Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 87 I 134



87 I 134

22. Arrêt du 17 mai 1961 dans la cause Ktir contre Ministère public
fédéral. Regeste

    Vertrag zwischen der Schweiz und Frankreich über gegenseitige
Auslieferung von Verbrechern, vom 9. Juli 1869; BG betreffend die
Auslieferung gegenüber dem Ausland, vom 22. Januar 1892 (AuslG.)

    1.  Anwendung des AuslG beim Bestehen eines Auslieferungsvertrages
(Erw. 1).

    2.  Überprüfungsbefugnis des Bundesgerichts in Auslieferungssachen
(Erw. 2 Abs. 2).

    3.  Begriffe des sog. relativ-politischen Delikts und des reinen
Militärvergehens (Erw. 2).

    4.  Auslieferung an Frankreich wegen eines Verbrechens, das nach
französischem Recht mit dem Tode bestraft wird (Erw. 3).

Sachverhalt

    A.- Le 16 décembre 1960, Belkacem Ktir, ressortissant français
d'Algérie, fut arrêté près de Genève, alors qu'il venait de franchir
clandestinement la frontière francosuisse. Le lendemain, la police
genevoise reçut un télégramme du Parquet du Tribunal de Grande instance
d'Annecy, demandant que Ktir, inculpé par les autorités françaises
d'avoir assassiné un Algérien du nom de Mezai, fût maintenu en état
d'arrestation provisoire; le télégramme annonçait qu'une requête
d'extradition régulière suivrait par voie diplomatique. Le même jour,
Ktir fut entendu et déclara qu'agissant en sa qualité de membre du Front
algérien de libération nationale (FLN), il avait participé, sur ordre de
ses supérieurs, à l'homicide de Mezai, qui, précisa-t-il, s'était déroulé
dans les circonstances suivantes:

    Mezai, membre du FLN, avait été arrêté par les autorités françaises,
puis relâché. Ses chefs l'avaient soupçonné de trahison et avaient décidé
de le "supprimer". Ils en chargèrent Ktir et trois autres Algériens. Le
soir du 14 novembre 1960, Ktir alla chercher Mezai chez lui, à Annecy, sous
prétexte d'une rencontre avec des responsables du FLN. Il le fit monter
dans une voiture où attendaient trois autres Algériens. Ktir s'assit à côté
du chauffeur, Mezai derrière entre les deux autres passagers. A un moment
donné, la voiture s'étant arrêtée hors de ville dans un endroit écarté, ces
derniers passèrent une cordelette autour du cou de Mezai et l'étranglèrent.

    B.- Le 3 janvier 1961, l'Ambassade de France à Berne remit au
Département fédéral de justice et police la demande d'extradition qui avait
été annoncée dans le télégramme du 17 décembre 1961. Ktir fut réentendu et
confirma ses déclarations. Il s'opposa à son extradition. Il fit valoir
que, la France étant en guerre avec le FLN, il avait, en participant à
l'homicide de Mezai, aidé à mettre à mort un ennemi dans le cadre d'une
guerre; il ajouta que, s'il était extradé, il serait en fait livré à
son ennemi. Pour le cas où l'extradition serait inévitable, il demanda
qu'elle fût subordonnée à la condition qu'en vertu du principe de la loi
la plus douce, la peine de mort ne fût pas applicable.

    C.- Le Département fédéral de justice et police a saisi le Tribunal
fédéral de la cause. Le Ministère public fédéral propose d'écarter
l'opposition de Ktir et d'accorder son extradition.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- L'extradition des malfaiteurs entre la France et la Suisse est
réglée par le traité que ces deux Etats ont conclu le 9 juillet 1869
(ci-après: le traité). Dès lors, conformément à la jurisprudence, la loi
fédérale du 22 janvier 1892 sur l'extradition aux Etats étrangers (LE)
n'est en principe pas applicable en l'espèce (RO 42 I 104; 27 I 62; XIX,
p. 129 consid. 4 et p. 137 consid. 2 in fine; XVIII, p. 193 bas et 498,
fin consid. 2; SCHULTZ, Das schweizerische Auslieferungsrecht, Bâle 1953,
p. 134). Il n'en irait autrement que dans certaines hypothèses, notamment
si la LE pouvait être appliquée concurremment avec le traité ou pour en
combler une lacune, à la condition toutefois qu'elle ne conduisît pas à
une solution contraire à la convention (RO 27 I 60/61; SCHULTZ, op.cit.,
p. 135).

Erwägung 2

    2.- En vertu des art. 1er et 2 du traité, l'extradition est autorisée
lorsque les actes en cause sont punissables d'après les droits français
et suisse, qu'ils remplissent les conditions de l'une ou de l'autre des
infractions énumérées dans le traité et qu'il ne s'agit pas de crimes ou de
délits politiques. Sont notamment des infractions politiques celles qui,
tout en constituant en elles-mêmes des actes relevant du droit commun,
acquièrent cependant un caractère politique prédominant en raison des
circonstances dans lesquelles elles ont été commises, en particulier
de leurs mobiles et de leur but. Ces infractions, qui ressortissent aux
délits politiques relatifs, supposent que l'acte, inspiré par la passion
politique, a été commis dans le cadre d'un combat pour l'accès au pouvoir
ou afin de se soustraire à un pouvoir excluant toute opposition et qu'il
est en rapport direct et étroit avec le but politique visé. Il faut en
outre que le dommage causé soit proportionné au résultat recherché, qu'en
d'autres termes, les intérêts en cause soient suffisamment importants,
sinon pour justifier, du moins pour excuser l'atteinte que l'acte a
portée à certains biens juridiques privés. S'agissant plus spécialement
de l'assassinat, ce rapport n'existe que lorsque l'homicide est le seul
moyen de sauvegarder les intérêts supérieurs en jeu et d'atteindre le but
politique recherché (sur ces principes, cf. RO 78 I 50 ss.; 78 I 137/138;
56 I 461 ss.; 54 I 213 ss.; 50 I 259; 34 I 546 ss. et 570 ss.).

    En appliquant les principes qui précèdent, le Tribunal fédéral n'a
pas à se prononcer sur la culpabilité de l'opposant et il est lié par les
faits énoncés dans l'acte de poursuite qui est à la base de la demande
d'extradition. En revanche, il examine librement si les conditions de
l'extradition sont remplies, en particulier s'il s'agit d'infractions
politiques. De même, il décide librement si, au regard du dossier, on peut
considérer que les circonstances invoquées à l'appui de l'opposition sont
prouvées (RO 79 I 36, 78 I 45).

    En l'espèce et selon le mandat d'arrêt lancé contre lui, Ktir est
poursuivi en France pour assassinat. Cette infraction est punie tant
en droit français (art. 295 à 298 et 302 al. 1 CP) qu'en droit suisse
(art. 111 et 112 CP). Elle figure sous chiffre 1 de l'énumération contenue
à l'article premier du traité. Il reste dès lors à savoir d'une part s'il
s'agit d'un délit politique, d'autre part quel rôle pourrait jouer le fait
que l'acte reproché à Ktir aurait été, ainsi que l'allègue ce dernier,
commis dans le cadre d'une guerre entre la France et le FLN.

    Sur ce second point, l'opposant entend probablement se fonder
sur l'art. 11 LE, aux termes duquel "l'extradition ne sera pas
accordée... pour les délits purement militaires". Cette disposition
n'est cependant pas applicable, car le traité ne fait aucune réserve
de ce genre (SCHULTZ, op.cit., p. 139). Le moyen de l'opposant est donc
mal fondé. D'ailleurs, l'assassinat n'a jamais été considéré comme une
infraction "purement militaire", car il porte atteinte à la vie humaine
et ne vise pas l'organisation ou les devoirs militaires (RO 77 I 61).

    Quant au caractère politique de l'infraction, il convient de relever
tout d'abord que le FLN lutte pour prendre le pouvoir en Algérie. Son
action s'étend non seulement à ce pays, mais aussi à la France. Elle
revêt un caractère manifestement politique. L'opposant affirme qu'il
est membre du FLN et que c'est en cette qualité et sur ordre de ses
supérieurs qu'il a participé à l'assassinat de Mezai. Ses déclarations
sont vraisemblables. On peut en déduire qu'il a agi non pour des motifs
personnels mais en raison de mobiles politiques. Il ne s'ensuit pas que
son acte ait un caractère politique prédominant. Pour que tel fût le cas,
il faudrait que l'assassinat de Mezai eût été le seul moyen de sauvegarder
les intérêts supérieurs du FLN et d'atteindre le but politique que vise
cette organisation. Or cette condition n'est pas remplie. En effet,
il n'est nullement démontré que les intérêts du FLN se soient trouvés si
gravement compromis par la prétendue trahison de Mezai que la "suppression"
de ce dernier était l'unique moyen de les sauvegarder efficacement. On ne
voit pas non plus que l'assassinat, auquel Ktir a participé, ait en quoi
que ce soit fait progresser la libération de l'Algérie. Cet assassinat
se caractérise surtout comme un acte de vengeance et de terreur. Le lien
qui le rattache au but politique du FLN est trop lâche pour le rendre
excusable et lui conférer un caractère politique prédominant. Il ne s'agit
donc pas d'un crime ou d'un délit politique au sens de l'art. 2 al. 1 du
traité. Comme les autres conditions posées par ce traité sont remplies,
l'extradition doit en principe être accordée.

Erwägung 3

    3.- D'après l'art. 302 al. 1 CP Fr., l'assassinat est puni de mort.
L'opposant demande que, si l'extradition est accordée, elle soit
subordonnée à la condition que cette peine ne soit pas prononcée. Il
invoque le principe de la loi la plus douce.

    Toutefois, le traité ne fait pas dépendre l'extradition du genre de
peine qui, dans l'Etat requérant, frappe l'acte en cause. A cet égard,
l'Etat requérant applique son propre droit, sans devoir prendre en
considération celui de l'Etat requis. Le traité n'autorise donc pas à
soumettre l'extradition de Ktir à la condition que ce dernier ne soit
pas mis à mort.

    L'art. 5 LE, à supposer que, comme l'admet SCHULTZ (op. cit., p. 136),
il soit applicable à côté du traité, ne justifierait pas davantage
une réserve de cette nature. Certes, il oblige les autorités suisses à
subordonner l'extradition à la condition que la peine corporelle qui, dans
l'Etat requérant, pourrait frapper l'infraction en cause, soit commuée
en prison ou en amende. Toutefois, les peines corporelles au sens de
cette disposition ne comprennent pas la peine capitale. Le fondement de
l'art. 5 LE se trouve en effet non dans le principe de la lex mitior,
qu'il est sans pertinence d'invoquer ici, mais dans l'art. 65 al. 2
Cst. (message à l'appui de la LE, FF 1890 III 213). Or l'interdiction des
peines corporelles statuée par l'art. 65 al. 2 Cst. ne s'applique pas à
la peine de mort (BURCKHARDT, Commentaire, p. 600). D'ailleurs le message
précité confirme que la peine capitale ne doit pas être comprise dans les
peines corporelles dont par le l'art. 5 LE. 11 précise que, la peine de
mort n'étant pas interdite par la constitution, "la Suisse serait mal
venue à déclarer qu'elle ne tolère pas la peine de mort à l'étranger,
alors qu'elle la tolère à l'intérieur" (FF 1890 III 213). Le fait que
les peines corporelles ne comprennent pas la peine de mort résulte du
reste clairement des dispositions de certains traités postérieurs à la LE
(traité avec l'Autriche-Hongrie, art. V et protocole final, ch. 3; traité
avec le Brésil, art. VI; traité avec la Pologne, protocole final, ch. 2
et 3; traité avec la Turquie, protocole final, litt. b et c). En outre,
en ce qui concerne plus spécialement le traité francosuisse, le Tribunal
fédéral a déjà jugé qu'une demande d'extradition présentée par la France
devait être accordée même si, dans ce pays, l'infraction était passible
de mort (cf. arrêt non publié du 19 juin 1900 dans la cause Billard).

    Il est vrai que, depuis lors, le code pénal suisse est entré en
vigueur et qu'il ignore la peine capitale. Toutefois, cette modification du
droit pénal applicable en Suisse est sans effets sur les règles fédérales
concernant l'extradition. Le législateur l'a si bien compris que, le 1er
avril 1938, soit quatre mois seulement après avoir adopté le code pénal
suisse, il a approuvé un traité d'extradition conclu avec la Pologne et
qui, s'il permet aux autorités suisses d'exprimer le désir que la peine de
mort soit commuée en une peine privative de liberté, ne les autorise pas
en revanche à subordonner l'extradition à pareille condition et n'oblige
pas non plus les autorités polonaises à donner suite au voeu formulé.

    C'est donc seulement quand un traité d'extradition exclut la peine
capitale que les autorités suisses peuvent valablement subordonner
l'extradition à la condition que cette peine ne soit pas prononcée
(traités avec le Brésil, art. VI, avec le Portugal, art. III dern. al.,
avec l'Uruguay, art. 8). Le traité franco-suisse ne contenant aucune règle
de ce genre, l'extradition de Ktir doit être autorisée sans exiger que la
peine de mort ne soit pas prononcée. Il appartiendra au Conseil fédéral
d'examiner s'il convient qu'un désir soit exprimé dans ce sens, comme cela
est expressément prévu par certains traités (cf. traités avec la Pologne,
protocole final, ch. 3, et avec la Turquie, protocole final, litt. c).

Erwägung 4

    4.- D'après l'art. 8 du traité, "l'individu qui aura été livré ne
pourra être poursuivi ou jugé contradictoirement pour aucune infraction
autre que celle ayant motivé l'extradition (et les actes connexes), à moins
du consentement exprès et volontaire donné par l'inculpé et communiqué au
gouvernement qui l'a livré, ou à moins que l'infraction ne soit comprise
dans la convention et qu'on n'ait obtenu préalablement l'assentiment du
gouvernement qui aura accordé l'extradition". Cette réserve s'applique
aux délits politiques, qui ne peuvent donner lieu à extradition (art. 2
al. 2 du traité).

    En l'espèce, Ktir a déclaré qu'il avait agi pour le FLN non seulement
en participant à l'assassinat de Mezai mais aussi en organisant les cadres
et en récoltant des fonds. Ces deux dernières activités paraissent tomber
sous le coup des art. 88 ss. CP Fr., qui répriment les "crimes contre la
sûreté intérieure de l'Etat". Il s'agit donc d'infractions politiques. Il
y a lieu dès lors de subordonner l'extradition de Ktir à la condition -
prévue par l'art. 8 du traité - qu'il ne soit pas poursuivi ni jugé
contradictoirement de ce chef. Il en irait de même si la LE était
applicable, vu l'art. 7 al. 1 de cette loi.

Entscheid:

Par ces motifs, le Tribunal fédéral

    Rejette l'opposition de Belkacem Ktir et autorise son extradition
à la France aux conditions prévues par l'art. 8 du traité franco-suisse
d'extradition.