Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 90 II 227



90 II 227

27. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 26 mai 1964 dans la cause
Camisa contre Droux. Regeste

    Art. 8 ZGB, 58 und 339 OR.

    1.  Liegt in der Verwendung einer Ausschwingmaschine ohne Deckel in
einer Wäscherei ein Werkmangel und eine Verletzung der dem Dienstherrn
obliegenden Pflicht zur Vorkehr von Schutzmassregeln? (Erw. 2).

    2.  Anforderungen an den Beweis des adäquaten Kausalzusammenhanges
zwischen dem Schaden und dem Werkmangel oder dem Fehlen von Schutzvorkehren
des Dienstherrn, wenn der Unfall sich ohne Zeugen ereignet hat und der
Verunfallte über dessen Hergang keine Angaben machen kann (Erw. 3).

Sachverhalt

    A.- Paul Droux exploitait une blanchisserie, à Lausanne.  Il occupait
en moyenne cinq personnes, en faveur desquelles il avait contracté une
assurance collective contre les accidents.

    Le 10 avril 1956, Droux engagea comme aide-blanchisseur le
ressortissant italien Pietro Camisa, né le 22 novembre 1931. A deux
ou trois reprises, il lui recommanda de ne pas trop s'approcher de
l'essoreuse placée dans la buanderie de son entreprise, où seul le
personnel avait accès.

    Le 27 juin 1956, Camisa transportait à l'étendage du linge essoré
qu'il plaçait dans une hotte. Au cours de son travail, il eut le bras
droit arraché par l'essoreuse en rotation. La machine était pleine de
vêtements de travail. Les circonstances de l'accident n'ont pu être
élucidées. La victime a déclaré ne se souvenir de rien.

    L'essoreuse, de marque Schulthess, datait de 1887. Elle n'était pas
munie d'un couvercle. Elle avait été transformée et pourvue d'un moteur
électrique.

    B.- Après lui avoir fait notifier une poursuite le 17 juin 1957,
Camisa assigna Droux, par demande du 14 mai 1958, devant la Cour civile
du Tribunal cantonal vaudois. Il conclut au paiement d'une indemnité de
54 752 fr. 75, sous déduction de 17 655 fr. versés par l'assurance que
son employeur avait contractée. Il réclama en outre 6500 fr. à titre de
réparation du tort moral. Il fondait ses prétentions sur les art. 58 et
339 CO.

    Droux conclut au rejet de la demande. Décédé le 3 août 1961, il laissa
comme héritières sa veuve Marie-Thérèse Droux et ses trois filles Yvette
Clot-Droux, Noella Droux et Anne-Marie Dogny-Droux, qui reprirent sa
place au procès.

    Statuant le 10 décembre 1963, la Cour civile vaudoise rejeta
l'action. Sur le vu d'une expertise technique, elle considéra que le
demandeur n'avait prouvé ni l'existence d'un vice de construction qui
engage la responsabilité du propriétaire de bâtiment ou d'ouvrage, ni
l'absence d'une mesure de sécurité qui s'imposait à l'employeur. Au
surplus, elle releva que la relation de causalité adéquate entre le
manquement prétendu et l'accident n'était pas établie. Elle nia dès lors
la responsabilité de l'auteur des défenderesses, sans aborder l'examen
du dommage subi par Camisa ni de sa réparation.

    Le 26 février 1964, la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois
rejeta le recours en nullité formé par le demandeur pour vice de procédure.

    C.- Camisa recourt en réforme au Tribunal fédéral. Il reprend les
conclusions de sa demande. Subsidiairement, il requiert le renvoi de
la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue sur le dommage et
sa réparation.

    Les intimées concluent au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 2

    2.- a) Fixée à demeure au sol de la buanderie, l'essoreuse était
un ouvrage au sens de l'art. 58 CO. Cette disposition légale institue
la responsabilité causale du propriétaire de l'ouvrage pour le dommage
résultant d'un vice de construction ou d'un défaut d'entretien.

    Quant à l'art. 339 CO, il astreint l'employeur à prendre les mesures
de sécurité propres à écarter les risques de l'exploitation, en tant que
les conditions particulières du contrat et la nature du travail permettent
équitablement de l'exiger.

    La jurisprudence admet le concours des deux responsabilités causale
et contractuelle lorsque l'employeur est aussi, comme en l'espèce,
le propriétaire de l'ouvrage utilisé dans l'entreprise. La diligence
requise pour que la machine fonctionne sans causer de préjudice à autrui
est pratiquement la même dans les deux cas (RO 72 II 316).

    b) Selon le recourant, le défaut résiderait dans l'absence de
couvercle. Il n'est pas douteux qu'une essoreuse utilisée dans une
entreprise de blanchisserie, mue par un moteur électrique imprimant à la
rotation du tambour une vitesse élevée, dont l'orifice supérieur n'est
pas fermé, présente un danger pour l'intégrité corporelle des employés qui
travaillent dans le local où est placée la machine. Toutefois, l'employeur,
comme le propriétaire d'ouvrage, n'est pas tenu de prendre des mesures de
précaution contre n'importe quel risque. Il doit seulement parer au danger
qui résulte de la nature et de l'emploi normal de l'ouvrage installé dans
son atelier (RO 77 II 308). Il n'a pas à tenir compte, en revanche, de
risques dont la réalisation est peu vraisemblable, ni de ceux qu'un minimum
de prudence permet d'écarter. L'application de ce principe dépend aussi de
la gravité du risque et de la facilité avec laquelle il peut être prévenu:
l'obligation de protection sera appréciée plus sévèrement si le risque
est grave et si la technique offre les moyens d'y parer sans grands frais.

    Selon le jugement entrepris, à part les accidents dus à l'explosion du
tambour ou de la bâche de protection, consécutifs à un défaut du matériel
et rares aujourd'hui, la plupart des sinistres provoqués par l'utilisation
d'essoreuses ne se seraient pas produits si les machines avaient été munies
de couvercles. De plus, à la différence des essoreuses domestiques qui sont
plus petites et tournent plus lentement, parce que mues hydrauliquement,
les essoreuses de dimensions moyennes destinées à l'artisanat sont
généralement pourvues d'un couvercle, du moins celles qui sont mises sur le
marché depuis l'année 1961, date de l'expertise technique. La législation
de plusieurs pays voisins (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Belgique,
Italie) déclare le couvercle obligatoire. En Suisse, la Caisse nationale
l'exige pour toutes les nouvelles entreprises soumises à l'assurance
obligatoire contre les accidents. Ces prescriptions montrent que le risque
n'est pas négligeable. L'introduction progressive du couvercle par la
Caisse nationale, qui s'explique sans doute par des motifs tirés de la
pratique générale de l'institution, ne saurait atténuer les obligations
que le droit civil impose à l'employeur et au propriétaire d'ouvrage.

    Assurément, le risque d'un accident dû à une glissade, ou à un faux
mouvement à proximité d'une essoreuse en marche, apparaît à chacun. En
outre, l'employeur du recourant lui avait dit, à plusieurs reprises, de
ne pas trop s'approcher de l'essoreuse. Cependant, le sol de la buanderie,
incliné de 4%, mouillé, et partant glissant, quoique grenu, pouvait, sinon
provoquer une glissade, du moins la favoriser, selon les constatations
faites par l'expert judiciaire et adoptées par la Cour cantonale. Une
glissade est d'autant moins invraisemblable que le travail accompli par
le recourant l'obligeait à circuler constamment à proximité immédiate de
l'essoreuse en marche. Il y transportait des fardeaux et se baissait à côté
de la machine pour prendre sur la table basse les hottes de linge essoré.

    Quant à l'introduction volontaire de la main dans le tambour
en rotation, elle ne saurait être exclue des prévisions. Sans doute
suppose-t-elle une inadvertance. Mais l'expérience enseigne qu'il faut
compter avec la possibilité d'une erreur, d'un mouvement de précipitation,
d'un instant de distraction, surtout de la part d'un homme de peine,
ouvrier non qualifié et peu familiarisé avec les machines. Quoique moins
grand, le danger est de même nature que celui qui résulte du contact avec
une courroie de transmission et que l'on doit prévenir au moyen d'une
gaine de protection (RO 72 II 46). S'il incombe toujours à l'employeur
de rendre ses ouvriers attentifs aux risques inhérents à leur travail
(RO 89 II 120), cette mise en garde n'est pas suffisante. Un couvercle
adapté à l'essoreuse serait une précaution beaucoup plus efficace.

    Il est indifférent qu'en 1961 encore, de nombreuses blanchisseries
lausannoises n'aient pas muni leurs essoreuses d'un couvercle. En effet,
du point de vue de l'art. 58 CO, un ouvrage n'est pas exempt de défaut
du seul fait qu'il a été construit de la manière usuelle (RO 60 II 223,
88 II 421). Au regard de l'art. 339 CO, l'employeur ne peut se prévaloir
non plus d'un usage abusif (RO 83 II 30).

    c) Les mesures de sécurité objectivement fondées ne doivent être prises
par l'employeur ou le propriétaire que si elles n'excèdent pas la dépense
que l'on peut équitablement exiger d'un artisan en considération du revenu
de son exploitation (RO 72 II 49). Selon le jugement déféré, la pose d'un
couvercle simple aurait coûté 200 fr. Quant à la pose d'un couvercle à
verrouillage automatique, s'ouvrant seulement lorsque l'essoreuse est
arrêtée, elle aurait été beaucoup plus coûteuse; elle serait même souvent
impossible à réaliser sur d'anciennes machines. Il n'est pas nécessaire
de renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle précise ses
constatations relatives à la pose éventuelle d'un couvercle à verrouillage
automatique. En effet, la présence d'un couvercle simple, dont le coût
n'était nullement excessif, suffit à éviter nombre de risques. A moins
que le couvercle ne demeure ouvert alors que l'essoreuse est en rotation,
par suite d'une négligence qui engagerait la responsabilité de son auteur,
il empêchera toute introduction involontaire de la main ou du coude dans
la machine, et surtout il exclura tout contact avec le linge qui dépasse
le bord supérieur du tambour. Quant au geste volontaire, la nécessité de
soulever le couvercle au préalable diminuerait dans une mesure importante
le risque d'une inadvertance ou d'un mouvement précipité.

    d) L'absence d'un couvercle simple constitue dès lors un défaut de
l'ouvrage qui engage la responsabilité du propriétaire selon l'art.
58 CO. Peu importe à cet égard que Droux n'ait pas réalisé l'ampleur
du risque ni songé à y parer. Il ne devait pas demeurer passif,
mais au contraire se préoccuper des mesures de sécurité à prendre et
se renseigner, le cas échéant, auprès de spécialistes. Son abstention
démontre aussi qu'il n'a pas exécuté l'obligation que l'art. 339 CO impose
à l'employeur. Celui-ci répond du dommage qui résulte de sa carence,
à moins de prouver qu'il n'a pas commis de faute (art. 97 al. 1 CO). Or
l'auteur des intimées n'a pas apporté cette preuve libératoire.

Erwägung 3

    3.- En vertu de l'art. 8 CC, il incombe au lésé de prouver la relation
de causalité adéquate entre le défaut de l'ouvrage ou l'absence de mesure
de protection, d'une part, et le préjudice qu'il a subi, d'autre part. En
l'espèce, il est constant que la lésion a été provoquée par l'essoreuse en
rotation. Mais le recourant n'a pu établir les circonstances de l'accident,
qui s'est produit en un instant, hors la présence de témoins. Il a
déclaré ne se souvenir de rien. Aucun indice ne permet de douter qu'il
soit incapable de décrire les circonstances exactes de l'accident. Force
est dès lors de raisonner sur la base d'hypothèses.

    a) La jurisprudence tempère, dans certains cas exceptionnels, la
stricte répartition du fardeau de la preuve. Elle se contente parfois
d'une simple vraisemblance (cf. KUMMER, n. 211 ad art. 8 CC, et OFTINGER,
Schw. Haftpflichtrecht, tome I, p. 63). Par exemple, l'assuré qui prétend
s'être coupé deux doigts en fendant du bois, auquel l'assureur objecte
qu'il s'est mutilé volontairement, doit établir le caractère involontaire
de la lésion, qui est un fondement de son action. Mais cette preuve ne
doit pas être appréciée avec rigueur. Lorsque l'instruction ne révèle
aucun indice en faveur d'un acte intentionnel, il suffit de prouver les
autres éléments de l'accident et la possibilité que le dommage se soit
produit sans que le lésé l'ait voulu. Cela vaut en particulier pour les
accidents de la vie quotidienne, les accidents du travail.

    En revanche, lorsque des faits sont établis qui permettent de douter
du caractère involontaire de l'acte dommageable, la simple possibilité
d'un événement involontaire ne suffit plus. Le demandeur doit apporter
la preuve que son comportement n'était pas intentionnel. Toutefois,
il est loisible au juge du fait, qui apprécie librement les preuves,
d'admettre que l'accident, quand bien même tous les détails ne sont pas
connus, s'est produit de la façon qui apparaît dans le cas particulier
la plus vraisemblable selon l'expérience générale. Le Tribunal fédéral
est alors lié par cette appréciation (RO 46 II 201).

    b) En l'espèce, on ne trouve dans les faits retenus par la Cour
civile vaudoise aucune circonstance particulière qui permette de douter du
caractère involontaire de l'accident et d'imputer au recourant, sans aucun
indice, un geste aussi inconsidéré que l'introduction volontaire du bras
dans l'essoreuse en marche. Les premiers juges ont motivé leur décision
négative sur la relation de causalité en considérant qu'une glissade à
la suite de laquelle Camisa aurait voulu prendre appui sur le bord de
la machine - hypothèse qu'aurait retenue l'expert - n'était pas plus
vraisemblable que l'introduction volontaire de la main dans le tambour.
S'agissant non pas de constatations de fait, mais d'un raisonnement fondé
sur l'expérience générale, cette conclusion ne lie pas la juridiction de
réforme. Or la Cour cantonale, en demandant la preuve de la plus grande
vraisemblance, est allée au-delà des exigences de l'art. 8 CC, telles que
les formule l'arrêt précité. De plus, son opinion repose sur une double
inadvertance. D'une part, l'expert judiciaire n'a pas retenu l'hypothèse
de la glissade comme la plus vraisemblable. Il envisage au contraire que
le recourant, se baissant pour déposer sa hotte sur la table placée à côté
de l'essoreuse, et ne pouvant, vu le peu d'espace disponible, garder le
bras pendant entre sa hanche et la machine, a dû relever l'avant-bras en
position horizontale. Il suffisait alors, même sans glissade, d'un simple
déplacement du torse pour que le bras fût mis au contact du linge dépassant
le tambour. D'autre part, la juridiction vaudoise estime qu'eu égard à
la position et à la forme du tambour, seul un concours de circonstances
extraordinaires pouvait mettre le bras de la victime en contact avec le
linge. Certes, il ressort du jugement que l'orifice de la machine était
entouré par une bâche de protection dont le rebord mesurait environ 17 cm
de largeur (le diamètre extérieur mesurait en effet 75 cm, le diamètre
intérieur 40 cm); le tambour mobile se trouvait à plusieurs centimètres
au-dessous du rebord de la bâche de protection. Mais ces constatations se
rapportent à la machine vide. Elles ne sont plus pertinentes lorsque le
tambour est plein de linge. Or, au moment de l'accident, l'essoreuse était
pleine de vêtements de travail. L'expert a retenu la possibilité que ce
linge dépassait le haut du tambour. Aussi le bras pouvait-il être entraîné
par le frottement du linge en rotation. Bien que la vitesse fût réduite,
l'essoreuse devait faire encore 5 ou 6 tours par seconde, selon l'expert,
au moment où l'avant-bras fut happé. Point n'était besoin, pour cela,
que le coude s'introduisît profondément dans le tambour.

    c) - L'appréciation de l'expertise par la juridiction cantonale
repose ainsi sur une double inadvertance. Elle doit être rectifiée
d'office en application de l'art. 63 al. 2 in fine OJ, dans le sens
indiqué ci-dessus. Le recourant a par là même satisfait aux exigences
jurisprudentielles touchant la preuve qui lui incombait. En effet, il a
prouvé la possibilité que le dommage consécutif à l'emploi de la machine
se fût produit à la suite d'un contact involontaire de son bras droit avec
le linge qui se trouvait dans l'essoreuse en marche. Cette possibilité est
même, selon l'expert, l'hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer
l'accident. Le contact envisagé ne se serait pas produit si l'essoreuse
avait été munie d'un couvercle. La relation de causalité adéquate entre
l'accident et le défaut de l'ouvrage ou l'absence de mesures de protection
est ainsi établie. Le manquement engage la responsabilité de l'auteur des
intimées, tant au regard de l'art. 58 CO que de l'art 339 CO. La cause
doit dès lors être renvoyée à l'autorité cantonale pour fixer le dommage
et statuer sur l'étendue de sa réparation (art. 64 al. 1 OJ).

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours, annule le jugement rendu le 10 décembre 1963 par
la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois et renvoie la cause à cette
autorité pour nouvelle décision dans le sens des motifs.