Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 91 II 489



91 II 489

65. Arrêt de la Ire Cour civile du 22 décembre 1965 dans la cause Walch
contre Navazza. Regeste

    Kartellähnliche Organisation (Art. 3 KG). Begriff des "Marktes für
bestimmte Waren oder Leistungen".

Sachverhalt

    A.- Pierre Fred Navazza, à Genève, est le représentant exclusif
pour la vente en Suisse des whiskies "Black and White" et des cognacs
"Martell". Max Walch exerce à Zurich le commerce de gros des spiritueux. Le
16 avril 1964, le premier a informé le second qu'il ne lui livrerait plus
les articles dont il assure seul la vente.

    B.- Walch a ouvert action contre Navazza en paiement d'une indemnité
de 8050 fr.; il requérait en outre une astreinte mensuelle, autant que
la contravention durerait au-delà du 1er juillet 1964. Le défendeur a
conclu à libération. Il a expliqué que le demandeur avait détourné à son
profit sa clientèle. Il aurait notamment concédé à cette fin au restaurant
genevois "Jour et nuit" des prix inférieurs aux montants usuels.

    Confirmant le jugement rendu le 19 janvier 1965 par le Tribunal de
première instance du canton de Genève, la Cour de justice a débouté le
demandeur le 15 octobre suivant par un arrêt très succinctement motivé,
se bornant à constater que la mesure prise par Navazza était justifiée
par des intérêts légitimes.

    C.- Agissant par la voie du recours en réforme, le demandeur prie le
Tribunal fédéral de lui allouer ses conclusions. Il reproche à la cour
cantonale d'avoir violé l'art. 8 CC en admettant l'existence d'intérêts
légitimes à la décharge du défendeur. Celui-ci propose le rejet du recours.

    Le Tribunal fédéral a rejeté le recours.

Auszug aus den Erwägungen:

Extrait des considérants:

Erwägung 2

    2.- L'arrêt attaqué règle le sort de l'action en affirmant simplement
que l'intimé a agi licitement parce que son refus se fondait sur des
intérêts légitimes prépondérants (art. 5 de la loi sur les cartels). Sa
brièveté procède d'une technique juridique discutable. En effet, pour
juger du seul point traité par la cour cantonale, il fallait comparer,
en constatant des faits précis, les buts du cartel ou de l'organisation
analogue et l'entrave consécutive au boycott, en vue de confronter
les intérêts en présence. Il était en outre logique de rechercher
préalablement si la mesure prise émanait d'une organisation qui domine
le marché de certains biens ou de certains services ou l'influence d'une
manière déterminante (art. 3 de la loi) et si elle était illicite parce
qu'elle visait à écarter le recourant de la concurrence ou à l'entraver
notablement dans l'exercice de celle-ci (art. 4 al. 1).

    Au demeurant, si l'on se place - avec la cour cantonale - dans
l'hypothèse que l'éviction du demandeur est une entrave illicite à la
concurrence, le jugement déféré viole l'art. 5 de la loi sur les cartels et
l'art. 8 CC lorsqu'il répartit le fardeau de la preuve des circonstances
exceptionnelles visées par la première disposition. Il se borne en effet,
en vuede déductions hasardeuses, à constater que le motif sur lequel le
défendeur fonde son attitude "apparaît comme vraisemblable" parce que le
demandeur n'a pas offert de preuves sur ce point. Or c'était au défendeur
et intimé d'exposer et d'établir les faits qui justifiaient à ses yeux,
exceptionnellement, une éviction du recourant. Certes, un fait établi
peut constituer un indice dont le juge déduira le fait à prouver. Mais
l'annulation d'une commande effectuée auprès de Navazza et présentée
ensuite à ce dernier par l'entremise de Walch ne permet pas de conclure
sans autres que le second a commis un acte déloyal qui porte atteinte à
un intérêt légitime prépondérant du premier.

    A cela s'ajoute que la cour cantonale n'a pas examiné si l'intimé ne
pouvait sauvegarder efficacement ses intérêts légitimes sans refuser de
traiter avec le recourant. Or le principe de la subsidiarité du boycott
ressort implicitement de l'art. 5 de la loi (DESCHENAUX, L'esprit de la
loi sur les cartels, Mélanges Carry, p. 218).

    Enfin, l'arrêt attaqué relève incidemment que le refus de l'intimé
"ne restreignait certainement pas la libre concurrence de manière excessive
par rapport au but visé". La cour cantonale affirme ainsi que la condition
de proportionnalité, expressément exigée par la loi (art. 5 al. 1), est
réalisée. Mais elle n'étaye cette opinion sur aucun fait établi, le but
visé n'est pas constaté et l'on ne sait quelle est l'ampleur de l'entrave
et son incidence sur l'exercice par le boycotté de son activité économique.

Erwägung 3

    3.- Ces lacunes entraîneraient l'annulation de l'arrêt déféré et le
renvoi de la cause à la juridiction cantonale, n'était l'absence manifeste
d'une condition nécessaire de l'action. En vertu de l'art. 3 litt. a de la
loi, en effet, l'entreprise isolée n'est réputée une organisation analogue
à un cartel que si elle domine le marché de certains biens ou de certains
services ou l'influence d'une manière déterminante. Or le demandeur et
recourant n'a pas prouvé que la maison Navazza exerce une telle domination.

    Une organisation analogue à un cartel est celle qui, par la position
qu'elle occupe, peut exclure ou entraver la concurrence au même titre que
le cartel défini à l'art. 2 de la loi. Celle-ci ayant pour but de réaliser
le postulat de la concurrence possible, le "marché de certains biens"
("Markt für bestimmte Waren") que l'organisation analogue à un cartel
doit dominer ou influencer d'une manière déterminante ne saurait être le
seul commerce des produits d'une entreprise déterminée lorsque le choix
du consommateur peut s'exercer entre ceux-ci et d'autres marchandises
identiques ou analogues, soit entre des biens ou services qui, selon
l'appréciation raisonnable de l'acheteur, sont interchangeables parce
qu'ils ont la même destination et les mêmes propriétés. Celui qui produit
ou distribue l'une de ces marchandises, effectivement concurrencée par
d'autres produits analogues, ne domine pas "le marché de certains biens"
au sens de l'art. 3 de la loi; il peut se réserver un monopole privé.

    Cette définition est admise par la pratique et la doctrine
allemandes lorsqu'elles interprètent la même notion (MÜLLER-HENNEBERGER
et SCHWARTZ, Kommentar, no 18 et sv. ad § 22 des Gesetzes gegen die
Wettbewerbsbeschränkungen), et dans son arrêt Du Pont de Nemours and
Co. du 11 juin 1956, la Cour suprême des USA a nié que cette société
exerçât un monopole quand bien même elle produit le 75% des emballages de
cellophane, le "marché" à considérer étant celui de tous les emballages
non rigides (Wirtschaft und Wettbewerb, 1956, p. 616). Notre loi diffère
en revanche à cet égard de l'art. 85 du Traité de Rome instituant la
Communauté économique européenne (CEE), du moins selon l'interprétation
qu'en a donnée la Commission de la Communauté (décision du 23 septembre
1964, dans l'affaire Grundig/Consten; GRVR 1964, Ausland, p. 582 sv.):
viole cette disposition un contrat de représentation exclusive pour un
territoire déterminé, quand bien même la marchandise (appareils de radio
et de télévision) est l'objet d'une concurrence serrée.

    Sans doute, le principe esquissé appelle-t-il des précisions et
des distinctions que la pratique apportera dans la mesure nécessaire à
la solution des litiges futurs. Cette tâche pourra se révéler délicate
(cf. les exemples donnés dans le commentaire allemand cité, no 23 ad §
22). La définition qui vient d'être donnée suffit néanmoins en l'espèce
à résoudre le différend de façon certaine, voire évidente.

Erwägung 4

    4.- En effet, bien loin d'alléguer et d'offrir de prouver que le
défendeur et intimé domine le marché des whiskies et celui des cognacs (et
c'est peut-être là encore une notion trop étroite du "marché de certains
biens" au sens de l'art. 3 de la loi suisse), le demandeur et recourant a
exposé au cours des deux premières instances que l'exclusivité conférée
à Navazza porte uniquement sur les whiskies de marque "Black and White"
et les cognacs de marque "Martell", et que les représentants des autres
marques offertes sur le marché lui livrent leurs marchandises. Or il
est notoire qu'il existe dans le commerce, à des prix et des qualités
qui supportent la concurrence, bien d'autres marques de whiskies et
de cognacs. Le demandeur et recourant n'a pas offert de prouver le
contraire. Il s'ensuit que le défendeur et intimé ne domine pas le marché
de ces biens. Pour cette raison déjà, l'action est mal fondée.