Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 89 I 381



89 I 381

55. Arrêt du 6 novembre 1963 dans la cause Chappuis contre Conseil d'Etat
du Canton de Vaud. Regeste

    Eigentumsgarantie. Materielle Enteignung.

    Kantonaler Überbauungsplan, welcher aus Gründen des Landschaftsschutzes
eine Bauverbotszone um einen See vorsieht. Abweisung des von einem
betroffenen Grundeigentümer gestellten Entschädigungsbegehrens durch die
kantonale Behörde.

    1.  Das Bundesgericht prüft frei, ob gegenüber einem Grundeigentümer
eine materielle Enteignung vorliegt (Erw. 1).

    2.  Begriff der materiellen Enteignung. Ist, wenn bloss ein Teil einer
Parzelle von einem totalen Bauverbot betroffen wird, die Frage, ob eine
materielle Enteignung vorliege, im Hinblick auf das ganze Grundstück
oder nur im Hinblick auf den mit dem Bauverbot belasteten Teil zu
beurteilen? (Erw. 2).

    3.  Prüfung eines Falles mit dem Ergebnis, dass eine materielle
Enteignung anzunehmen ist. Pflicht des Staates, den betroffenen
Grundeigentümer in irgend einer Form zu entschädigen (Erw. 3 und 4).

Sachverhalt

    A.- La loi vaudoise du 5 février 1941 sur la police des constructions
(LPC) prévoit des plans d'extension communaux et des plans d'extension
cantonaux. L'art. 53 LPC autorise l'Etat à établir des plans d'extension
cantonaux pour diverses régions du territoire vaudois, notamment pour les
rives du lac de Bret. Un certain nombre de règles concernant les plans
communaux sont applicables par analogie aux plans cantonaux. Ainsi en
va-t-il de l'art. 30 al. 1 LPC, aux termes duquel "la commune peut être
tenue d'exproprier sitôt après l'approbation du plan toute parcelle
non bâtie dont la valeur dépend principalement de la possibilité d'y
construire, lorsque l'utilisation en est rendue impossible ou gênée dans
une trop large mesure par l'interdiction de construire".

    B.- François Chappuis est propriétaire d'un domaine agricole formé,
pour l'essentiel, d'une vaste parcelle sise le long de la rive est du lac
de Bret, et qui n'est séparée de celui-ci que par une bande de terrain
très étroite, appartenant à la commune de Lausanne. Cette parcelle
comprend deux zones séparées par une crête, l'une inclinée vers l'est,
l'autre vers l'ouest, c'est-à-dire en direction du lac.

    A la fin de 1960, Chappuis décida de vendre un morceau de son fonds
regardant le lac, soit 13 000 m2 environ. Il fit établir un projet de
lotissement prévoyant la construction de plusieurs maisons de week-end. Au
début de 1961, il offrit le terrain à vendre par des annonces publiées
dans la presse. Plusieurs amateurs s'intéressèrent à l'affaire. Le projet
souleva cependant des oppositions, notamment de la part du Département
des travaux publics du canton de Vaud. Ce dernier décida de préparer
un plan d'extension, qui fut adopté par le Conseil d'Etat vaudois le 11
décembre 1961. Ce plan interdit ou restreint les constructions dans toute
la région entourant le lac de Bret. Il divise la parcelle du recourant en
deux parties. L'une comprend précisément la zone pour laquelle Chappuis
avait fait un projet de lotissement. Elle englobe les pentes inclinées
vers le lac, ainsi que la crête et une petite bande de terrain à l'est de
celle-ci. Elle est une zone de non bâtir. L'autre, qui s'étend à tout le
solde du fonds (incliné vers l'est), ne peut recevoir que des constructions
en rez-de-chaussée. L'espace actuellement occupé par la ferme du domaine
pourrait recevoir un bâtiment d'un étage sur rez-de-chaussée.

    C.- Le 5 octobre 1962, Chappuis, qui ne s'était pas opposé au plan
d'extension, s'adressa au Conseil d'Etat du canton de Vaud en lui demandant
d'exproprier, conformément à l'art. 30 LPC, la portion de son terrain
frappée d'une interdiction totale de construire. Le 28 novembre 1962,
le Conseil d'Etat écarta cette requête. Il considéra que les conditions
de l'art. 30 LPC n'étaient pas remplies, que la parcelle était dans une
zone agricole où la valeur des fonds ne dépendait pas principalement de
la possibilité d'y construire, que les avantages du plan pour l'ensemble
du domaine en compensaient les inconvénients et que d'ailleurs une partie
importante de ce dernier demeurait constructible.

    D.- Agissant par la voie du recours de droit public, Chappuis requiert
le Tribunal fédéral d'annuler la décision du Conseil d'Etat. Il se plaint
d'un acte arbitraire et d'une atteinte à la garantie de la propriété. Il
avait également déféré cette décision à la Commission cantonale de
recours en matière de police des constructions, qui a déclaré son recours
irrecevable.

    Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours de droit public.

    Une délégation du Tribunal fédéral a procédé à une inspection locale.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Le plan d'extension relatif aux rives du lac de Bret constitue une
restriction de droit public à la propriété foncière au sens de l'art. 702
CC. Les restrictions de ce genre sont admissibles à la condition qu'elles
reposent sur une base légale, qu'elles soient dans l'intérêt public et que,
lorsqu'elles équivalent à une véritable expropriation, elles donnent lieu
au paiement d'une indemnité (RO 89 I 104, 88 I 83/84, 175). Ni la base
légale ni l'intérêt public du plan ne sont en cause ici. La question de
l'indemnité est seule litigieuse. Sur ce point, le recourant ne pouvait
attaquer le plan directement. Conformément à la jurisprudence, il devait
au préalable demander l'expropriation prévue par l'art. 30 LPC (RO 84 I
176/177). C'est aussi bien ce qu'il a fait. Toutefois, il a été débouté
par une décision du Conseil d'Etat, qui est sans recours et, partant,
épuise les instances cantonales. Il s'agit de savoir s'il est victime d'une
expropriation matérielle sans indemnité. Le Tribunal fédéral peut juger
cette question avec un plein pouvoir d'examen. Pour la trancher, il n'a
besoin de savoir ni si l'art. 30 LPC -est en soi conforme à la garantie
de la propriété ni s'il a été appliqué en l'espèce de façon arbitraire.

Erwägung 2

    2.- En règle générale, la jurisprudence admet l'existence d'une
expropriation matérielle lorsque le propriétaire se voit interdire
l'usage qu'il était en droit de faire jusqu'alors de sa chose ou l'utilité
économique qu'il avait le pouvoir d'en tirer; l'expropriation matérielle
est aussi réalisée quand l'interdiction restreint l'utilisation de la chose
d'une manière particulièrement sensible et qu'elle frappe un propriétaire
unique ou quelques propriétaires seulement, et cela dans une mesure telle
que, s'ils ne recevaient pas d'indemnité, ils devraient supporter un
sacrifice par trop considérable en faveur de la collectivité (RO 82 I 164,
81 I 346, 69 I 241/242). Dans la première éventualité, la jurisprudence
protège surtout l'utilisation actuelle du bien. Dans la seconde, elle vise
à sauvegarder également l'utilisation possible de l'immeuble à l'avenir.

    Lorsqu'une parcelle n'est frappée qu'en partie d'une interdiction
totale de bâtir, le Tribunal fédéral considère qu'il faut examiner
la question d'une éventuelle expropriation matérielle au regard non
seulement de la zone frappée de la défense absolue de construire, mais
du fonds tout entier (RO 82 I 165). Dans de nombreux cas, cette règle
est justifiée par le motif notamment que lorsqu'une partie d'un terrain
est inconstructible, le solde de la parcelle peut souvent encore être
utilisé pour y bâtir dans des conditions assez voisines. Toutefois, le
principe posé par la jurisprudence ne saurait être absolu. Il convient
de réserver les situations particulières. Ainsi, il arrive qu'en raison
des circonstances, par exemple de la configuration des lieux, un terrain
ne puisse être utilisé à des fins de construction que sur la partie
frappée de l'interdiction. En pareille hypothèse, le propriétaire grevé
est entièrement privé des avantages - généralement très appréciables -
qu'offre la possession d'un terrain à bâtir. C'est uniquement la surface
frappée de l'interdiction totale qu'il faut alors prendre en considération
pour décider si, du fait de la mesure prise, le propriétaire est victime
d'une expropriation matérielle.

Erwägung 3

    3.- Jusqu'à l'adoption du plan d'extension relatif aux rives du
lac de Bret, le recourant a constamment utilisé son terrain à des fins
agricoles. Le plan ne l'empêche pas de continuer à en faire cet usage. La
première hypothèse envisagée par la jurisprudence n'est donc pas réalisée.

    Quant à la seconde, il s'agit de rechercher d'abord si elle doit être
examinée en ne tenant compte que du fonds grevé de la défense absolue de
construire. Il n'est pas douteux à cet égard que l'espace dont le recourant
envisageait le lotissement et qui est frappé par l'interdiction, constitue
une parcelle à bâtir. Le terrain est incliné vers l'ouest. Si une villa y
était construite, elle jouirait d'une vue imprenable sur le site - d'une
grande beauté - que constitue la nappe d'eau et son cadre de prairies et
de forêts. La zone qui offre cet attrait particulier est d'ailleurs située
dans une région encore tranquille et à faible distance de l'agglomération
lausannoise, à laquelle elle est reliée par d'excellentes routes. Elle
est ainsi un emplacement particulièrement approprié à la construction
de maisons de week-end. Le plan de lotissement établi par le recourant
et le succès des annonces qu'il a publiées dans la presse montrent que
ses projets eussent été rapidement réalisables. En revanche, le reste du
domaine n'offre pas pour la construction un attrait comparable à celui
de la zone d'où tout bâtiment est proscrit. Il est incliné vers l'est,
soit dans une direction opposée à celle du lac, dont il est séparé par
une crête. Les paysages n'y sont guère différents de ceux de toute la
région. C'est dès lors de la seule surface grevée d'une interdiction totale
qu'il faut tenir compte pour rechercher si le recourant est victime d'une
expropriation matérielle.

    A cet égard, l'interdiction de construire décrétée par le Conseil
d'Etat a mis les projets du recourant à néant. D'une parcelle à bâtir
spécialement bien située, elle a fait un simple fonds agricole. Ce fonds
est du reste de faible valeur: en raison de la pente et de l'humidité due
à la proximité du lac, il se prête mal à la culture et peut tout au plus
être utilisé comme pâturage. Ainsi, le recourant, qui ne s'est pas livré
au moindre acte de spéculation, est empêché d'utiliser rationnellement une
surface de quelque 13 000 m2, qui, sur le plan agricole, ne représente pour
son domaine qu'un maigre avantage. Il est privé de la sorte d'un profit
très important et voit son terrain subir une moins-value considérable. Il
est dès lors atteint d'une manière particulièrement sensible. Si quelques
parcelles voisines de la sienne et se trouvant dans une situation analogue
sont peut-être touchées de même façon, il est en tout cas certain qu'un
nombre très restreint de propriétaires est lésé aussi gravement que le
recourant. Supposé que ce dernier ne soit pas dédommagé sous une forme ou
sous une autre, il subirait un sacrifice par trop considérable en faveur
de la collectivité. Il s'ensuit qu'il est victime d'une expropriation
matérielle.

    Peu importe que le fonds litigieux soit séparé du lac par une mince
bande de terrain appartenant à la commune de Lausanne. En effet, l'attrait
de la parcelle pour d'éventuels constructeurs réside dans la vue sur le
lac et non dans l'accès à celui-ci. D'ailleurs, selon toute vraisemblance,
cet accès aurait pu faire l'objet d'une convention entre les constructeurs
et la commune.

    Rien ne servirait non plus d'objecter que l'interdiction de bâtir
est propre à augmenter la valeur du domaine dans son ensemble. En effet,
cet avantage, même s'il est incontestable, ne compense de loin pas les
inconvénients découlant de la mesure prise. Peut-être en aurait-il été
autrement si la configuration des lieux avait été différente et si des
constructions avaient pu être élevées ailleurs sur le domaine du recourant
dans des conditions à peu près analogues à celles relatives aux bâtiments
que le plan entend proscrire. Mais cette condition n'est pas remplie,
ce qui distingue précisément la situation réalisée en l'espèce de celle
qui existait dans les affaires Le Fort (arrêt non publié du 3 juin 1946)
et Egger (RO 82 I 157 ss.). Comme on l'a dit, la partie du domaine où des
maisons pourraient être bâties n'offre nullement un attrait comparable
à celui de la zone interdite. L'implantation naturelle de ces maisons
serait telle que, de leur logis, les propriétaires ne verraient rien ou
presque rien du site très particulier du lac de Bret. C'est pourquoi le
recourant ne saurait remédier aux inconvénients du plan en adjoignant à
la zone qu'il voulait vendre une bande de terrain prise sur la partie
de son domaine où des constructions restent possibles. Les parcelles
qu'il aurait pu ainsi constituer auraient eu la forme d'un dos d'âne et
n'auraient pu recevoir de constructions qu'à l'endroit sans vue sur le lac.
Elles auraient alors perdu l'essentiel de leur attrait.

Erwägung 4

    4.- La décision prise équivaut à une expropriation matérielle. Elle
n'accorde pas de dédommagement au recourant, sous quelque forme que ce
soit. Elle est donc contraire à la garantie de la propriété. Pour ce motif
déjà, elle doit être annulée. Il est dès lors inutile de rechercher si
l'art. 30 LPC, sur lequel elle est fondée, est conforme à cette garantie,
ni s'il a été appliqué en l'espèce d'une manière arbitraire.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral

    Admet le recours et annule la décision attaquée.