Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 91 II 190



91 II 190

29. Arrêt de la IIe Cour civile du 8 juillet 1965 dans la cause Appia et
consorts contre S.I. Le Cottage SA Regeste

    Gerichtliche Löschung einer Grunddienstbarkeit. Art. 736 Abs. 1 ZGB.

    Der Richter würdigt den Nutzen der Dienstbarkeit für den Eigentümer
des berechtigten Grundstücks, indem er den Zweck ihrer Errichtung, ihren
Inhalt und ihren Umfang in Betracht zieht.

    Anwendung dieses Grundsatzes bei einer auf Grabungen und Wasserentnahme
gehenden Dienstbarkeit, wenn das belastete Grundstück bloss eine
Grundwasserfläche in sich birgt, deren ganzes Wasser von der bestehenden
Fassung aufgenommen wird.

Sachverhalt

    A.- Germaine Appia, Henri Decollogny et René Jaccaud sont
copropriétaires d'un bien-fonds de 499a 79 ca en nature de pré et
champ sis au lieu dit "Bochet-Dessus", commune de Gland. L'immeuble est
immatriculé à l'article 572, folio 10, du registre foncier. Il est grevé
d'une servitude de "fouilles, prise d'eau, passage de canalisations et
droits accessoires", au profit d'un fonds voisin appartenant à la Société
immobilière "Le Cottage SA", à Gland (en abrégé: la société).

    Le fonds dominant comprend les parcelles immatriculées aux folios
68, no 11/1, 63, no 12 et 13, 64, no 14, etc., 65, 10, nos 642 et 671,
du registre foncier. Il couvre une surface totale de 2472 a 85 ca. C'est
une propriété d'agrément, comportant une maison de maître, des dépendances,
un parc avec jardin, des prés, champs et bois.

    La servitude est inscrite au registre foncier sous no 18 993.  Elle a
été constituée le 5 janvier 1874, moyennant le paiement d'environ 7000
fr., par un acte notarié aux termes duquel le propriétaire d'alors cédait
à l'acquéreur "le droit de propriété sur toutes les sources existant
ou traversant la propriété... de quelque côté qu'elles proviennent ou
prennent naissance dans ledit fonds,... le droit de faire des fouilles
nécessaires à l'établissement de coulisses à l'effet de recueillir les
eaux desdites sources, ainsi que le droit de réparer les coulisses,
canaux et autres travaux si besoin est." Il s'interdisait "de faire des
fouilles sur le fonds asservi ainsi que de livrer passage à la conduite
d'eaux étrangères...".

    La société utilise actuellement l'eau captée en vertu de cette
servitude pour alimenter des fontaines, pièces et cours d'eau d'agrément
sur sa propriété. Elle envisage de construire une piscine qui serait
alimentée également par cette eau.

    B.- Le 28 octobre 1961, les trois copropriétaires du fonds servant
firent assigner la société devant le Président du tribunal du district de
Nyon. Ils conclurent à la radiation partielle de la servitude, en réservant
le droit de maintenir et d'entretenir la canalisation existante. A titre
très subsidiaire, ils offrirent une indemnité dont le juge fixerait
le montant.

    Désigné comme expert géologue, le professeur Bersier, de l'Université
de Lausanne, exposa dans son rapport du 25 avril 1963, complété le 25
septembre 1963, que l'assiette de la servitude ne renferme aucune source
proprement dite; elle se trouve au-dessus d'une nappe d'eau souterraine
faiblement inclinée qui s'étend sur toute la parcelle litigieuse et même
au-delà; cette nappe phréatique est d'un grand intérêt pour alimenter en
eau les fonds dominants; elle est peu profonde et de ce fait aisément
polluable, notamment aux abords du captage et en particulier par des
épandages abondants de fumier ou des constructions. L'expert releva que la
canalisation existante avait été judicieusement placée, au point le plus
bas, pour recueillir la totalité des eaux qui affluent sous la surface
grevée par un cheminement souterrain dans le gravier aquifère.

    Sur le vu des conclusions de l'expert, les demandeurs réduisirent
leurs conclusions en ce sens que la servitude soit limitée: a) au droit
de capter l'eau de la nappe souterraine au point où elle est actuellement
captée selon le plan Rochaix, géomètre officiel, du 13 octobre 1959;

    b) au droit de conduire l'eau captée selon le tracé de la canalisation
existante;

    c) au droit de passage nécessaire pour l'entretien, la réparation ou
le remplacement de ladite canalisation;

    d) à l'interdiction pour le propriétaire du fonds servant de planter
des arbres à une distance inférieure à dix mètres de chaque côté de
la canalisation;

    e) à l'interdiction pour le propriétaire du fonds servant de pratiquer
des fouilles d'eau sur l'ensemble de la parcelle grevée;

    la servitude no 18 993 étant modifiée au registre foncier comme dit
ci-dessus et radiée pour le surplus, notamment en ce qui concerne le
droit de fouilles d'eau au profit du fonds dominant."

    La société conclut au rejet de la demande. Subsidiairement, pour le
cas où l'action serait admise, elle requit le paiement d'une indemnité
de 27 000 fr., plus subsidiairement de 20 000 fr., la servitude étant
maintenue sans modification dans un rayon de 100 m autour de chacun des
captages liés à son exercice.

    C.- Confirmant le jugement rendu le 28 septembre 1964 par le
Président du tribunal du district de Nyon, la Chambre des recours du
Tribunal cantonal vaudois rejeta la demande par arrêt du 8 décembre 1964.
Elle considéra que la société utilisait toute l'eau qui afflue sur le
fonds servant; les copropriétaires envisageant de le vendre comme terrain
à bâtir, la libération partielle de la servitude rendrait possible des
travaux de construction et la pose de nombreuses canalisations (eau, gaz,
électricité, égouts); de pareils ouvrages risqueraient de diminuer le
débit de la nappe et de polluer l'eau captée; on ne saurait comparer les
intérêts en présence en faisant abstraction de ces risques; la servitude
litigieuse conservant toute son utilité pour la société, le propriétaire
grevé ne saurait en être libéré, même partiellement.

    D.- Les demandeurs recourent en réforme au Tribunal fédéral. Ils
persistent dans les conclusions modifiées qu'ils ont prises devant les
juridictions cantonales.

    La société intimée conclut au rejet du recours.

    Le Tribunal fédéral a admis le recours et ordonné la radiation
partielle de la servitude, dans la mesure où elle excède les limites
mentionnées dans les conclusions des recourants.

Auszug aus den Erwägungen:

Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- (valeur litigieuse).

Erwägung 2

    2.- Les recourants demandent que la servitude soit limitée au captage
et à la canalisation existants, ainsi qu'aux droits accessoires qui
s'y rattachent (passage nécessaire pour l'entretien, la réparation ou
le remplacement de la canalisation, interdiction pour le propriétaire du
fonds servant de pratiquer des fouilles d'eau sur l'ensemble de la parcelle
grevée et de planter des arbres à une distance déterminée - dix mètres -
de chaque côté de la canalisation). Ils requièrent la radiation de la
servitude pour le surplus, c'est-à-dire dans la mesure où elle comprend
le droit de propriété sur d'autres sources qui existeraient dans le fonds
servant et le droit de pratiquer des fouilles d'eau en d'autres endroits
que le captage et la canalisation existants.

    L'art. 736 al. 1 CC permet au propriétaire grevé d'exiger la radiation
d'une servitude qui a perdu toute utilité (alles Interesse) pour le
fonds dominant. Cette disposition légale est applicable aux servitudes
constituées, comme en l'espèce, avant l'entrée en vigueur du code civil
suisse (RO 45 II 394 consid. 4, 89 II 376 consid. 1).

    Le juge saisi d'une demande de radiation doit apprécier l'utilité de
la servitude en fonction du but en vue duquel elle a été constituée, de son
contenu et de son étendue (LIVER, n. 41, 58-59, 146 et 155 ad art. 736 CC).
Il se fondera sur l'inscription au registre foncier et, si elle ne lui
permet pas de résoudre sûrement la question, sur l'acte constitutif et sur
la manière dont le droit a été exercé pendant longtemps, paisiblement et
de bonne foi (cf. art. 738 CC; LIVER, n. 58 ad art. 736 CC). L'utilité
visée par la loi correspond à l'intérêt que présente l'exercice de la
servitude pour le propriétaire du fonds dominant (RO 89 II 383, consid. 4).

    En l'espèce, la servitude a été constituée pour alimenter en eau le
fonds dominant. Selon les constatations de la cour cantonale, aucune source
proprement dite ne jaillit sur le fonds servant. Celui-ci recèle uniquement
une nappe d'eau souterraine. Or le captage existant permet de recueillir de
façon rationnelle toute l'eau de cette nappe phréatique. L'intimée exerce
actuellement dans ce sens limité les droits que lui confère la servitude
sur toute la surface asservie. Depuis la constitution de la servitude et
le captage de l'eau, le droit de fouille n'a jamais été exercé. Aucun
indice ne permet de dire que, selon le cours ordinaire des choses, le
propriétaire du fonds dominant aura un intérêt à faire des fouilles en
dehors du captage existant, dans un avenir prévisible (cf. RO 81 II 193
ss., consid. 2, 89 II 380 ss., consid. 3 et 4). En particulier, ni l'expert
ni la cour cantonale n'ont envisagé que la situation de la nappe d'eau
souterraine se modifierait de telle sorte que le captage actuel cesserait
d'être idéal. Dès lors, l'intérêt du propriétaire du fonds dominant, qui
s'étendait, lors de la constitution de la servitude, à toute la surface
grevée, a disparu au moment où le captage effectué a permis de recueillir,
de la manière la plus rationnelle, toute l'eau de la nappe. Le contenu et
l'étendue de la servitude ont subi une modification essentielle. Le droit
de pratiquer des fouilles d'eau sur le fonds servant est devenu superflu;
il ne présente plus aucun intérêt lié à la propriété du fonds dominant ni à
la personne du propriétaire; il n'est donc plus "utile" au sens de la loi.

Erwägung 3

    3.- Peu importe que les copropriétaires du fonds servant aient
l'intention de le vendre comme terrain à bâtir. La servitude ne saurait les
empêcher d'exploiter leur immeuble de la façon qu'ils jugent la meilleure.
Sinon, elle serait détournée de son but. En particulier, elle ne saurait
être maintenue intégralement pour empêcher de construire sur toute la
surface grevée. De même qu'un droit de passage qui aurait perdu toute
utilité pour son bénéficiaire ne peut être conservé à la seule fin
d'empêcher de bâtir sur le fonds grevé ou de reculer les constructions
à une distance supérieure à la norme en vigueur, de même un droit à une
source, dépourvu d'intérêt comme tel, ne saurait être maintenu parce
qu'il entraîne une interdiction de bâtir. En effet, une servitude qui
serait constituée ou maintenue uniquement à cause de son effet prohibitif
("Sperrwirkung") ne mérite pas la protection du juge (LIVER, n. 58 ad
art. 736 CC, et références citées). Dans le cas particulier, le risque de
la pollution de l'eau et celui de la diminution du débit de la nappe captée
- que la cour cantonale a invoqués pour rejeter la demande de radiation
partielle de la servitude - ne sont pas décisifs. Comme le relèvent les
recourants, ces arguments sont étrangers au litige. Ils ne se rapportent
ni au but, ni au contenu, ni à l'étendue de la servitude. Ils conduiraient
à la maintenir à cause de son seul effet prohibitif.

    Du reste, on ne peut dire abstraitement si le fait de construire
sur le fonds grevé mettra en péril l'alimentation en eau du fonds
dominant. Supposé qu'un projet concret présente un pareil danger et que
l'état actuel de la technique ne permette pas d'y parer, le propriétaire
du fonds dominant serait à même de sauvegarder ses droits par d'autres
moyens. Assurément, il ne saurait invoquer les art. 706/7 CC, qui
ne sont pas applicables aux relations entre le propriétaire grevé et
l'ayant droit à la source (RO 57 II 260). Mais il pourrait se prévaloir
de l'art. 737 CC pour empêcher que les travaux ne portent atteinte à la
conservation et à l'exercice de la servitude, éventuellement pour réclamer
des dommages-intérêts.

Erwägung 4

    4.- Dans la mesure où la servitude litigieuse ne présente plus
d'utilité pour le propriétaire du fonds dominant, l'inscription qui
subsiste au registre foncier a perdu toute valeur juridique et l'immeuble
grevé doit en être libéré (LIVER, n. 43 ss., 77, 103 et 172 ad art. 736
CC). Le recours est dès lors fondé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner
si la radiation partielle se justifierait également au regard de la
clausula rebus sic stantibus et de la protection de la bonne foi (cf. RO 89
II 376/7, consid. 1, les arrêts cités et la critique de LIVER, n. 48 ss.,
126 ss., ad art. 736 CC et RJB 100 (1964) p. 467). Cependant, même de ce
point de vue - normalement plus restreint - il serait contraire à la bonne
foi d'exiger le maintien de certains droits compris dans une servitude,
qui non seulement ont perdu leur raison d'être, mais qui imposent encore
des charges disproportionnées au propriétaire grevé. Cette disproportion
est rendue évidente par l'évolution du prix et de la destination des
terrains dans la région, que l'antépossesseur ne pouvait prévoir lors de
la constitution de la servitude. Elle ne peut être négligée, surtout à
l'époque actuelle où les terrains à bâtir sont toujours plus recherchés,
notamment à cause de l'augmentation de la population.

Erwägung 5

    5.- La libération partielle d'une servitude peut consister en une
réduction de son contenu et de son étendue. En particulier, le droit de
capter une source et de pratiquer des fouilles d'eau peut être limité
au captage, une fois que celui-ci a été opéré de telle manière que les
fouilles ne présentent plus aucun intérêt pour le bénéficiaire (cf. LIVER,
n. 130 ad art. 736 CC).

    La loi ne prévoit en principe une libération partielle que moyennant
une indemnité (cf. art. 736 al. 2 CC). Mais l'indemnité ne se justifie
que si la servitude radiée conservait une utilité réduite. En revanche,
elle ne saurait être allouée lorsque le bénéficiaire n'a plus aucun
intérêt à exercer les droits liés à la partie de la servitude dont la
radiation est requise (cf. LIVER, n. 130 al. 2 et 174 al. 2 ad 736 CC;
LEEMANN, n. 10 ibidem). L'intimée ne subissant aucun préjudice du fait de
la radiation partielle de la servitude, elle n'a pas droit à une indemnité.

Erwägung 6

    6.- En vertu du présent arrêt, dont le dispositif précise dans quelle
mesure la servitude litigieuse est maintenue, les recourants, propriétaires
du fonds servant, seront autorisés à requérir le conservateur du registre
foncier de procéder à la radiation partielle de la servitude (cf. LIVER,
n. 105 ad art 736 CC).