Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 89 II 56



89 II 56

11. Arrêt de la Ire Cour civile du 26 février 1963 dans la cause Gétaz
contre Chapuis et Gindroz. Regeste

    Unfall eines Kindes, das auf einem Fussgängerstreifen durch einen
Lastwagen umgeworfen wird.

    1.  Verschulden des Lastwagenführers (Erw. 1).

    2.  Schuldlosigkeit des Kindes, in Anbetracht seines jugendlichen
Alters, trotz seinem objektiv zu beanstandenden Verhalten (Erw. 2).

    3.  Abschätzung.. des Schadens durch den Richter nach Art. 42 Abs. 2
OR; Überprüfungsbefugnis des Bundesgerichts (Erw. 3).

    4.  Genugtuung (Erw. 4).

Sachverhalt

    A.- Rentrant de l'école le samedi 9 mai 1959, à midi, l'enfant
Pierre-André Gétaz, né le 13 juin 1953, fut renversé par un camion alors
qu'il traversait l'avenue d'Echallens, à Lausanne, sur un passage de
sécurité, après un garçon de son âge. Quittant le trottoir nord entre
deux automobiles à l'arrêt de part et d'autre du passage, il courut pour
traverser la rue devant des voitures venant sur sa gauche et se jeta contre
le flanc du camion, qui arrivait sur sa droite. Sa tête heurta le pont du
véhicule, approximativement au milieu de celui-ci. Le chauffeur, qui tenait
sa droite et roulait à une allure de quelque 50 km/h, freina à l'ouïe du
choc et immobilisa sa machine environ 25 m plus loin. Il n'avait pas usé
de son avertisseur ni freiné avant de franchir le passage de sécurité.

    Pierre-André Gétaz subit des lésions corporelles, à savoir un
traumatisme cranio-cérébral avec commotion, une fracture du crâne et une
section ou compression du nerf optique droit. A dire d'expert, il a perdu
quasi totalement et définitivement la fonction visuelle de l'oeil droit;
en outre, cet oeil est affecté d'un strabisme divergent qui risque de
s'aggraver; une opération serait alors indiquée.

    B.- Par demande du 24 février 1961, Pierre-André Gétaz, représenté
par son père Claude Gétaz, introduisit devant la Cour civile du Tribunal
cantonal vaudois une action tendant à faire condamner Edmond Gindroz,
qui conduisait le camion, et son employeur Lucien Chapuis, détenteur du
véhicule, à lui payer, selon les règles de la solidarité imparfaite, 82 110
fr. avec intérêt à 5% l'an dès le 9 mai 1959, à titre de dommages-intérêts
et de réparation du tort moral. Les défendeurs conclurent à libéraration
des fins de la demande. Ayant reçu en cours d'instance, le 4 avril 1961,
un montant de 20 000 fr. de l'assureur de Chapuis, le demandeur réduisit
ses conclusions à 62 110 fr.

    Statuant le 4 septembre 1962, la Cour civile vaudoise condamna
Chapuis à payer à Pierre-André Gétaz 13 500 fr. avec intérêt à 5% dès le
4 avril 1961 pour réparer l'atteinte à son avenir économique et 750 fr.,
valeur échue, pour les frais de l'opération préconisée par l'expert. Elle
débouta le demandeur de ses conclusions pour le surplus. Admettant la
responsabilité de Chapuis selon l'art. 37 LA, elle réduisit toutefois
l'indemnité d'un quart en raison de la faute concurrente du lésé. Quant
à Gindroz, la Cour cantonale admit ses conclusions libératoires en
considérant qu'il n'avait commis aucune faute. Elle refusa par le même
motif d'allouer au demandeur une somme d'argent pour réparer le tort moral.

    C.- Pierre-André Gétaz recourt au Tribunal fédéral et conclut à la
réforme du jugement en ce sens que les défendeurs sont condamnés à lui
payer 63 250 fr. avec intérêt dès le 9 mai 1959, sous déduction des 20 000
fr. reçus le 4 avril 1961. Il conteste sa propre faute et soutient que
Gindroz est fautif. Il critique aussi le calcul du dommage. Il persiste
enfin à demander une indemnité pour tort moral.

    L'intimé Chapuis a déposé un recours joint. Il s'en prend au calcul
du dommage et conclut à la réduction de l'indemnité dont il est débiteur
au chiffre de 5660 fr., subsidiairement 8144 fr. et plus subsidiairement
12 184 fr.

    Le recourant Gétaz et l'intimé Chapuis concluent chacun au rejet du
recours de son adversaire. L'intimé Gindroz conclut au rejet du recours
principal.

Auszug aus den Erwägungen:

Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Les conclusions du recours principal ont pour objet la réparation
du dommage corporel et du tort moral consécutifs à l'accident de la
circulation du 9 mai 1959. La responsabilité causale de Chapuis, détenteur
du véhicule impliqué dans l'accident, n'est plus contestée. En revanche,
le recourant fait grief aux premiers juges d'avoir nié que le conducteur
Gindroz ait commis une faute en relation de causalité adéquate avec
l'accident, qui engage sa responsabilité selon les art. 41 ss. CO.

    a) La Cour cantonale estime que la vitesse du camion au moment de
l'accident était adaptée aux conditions de la route et de la circulation
(art. 25 al. 1 LA). Son opinion est erronée. L'avenue d'Echallens
est une rue assez étroite et très fréquentée. De nombreux piétons la
traversent. L'affiuence y est particulièrement importante le samedi à
midi. C'est l'heure à laquelle les enfants sortent de l'école. Selon
le jugement entrepris, Gindroz connaissait parfaitement l'état des
lieux. Lorsqu'il y est arrivé, la visibilité était en partie masquée
par des véhicules à l'arrêt de chaque côté du passage de sécurité. Un
premier enfant venait de le traverser. Dans ces conditions, la vitesse
de 50 km/h était excessive pour un camion abordant ledit passage. Gindroz
a donc enfreint l'art. 25 al. 1 LA et commis une faute.

    Il ressort toutefois du jugement que la collision se serait produite
de façon identique si le véhicule avait roulé à une allure inférieure,
par exemple 40 km/h. Bien que l'autorité cantonale invoque à l'appui
de son assertion le cours ordinaire des choses, elle a surtout pris en
considération les circonstances particulières du cas, notamment l'état des
lieux. Le Tribunal fédéral est lié par cette appréciation de la causalité
naturelle, quelque surprenante qu'elle lui paraisse. L'excès de vitesse
n'étant pas en relation de cause à effet avec les lésions subies par la
victime, il n'engage pas la responsabilité de Gindroz.

    b) L'art. 25 al. 1 LA oblige notamment le conducteur à rester
constamment maître de son véhicule et à ralentir ou au besoin s'arrêter
partout où il risquerait de causer un accident; il doit le faire aussi
"devant les passages de sécurité, afin de permettre aux piétons déjà
engagés sur le passage de traverser sans encombre la chaussée" (art. 45
al. 3 RA). La seule présence d'un tel passage rend les automobilistes
attentifs au risque d'accident, comme un signal de danger. L'observation
des prescriptions citées requiert une attention soutenue. Or Gindroz
n'a pas satisfait à cette exigence. Etant donné sa vitesse, il devait
redoubler de prudence. Alors qu'un enfant venait de traverser la chaussée
et que la visibilité était restreinte par des véhicules en stationnement,
il ne pouvait compter que le passage de sécurité resterait libre et qu'il
le franchirait sans encombre à 50 km/h. S'il avait prêté une attention
suffisante, il aurait pu voir le recourant qui s'élançait sur la route
à sa gauche, user éventuellement de son avertisseur et surtout freiner,
voire tenter une manoeuvre d'évitement par la droite. Une réaction
semblable de sa part eût certainement diminué le dommage, si elle n'eût
pas évité la collision. Par son inattention et son manque de précaution, le
chauffeur Gindroz a commis une faute en relation de causalité adéquate avec
l'accident. Sa responsabilité est donc engagée en vertu des art. 41 ss. CO.

Erwägung 2

    2.- a) Selon le jugement attaqué, le recourant aurait commis une
faute légère parce qu'il s'est engagé sur la chaussée et l'a traversée
en courant, alors que le camion qui arrivait sur sa droite était sur le
point de franchir le passage pour piétons. Sans doute le comportement
du jeune garçon est-il objectivement critiquable. Mais c'est le propre
des enfants d'agir parfois de façon irraisonnée. Le jour de l'accident,
le recourant était âgé de 5 ans et 11 mois; il allait à l'école depuis
une année. Certes, comme le relève la Cour cantonale, les règles de la
circulation sont enseignées dès le début de la scolarité; chaque enfant
qui se rend à l'école et en revient quatre fois par jour, d'abord
accompagné, puis seul, fait l'expérience des risques inhérents à la
circulation automobile; il se familiarise peu à peu avec les précautions
élémentaires à prendre pour traverser la chaussée. On ne saurait néanmoins
admettre qu'à 5 ans et 11 mois, un enfant ait la maturité intellectuelle
et morale, ainsi que la force de volonté nécessaires pour assimiler et
suivre en toute circonstance les règles de la circulation, pensées par des
adultes et étrangères au monde infantile. Il incombe dès lors aux adultes,
et particulièrement aux conducteurs de véhicules à moteur, de faire en
sorte que la sécurité des enfants soit respectée, malgré leur comportement
parfois irréfléchi. Si l'on retenait une faute à la charge d'enfants de
l'âge du recourant, on leur ferait assumer une partie des risques dus à
la circulation automobile; les conducteurs seraient déchargés dans cette
mesure de leur responsabilité, alors qu'ils créent eux-mêmes le danger en
se servant de leurs machines. Pareil résultat serait inadmissible. Aucune
faute ne peut donc être imputée au recourant, vu son jeune âge.

    b) Par surabondance, la Cour cantonale estime que, si l'enfant
n'était pas capable de traverser la route seul, ses parents auraient dû
l'accompagner; dans cette hypothèse, l'indemnité devrait être réduite
en raison de la faute des parents. On ne saurait poser une règle
générale selon laquelle les enfants qui suivent les classes inférieures
devraient toujours être accompagnés lorsqu'ils vont à l'école et en
reviennent. Pareille obligation serait impossible à exécuter dans la
plupart des cas. Il suffit de penser par exemple aux familles comptant
plusieurs enfants, ainsi qu'aux ménages où les deux époux travaillent hors
du foyer. En l'espèce, aucune circonstance particulière n'est établie
qui commandait des précautions accrues de la part des parents. Ceux-ci
n'ont dès lors pas commis de faute.

    c) L'indemnité ne doit pas non plus être réduite en application de
l'art. 44 CO. La seule présence de petits enfants sur la voie publique ne
saurait en effet constituer un fait dont ceux-ci, lorsqu'ils sont blessés,
seraient responsables.

Erwägung 3

    3.- Les deux recours tendent à modifier le calcul du
dommage. Appréciant les conclusions de l'expert médical et la situation du
recourant, la Cour civile vaudoise a estimé la diminution de la capacité
de gagner à 3000 fr. par an, sur la base d'un gain annuel de 15 000 fr. et
d'une invalidité de 20%. Elle a alloué le capital correspondant à une rente
de ce chiffre (avec une réduction de 25% en raison de la faute concurrente
du lésé), différée à l'âge de 20 ans; elle a effectué le calcul selon la
table 3 de STAUFFER et SCHAETZLE à la date du 4 avril 1961 (versement de
l'acompte de 20 000 fr. par l'assureur de Chapuis). Le recourant demande
que le taux d'invalidité soit porté à 33 1/3%, de telle sorte que la
diminution de la capacité de gagner serait de 5000 fr. par an. L'intimé
Chapuis propose, dans son recours joint, que le capital soit calculé sur
la base d'un gain annuel de 14 400 fr. seulement (chiffre articulé dans la
demande) qui serait acquis dès l'âge de 25 ans (quand le bénéficiaire aura
terminé ses études), subsidiairement 23 ans (terme éventuel des études)
et plus subsidiairement 20 ans (décision des premiers juges).

    S'agissant d'un dommage futur qui ne peut être établi exactement,
en raison notamment du jeune âge du lésé, le juge doit le déterminer
équitablement en considération du cours ordinaire des choses,
conformément à l'art. 42 al. 2 CO. La loi lui laisse un large pouvoir
d'appréciation. Comme juridiction de réforme, le Tribunal fédéral ne peut
intervenir que si l'autorité inférieure a appliqué d'une façon erronée ou
méconnu une règle du droit fédéral ou encore si elle a abusé de son pouvoir
appréciateur. Le jugement attaqué échappe à ces griefs. Les parties le
critiquent dès lors en vain. En particulier, les taux d'invalidité en cas
de perte d'un organe figurant dans les conditions générales des polices
d'assurance contre les accidents, qui reposent sur la convention des
parties, sont dénués de pertinence lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce,
de fixer le dommage effectif causé par un acte illicite et par l'emploi
d'un véhicule à moteur. La détermination du taux d'invalidité relève
de l'appréciation du juge du fait; la décision cantonale est d'ailleurs
sainement motivée à cet égard. Peu importe que la Cour civile ait retenu
comme gain futur probable du lésé un chiffre supérieur à celui qui est
articulé dans la demande; supposé qu'elle ait statué ultra petita - tel
n'est pas le cas -, le grief serait irrecevable parce qu'il concerne
l'application du droit cantonal (art. 55 al. 1 litt. c OJ; cf. RO 64
II 385, 71 II 206 consid. 2). Il n'est pas non plus contraire au droit
fédéral de prendre en considération, pour supputer le gain futur de
la victime de lésions corporelles, la dépréciation de la monnaie entre
l'ouverture du procès et le jugement de première instance; quant à la
dépréciation future de l'argent, la Cour cantonale n'en a pas tenu compte,
contrairement à ce que prétend l'intimé Chapuis, de sorte que la question
n'a pas à être examinée ici. En fixant à l'âge moyen de 20 ans le début
de l'activité lucrative du recourant, les premiers juges n'ont pas abusé
de leur pouvoir appréciateur.

    Sur la base des éléments fournis par le jugement cantonal, le dommage
résultant de l'atteinte à l'avenir économique du recourant est le suivant:

    Diminution du gain annuel supputé:

    20 % de 15 000 fr. =  Fr.  3 000.--

    Valeur en avril 1961 du capital correspondant à

    une rente de 3000 fr. par an sur la tête du recou-

    rant, différée à l'âge de 20 ans, selon table 3 de

    Stauffer et Schaetzle (coefficient 1490):

    3000 fr. x 14,9 =     Fr. 44 700.--

    Dont à déduire:

    versement du 4 avril 1961     Fr. 20 000.--

    Solde à allouer au recourant avec intérêt dès la

    date de la capitalisation     Fr. 24 700.--

Erwägung 4

    4.- N'étant pas fautif, le recourant a droit à la réparation du tort
moral de la part de Gindroz, qui a commis une faute, en vertu de l'art. 47
CO, et de Chapuis, responsable en vertu de l'art. 42 LA. La gêne visuelle
consécutive à l'accident, les restrictions qu'elle impose dans le choix
d'une profession et dans le mode de vie en général, la fatigabilité accrue
qui en résulte, portent une atteinte sensible à la joie de vivre de la
victime. Le tort moral est dès lors incontestable. L'indemnité allouée
de ce chef doit être fixée en tenant compte de la gravité moyenne de la
faute de Gindroz, qui sans être légère, n'est pas non plus particulièrement
lourde. Le montant de 5000 fr. apparaît dès lors adapté aux circonstances.

Erwägung 5

    5.- Le recourant est ainsi fondé à obtenir des deux intimés la
pleine réparation du dommage et du tort moral qu'il a subis à la suite de
l'accident. Chapuis est responsable en vertu de la loi (art. 37 et 42 LA),
Gindroz en vertu d'un acte illicite (art. 41 ss. CO). Tous deux sont tenus
solidairement de payer l'indemnité, conformément à l'art. 50 al. 1 CO,
applicable en vertu du renvoi de l'art. 51 al. 1 CO.