Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 87 II 184



87 II 184

26. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour civile du 2 mai 1961 dans la cause
Walo Bertschinger et Cie SA et consort contre Marguerite Rey et consorts.
Regeste

    Art. 55 ZGB, 339 OR und 129 KUVG.

    Haftung des Arbeitgebers, der dem KUVG unterstellt ist.

    Begriff des schweren Verschuldens i.S. des Art. 129 Abs. 2 KUVG.

    Begriff des Organs i.S. des Art. 55 ZGB.

Sachverhalt

    A.- Les entreprises Walo Bertschinger et Cie SA et Jules Rey ont formé
un consortium pour assumer différents travaux en rapport avec l'usine
électrique de la Lienne (Valais). La direction technique appartenait à
la première de ces entreprises. Elles ont construit notamment un puits
vertical de 165 m de profondeur, pour relier l'usine souterraine de
Croix sur Ayent à la station électrique de Giète-Délé. Vers le haut,
le puits débouchait dans un bâtiment et son orifice était entouré d'un
mur de protection d'environ 60 cm de hauteur. La montée et la descente
s'opéraient au moyen d'un treuil suspendu à une poutre de fer, qui passait
au-dessus de l'axe du puits. Le câble du treuil, terminé par un crochet,
soutenait soit un pont mobile, qui, pendant les travaux à l'intérieur
du puits, était suspendu à des crochets ancrés dans les parois, soit une
benne de 170 kg, qui servait aux transports intermédiaires de personnes et
de matériaux. Quand elle n'était pas en service, la benne était déposée
sur le sol, hors du bâtiment, grâce à la poutre de fer sur laquelle le
treuil coulissait au moyen d'un chariot.

    Le gros oeuvre fut terminé vers la fin de mai 1956. L'ingénieur R.,
qui dirigeait les chantiers de la Lienne pour le consortium, prit ses
vacances dès le 28 mai 1956. Avant de partir, il déclara à son remplaçant,
l'ingénieurstagiaire Z., que les travaux du chantier de Giète-Délé
touchaient à leur fin, qu'il n'était plus guère nécessaire qu'il s'y
rendît et que le contremaître Cordonnier s'occupait des finitions. Les
travaux furent interrompus du 31 mai au 3 juin. Pendant ce temps, le
chantier fut occupé par les artisans que le maître de l'ouvrage avait
chargés de peindre le bâtiment où débouchait le puits. Ils établirent à
cet effet des échafaudages.

    Lorsque les ouvriers du consortium reprirent le travail, le 4 juin
1956, ils constatèrent qu'une perche dressée par les peintres contre la
poutre du treuil réduisait la course du chariot et empêchait de déposer
la benne sur le sol. Le contremaître Cordonnier flt alors construire une
petite plate-forme de planches, dont l'extrémité affieurait l'orifice
du puits et qui était inclinée d'au moins sept pour cent en direction de
celui-ci. C'est sur cette plate-forme que la benne fut déposée. Jusqu'au
11 juin, aucun ingénieur ne vint visiter le chantier et ne put constater
la présence de cette nouvelle construction.

    Le 11 juin 1956, cinq ouvriers travaillaient à l'intérieur du puits,
sur un pont mobile fixé à environ 80 m de profondeur. Le machiniste
qui desservait le treuil dut faire remonter le câble pour leur envoyer
du matériel. Par suite du balancement, l'extrémité du câble accrocha le
bord de la benne, la souleva et la fit basculer dans le puits. Trois des
crochets qui soutenaient le pont mobile ayant cédé sous l'effet du choc,
quatre ouvriers furent précipités dans le vide et tués.

    Parmi les victimes se trouvait Jean Rey. Il laissait une femme et
deux enfants.

    La Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents a alloué
à la veuve de Rey une rente annuelle de 2336 fr. 70 et à chacun des deux
enfants une rente de 1168 fr. 35 par année.

    B.- Dame Rey et ses enfants ont assigné Walo Bertschinger et Cie SA
et Jules Rey devant le Tribunal cantonal du Valais. Ils concluaient à
ce que les défendeurs fussent condamnés solidairement à réparer leur tort
moral et leur dommage non couvert par la Caisse nationale.

    Par jugement du 13 décembre 1960, le Tribunal cantonal du Valais a
admis l'action en principe.

    C.- Walo Bertschinger et Cie SA et Jules Rey recourent en réforme au
Tribunal fédéral en concluant principalement au rejet de l'action.

    Les intimés proposent le rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Jean Rey était au service de Walo Bertschinger et Cie SA et Jules
Rey, qui formaient entre eux une société simple. Ils ont donc qualité
pour défendre et, si les conditions légales de leur responsabilité sont
remplies, ils sont tenus solidairement des suites de l'accident (art. 544
al. 3 CO).

Erwägung 2

    2.- La victime était assurée auprès de la Caisse nationale suisse
d'assurance en cas d'accidents et il est constant que ses employeurs ont
payé les primes auxquelles ils étaient astreints. En vertu de l'art. 129
al. 2 LAMA, ils ne répondent donc des suites de l'accident que s'ils
l'ont causé intentionnellement ou par une faute grave. Les intimés ne leur
reprochent pas un dol. La demande de dommages-intérêts n'est donc fondée
que si les recourants ont commis une faute grave, c'est-à-dire s'ils ont
négligé de prendre des mesures de précaution élémentaires qui seraient
venues à l'esprit de tout homme raisonnable placé dans la même situation
(RO 54 II 403, 57 II 480, 62 II 317, 64 II 241, 65 II 271).

    L'art. 129 al. 2 LAMA ne change rien aux causes de responsabilité,
qui demeurent régies par le droit commun. Lorsque cette disposition est
applicable, la responsabilité de l'employeur peut donc être engagée en
raison d'une inobservation grossière des mesures protectrices prescrites
par l'art. 339 CO (RO 72 II 314 et les arrêts cités, RO 81 II 224). Mais,
s'il s'agit d'une personne morale, le fait qui a provoqué l'accident doit
pouvoir être imputé à faute à une personne ayant la qualité d'organe
selon l'art. 55 CC (RO 81 II 225). C'est également le cas lorsque,
comme en l'occurrence, les employeurs forment une société simple et que,
vis-à-vis des employés, les obligations découlant de l'art. 339 CO sont
assumées par un des associés qui constitue une personne morale.

    En l'espèce, le contremaître Cordonnier n'avait pas la qualité
d'organe. Sans doute, il n'est pas nécessaire qu'il ait été un organe au
sens où l'entendent les art. 698 et suiv. CO. Mais encore faudrait-il que,
de par la situation qu'il occupait dans l'affaire et les pouvoirs qui lui
étaient dévolus, il eût participé effectivement et de façon décisive à
la formation de la volonté sociale (RO 81 II 225). Or, n'exerçant que des
fonctions de surveillance et d'exécution, il ne remplissait manifestement
pas ces conditions.

    En revanche, les ingénieurs qui dirigeaient et surveillaient les
travaux, notamment l'ingénieur R., étaient des organes au sens de l'art. 55
CO. Il leur incombait, en effet, de prendre, de façon indépendante, des
décisions importantes au sujet des travaux et de leur exécution. Ils
devaient en particulier ordonner et contrôler les mesures de sécurité
adéquates. Pour les chantiers dont ils étaient chargés, ils participaient
donc effectivement et d'une manière décisive à la formation de la volonté
sociale. Dès lors, leur faute engage la responsabilité des recourants si
les conditions des art. 339 CO et 129 al. 2 LAMA sont réalisées.

Erwägung 3

    3.- Les travaux effectués dans un puits sont toujours dangereux. Ils
le sont particulièrement lorsque l'ouvrage est aussi profond que celui de
Giète-Délé. Il suffit alors qu'un objet relativement petit, tel qu'une
pierre, un burin ou un marteau, tombe dans le puits pour qu'un ouvrier
risque d'être tué. De tels travaux exigent donc des mesures de sécurité
toutes spéciales. Les recourants avaient pris de telles précautions
en protégeant l'orifice par un muret, de façon à éviter que des objets
déposés à terre ne puissent choir dans le puits. Affieurant le sommet du
mur, la plateforme construite sur l'ordre de Cordonnier a privé cette
mesure d'une grande partie de son efficacité. Elle a créé un risque
d'autant plus grand qu'elle était inclinée vers l'ouvrage et qu'elle
devait recevoir une lourde benne, dont la chute dans le puits pendant
les travaux ne pouvait provoquer qu'un très grave accident.

    Sans doute ressort-il du jugement cantonal que les ingénieurs ont
ignoré l'existence de cette nouvelle construction, qui n'a pas été
mentionnée dans les rapports de Cordonnier. Mais ils n'en ont pas moins
commis une faute en s'abstenant de contrôler le chantier pendant plus d'une
semaine. A cet égard, les recourants relèvent en vain que le gros oeuvre
du puits était terminé, qu'il ne restait plus de problèmes techniques à
résoudre et que la finition pouvait être dirigée par un contremaître. En
effet, si la construction du puits exigeait le contrôle d'un ingénieur, ce
n'était pas uniquement à cause des problèmes techniques qu'elle soulevait,
mais aussi parce qu'il s'agissait d'un ouvrage extrêmement dangereux. Or
les risques subsistaient même pendant les travaux de finition. D'autre
part, les recourants prétendent à tort que, pour les mesures de sécurité,
on pouvait s'en remettre à un contremaître aussi consciencieux et
expérimenté que Cordonnier. Il est notoire que, si l'on vit constamment
dans des situations dangereuses, la perception du risque s'émousse et
même des ouvriers sérieux et prévoyants relâchent leur attention et leur
prudence. Il appartient dès lors aux organes de l'entreprise de s'assurer
que les mesures de sécurité adéquates sont observées.

    On doit considérer comme une insouciance caractérisée la négligence
des ingénieurs de Walo Bertschinger et Cie SA, spécialement celle de
R., qui, à fin mai 1956, a déclaré à son jeune remplaçant qu'il n'était
plus nécessaire de se rendre sur le chantier de Giète-Délé. Sans doute,
le but de l'art. 129 al. 2 LAMA est de supprimer la responsabilité de
l'employeur sauf faute exceptionnelle et la portée de cette exception
doit être appréciée de façon étroite lorsque, comme en l'espèce,
le risque réalisé est inhérent à l'exploitation même de l'entreprise
(cf. arrêt du 28 juin 1960, dans la cause Fabrique de ciment Portland
SA c. Rosnoblet, consid. 2 c). Cependant, même si l'on soumet la faute
grave à des conditions strictes, elle doit être admise en l'espèce. Les
risques extraordinaires que comportaient les travaux effectués dans le
puits exigeaient des mesures de sécurité sévères et constantes. Aucun
relâchement ne pouvait être toléré. Dès lors, il est évident que la
surveillance devait être maintenue strictement. Il s'agissait là d'une
précaution élémentaire qu'eût prise tout employeur consciencieux placé
dans la même situation. Or, si un ingénieur avait visité le chantier de
Giète-Délé, il est certain que le danger provoqué par la nouvelle plate -
forme l'eût immédiatement frappé et qu'il aurait fait supprimer ou modifier
cette construction.

    Ainsi, la mort de Jean Rey a été provoquée par la faute grave d'organes
des recourants. Ceux- ci répondent donc des suites de cet accident.