Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 87 I 446



87 I 446

72. Extrait de l'arrêt du 29 novembre 1961 dans la cause Mérinat et Jaquet
contre Conseil d'Etat de Neuchâtel. Regeste

    Die Bestimmung eines Polizeireglements, die inbezug auf die
Schliessungszeiten diejenigen Tanzbar-Lokale bevorzugt, welche
über ein Orchester mit mehr als zwei Musikern verfügen und in ihrem
Unterhaltsprogramm mehr als zwei Artisten auftreten lassen, verstösst
gegen Art. 31 BV.

Sachverhalt

                        Résumé des faits

    La ville de Neuchâtel compte trois bars-dancings qui ont été mis au
bénéfice d'une patente donnant droit à l'organisation de danses publiques,
débitent des boissons alcooliques et présentent des attractions. Ce
sont L'Escale, L'ABC et La Rotonde. Le Conseil communal accordait à ces
trois établissements des prolongations d'ouverture jusqu'à deux heures,
en dérogation à la disposition du règlement de police fixant l'heure de
fermeture à minuit. La Rotonde bénéficiait de trois prolongations par
semaine; L'Escale et L'ABC, de deux prolongations seulement.

    Sur la proposition du Conseil communal, le Conseil général a adopté
le 10 avril 1961 un nouvel art. 55 bis du règlement de police, aux termes
duquel l'heure de la fermeture des bars-dancings est fixée par le Conseil
communal selon les critères suivants:

    "a) Les établissements de cette catégorie qui disposent d'un orchestre
de plusieurs musiciens et présentent en outre plusieurs artistes dans
leurs programmes d'attractions, peuvent bénéficier chaque soir d'une
heure de fermeture plus tardive que minuit.

    "b) Les établissements de cette catégorie qui ne remplissent pas les
conditions définies sous litt. a doivent se fermer à minuit au plus tard;
toutefois, ils peuvent bénéficier d'une heure de fermeture plus tardive:

    le samedi et tels autres jours à déterminer, le cas échéant, par
rotation."

    Dans le rapport qu'il a présenté au Conseil général à l'appui de son
projet, le Conseil communal justifiait le régime plus favorable accordé
aux bars-dancings pourvus d'un orchestre de plus de deux musiciens et
présentant plus de deux artistes dans leurs programmes d'attractions en
relevant qu'ils investissent dans leur exploitation des frais plus élevés
que les autres établissements de la branche.

    L'art. 55 bis a été approuvé en votation populaire, à la suite
d'un referendum, et sanctionné par le Conseil d'Etat, par arrêté du 5
septembre 1961.

    En exécution de la nouvelle disposition, le Conseil communal a fixé
l'heure de fermeture des bars-dancings visés sous litt. a à deux heures
chaque soir (lundi excepté). Le seul établissement qui remplisse ces
conditions est La Rotonde. Quant aux deux autres bars-dancings, L'ABC
et L'Escale, l'heure de fermeture a été fixée à deux heures, selon une
rotation de deux soirs par semaine et un soir tous les quinze jours pour
chaque établissement.

    Agissant par la voie du recours de droit public, les tenanciers de
L'ABC et de L'Escale ont requis le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêté
du Conseil d'Etat sanctionnant l'art. 55 bis du règlement de police. Ils
invoquent notamment l'art. 31 Cst.

    Le Tribunal fédéral a admis les deux recours et annulé la disposition
attaquée.

Auszug aus den Erwägungen:

                       Extrait des motifs:

Erwägung 6

    6.- a) Les dispositions réglant l'ouverture et la fermeture des
établissements servant des boissons alcooliques - comme celles qui
règlent l'ouverture et la fermeture des magasins - rentrent dans les
prescriptions de police sur l'exercice du commerce et de l'industrie,
destinées à protéger l'ordre, la sécurité, la moralité et la santé publics.
Elles sont réservées aux cantons. Ces prescriptions ne peuvent toutefois
déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, à
moins que la Constitution fédérale n'en dispose autrement (art. 31 al. 2
Cst.). Par conséquent, elles ne doivent pas avoir pour but d'entraver
le libre jeu de la concurrence et de corriger ses effets (RO 86 I 274;
66 I 23 et arrêts cités). Notamment des prescriptions accordant un régime
privilégié à une entreprise ayant procédé à des investissements importants,
aux fins de lui permettre de les amortir, seraient des mesures de caractère
économique, empiétant sur un domaine réservé à la libre concurrence et
contraires au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

    b) Lorsqu'ils édictent des prescriptions destinées à sauvegarder les
intérêts généraux placés sous la protection de la police, les cantons
doivent s'abstenir de toute entrave à la libre concurrence qui n'est
pas indispensable pour atteindre le but visé. Ainsi, la jurisprudence a
admis que l'art. 31 Cst. garantit, comme l'art. 4 Cst., l'égalité entre
les concurrents. Les prescriptions de police ne doivent pas créer des
inégalités qui, dans le jeu de la libre concurrence, favorisent certains
concurrents au détriment des autres (RO 86 I 275/6; 78 I 301 s.; 73 I 101;
61 I 328, 330/331).

    Deux entreprises sont concurrentes dès qu'elles s'adressent au
même public pour satisfaire les mêmes besoins. Cependant, le Tribunal
fédéral n'a jusqu'ici garanti généralement l'indentité de traitement
qu'entre les concurrents directs, c'est-à-dire ceux qui appartiennent à
la même catégorie d'entreprises ou à la même branche économique (RO 78
I 303). Ainsi il a jugé que les cantons ont le pouvoir de décréter que
les règles concernant la fermeture le mercredi après-midi des magasins
d'épicerie et de denrées coloniales, qui vendent aussi des produits
laitiers, du pain, du jambon, etc., ne seraient pas applicables aux
laiteries, aux boulangeries-confiseries et aux boucheries (RO 73 I
102 consid. 4). Il a jugé aussi qu'il était licite de soumettre à la
censure préalable des annonces les cinémas, et non pas les théâtres ni
les cabarets-dancings (RO 78 I 303). Il a jugé également, concernant la
fermeture des auberges le dimanche, qu'une différence entre les auberges
et les hôtels était licite; il a précisé cependant que, pour sauvegarder
l'égalité de traitement, il convenait d'interdire aux hôteliers, pendant
les dimanches de fermeture, de servir des clients qui n'avaient pas pris
logement dans l'hôtel (RO 86 I 279 consid. 3).

    Dans les espèces précitées, le Tribunal fédéral a admis par conséquent
que les magasins d'épicerie et de denrées coloniales formaient une branche
économique distincte des autres magasins d'alimentation, que les cinémas
formaient une branche économique distincte des autres entreprises de
spectacle, que les auberges formaient une branche économique distincte
des hôtels. Il a déclaré cependant qu'il appartenait en premier lieu aux
cantons de fixer le cadre de chaque branche économique, dans laquelle
les concurrents seraient soumis à une réglementation identique. Il ne
corrige sur ce point la décision cantonale que si elle est arbitraire ou
manifestement erronée (RO 78 I 303).

    c) Sous l'angle d'un contrôle ainsi restreint, le Tribunal fédéral
pourrait admettre qu'un régime différent soit appliqué, d'une part, aux
cabarets-dancings qui présentent à leur public un spectacle d'attractions
et par ce fait se rapprochent des entreprises de spectacle, telles que
les théâtres et les cinémas, et, d'autre part, aux dancings proprement
dits, qui n'offrent à leur public pas d'autres attractions. Mais l'art. 55
bis du règlement de police, critiqué par les recourants, n'adopte pas ce
critère. Il distingue les établissements suivant le nombre de musiciens
ou d'artistes présentant des attractions. Il repose sur l'idée que
ce nombre détermine la qualité de la musique ou du spectacle offert
à la clientèle. Les bars-dancings se trouvent ainsi classés selon la
qualité des prestations qu'ils proposent. Or la qualité et le prix
sont précisément les éléments principaux sur lequels se fonde la libre
concurrence. Les concurrents qui livrent un même produit s'efforcent de
proposer, compte tenu du prix, la meilleure qualité. Tout règlement de
police qui favorise ceux qui fixent des prix plus élevés ou offrent une
qualité supérieure intervient dans le libre jeu de la concurrence. Lorsque
deux entreprises livrent à la clientèle les mêmes produits, sous la seule
réserve des prix ou de la qualité, il est illicite de ne pas les considérer
comme deux concurrents directs et de les soumettre à une réglementation
différente. Par conséquent, l'art. 55 bis du règlement de police, qui
fait une distinction parmi les bars-dancings présentant des attractions,
est contraire à l'art. 31 Cst.

    Le seul fait que l'établissement qui offre plus d'attractions a
besoin de plus de temps pour présenter son programme ne suffit pas à
rendre licite une intervention dans le jeu de la libre concurrence. Il
ne justifie pas, notamment, de prolonger chaque soir de deux heures la
durée pendant laquelle de tels établissements sont ouverts au public.

    d) Il serait licite d'opérer une distinction entre des entreprises
concurrentes si une certaine catégorie de cellesci présentait plus de
danger pour l'ordre public (RO 78 I 304 consid. 5 b). Le Conseil d'Etat
fait valoir, dans ce sens, que les établissements offrant à leur clientèle
un programme de choix sont moins propres que les autres à attirer une
clientèle interlope. Cette opinion n'est toutefois pas suffisamment étayée
par des faits. En particulier, il n'est pas allégué que la clientèle des
deux recourants ait causé des désordres, lorsque tous les bars-dancings
bénéficiaient à peu près des mêmes prolongations d'ouverture. Chaque
établissement doit régler son exploitation de telle sorte que sa clientèle
respecte l'ordre public. En cas d'abus, l'Etat, en vertu du principe de
la proportionnalité, qui se fonde aussi sur l'art. 31 Cst. (RO 86 I 274
et références citées), doit prendre en premier lieu des mesures à l'égard
de l'entreprise où les désordres se sont produits. Il ne peut recourir à
une mesure plus générale, frappant toutes les entreprises du même genre,
que si les mesures particulières ne suffisent pas à assurer l'ordre public