Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 90 II 417



90 II 417

47. Extrait de l'arrêt de la Ie Cour civile du 15 décembre 1964 dans
la cause Etats de Fribourg et de Vaud contre Fibres de verre SA et
Höganäsmetoder A.B. Regeste

    Haftpflicht für Gewässerverschmutzung, Art. 41 ff.  OR.

    Rechtsnatur der Befugnisse des Staates in Bezug auf die Fischerei
(Erw. II 2).

    Ausmass des Schadenersatzes, den die für die Verschmutzung
verantwortlichen Unternehmen dem Staat schulden.

    Beläuft sich der Ersatzanspruch auf den Wert der eingegangenen Fische
oder nur auf den Preis der Tiere, die ohne die Verschmutzung normalerweise
gefangen worden wären, oder auch noch auf die Kosten der Wiederbevölkerung
des Gewässers? (Erw. II 3-5).

Sachverhalt

                        Résumé des faits:

    A.- La maison Höganäsmetoder A.B., à Höganäs (Suède), fabrique de la
bakélite selon un procédé qu'elle a fait breveter dans plusieurs pays,
notamment en Suisse. Utilisant cette marchandise comme agglomérant,
la maison Fibres de verre SA, à Lucens, a obtenu de Höganäsmetoder
A.B. une licence d'exploitation de son brevet. En 1960, sous le contrôle
de représentants de la société suédoise, la maison suisse a installé dans
son usine de Lucens une cuve destinée à la fabrication du produit breveté.

    Le 2 juin 1960, le contenu de cette cuve, soit un mélange de phénol
et de formaline additionné d'eau, s'est déversé accidentellement dans le
canal d'égouts de l'usine, puis s'est répandu dans la Broye, qui coule à
quelque trois cents mètres. Sous l'effet de ces deux substances, tous les
poissons de la rivière ont péri sur un tronçon de plus de vingt-trois
kilomètres, qui s'étend de Lucens jusqu'au pont de la route reliant
St-Aubin à Domdidier et qui fait partie du domaine public des cantons de
Fribourg et de Vaud. Selon les estimations des services cantonaux de la
pêche, 74 200 kg. de poissons morts ont été recueillis.

    Après la pollution, les cantons de Fribourg et de Vaud ont immergé
des poissons pour remplacer ceux qui avaient été détruits. Le service
fribourgeois de la pêche a mis à l'eau: en 1960, 75 kg. de truites pour 750
fr. ainsi que des truitelles et des ombrettes pour 24 113 fr.; à partir de
mars 1961, des estivaux pour 3683 fr. 50. De son côté, l'administration
vaudoise a fait jeter dans la Broye: en 1960, 500 kg. de truites pour
5160 fr. et des truitelles pour 7125 fr. 76; depuis septembre 1961,
des truitelles pour 13 453 fr. 41.

    Le 17 juin 1960, les deux cantons ont chargé l'inspecteur fédéral
de la pêche de déterminer le montant des dommagesintérêts auxquels ils
avaient droit. Dans son rapport, cet expert est arrivé à la conclusion
que les Etats de Fribourg et de Vaud pouvaient prétendre une indemnité
de 142 000 fr., savoir 40 000 fr. pour la perte de rendement, 88 000
fr. pour les frais de réempoissonnement extraordinaire et 14 000 fr. à
titre de dépenses diverses.

    B.- Tous les pourparlers transactionnels ayant échoué, les cantons et
les sociétés ont décidé par convention du 25 août 1961 de faire fixer par
le Tribunal fédéral, en instance unique, les dommages-intérêts dus par
les secondes aux premiers. Ce document précise que les cantons agissent
comme créanciers solidaires, la répartition entre eux de l'indemnité
litigieuse n'étant pas controversée, et que, de leur côté, les sociétés
se reconnaissent solidairement responsables de la pollution de la Broye,
mais réservent le règlement ultérieur de leurs rapports internes.

    Par demande déposée le 15 novembre 1961, les cantons ont réclamé
aux sociétés principalement 208 200 fr., soit la contre-valeur de tous
les poissons détruits, y compris les poissons blancs, et les frais
occasionnés par l'empoisonnement de la rivière; subsidiairement, ils ont
conclu à l'allocation de 142 000 fr., c'est-à-dire le montant arrêté par
l'inspecteur fédéral de la pêche.

    Dans leur réponse, les défenderesses ont accepté de verser 38 067
fr. 45, représentant la contre-valeur des salmonidés, des brochets, des
carpes, des perches et des tanches ainsi que différents frais. En cours
d'instance, elles ont payé cette somme, majorée des intérêts. Elles ont
contesté devoir en revanche quelque indemnité pour les poissons blancs.

    C.- Les deux parties ayant sollicité une expertise, le juge délégué l'a
confiée à un collège de trois experts dont le rapport contient notamment
les appréciations suivantes:

    Après avoir constaté que la Broye a été polluée sur une distance de
24 km. 410 et une surface de 36 ha. 60, les experts fondent leurs calculs
sur la quantité des poissons recueillis. Tout en admettant que certains
poissons ont échappé au ramassage, ils sont d'avis qu'il s'agit pour la
majeure partie de la première classe d'âge. Ils estiment que la faune
détruite comprend 3,3% de truites et d'ombres, 0,9% d'autres poissons de
qualité et 95,8% de poissons blancs.

    Faute d'être propriétaires des poissons vivant dans les eaux publiques,
les cantons ne sauraient prétendre la contrevaleur de tous ceux qui ont
péri. En revanche, ils peuvent faire valoir trois éléments de dommage:
1o les frais extraordinaires exigés par le repeuplement de la rivière;
2o la diminution du rendement de la pêche; 3o les autres frais résultant
de la pollution. Ils n'ont cependant droit à des dommages-intérêts pour
perte de rendement que dans la mesure où ils appliquent le système des
permis de pêche; s'ils procédaient par affermage, l'indemnité devrait
être versée au fermier.

    Dans le cas particulier, les frais de repeuplement nécessaires pour
rétablir l'état antérieur s'élèvent à 37 306 fr. pour les salmonidés,
à 1932 fr. pour les brochets ainsi qu'à 1610 fr. pour les tanches et les
carpes, soit au total à 40 848 fr. Les autres poissons devant se remplacer
naturellement par suite de migrations, l'Etat n'a pas lieu de pourvoir
à leur repeuplement. Sans doute les poissons blancs mangent-ils le frai
des salmonidés et, partant, la destruction des premiers crée-t-elle des
conditions de développement plus favorables pour les seconds. Toutefois,
cette circonstance ne saurait entraîner une réduction du montant de
40 848 fr., qui a été fixé eu égard à la disparition momentanée des
poissons blancs. Au surplus, si les cantons ont immergé en l'espèce des
poissons immédiatement pêchables, cette mesure inopportune au point de vue
piscicole s'explique tout de même pour des motifs fiscaux et politiques.

    Quant à la perte de rendement, elle est égale à la valeur des prises
qui n'ont pu avoir lieu en raison de la pollution, depuis cette dernière
jusqu'au rétablissement de l'état antérieur. Elle atteint 23 076 fr. pour
les salmonidés, 2270 fr. pour les brochets, 908 fr. pour les tanches et les
carpes, 941 fr. pour les perches et 56 216 fr. pour les poissons blancs,
soit 83 411 fr.

    Comptant en outre 14 317 fr. à titre de frais divers, les experts
évaluent le dommage total à 138 576 fr.

    D.- Le Tribunal fédéral a admis partiellement l'action.  Il a estimé
que les cantons avaient droit à une indemnité globale de 63 075 fr. 45,
plus intérêt, pour le repeuplement de la rivière, le ramassage des
poissons morts et les frais d'intervention avant l'ouverture du procès.
Déduction faite du montant de 38 067 fr. 45 déjà versé en cours de
procédure, il a condamné les défenderesses solidairement à payer aux
demandeurs, créanciers solidaires, un capital de 25 008 fr.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Extrait des considérants:

    I. Questions de recevabilité

    .....

    II. Etendue de la réparation

Erwägung 1

    1.- (responsabilité solidaire des défenderesses).

Erwägung 2

    2.- L'étendue de la réparation dépend de la nature des pouvoirs de
l'Etat en matière de pêche.

    Suivant l'art. 1er de la loi fédérale sur la pêche du 21 décembre
1888, la concession ou la reconnaissance du droit de pêche rentre dans les
attributions des cantons. Les demandeurs ont usé de la compétence qui leur
est réservée. La loi fribourgeoise sur la pêche du 3 mai 1916 dispose que
"la pêche est un droit régalien appartenant au canton" (art. 1er al. 1),
et la loi du 17 mai 1961, qui a abrogé la précédente et ne s'applique pas
en l'espèce parce qu'elle est postérieure à l'empoisonnement de la Broye,
caractérise aussi comme un droit régalien celui de pêcher dans les eaux
publiques (art. 3 al. 1). Pour sa part, la loi vaudoise sur la pêche du
3 septembre 1957 prévoit que "le droit de pêche appartient à l'Etat",
c'est-à-dire qu'il fait l'objet d'une régale (art. 1er al. 1; cf. RO
39 II 458). Ainsi, dans l'un et l'autre canton, l'Etat a la régale de
la pêche. Point n'est besoin de définir ici la notion de régale et de
décider notamment si sa nature relève du droit privé ou public. Il suffit
de constater en passant que, si le Tribunal fédéral a adopté autrefois
la première conception en s'inspirant de GIERKE et de MAYER (RO 44 I 168;
cf. EUGEN HUBER, System und Geschichte des schweizerischen Privatrechtes,
III, p. 625 ss.), il semble s'être rapproché plus récemment de la
seconde (RO 47 I 226, 63 II 48 s.; cf. CHRISTEN, Kantonale Regalien und
Bundespolizeirecht, p. 14 ss.; LEUTHARD, Die Fischereirechte im Freiamt
und in Mellingen, p. 128 ss.; PETER, Die Fischereiberechtigung nach
schweizerischem Recht, p. 7). Quoi qu'il en soit, la régale de la pêche
implique le pouvoir de régler l'exercice de la pêche, mais ne procure
pas à l'Etat un droit de propriété sur les poissons qui se trouvent
dans les lacs et les cours d'eau. De l'avis de la doctrine unanime,
le poisson est une "res nullius". Il ne devient un objet de propriété
qu'une fois soumis à la maîtrise effective d'un possesseur, par exemple
après avoir été enfermé dans un vase clos ou une pièce d'eau sans issue
(cf. BLANC, Le régime de la chasse dans le canton de Fribourg, p. 97; GMÜR,
Die Abgrenzung des Fischereiregals von den privaten Fischenzen im Kanton
Bern, p. 1 s.; HAAB, Das Sachenrecht, 2e éd., Einleitung, note 32; KAEGI,
Das schweizerische Jagdrecht, p. 51; LEEMANN, Sachenrecht, 2e éd., notes
3 et 4 ad art. 718 CC; LEUTHARD, op.cit., p. 129; PETER, op.cit., p. 15;
VEGEZZI, I diritti di pesca, p. 30). Tout au plus faut-il réserver le cas
des cantons dont la législation, à la différence des droits fribourgeois
et vaudois, disposerait que les choses sans maître, notamment les poissons,
appartiennent à l'Etat (MEIER-HAYOZ, note 53 ad art. 664 CC).

    La régale de la pêche peut s'exercer de diverses manières. Les services
cantonaux ont d'abord la faculté de pêcher eux-mêmes ou de faire pêcher
pour leur compte. Il leur est loisible aussi d'affermer le droit de pêche
à certains particuliers, cet affermage étant en réalité une concession, et
non un acte de droit privé (RO 63 II 48 s.). Ils peuvent enfin accorder
le droit de pêcher aux titulaires d'un permis de pêche, soit d'une
autorisation de police. Les demandeurs appliquent ce dernier système,
du moins en ce qui concerne le tronçon de rivière qui a été pollué le 2
juin 1960. S'il est vrai qu'en vertu de l'art. 4 de la loi fribourgeoise
du 3 mai 1916, "le droit de pêche est exercé: a) par les locataires de
cours d'eau; b) par les porteurs de permis à la ligne", l'inspecteur
de la pêche du canton de Fribourg a déclaré à l'audience du 30 janvier
1963 que le secteur empoisonné n'avait jamais été affermé. Quant à la loi
vaudoise du 3 septembre 1957, elle ne prévoit en principe, à son art. 3
al. 1, que l'institution du permis. Loin d'affermer le droit de pêche
dans les eaux publiques, le canton de Vaud loue même des eaux privées
pour permettre aux particuliers d'y pêcher. Sans doute le Conseil d'Etat
peut-il, conformément à l'art. 3 al. 2, autoriser la pêche sans permis
dans certains cours d'eau ou tels lacs, mais les pêcheurs de la Broye ne
bénéficient pas de cette faveur.

    Dans les limites de l'autorisation qui leur est conférée, les
titulaires de permis ont le droit de pêcher, qu'une partie de la doctrine
qualifie de droit public subjectif (PETER, op.cit., p. 121 ss.; VEGEZZI,
op.cit., p. 94 ss.). En revanche, ils ne sont pas propriétaires du poisson
avant de s'en être emparés et ne sauraient exiger que l'Etat veille à la
conservation de la faune piscicole, qu'il remplace dans chaque lac et
rivière les poissons qui disparaissent. Comme l'a déclaré justement le
Conseil d'Etat vaudois, le 19 août 1960, en réponse à une question d'un
député, "En délivrant un permis de pêche, l'Etat donne à son détenteur
le droit de pêcher sans pour autant lui garantir un produit de la pêche
ou une indemnité en cas de manque à pêcher". Tout au plus peut-on se
demander si, en cas de destruction inopinée du poisson, les porteurs de
permis ont droit au remboursement de tout ou partie des taxes qu'ils ont
acquittées. Il s'agirait là d'une action en enrichissement illégitime, en
principe admissible tant en droit public qu'en droit privé (RO 78 I 88). Il
n'y a cependant pas lieu de résoudre ici cette question, les demandeurs ne
soutenant pas que les bénéficiaires de permis aient exigé la restitution
de taxes. Au surplus, il n'est pas allégué ni établi que le nombre des
requêtes de permis ait diminué en raison de la pollution de la Broye. Si
deux témoins l'affirment, deux autres le contestent ou le mettent en doute.

    C'est au regard de ces considérations générales qu'il faut maintenant
statuer sur les diverses prétentions des demandeurs.

Erwägung 3

    3.- La première réclamation à examiner, qui tend au paiement de
la contre-valeur des poissons détruits, n'est pas justifiée. Certes,
les défenderesses ont versé 21 750 fr. avec intérêt à 5% dès le 1er
février 1961 pour la perte des salmonidés, brochets, carpes, perches et
tanches. Mais le Tribunal fédéral, déterminant librement les bases de
la réparation (cf. RO 90 II 40), n'est pas lié par les motifs juridiques
qui ont incité les sociétés à payer cette somme.

    Le présent litige est une contestation de droit civil au sens des
art. 41 et 42 OJ, qui relève du droit privé (MEIER-HAYOZ, note 96 ad
art. 664 CC; cf. GIACOMETTI, Allgemeine Lehren des rechtsstaatlichen
Verwaltungsrechts, I, p. 571). Pour se prononcer sur la réclamation des
demandeurs, il convient donc de se fonder sur la notion de dommage telle
qu'elle est entendue en droit privé. Il est d'ailleurs douteux que le
mot dommage ait une autre acception en droit public qu'en droit privé,
maintes lois de droit public sur la responsabilité de l'Etat et de ses
agents renvoyant aux règles du code des obligations sur la fixation du
dommage (cf. par exemple la loi du 14 mars 1958 sur la responsabilité de
la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires,
art. 9 al. 1). Quoi qu'il en soit, d'après la conception privatiste
applicable ici, un dommage consiste dans la diminution d'un patrimoine,
c'est-à-dire dans la différence entre le patrimoine actuel du lésé et
celui qu'il aurait sans l'événement préjudiciable (RO 64 II 138, 87 II
291). Quand le lésé est frustré d'un profit qui doit être considéré comme
usuel ou qu'il eût vraisemblablement réalisé suivant le cours ordinaire
des choses, le dommage réside dans un manque à gagner (RO 82 II 401).

    En l'espèce, abstraction faite des frais qu'ils ont assumés, les
demandeurs n'ont pas subi un dommage tel qu'il vient d'être défini, pas
même sous la forme d'un manque à gagner. D'une part, ils n'étaient pas
propriétaires des poissons détruits, ni n'exerçaient sur eux un droit
assimilable à celui de propriété puisqu'ils avaient renoncé à les pêcher
en faveur des bénéficiaires de permis. Dès lors, ils ne peuvent invoquer
la lésion d'un droit de propriété ni, en particulier, se prévaloir de la
jurisprudence qui reconnaît au propriétaire d'une chose endommagée une
prétention à une indemnité, même s'il conserve cet objet au lieu de le
vendre avec perte (RO 64 II 138). D'autre part, il n'est pas question
d'un manque à gagner. Non seulement les demandeurs n'ont pas soutenu ni
prouvé qu'à la suite de la pollution de la Broye, ils auraient encaissé
moins de taxes de permis qu'auparavant, mais encore, faute d'avoir jamais
pêché ni fait pêcher pour leur compte, ils n'eussent tiré directement
aucun profit des poissons détruits si leur existence s'était prolongée
normalement. Sans doute n'est-il pas absolument exclu qu'en période
de disette extraordinaire, l'Etat se livre lui-même à la pêche pour en
distribuer le produit, mais cette hypothèse ne se serait certainement
pas réalisée pendant la durée de vie probable des poissons qui ont
péri. Peu importe que la faune piscicole soit une richesse latente, comme
l'affirment les demandeurs. Pour qu'une atteinte à cette richesse crée un
dommage proprement dit, il faut qu'elle se traduise par une diminution
du patrimoine. Or, à défaut de violation d'un droit de propriété et en
l'absence d'un manque à gagner, le patrimoine des demandeurs ne s'est
pas réduit à concurrence de la contre-valeur des poissons détruits.

    Selon MEIER-HAYOZ (note 96 ad art. 664 CC), l'Etat peut, en vertu de sa
souveraineté sur les choses sans maître et le domaine public, non seulement
repousser les atteintes portées à ces biens, mais aussi faire valoir un
droit à des dommages-intérêts au cas où ils sont détériorés. Toutefois,
si cet auteur par le d'une prétention à une indemnité, il ne précise pas
les éléments du préjudice à réparer. Son opinion ne contredit donc pas
les considérants précédents.

    Dans un arrêt du 29 janvier 1914, le Tribunal fédéral a certes
condamné une entreprise d'électricité dont les installations nuisaient
au développement des poissons dans le Klöntalersee, à payer au canton
de Glaris une indemnité annuelle destinée à assurer le maintien de la
faune piscicole (arrêt Canton de Glaris c. Kraftwerke Beznau-Löntsch
AG, cité dans la Zentralblatt für Staats- und Gemeindeverwaltung 15
p. 37). Cependant, l'Etat se fondait dans ce litige sur les conditions
d'une autorisation qu'il avait accordée aussi bien que sur la régale de
la pêche. Il se trouvait donc dans une situation plus favorable que les
demandeurs actuels, de sorte que cet arrêt ne saurait être déterminant
en l'espèce.

Erwägung 4

    4.- Les cantons réclamant à tort la contre-valeur des poissons
détruits, il convient de se demander s'ils ont droit néanmoins au prix des
bêtes qui, sans l'empoisonnement de la rivière, y eussent été normalement
pêchées. L'inspecteur fédéral de la pêche et les experts désignés par
le juge répondent affirmativement à cette question. Leur manière de voir
se heurte pourtant aux objections qui ont été exposées. En premier lieu,
les demandeurs n'étaient pas plus propriétaires des poissons dont les
pêcheurs se seraient vraisemblablement emparés que des autres bêtes qui ont
péri. Secondement, comme ils ne pêchent pas eux-mêmes ni ne font pêcher
pour leur compte, ils n'auraient pas tiré parti du produit ordinaire
de la pêche. Ils ne peuvent pas dès lors exiger la contre-valeur d'une
fraction quelconque de la faune disparue.

    Assurément, si les demandeurs avaient affermé, soit concédé le droit
de pêche sur le tronçon empoisonné, les concessionnaires auraient pu
réclamer avec succès, à titre de dommages-intérêts, le prix du poisson
que la pollution les eût empêchés de capturer. Toutefois, leur action
n'eût été accueillie que dans la mesure où ils auraient pêché ou fait
pêcher pour eux, c'est-à-dire où ils eussent été lésés. En revanche,
faute de dommage, une telle prétention des cantons concédants aurait été
rejetée. Or, en l'espèce, où ils se sont bornés à délivrer des permis de
pêche, les demandeurs ne sauraient avoir plus de droits qu'un concédant.

    Bien que les experts officiels fassent état de principes auxquels
ils attribuent une autorité internationale, il ne s'ensuit pas que leur
opinion doive être retenue ici. On ignore si elle se fonde sur l'avis
d'hommes de science ou celui de juristes, sur des arrangements amiables
ou des décisions judiciaires, sur la liquidation de prétentions émises
par des personnes privées ou sur la solution de procès intentés par
des collectivités publiques. Il est significatif que, dans un exposé de
jurisprudence allemande au sujet des atteintes au droit de pêche, tous
les jugements cités se rapportent à des réclamations de particuliers ou
d'associations privées (Recht der Landwirtschaft, vol. 7 p. 289 ss.,
vol. 8 p. 38 ss., 124 ss. et 320 ss.). Il est exclu de s'en inspirer en
l'occurrence, où la demande émane de deux cantons détenteurs de la régale
de la pêche.

    Enfin, peu importe qu'aux termes de l'art. 30 al. 2 de la loi
fribourgeoise du 17 mai 1961, "l'Etat se constitue partie civile
en vue d'obtenir les indemnités qui lui sont dues pour les frais de
réempoissonnement, de perte de rendement piscicole, d'estimation et
de taxation". Entrée en vigueur après la pollution de la Broye, cette
disposition ne s'applique pas en l'espèce. Au surplus, si elle permet à
l'Etat d'actionner en dommages-intérêts pour perte de rendement, c'est en
qualité de partie civile. Elle ne saurait donc lui conférer une prétention
que le droit civil fédéral ne reconnaît pas.

Erwägung 5

    5.- Subsidiairement, les demandeurs réclament 142 000 fr., soit le
montant que l'inspecteur fédéral de la pêche estime leur être dû et qui
comprend, selon ses calculs, 88 000 fr. de frais de repeuplement. Il
faut par conséquent examiner si les cantons ont droit au remboursement
de ces frais.

    A la suite de l'empoisonnement de la Broye, les deux cantons y
ont immergé des alevins (truitelles, ombrettes et estivaux): celui de
Fribourg pour 24 113 fr. en 1960 et 3683 fr. 50 en 1961; celui de Vaud
pour 7125 fr. 76 en 1960 et 13 453 fr. 41 en 1961; l'un et l'autre pour
48 375 fr. 67 au total. Il s'agit là d'une diminution de patrimoine, dont
l'importance n'est en elle-même pas contestée. Elle ne peut cependant être
mise à la charge des défenderesses que si elle se trouve dans un rapport de
causalité adéquate avec leur comportement, c'est-à-dire si elle a eu lieu
pour la sauvegarde d'intérêts justifiés. Or, en principe, cette condition
est réalisée. Sans doute les demandeurs ne pouvaientils être contraints
par les titulaires de permis à repeupler la rivière. Il n'en est pas
moins vrai que, ce faisant, ils ont agi à des fins légitimes. D'un côté,
ils encourageaient les pêcheurs à renouveler leurs permis et visaient
un but fiscal. D'un autre côté, tout en cherchant à reconstituer une
richesse naturelle que les législations fédérale et cantonale sur la pêche
veillent à conserver, ils assuraient aux pêcheurs, soit à une partie non
négligeable de la population, la possibilité de compléter leurs ressources
ou du moins de se livrer à un passe-temps; ainsi, ils se sont inspirés
également de considérations d'intérêt public. Dès lors, en principe, ils
réclament avec raison le remboursement du prix des alevins mis à l'eau.
Toutefois, leur prétention n'est admissible que dans la mesure où elle
porte sur des frais nécessaires au rétablissement de l'état antérieur et
excédant le coût des mesures ordinaires de repeuplement. Par conséquent,
les experts évaluant ces frais à 40 848 fr., c'est à concurrence de
ce montant que les demandeurs doivent être dédommagés... Les cantons
ont au surplus répandu dans la Broye 575 kg. de truites de mesure
immédiatement pêchables, qu'ils ont payées 5910 fr. Inopportune au point
de vue piscicole, cette opération se justifiait pourtant pour les mêmes
motifs que l'immersion des alevins. Bien qu'ils ne fussent pas obligés
de céder aux réclamations des pêcheurs, les cantons ne pouvaient faire
moins que de jeter à la rivière une quantité de truites qui représente
à peine la moitié des salmonidés ordinairement pêchés en une année. Dans
ces conditions, le prix des truites doit être entièrement remboursé ...