Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 90 I 29



90 I 29

5. Arrêt du 25 mars 1964 dans la cause X. contre Chambre d'accusation du
canton de Genève. Regeste

    1.  Zulassung der Vernehmlassung, welche von der Gegenpartei
rechtzeitig der kantonalen Behörde eingereicht, von dieser aber erst nach
Ablauf der angesetzten Frist an das Bundesgericht weitergeleitet wurde
(Erw. 1).

    2.  Gehört der an einem Strafverfahren als Zivilpartei teilnehmende
Geschädigte zu den Beteiligten im Sinne von Art. 93 OG? (Erw. 1).

    3.  Die durch das ungeschriebene Verfassungsrecht des Bundes
gewährleistete persönliche Freiheit ist ein unverzichtbares und
unverjährbares Recht; der kantonale Gesetzgeber kann seine Ausübung im
öffentlichen Interesse beschränken, darf es jedoch nicht aufheben oder
vollständig aushöhlen; es schützt die körperliche Freiheit sowie die
Willens- und Entscheidungsfreiheit (Erw. 3).

    4.  Das Erfordernis der Gesetzmässigkeit von Eingriffen in die
persönliche Freiheit gilt sowohl für den Zivil- als auch für den
Strafprozess (Erw. 4).

    5.  Die Frage, ob die gesetzliche Grundlage genügt, prüft das
Bundesgericht im allgemeinen unter dem beschränkten Gesichtswinkel der
Willkür; es entscheidet jedoch frei, wenn der Eingriff in die persönliche
Freiheit besonders schwer ist (Erw. 4).

    6.  Eine Verfügung, durch welche ein Angeklagter gestützt auf eine
klare gesetzliche Grundlage zum Zwecke einer ärztlichen Begutachtung für
einige Tage in ein Spital eingewiesen wird, verstösst nicht gegen die
persönliche Freiheit (Erw. 5 a).

    7.  Gegen diese Freiheit verstösst dagegen eine Verfügung, durch welche
ein Angeklagter ohne klare gesetzliche Grundlage gezwungen werden soll,
sich für eine ärztliche Begutachtung in den Zustand der Trunkenheit zu
versetzen. Wie verhält es sich, wenn die gesetzliche Grundlage vorhanden
ist oder der Angeklagte damit einverstanden ist, sich zu betrinken? Fragen
offen gelassen (Erw. 5 b).

Sachverhalt

    A.- Le 23 juin 1962, X. fut impliqué dans un accident de circulation
survenu près de Genève et qui entraîna la mort de six personnes. Il ne fut
lui-même que très légèrement blessé, mais affirme ne garder aucun souvenir
de l'événement et des circonstances qui l'ont précédé et suivi. Une
heure trente-cinq minutes après l'accident, il subit une prise de sang,
dont l'analyse révéla un taux d'alcoolémie de 1.73/1.91 é. Au cours de
l'enquête pénale ordonnée contre lui, il fut soumis à une expertise confiée
à un professeur et deux médecins. Les experts furent chargés notamment
de déterminer le rôle joué par l'alcool dans l'accident et d'apprécier
la perte de mémoire alléguée par X. Afin d'étudier le comportement de ce
dernier, ils le mirent en état d'ivresse en lui faisant prendre, outre
un repas substantiel, les quantités d'alcool que, d'après les dires des
témoins, il avait absorbées le jour de l'accident. Dans leur rapport du
2 octobre 1962, ils aboutirent à la conclusion que X. souffrait d'une
lésion cérébrale préexistante, peut-être épileptique et qui, associée à
l'alcool, avait provoqué chez lui, au moment de l'accident, une ivresse
pathologique; de ce fait, il avait présenté un trouble dans sa santé
mentale et sa conscience, allant vraisemblablement jusqu'à la grave
altération de celle-ci et entraînant une irresponsabilité partielle et
probablement même totale. Lors de leur audition du 18 octobre 1962, les
experts expliquèrent que leurs hésitations quant à la grave altération de
la conscience et à l'irresponsabilité totale tenaient au fait que, s'ils ne
pouvaient exclure le diagnostic d'épilepsie, ils n'étaient pas non plus en
mesure de l'affirmer. Le 8 novembre 1962, le Ministère public genevois
requit une seconde expertise. Le 17 octobre 1963, le juge d'instruction
accueillit cette demande. Il chargea également les nouveaux experts de
déterminer le rôle de l'alcool dans l'accident et d'apprécier la perte de
mémoire alléguée par X. Il leur demanda en outre de se prononcer sur la
première expertise. Entendu le 17 octobre 1963, X. demanda que la deuxième
expertise fût limitée au contrôle de la première, sans nouveaux examens sur
sa personne. Toutefois, les seconds experts déclarèrent vouloir être libres
de procéder eux-mêmes à tous les examens et recherches nécessaires. Le
17 octobre 1963, le juge d'instruction considéra qu'il devait leur donner
"tout pouvoir d'investigation aux fins d'éclaircir les circonstances de la
cause" et décida en conséquence de maintenir telle quelle la mission qu'il
leur avait confiée. X. recourut à la Chambre d'accusation de Genève en lui
demandant principalement d'annuler l'ordonnance du juge, subsidiairement
d'inviter les experts à se borner à un contrôle de la première expertise
sans l'examiner lui-même, et en tout cas de leur interdire de le mettre
à nouveau en état d'ivresse à titre expérimental. Le 9 décembre 1963,
la Chambre d'accusation confirma l'ordonnance attaquée en bref pour les
motifs suivants:

    L'art. 145 al. 2 PP gen. permet au juge d'instruction d'ordonner
une nouvelle expertise lorsque les conclusions ou constatations des
premiers experts sont incomplètes. Tel est le cas en l'espèce, où
les premiers experts n'ont pas pu se prononcer de façon certaine sur
l'éventuelle épilepsie dont X. serait atteint, sur le caractère simulateur
de ce dernier et sur son irresponsabilité totale. Les nouveaux experts
tenteront d'élucider ces questions. Il est nécessaire à cet effet qu'ils se
déterminent sur la base de leurs propres examens et qu'ils aient au besoin
la faculté d'hospitaliser X. et même de le mettre en état d'ivresse. Une
telle expérience ne constitue pas une atteinte à l'intégrité corporelle
ni à la liberté individuelle. Etant donnée la qualité des experts, elle
ne présente du reste pas de danger pour la santé de X., qui, l'ayant
acceptée une première fois, ne saurait refuser maintenant de s'y soumettre.

    B.- Agissant par la voie du recours de droit public, X. requiert le
Tribunal fédéral d'annuler la décision de la Chambre d'accusation. Il
se plaint d'un acte arbitraire ainsi que d'une atteinte à la liberté
individuelle et à l'intégrité corporelle.

    Le Ministère public conclut au rejet du recours. Il en va de même
des parties civiles, qui n'ont d'ailleurs pas été invitées à présenter
d'observations.

Auszug aus den Erwägungen:

                     Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Les observations du Ministère public, reçues au Tribunal de
première instance le 29 janvier 1964, ont été transmises au Tribunal
fédéral le 3 février 1964, soit après le délai de réponse, fixé au 31
janvier 1964. Elles sont néanmoins recevables, car le Ministère public
ne saurait être rendu responsable de la négligence du Tribunal de première
instance.

    En revanche, les observations des parties civiles sont irrecevables. Le
recours de droit public ne porte en effet que sur une opération
d'instruction ordonnée dans le cadre de l'action pénale. Les parties
civiles ne sont dès lors pas des intéressés au sens de l'art. 93 OJ
(RO 75 I 47/48).

Erwägung 2

    2.- Le recourant reproche à l'autorité cantonale d'être tombée dans
l'arbitraire en considérant que la première expertise était incomplète
au sens de l'art. 145 al. 2 PP gen. et que, partant, il fallait en
ordonner une seconde. Toutefois, la première expertise n'a pas admis
sans restriction l'irresponsabilité totale du recourant. Elle l'a
simplement considérée comme possible. Elle a donc laissé indécise une
question essentielle pour le jugement de la cause. Cela suffisait pour
que l'autorité cantonale puisse la considérer comme incomplète. Le grief
d'une interprétation arbitraire de l'art. 145 PP gen. est donc mal fondé.

Erwägung 3

    3.- Selon la décision attaquée, la nouvelle expertise comportera
pour le recourant une hospitalisation de quelques jours et une mise en
état d'ivresse. X. invoque à cet égard sa liberté individuelle. Celle-ci
est garantie tant par le droit genevois (art. 3 Cst. gen.) que par le
droit constitutionnel fédéral non écrit (RO 89 I 98). Il suffit dès lors
d'examiner quelle est l'étendue de la garantie accordée par le droit
fédéral. Le droit cantonal peut, il est vrai, conférer une garantie
plus étendue que le droit fédéral, si ce dernier ne l'exclut pas. Il
conviendra donc également de rechercher si le droit genevois protège la
liberté individuelle dans une mesure plus large que le droit fédéral et,
supposé que tel soit le cas, s'il en a le pouvolr.

    a) Analysant les garanties de la liberté individuelle contenues dans
les diverses constitutions cantonales, le Tribunal fédéral en a peu à peu
dégagé une notion générale de la liberté individuelle, qu'il a finalement
(RO 89 I 98) érigée en une liberté découlant du droit constitutionnel
fédéral non écrit. Selon sa jurisprudence, la liberté individuelle est
la liberté physique, c'est-à-dire le droit de disposer librement de son
propre corps. Elle protège à cet égard la liberté d'aller et venir d'une
part, l'intégrité corporelle d'autre part (RO 89 I 98/99, 88 I 271/272,
82 I 238). Dans la plupart de ses arrêts, le Tribunal fédéral n'a donné
à la liberté individuelle que cette portée étroite (voir, outre les
arrêts précités, RO 33 I 89, 31 I 301, ainsi d'ailleurs que la doctrine:
GIACOMETTI, Staatsrecht der schw. Kantone, p. 159/160; BRÜHWILER,
Die Freiheitsrechte der Kantonsverfassungen, thèse, Berne 1948, p. 74;
SPOENDLIN, Die verfassungsmässige Garantie der persönlichen Freiheit,
thèse, Zurich 1945, p. 36 ss.). Il a affirmé notamment que la liberté
individuelle était la liberté physique par opposition à la liberté morale
(RO 82 I 238), qu'elle n'était destinée à protéger la personne humaine
que contre les atteintes à la liberté physique (RO 88 I 272), par exemple
les arrestations et les sanctions pénales arbitraires (RO III, p. 299).

    A vrai dire, si le Tribunal fédéral a généralement défini la liberté
individuelle de façon étroite, c'est parce que, le plus souvent, les
affaires où il a été appelé à se prononcer concernaient des atteintes à
la liberté physique (prise de sang, RO 89 I 98, 82 I 238; extradition, RO
36 I 410, 33 I 150/151, 32 I 89; interdiction à une concubine de rendre
visite à son amant, RO 31 I 301; ordre à une épouse de rejoindre son
mari, RO XVIII, p. 73; internement, RO XIII, p. 446/447; interdiction
des débits d'alcool, RO X, p. 470; arrestation, RO VIII, p. 494). Il
n'en reste pas moins que, dans certains de ses arrêts, il a donné à la
liberté individuelle une portée plus large. Ainsi, statuant sous l'angle
de l'arbitraire, il a jugé que le gouvernement d'un canton pouvait, en
se fondant sur la liberté individuelle, refuser d'approuver un règlement
communal qui obligeait les employés des services industriels à entrer dans
un syndicat, et les contraignait notamment à subordonner leurs propres
opinions à celles que ce dernier avait pour but de défendre (RO 40 I
280/281). Sans prendre définitivement position, il a dit aussi qu'on
pourrait concevoir la liberté individuelle "in dem weiteren Sinne des
Schutzes nicht nur der individuellen Bewegungsfreiheit, sondern auch des
unverkümmerten Genusses gewisser der Persönlichkeit zustehender Rechte" (RO
50 I 163/164; cf. RO 88 I 272). Il a même jugé "dass die Verfügungsmacht
des Lebenden über das Schicksal seines Leibes nach dem Tode, die Art seiner
Bestattung sich als Ausfluss der individuellen Freiheit des Bürgers,
der Persönlichkeit und ihres Rechtes auf Geltung und Achtung durch die
Allgemeinheit darstelle". Et il a ajouté: "Es liegt darin nicht sowohl
eine sachenrechtliche Verfügung, als die Betätigung wissenschaftlicher und
ethischer Überzeugungen, der persönlichen Anschauungen über die Bedeutung
von Tod und Vergänglichkeit" (RO 45 I 132/133; cf. aussi RO 45 I 317
où le Tribunal fédéral a considéré comme une restriction à la liberté
individuelle la règle subordonnant la validité de certains rapports de
droit à l'observation de formes déterminées).

    Il est inutile de rechercher si ces derniers arrêts ont étendu à
l'excès la notion de liberté individuelle et s'ils risquent de conduire
à confondre celle-ci avec d'autres droits constitutionnels, tels que
la liberté d'opinion ou la liberté de conscience. Ils démontrent - et
cela suffit - que le Tribunal fédéral ne s'en est pas toujours tenu à
une notion étroite de la liberté individuelle. Cette tendance doit être
confirmée. Si la liberté individuelle ne s'identifie avec aucune des autres
libertés garanties par la constitution, elle est cependant la condition
de leur exercice (RO 88 I 272). En d'autres termes, elle vise à garantir
l'existence des conditions de fait indispensables pour que l'homme puisse
effectivement exercer ces autres libertés. Or celles-ci protègent non
seulement le corps humain (interdiction des peines corporelles ou liberté
d'établissement, par exemple), mais aussi des intérêts idéaux (liberté
d'opinion ou libertés religieuses, par exemple). Il ne suffit donc pas
que la liberté individuelle garantisse le droit d'aller et de venir et
l'intégrité corporelle. Il faut aussi qu'elle protège l'homme contre
les atteintes qui tendraient, par un moyen quelconque, à restreindre ou
supprimer la faculté, qui lui est propre, d'apprécier une situation donnée
et de se déterminer d'après cette appréciation. En effet l'existence
de cette faculté constitue la condition d'exercice de nombreux droits
constitutionnels. Il est inutile de rechercher aujourd'hui si la liberté
individuelle s'étend au domaine des valeurs purement affectives.

    b) La liberté individuelle, telle qu'elle vient d'être définie, n'est
pas illimitée. La jurisprudence admet que le législateur cantonal peut la
restreindre (RO 89 I 99; 83 I 113; 82 I 238; 74 I 142; 50 I 164; 45 I 317;
36 I 140; 34 I 744; 33 I 151; 32 I 89/90; 31 I 301; XVIII, p. 73; XIII,
p. 446/447; X, p. 470; VIII, p. 253/254 et 494; V, p. 437; IV, p. 396;
III, p. 299). Plusieurs arrêts paraissent même signifier que toute atteinte
à la liberté individuelle est admissible pourvu qu'elle repose sur une
base légale (notamment les arrêts les plus anciens, ainsi que RO 82 I 238,
74 I 142, 50 I 164; il faut, bien entendu, que la restriction soit aussi
dans l'intérêt public, mais cette question n'est pas en cause ici). Supposé
que tel soit leur véritable sens, ces arrêts méritent d'être précisés.

    Le Tribunal fédéral a jugé que la garantie de la propriété, comme
la liberté individuelle, pouvait être limitée par une loi cantonale (RO
89 I 104, 191, 384, 461, 467). Mais il a affirmé aussi qu'elle interdit
aux cantons de prendre des mesures qui supprimeraient ou videraient de sa
substance la propriété privée envisagée comme institution fondamentale de
l'ordre juridique suisse (RO 88 I 255). Ce qui est vrai pour la garantie de
la propriété l'est à plus forte raison pour la liberté individuelle. Non
seulement celle-ci est une institution fondamentale de l'ordre juridique
suisse, mais elle est la liberté première, dont découlent tous les autres
droits constitutionnels. La loi peut donc la restreindre (dans l'intérêt
public), à condition toutefois de ne pas le faire dans une mesure qui
équivaudrait à la supprimer ou à la vider de sa substance. Quant à dire
quelles limitations sont possibles et quelles autres sont inadmissibles,
c'est une question qu'il appartient aux autorités cantonales, le cas
échéant au juge constitutionnel fédéral, de trancher de cas en cas.

    c) La jurisprudence a précisé aussi que la liberté individuelle était
un droit constitutionnel inaliénable et imprescriptible (RO 88 I 267,
28 I 129). Cette opinion est juste, car les droits constitutionnels
inaliénables et imprescriptibles - cela ressort de la liste qui en
a été établie par les arrêts précités - sont destinés à garantir la
dignité humaine, ce qui est le propre de la liberté individuelle.
Il s'ensuit notamment que l'individu ne saurait, à l'égard de l'Etat,
renoncer à l'avance et définitivement à sa liberté individuelle. Cela
n'exclut pas en revanche qu'il puisse, dans un cas particulier et pour
une durée déterminée, aliéner une partie de l'exercice de sa liberté
individuelle. C'est aussi affaire d'appréciation des circonstances d'espèce
que de dire si, in casu, cet abandon est admissible ou non.

    d) Il découle des considérations qui précèdent que la liberté
individuelle, telle qu'elle est protégée par le droit constitutionnel
fédéral non écrit, est un droit inaliénable et imprescriptible, dont
le législateur cantonal peut restreindre l'exercice dans l'intérêt
public, mais qu'il ne saurait ni supprimer ni vider de sa substance,
et qui garantit à l'homme sa liberté physique (liberté d'aller et
venir et intégrité corporelle) ainsi que sa faculté d'apprécier une
situation donnée et de se déterminer d'après cette appréciation. Le droit
constitutionnel genevois ne garantit pas la liberté individuelle dans une
mesure plus étendue. Cela ressort du texte même de l'art. 3 Cst. gen.,
qui conçoit la liberté individuelle surtout comme une protection contre
des arrestations illégales.

Erwägung 4

    4.- Le législateur cantonal est autorisé à restreindre la liberté
individuelle jusqu'à un certain point. Lorsque, dans un cas particulier,
le juge cantonal entend la limiter, il doit rechercher notamment si la
loi le lui permet. Sous les réserves indiquées au considérant 3, lettre b,
ci-dessus, il peut y porter atteinte en interprétant la loi extensivement.
Il ne le saurait en revanche s'il devait, pour cela, combler une lacune de
la loi (RO 82 I 239, 89 I 99/100; ces arrêts abordent aussi le problème
de l'application d'une disposition légale par analogie, sur lequel il
n'y a pas lieu de prendre position ici).

    Ces principes, posés à propos d'affaires qui appelaient l'application
de la procédure civile, sont valables aussi pour la procédure
pénale. L'exigence relative à la légalité des mesures limitant la liberté
individuelle n'est en effet pas moins nécessaire en procédure pénale
qu'en procédure civile. Si, dans un procès pénal, l'intérêt public en jeu
est généralement plus important que dans un procès civil, les atteintes
auxquelles la liberté individuelle est exposée y sont aussi plus graves.

    Pour sa part, le Tribunal fédéral appelé à se prononcer sur la
constitutionnalité d'une restriction apportée dans un cas particulier à la
liberté individuelle examinera en particulier si l'autorité cantonale a
agi en vertu d'une norme légale. En principe, il résoudra cette question
affirmativement s'il existe une disposition sur la base de laquelle la
mesure prise pouvait être ordonnée sans arbitraire (RO 82 I 238/239). A
cet égard cependant, il se trouve dans une situation assez voisine de
celle où il est quand il se prononce sur la légalité d'une restriction
de droit public à la propriété. Or, en cette matière, il a jugé qu'il
devait abandonner la réserve dont il fait preuve dans l'appréciation de
la base légale lorsqu'il était en présence de limitations ayant notamment
un caractère de gravité particulière (RO 89 I 468). A plus forte raison
doit-il en faire de même pour la liberté individuelle. Il exigera donc une
base légale claire et, partant, statuera avec un plein pouvoir d'examen,
lorsque l'atteinte portée à la liberté individuelle sera particulièrement
grave.

Erwägung 5

    5.- Ainsi qu'on l'a déjà dit, la nouvelle expertise comportera
pour le recourant une hospitalisation de quelques jours et sa mise en
état d'ivresse. Ces deux mesures constituent une atteinte à la liberté
individuelle. Les restrictions qu'elles apportent à celle-ci sont
particulièrement graves, en raison des conséquences qu'elles auront sur
la liberté de mouvement et la capacité de discernement du recourant. Le
Tribunal fédéral recherchera donc librement si la loi autorisait la Chambre
d'accusation à régler les modalités de l'expertise comme elle l'a fait.

    a) Le recourant est en liberté provisoire depuis le 2 novembre 1962. En
vertu de l'art. 156 PP gen., il est donc tenu de se représenter à tous
les actes de la procédure, aussitôt qu'il en sera requis, et notamment à
l'expertise prescrite, qui constitue un acte de procédure au sens de cette
disposition. Aussi bien, l'autorité a la faculté de l'y contraindre,
indirectement en versant à l'Etat la caution qu'il a dû fournir, et
directement en lançant contre lui un mandat d'amener (art. 169 et 172
PP gen.). De plus, la Chambre d'accusation était en droit d'une part
d'ordonner une seconde expertise (voir consid. 2 ci-dessus), d'autre part
d'estimer que cette seconde expertise, consistant en un examen médical,
ne pourrait être faite sérieusement que dans une clinique. Il s'ensuit
qu'elle avait aussi le pouvoir de décider l'hospitalisation du recourant
pour les quelques jours nécessaires aux experts, d'autant plus que pareille
mesure est courante en procédure pénale.

    b) Il n'existe en revanche dans le code de procédure pénale genevois
aucune disposition permettant de forcer le recourant à absorber des
boissons alcooliques et à s'enivrer. En particulier, ni l'art. 137 PP gen.,
qui définit l'expertise en général, ni l'art. 145, relatif au rapport
d'expertise et à la seconde expertise, ni aucune autre disposition
du chapitre du code concernant l'expertise ne prévoient clairement la
possibilité pour le juge ou l'expert d'ordonner au prévenu de se mettre en
état d'ivresse. Il s'ensuit que, sur ce point, la Chambre d'accusation
a restreint la liberté individuelle d'une manière particulièrement
grave sans que la loi lui en donne le pouvoir en termes clairs. Cela
suffit pour entraîner l'annulation de sa décision. Point n'est besoin
de rechercher si, dans l'hypothèse où une base légale aurait existé,
la mesure n'en aurait pas moins été par elle-même inconstitutionnelle.
De même, comme le recourant refuse de s'enivrer une nouvelle fois, il
est inutile d'examiner si, supposé qu'il ait donné son consentement,
celui-ci aurait suffi à légitimer la mesure.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral Admet le recours dans le sens des
considérants et annule la décision attaquée en tant qu'elle contraint le
recourant à consommer des boissons alcooliques et à se mettre ainsi en
état d'ivresse.