qui a existé sur ce point de droit n'empêche pas que la demanderesse ait
eu connaissance de l'auteur du dommage au plus tard le 6 décembre 1962,
lorsqu'elle a saisi le Tribunal fédéral en raison de la décision qu'elle
jugeait illicite. En effet, pour fixer le point de départ du délai de
prescription, l'art. 60 CO vise la connaissance des faits, non de leur
qualification juridique.

    Pour la même raison, peu importe que l'illicéité de la discrimination
n'ait été définitivement constatée que par l'arrêt du 16 mars 1965. Il
suffit, au regard de l'art. 60 CO, que le lésé ait connu en fait la mesure.
L'appréciation exacte des bases juridiques de la prétention, notamment
de l'illicéité de l'acte dommageable, n'est pas requise (arrêt non publié
rendu le 26 juin 1954 dans la cause Bochatay c. Roten).

    b) La réserve de la prétention issue d'un dommage futur, faite au
cours du premier procès, ne constitue pas un acte interruptif du cours
de la prescription (RO 60 II 202/3; arrêt Schlotz c. Frossard, consid.
10 b, RO 91 II 429).

    c) La demanderesse, enfin, n'allègue aucun fait qui donnerait à penser
que la défenderesse, en invoquant la prescription, abuse de son droit au
sens que la pratique a fixé.

Erwägung 2

    2.- Le délai de prescription de la créance déduite en justice dans le
présent procès a été interrompu pour la première fois par le commandement
de payer du 29 juin 1965. Il s'agit de savoir si, plus d'un an auparavant,
la demanderesse avait eu "connaissance du dommage".

    L'acte illicite consiste dans la décision du 12 janvier 1961, exécutée
dès le 1er avril suivant par les membres de l'association, en vertu de
leurs engagements statutaires. C'est un acte unique et instantané qui a
engendré des effets dommageables identiques par leur nature, répétés au für
et à mesure des factures adressées au lésé. Celui-ci a connu sur-le-champ,
certainement et exactement, le montant dont il était frustré lors d'une
livraison. L'ensemble du dommage qu'il a subi constitue-t-il néanmoins
un dommage unique au regard de l'art. 60 al. 1 CO? Dans l'affirmative, un
seul délai de prescription courait à compter du jour où le préjudice fut
entièrement réalisé et où la demanderesse put en voir toute l'étendue, soit
dès que la décision illicite cessa de sortir ses effets. Dans la négative,
un délai distinct partait, pour le rabais refusé, dès la réception de
chaque facture.

    Sans doute paraît-il avéré que l'attitude des fournisseurs était aussi
illicite et que la défenderesse répond solidairement avec ses membres
(art. 50 CO). Mais la présente action est dirigée uniquement contre
l'association, qui a commis un seul acte illicite. Peu importe donc que,
s'agissant de la responsabilité des fabricants, la notion du préjudice
causé par chacun d'eux puisse être envisagée différemment.

Erwägung 3

    3.- Selon la jurisprudence constante relative à l'art. 60 al. 1 CO (RO
74 II 37; 89 II 404, 417), le dommage n'est réputé réalisé (abgeschlossen)
qu'au moment où il s'est manifesté complètement. C'est ainsi qu'il est
considéré comme un tout, et non comme la somme de préjudices distincts,
lorsque son ampleur résulte d'une situation qui évolue, de manière
irréversible ou non, régulière ou irrégulière. Dans cette hypothèse, qui
se produit notamment lorsqu'une perte de gain s'étale dans le temps, par
exemple en raison d'une incapacité de travail passagère ou permanente, le
délai de prescription ne saurait courir avant le terme de l'évolution. Il
suit en outre du principe posé que les divers chefs de préjudice issus
d'un même acte illicite ne constituent pas des dommages distincts,
mais les éléments d'un seul dommage, réalisé lorsque le dernier, dans
l'ordre chronologique, est survenu. Ainsi en est-il des frais médicaux et
pharmaceutiques (damnum emergens) et de la perte de gain (lucrum cessans)
résultant de l'incapacité temporaire de travailler ou de l'invalidité
permanente en cas de lésions corporelles.

    Certes, il s'agit là d'ordinaire d'actes instantanés qui ont pour
effet médiat un préjudice (la perte de gain, par exemple) dont l'étendue
n'est connue que lorsque le fait immédiatement générateur (la lésion
corporelle, l'atteinte à la réputation commerciale) a terminé son
évolution. Il reste que le délai de prescription ne court pas quand
bien même certains éléments du préjudice sont constants et qu'ils se
distinguent d'autres éléments. Cette conception de l'unité du dommage
procède du but de l'institution de la prescription. Si la sécurité
juridique interdit que l'on invoque tardivement des prétentions dont
l'existence ou l'étendue ne peuvent plus être constatées avec certitude,
la preuve étant rendue difficile par l'écoulement du temps (RO 89 II 437),
cette considération essentielle n'est pas de mise, s'agissant de courts
délais surtout, lorsque les éléments du préjudice ne sont pas encore
tous réalisés. On ne saurait obliger le lésé à diviser son action et
à procéder selon la loi au für et à mesure que se produit chaque effet
partiel et distinct: cette complication sérieuse ne sert pas la sécurité
juridique que l'institution veut promouvoir.

Erwägung 4

    4.- La notion large du dommage s'applique a fortiori dans certaines
situations où l'acte illicite n'apparaît pas unique et instantané et où,
pour cette raison, le préjudice peut varier et s'amplifier.

    Ainsi l'atteinte aux intérêts personnels d'un époux résultant d'une
liaison adultère de son conjoint provient en général d'un ensemble de
faits de portée et de gravité diverses. Le délai de l'art. 60 CO ne court
que lorsque le lésé peut se faire une idée précise de l'importance de
l'atteinte dans son ensemble, même si certains actes antérieurs suffisaient
déjà à fonder l'action (RO 43 II 319 consid. 4); alors seulement, il
connaît le dommage.

    Dans deux arrêts, le Tribunal fédéral a fixé le point de départ du
délai de prescription lorsqu'un acte continu ou continué (au sens du droit
pénal) a causé un préjudice dont les éléments, de même nature, s'accumulent
tant que dure l'état illicite. Ainsi, le dommage n'est pas réalisé par la
seule exécution du séquestre, mais subsiste aussi longtemps que la mesure
est en force; partant, le délai commence à courir lorsque celle-ci est
rapportée (RO 14 p. 630; contra: RGZ 106 p. 285). Dans cette hypothèse,
où un acte unique engendre une situation que seule sa révocation peut
faire cesser, la doctrine range aussi l'arrestation illégale (BECKER,
no 7 ad art. 60 CO). Il en est une seconde, où l'activité dommageable,
bien qu'elle procède d'une résolution unique, s'est répétée. L'imitation
illicite de l'emballage d'un concurrent constitue un tel "délit continué";
tant que persistent les actes déloyaux, le délai de prescription ne court
pas (RO 55 II 253 consid. 2).

    Ces deux dernières espèces se distinguent seulement par les modalités
de l'acte illicite, mais non quant à la notion de dommage. On est en
présence, non certes d'une situation qui évolue (consid. 3; RO 43 II
319), mais néanmoins d'un préjudice résultant de l'addition d'éléments
identiques, dont l'intensité est mesurée par le seul écoulement du temps
(séquestre, détention) ou par le mouvement des affaires (concurrence
déloyale). Il est significatif que la jurisprudence, bien que ces
circonstances n'aient par nature qu'un rapport extérieur et lâche avec
l'existence du dommage, a refusé, là encore, de diviser le préjudice
global.

    Il apparaît donc que l'unité du dommage est le corollaire constant
de l'unité de l'acte qui l'engendre. A l'unité de l'attitude dommageable
qui, procédant d'une seule détermination, dure ou se répète, correspond
l'unité du dommage que cette attitude cause au lésé par sa persistance
ou sa répétition: le même dommage varie et s'amplifie.

    Il serait logique que ce principe s'appliquât dans le présent litige.
L'espèce est analogue à celles qui viennent d'être rappelées - aux deux
dernières surtout -, sauf à remarquer que les éléments successifs du
préjudice sont ici matérialisés et individualisés par les factures des
fabricants, donc perceptibles immédiatement avec certitude et précision.

Erwägung 5

    5.- Encore que le résultat ne soit pas à lui seul décisif, il n'est
pas sans intérêt de comparer des domaines voisins de la prescription
annale de l'art. 60 al. 1 CO.

    a) A l'exception d'une seule, les lois spéciales qui régissent
des situations semblables adoptentla règle de l'art. 60 CO, soit par
un simple renvoi exprès ou tacite, soit par une disposition propre
(cf. art. 23 al. 1 Lcart.; art. 7 LCD; art. 73 al. 1 LBI; art. 44 LDA;
LDMI). On ne saurait étayer une interprétation large de la connaissance
du dommage directement sur la réglementation de l'action en cessation
de trouble qu'elles prévoient, car cette action ne se prescrit pas (RO
88 II 178 consid. 2). Tout au plus trouvera-t-on quelque analogie dans
le fait que la prétention ne s'exerce qu'autant que persiste l'activité
dommageable. L'art. 28 LMF en revanche, qui constitue l'exception,
précise que le délai de prescription court à compter du dernier acte de
contravention. Il en était de même de la jurisprudence relative à l'art. 48
a LBI 1907, qui se référait à la notion pénale d'acte continué (cf. RO 86
II 414/5). Ces deux dernières lois - dont la seconde est abrogée - visent,
dans leur texte même, toute action civile, et partant aussi l'action
en dommages-intérêts, qui se prescrit (cf. RO 86 II 414/5). Elles ont
vu le jour alors que s'appliquait déjà l'ancien art. 69 a CO, dont le
contenu est identique à celui de l'art. 60 actuel. Si, dans une règle
spéciale édictée sur le point aujourd'hui litigieux, ces lois préférèrent
une solution qui évite la division éventuelle des actions, lorsque dure
longtemps la situation illicite, en retardant le point de départ du délai
de prescription de celle qui tend - non à la cessation du trouble - mais au
paiement d'une indemnité, on ne voit pas les motifs qui auraient incliné
le législateur à choisir une autre voie pour le domaine d'application du
code des obligations et des autres lois spéciales. Un tel choix pourrait
entraîner, si l'on reproche au demandeur d'être à tard, un traitement
différent suivant le fondement de l'action en dommages-intérêts issue
d'un fait déterminé. Il en irait ainsi, par exemple, lorsque l'usurpation
d'une marque déposée constitue à la fois une atteinte à la marque (sur un
emballage ou sur la marchandise - art. 28 LMF) et un acte de concurrence
déloyale (sur des prospectus ou des catalogues - art. 7 LCD). Or il tombe
sous le sens qu'une certaine cohérence et une certaine unité paraissent
souhaitables dans la réglementation de domaines voisins.

    b) En l'espèce, seule la prescription annale est en jeu.
Mais l'art. 60 CO prévoit également un délai de dix ans, qui court
dès le jour où le fait dommageable s'est produit. Cette institution
subsidiaire (VON TUHR/SIEGWART, I p. 375) veut épargner l'auteur lorsque
l'effet dommageable ne s'est pas encore manifesté dix ans après l'acte
illicite. Elle repose sur l'idée que le dies a quo de la prescription
décennale est antérieur à celui de la courte prescription annale. Or,
au contraire de la jurisprudence et de la doctrine allemandes, qui
rejettent pour le droit civil les notions d'acte continu et continué
(GRUR 1932 p. 320; REIMER, GRUR 1932 p. 669), le Tribunal fédéral fait
courir le délai de la prescription décennale, dans ces cas, du dernier
acte illicite (pour l'art. 679 CC: RO 81 II 445 consid. 3 et 4). Si la
violation continue ou successive d'un droit créait, quant à la sauvegarde
du délai d'un an, autant de dommages que d'actes, la prescription pourrait
être acquise alors que le délai de dix ans n'aurait pas encore commencé
à courir. Ce serait une anomalie.

Erwägung 6

    6.- Ce qui précède assoit le principe général de l'unité du dommage,
dégagé explicitement par l'arrêt publié au RO 74 II 37. Il n'y a lieu de
s'en départir que si la succession des effets dommageables présente une
solution de continuité. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

    a) Le présent litige offre une première particularité. La demanderesse
n'a pas subi un dommage qui évoluait, comme une atteinte à l'intégrité
corporelle, mais un préjudice constant et d'emblée déterminable dans son
élément essentiel. Elle était privée d'un pourcentage précis du chiffre
d'affaires de la branche cigarettes de son commerce, au für et à mesure
des livraisons des grossistes. Mais l'absence du caractère intrinsèquement
évolutif du dommage n'a pas incliné le tribunal à s'écarter du principe
(cf. consid. 4 ci-dessus, et notamment RO 55 II 253 consid. 2).

    b) Une seconde particularité est plus importante et c'est sur elle que
se fonde la défenderesse. La victime du boycott a connu, certainement et
exactement, le montant, individualisé par une facture, dont elle était
frustrée lors de chaque livraison distincte d'un fournisseur membre de
l'association.

    Cette circonstance paraît toutefois secondaire, elle aussi. Au
stade de l'exécution de la décision du 12 janvier 1961, de nombreux actes
distincts ont violé le même bien juridiquement protégé et contribué à créer
les divers éléments du dommage voulu par la défenderesse. De même que,
lorsque les actes isolés sont issus d'une intention unique qui les relie
intimement les uns aux autres, il ne serait pas naturel, quant au point de
départ du délai de prescription, de diviser l'ensemble des faits illicites
(RO 86 II 415), ainsi serait-il illogique de renoncer à considérer comme
une unité le dommage dont les éléments, de nature identique, se réalisent
successivement (dans le même sens: SJZ 1962 p. 186 = Maximes lucernoises
X no 640). Au demeurant, comme le relève le premier arrêt cité, la
division artificielle de l'effet d'une résolution unique conduirait à
des désagréments pratiques - la multiplication des actes interruptifs,
notamment des actions - sans que le but de la prescription l'exige.

    Certes, si l'activité illicite dure très longtemps, le principe de
l'unité du dommage, combiné au besoin avec la notion de délit continu ou
continué, permettrait d'allouer des indemnités pour une durée supérieure
- et de beaucoup - au délai absolu de dix ans; après s'être accommodé
d'un boycott, le lésé pourrait se rebiffer soudain au bout d'un très
grand nombre d'années. Mais la loi (art. 28 LMF) et la jurisprudence
(RO II 253) n'ont pas reculé devant cette conséquence dans les domaines
voisins des marques de fabrique, des brevets d'invention, du droit
d'auteur et de la concurrence déloyale. Au demeurant, l'interprétation
large de l'art. 60 CO corrige la brièveté du délai d'un an. En outre,
l'hypothèse envisagée est plutôt théorique. En effet, si elle tolère
longtemps une atteinte à ses intérêts qui engendre un dommage sérieux,
la victime manifeste d'ordinaire par sa passivité même une renonciation,
voire l'aveu de la légitimité de la lésion, et incline à lui opposer
l'art. 2 al. 2 CC lorsqu'enfin elle prétend un droit (cf. RO 73 II 189
consid. 5, pour la propriété intellectuelle). S'agissant d'appliquer la
loi sur les cartels, le juge estimera logiquement, si les discriminations
ont duré pendant très longtemps sans compromettre l'existence économique
du boycotté, que l'entrave à la concurrence ne présentait pas la gravité
qui, selon la loi, la rend illicite.

    Une dernière considération justifie qu'on s'en tienne en l'espèce au
principe de l'unité du dommage. Celui-ci a été appliqué, jusqu'à présent,
si les divers éléments du préjudice sont de même nature; y apporter une
exception lorsque tous, ou certains seulement, peuvent être individualisés,
isolés et déterminés avec précision risquerait de compromettre tant la
clarté, et partant la force de la règle, que la sécurité du droit.

Erwägung 7

    7.- Vu ce qui précède, il faut donc juger le point qui reste litigieux
en l'espèce à la lumière du principe selon lequel le dommage causé par
un seul acte, ou par un état continu, ou enfin par une suite d'actes
procédant d'une résolution unique, constitue un tout lorsqu'il s'agit de
fixer le point de départ du délai de prescription prévu à l'art. 60 CO,
quand bien même il peut s'analyser en éléments homogènes distincts qui
surviennent successivement. Le délai que devait respecter la demanderesse
n'a donc commencé à courir que lorsque l'activité illicite, et partant
le dommage, a cessé: c'est à ce moment-là seulement, soit le 16 mars
1965, que l'on pouvait déterminer exhaustivement l'objet de l'action. Il
s'ensuit que l'exception de prescription doit être rejetée; en effet, le
délai d'un an n'était pas écoulé le 29 juin 1965, lorsque la demanderesse
en interrompit le cours.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Condamne l'Association suisse des fabricants de cigarettes à payer
à Alex Martin SA la somme de 90 566 fr. avec intérêts à 5% dès le 29
juin 1965.