Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 85 II 431



85 II 431

66. Arrêt de la Ie Cour civile du 8 décembre 1959 dans la cause Torre
contre Philips

AG Regeste

    Urheberrecht.

    1.  Der ausübende Künstler ist nicht Urheber (Erw. 2 b).

    2.  Art. 4 Abs. 2 URG bezweckt lediglich den Schutz der Hersteller
von Schallplatten, Musikdosen und ähnlichen Instrumenten gegen unlauteren
Wettbewerb (Erw. 2 c und d).

    3.  Inwieweit ist das ausschliessliche Verkaufsrecht durch den ersten
rechtmässigen Verkauf konsumiert? (Erw. 3 b).

    4.  Art. 58 Abs. 3 URG schützt nur den Komponisten (Erw. 3 c).

Sachverhalt

    A.- La société N. V. Philips, Phonographische Industrie, à Baarn
(Pays-Bas), fabrique des disques qu'elle vend sous la marque Philips.
Elle se fait céder, pour ses enregistrements, les droits d'auteur pouvant
compéter aux artistes exécutants. Elle a confié à Philips AG, à Zurich,
la vente exclusive de ses disques en Suisse et au Liechtenstein et elle
lui a cédé, pour le même territoire, les droits qu'elle estimait avoir
acquis des interprètes.

    Armand Torre, qui exploite un commerce d'appareils ménagers et
radiophoniques, importe de l'étranger des disques Philips et les revend
en Suisse.

    B.- Invoquant son droit d'auteur, Philips AG a fait assigner Torre
devant la Cour de justice civile de Genève, en concluant à ce que cette
juridiction interdît au défendeur la vente des disques importés, ordonnât
la confiscation et la destruction de son stock, le condamnât à payer
une indemnité de 20 000 fr. à titre de dommagesintérêts et ordonnât la
publication du jugement.

    Torre a conclu au rejet de la demande.

    Par jugement du 9 juin 1959, la Cour de justice a admis l'action
en principe, mais n'a alloué que 2000 fr. à Philips AG à titre de
dommages-intérêts et a refusé la publication de sa décision. Dans ses
motifs, elle s'est bornée à constater que, selon les art. 4, 9, 12 et 58
al. 3 LDA et 4 de la Convention de Berne pour la protection des oeuvres
littéraires et artistiques, les droits des interprètes étaient protégés
et cessibles et conféraient au titulaire un monopole d'exploitation dans
le pays pour lequel ils étaient accordés. Elle en a conclu que l'action
de Philips AG était fondée en vertu des art. 42 et 54 LDA.

    C.- Torre a recouru en réforme au Tribunal fédéral, en reprenant ses
conclusions libératoires. Il conteste l'existence du droit d'auteur invoqué
par Philips AG et prétend qu'en tout cas les interprètes ne bénéficient
pas d'un tel droit en Suisse lorsqu'il s'agit d'éditions étrangères.

    La demanderesse a recouru par voie de jonction pour que le montant
de ses dommages-intérêts fût fixé à 20 000 fr.

    Chacune des parties a proposé le rejet du recours de l'autre.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Dans son arrêt Schweizerische Rundspruchgesellschaft und
Radiogenossenschaft c. Turicaphon AG, du 7 juillet 1936 (RO 62 II 243),
le Tribunal fédéral a considéré que l'art. 4 al. 2 LDA accordait un droit
d'auteur à l'interprète qui exécute une oeuvre artistique en vue de son
enregistrement. Ce droit, a-t-il ajouté, est transmissible et, conformément
à la nature des choses, on doit présumer qu'il est cédé au fabricant de
disques dans la mesure où le transfert est nécessaire à l'écoulement de
cette marchandise; or, en vertu de l'art. 4 de la Convention de Berne pour
la protection des oeuvres littéraires et artistiques, du 9 septembre 1886,
revisée à Rome le 2 juin 1928, le droit d'auteur des artistes exécutants
appartient également, en Suisse, aux interprètes étrangers ressortissant
à l'un des pays de l'Union de Berne pour leurs enregistrements publiés
pour la première fois dans un de ces pays.

    Cependant, l'arrêt Turicaphon date de plus de vingt ans et a été rendu
dans un domaine juridique très nouveau et encore mouvant. Il se justifie
dès lors de soumettre à un nouvel examen les questions juridiques qu'il
a résolues, d'autant plus qu'il a été l'objet de critiques sérieuses dans
la doctrine.

Erwägung 2

    2.- L'art. 4 al. 2 LDA assimile à la reproduction, qui est protégée
comme une oeuvre originale, l'adaptation d'une oeuvre littéraire
ou musicale à un instrument mécanique par l'intervention personnelle
d'exécutants. Cette disposition vise principalement l'enregistrement sur
des disques de gramophone.

    a) Si l'on interprète la loi selon la méthode historique, on peut
admettre, comme le Tribunal fédéral l'a fait dans l'arrêt Turicaphon,
que l'art. 4 al. 2 LDA confère un droit d'auteur aux exécutants dont
les prestations sont enregistrées. Aux termes du message du Conseil
fédéral du 9 juillet 1918 (FF 1918 III p. 617), la loi protège, dans
le cas de l'enregistrement, "le travail individuel de l'exécutant" et,
dans la confection de boîtes à musique et d'instruments semblables, le
"remaniement de l'oeuvre à adapter dénotant un caractère d'originalité
protégeable". Il en découle que, dans l'idée du Conseil fédéral, la
protection avait pour objet une activité artistique et non un travail
technique. Les rapporteurs aux Chambres fédérales ont également exprimé
cette opinion, laissant entendre que les interprètes avaient un droit
d'auteur sur leurs prestations artistiques enregistrées (Bull. stén.,
1920 CE p. 369 et 437, 1922 CN p. 263).

    Cependant, les doutes les plus sérieux s'élèvent si l'on examine le
but de l'art. 4 al. 2 LDA et sa place dans le système des droits sur les
biens immatériels.

    b) Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral (RO 85 II
123 et les arrêts cités), un ouvrage ne constitue une oeuvre d'art que
s'il s'agit d'une création originale; il faut donc qu'il se présente
comme une oeuvre nouvelle de l'esprit, qui incorpore une idée créatrice
ou l'expression personnelle d'une pensée. De même, l'oeuvre de seconde
main, protégée par l'art. 4 al. 1 LCD, doit également avoir un caractère
original.

    Certains auteurs (TROLLER, Immaterialgüterrecht, I, p. 442 à 447;
Jurisprudenz auf dem Holzweg, p. 63 et suiv.; cf. également SCHORRO,
La protection de l'artiste interprète) mettent l'accent sur le fait que
l'apport de l'interprète est nécessaire pour que l'oeuvre dramatique
ou musicale reçoive son expression parfaite. De l'avis de TROLLER,
cette coopération a un caractère créateur, à moins qu'elle ne se borne
à une exécution dirigée jusque dans le détail par un autre interprète,
tel qu'un chef d'orchestre ou un metteur en scène.

    Certes, l'apport de l'artiste exécutant est nécessaire pour que le
public puisse percevoir pleinement l'oeuvre dramatique ou musicale qui
lui est destinée. En outre, l'interprétation manifeste souvent de hautes
qualités artistiques, un grand talent ou même du génie. Mais elle n'a pas
le caractère d'une création et ne constitue ni une oeuvre artistique ni
même une oeuvre de seconde main au sens de l'art. 4 al. 1 LDA. Quelles
que soient l'importance et la qualité de son apport, l'interprète ne
fait que donner sa forme, son expression, à une oeuvre préexistante. Il
est subordonné à la lettre et à l'esprit de l'oeuvre qu'il exécute et
sa prestation a d'autant plus de valeur qu'elle exprime avec plus de
fidélité et de soumission la pensée ou les sentiments de l'auteur. Il
n'utilise ses dons artistiques et sa sensibilité que pour rechercher puis
exprimer l'esprit qui commande l'oeuvre interprétée. Ainsi, il ne donne
pas naissance à une oeuvre nouvelle qui incorpore une idée créatrice
et on ne saurait le considérer comme un auteur (dans ce sens arrêt du
Bundesgerichtshof du 21 novembre 1952, dans SCHULZE, Rechtsprechung zum
Urheberrecht, BGHZ 3, p. 3; ULMER, Urheber- und Verlagsrecht, p. 319;
RUNGE, Urheber- und Verlagsrecht, p. 340; VOIGTLÄNDER/ELSTER/KLEINE,
Urheberrecht, p. 44; MÖHRING, Die internationale Regelung des Rechts der
ausübenden Künstler und anderer sogenannter Nachbarrechte, p. 17 et suiv.;
SÜSS, Das Recht der ausübenden Künstler, der Schallplattenhersteller und
des Rundfunks, dans Schriftenreihe der Internationalen Gesellschaft für
Urheberrecht, vol. 11, p. 61 et suiv.; OVERATH, Urheber und Interpret
in der Musik, ibidem, p. 44 et suiv.; PLAISANT, Propriété littéraire et
artistique, dans Juris-classeur civil, annexes, fasc. 5, notes 41 à 47;
VERENA LÜDI, Rechte der Interpreten musikalischer Werke bei mechanischer
Fixierung ihrer Leistung, dans RSJ, 1957, p. 322 et suiv.).

    Aussi bien, les lois les plus récentes sur le droit d'auteur (cf.
notamment §§ 66 et suiv. de la loi autrichienne du 9 avril 1936 et art. 80
et suiv. de la loi italienne du 22 avril 1941) n'accordent pas un tel droit
aux interprètes, mais une protection sui generis. De même, les projets de
conventions internationales qu'ont élaborés un comité mixte d'experts et
un comité commis par l'Union de Berne et l'Unesco (avant-projet de Rome
de 1951 et projet de Monaco de 1957) ne prévoient pas que les artistes
exécutants seront protégés à titre d'auteurs. Ils leur accordent des droits
spéciaux, dits "droits voisins du droit d'auteur" (cf. Le droit d'auteur,
1951, p. 140, et L'artiste exécutant, le fabricant de phonogrammes,
le radiodiffuseur, supplément du Droit d'auteur, 1957, p. 131).

    D'ailleurs, si l'on voulait conférer un droit d'auteur aux interprètes
"créateurs", il serait souvent très difficile de distinguer entre ceux
qui ont cette qualité et les autres. Sans doute devrait-on généralement la
reconnaître aux solistes, aux chefs d'orchestre et aux metteurs en scène,
tandis qu'elle serait refusée aux exécutants d'un orchestre symphonique
ou aux figurants d'une représentation théâtrale. Mais la distinction
serait très délicate dans de nombreux cas: ensembles restreints, chefs
de pupitre à qui est confiée une partie de solo, chanteurs d'opéra,
comédiens, etc. Ce système créerait donc une grave insécurité juridique.

    Il est vrai que, dans l'arrêt Turicaphon, le Tribunal fédéral a
estimé que l'artiste exécutant devait être protégé comme auteur pour
bénéficier d'un droit moral sur des interprétations et pouvoir ainsi
exiger la répétition d'un enregistrement défectueux ou s'opposer à sa
mise en circulation. Mais cet argument n'est, en réalité, pas décisif. En
premier lieu, le fabricant de disques a un intérêt manifeste à ne pas
publier l'enregistrement d'une exécution malheureuse. D'autre part, sans
être titulaire d'un droit d'auteur, l'interprète peut invoquer un droit
moral fondé sur l'art. 28 CC (DU PASQUIER, Les droits du fabricant sur les
disques de gramophone, p. 76 et 77; PLAISANT, op. cit., fasc. 5, note 51).

    c) Il n'en reste pas moins que l'art. 4 al. 2 LDA protège l'exécution
enregistrée, bien que l'interprète ne soit ni un auteur ni même un
adaptateur. En réalité, toutefois, le destinataire de cette protection
n'est pas l'artiste exécutant, mais le fabricant de disques.

    aa) L'art. 4 al. 2 LDA a été calqué sur le § 2 al. 2 de la loi
allemande du 19 juin 1901, dans la teneur qui lui avait été donnée par
celle du 22 mai 1910 (cf. message du Conseil fédéral du 9 juillet 1918,
FF 1918 III p. 616). Or la doctrine et la jurisprudence de ce pays
admettent unanimement que le législateur n'a pas entendu protéger
les artistes exécutants. Par le § 2 al. 2 de la loi du 19 juin
1901, il a voulu accorder une protection aux fabricants de disques,
notamment contre la reproduction illégitime des enregistrements. C'est
à cette fin qu'il a construit une protection des interprètes, dont on
présume que les droits sont cédés aux fabricants de disques (arrêt du
Reichsgericht du 14 novembre 1936, dans SCHULZE, op. cit., RGZ 8, p. 9 et
10). Mais il s'agit là d'une fiction dont tous les auteurs dénoncent le
caractère artificiel (ULMER, op. cit., p. 158 et 320; RUNGE, op. cit.,
p. 343; VOIGTLÄNDER/ELSTER/KLEINE, loc. cit.; SÜSS, op. cit., p. 46
et suiv.; cf. également l'arrêt du Bundesgerichtshof du 21 novembre
1952, loc. cit.). On admet généralement que la protection accordée aux
fabricants de disques par cette construction tend à les garantir contre
la concurrence déloyale (MARWITZ/MÖHRING, Das Urheberrecht, p. 47; SÜSS,
op. cit., p. 55; arrêt du Reichsgericht du 14 novembre 1936, loc. cit.).

    bb) Il en est de même en droit suisse, ce que confirme, tout d'abord,
la nature de l'objet protégé par l'art. 4 al. 2 LDA.

    Cette disposition, en effet, ne protège point l'interprète tant que
son exécution n'est pas enregistrée. L'exécution elle-même, c'est-à-dire
la véritable prestation de l'interprète, n'est pas visée par cette
disposition légale, qui, par exemple, ne garantit point l'artiste contre
un enregistrement opéré à son insu.

    D'autre part, lors de l'élaboration de la loi, le législateur n'a pu
envisager, par l'art. 4 al. 2, que la protection des "instruments" contre
leur reproduction. illicite, c'est-à-dire une garantie qui profitait au
fabricant de disques (STREULI, Fiche juridique suisse no 635a, p. 7). En
effet, les autres droits exclusifs prévus par l'art. 12 LDA dans sa teneur
originaire étaient exclus ou sans objet. La protection contre la mise en
circulation n'avait guère d'intérêt, puisqu'il s'agissait d'enregistrements
opérés précisément en vue de la vente. D'autre part, l'art. 21 LDA
autorisait l'exécution publique prévue par l'art. 12 ch. 3. Quant à la
protection contre la radiodiffusion, elle n'a pu être envisagée par le
législateur et le Tribunal fédéral ne l'a instituée par l'arrêt Turicaphon
que pour combler une lacune de la loi, en vertu de l'art. 1er al. 2 CC.

    cc) En outre, comme la jurisprudence allemande, le Tribunal fédéral a
considéré, dans l'arrêt Turicaphon, qu'on devait présumer la cession des
droits de l'artiste exécutant au fabricant, car ce transfert découlait
de "la nature des choses". Une telle présomption n'est pourtant fondée
sur aucune règle légale et déroge aux principes généraux du droit. Si on
l'a admise, c'est qu'elle est conforme à la logique interne de l'art. 4
al. 2 LDA et est exigée par le but même de cette disposition. Cette
jurisprudence met en évidence que le sujet de la protection n'est pas
l'interprète ou - dans le cas des boîtes à musique - le transcripteur,
mais bien le fabricant.

    Sans doute, l'édition de toute oeuvre implique une cession des droits à
l'éditeur. Mais les droits de l'auteur prennent naissance avant l'édition.
Ils lui permettent de s'opposer à la publication ou d'en déterminer les
modalités. Au contraire, les droits dérivés de l'art. 4 al. 2 LDA naissent
avec la création de l'objet matériel porteur de sons. Dans le système
de la loi, la cession est donc un élément naturel du contrat par lequel
l'interprète s'engage à l'égard du fabricant. Celui-ci est, en réalité,
titulaire du droit virtuel, avant même que ce droit ait un objet.

    d) Ainsi, la reconnaissance d'un droit d'auteur à l'interprète est
inconciliable avec les principes fondamentaux du droit d'auteur.

    D'autre part, le but de l'art. 4 al. 2 LDA n'est pas de conférer
à l'artiste exécutant un droit d'auteur ou une protection d'une autre
nature. Il tend à protéger le fabricant contre une contrefaçon de sa
marchandise. Ce but ne paraissant pas pouvoir être atteint directement,
le législateur a pris le biais du droit d'auteur: l'activité du fabricant
de disques ou de boîtes à musique ne présente guère de caractère artistique
marqué; en outre, ces fabricants sont généralement des personnes morales,
qui ne peuvent être titulaires originaires d'un droit d'auteur (art. 8 LDA;
RO 54 II 54, 74 II 112). On a dès lors imaginé de faire naître le droit
sur la tête de la personne physique dont l'interprétation est enregistrée
ou qui transcrit la mélodie destinée à être reportée sur rouleaux. Mais,
comme le veut la "nature des choses", ce droit est immédiatement tranféré
au fabricant, qui est son véritable bénéficiaire et la personne que la
loi entend protéger.

    Toutefois, cette construction est une pure fiction et on ne saurait
interpréter l'art. 4 al. 2 LDA en se conformant servilement au système
artificiel qu'il a établi. On doit au contraire, pour en déterminer le sens
et la portée, se fonder sur le but qui était assigné à cette disposition,
sur l'intérêt qu'elle devait protéger réellement. Or, comme on l'a vu,
l'art. 4 al. 2 LDA a pour objet la protection du fabricant contre la
reproduction et la mise en circulation illicites de sa marchandise. Il
ressortit au droit de la concurrence et ne consacre en rien un droit
d'auteur de l'artiste exécutant. La novelle du 24 juin 1955, qui,
modifiant l'art. 12 et abrogeant l'art. 21 LDA, étend la protection à
l'exécution publique et à la radiodiffusion, confère, elle aussi, des
droits au seul fabricant.

    Aussi bien, si la demanderesse invoque en l'espèce l'art. 4 al. 2 LDA,
ce n'est pas en faveur des interprètes, qui ne sont lésés en rien par les
agissements de Torre. Elle n'entend même pas protéger le fabricant. En
effet, les disques écoulés par le recourant sont d'authentiques disques
Philips et c'est bien la société de Baarn qui les a vendus au fournisseur
de Torre. En réalité, la demanderesse veut seulement renforcer, en lui
conférant un effet réel par le détour du droit d'auteur, le droit relatif
en vertu duquel elle jouit, vis-à-vis du fabricant, de l'exclusivité de
la vente en Suisse.

    On doit donc, en conclusion, nier l'existence des droits d'auteur
sur lesquels la demanderesse fonde son action.

Erwägung 3

    3.- a) Cependant, l'art. 4 al. 2 LDA protège l'enregistrement
mécanique comme une oeuvre originale et confère ainsi des droits au
fabricant. Certes, la demanderesse n'a pas invoqué un droit du fabricant
et prétend agir comme ayant cause des interprètes. Mais cela importe
peu. Si la juridiction fédérale de réforme est liée par les conclusions
des parties, elle ne l'est point par les motifs qu'elles invoquent et
doit statuer selon la règle jura novit curia (art. 63 al. 1 OJ).

    Il s'agit donc de savoir si l'art. 12 ch. 2 LDA donne à la demanderesse
le droit exclusif de vendre en Suisse des disques Philips et si Torre a
violé ce droit bien que les disques qu'il a écoulés aient été licitement
confectionnés et achetés à l'étranger.

    b) Le défendeur répond par la négative à cette dernière question, en
alléguant que le droit exclusif de vente est épuisé par la première vente
licite, c'est-à-dire par celle qu'il a conclue avec son fournisseur. Ce
moyen n'est pas fondé. Sans doute admet-on en général que le droit de
mettre l'oeuvre en circulation est épuisé par la première aliénation licite
(cf. Entscheidungen des Reichsgerichts in Zivilsachen, vol. 63, p. 397
et suiv.; ULMER, op. cit., p. 145, ainsi que les références). Mais, en
tout cas, la revente n'est licite que si elle est couverte par le droit
de celui qui a mis les exemplaires en circulation. Le droit n'est épuisé
que dans les limites où il a été exercé. Ainsi, lorsque le titulaire du
droit exclusif de vente l'a concédé pour un territoire déterminé, celui qui
acquiert un exemplaire de l'oeuvre sur ce territoire ne peut le revendre
ailleurs (cf. ULMER, op. cit., p. 145; MARWITZ/MÖHRING, op. cit., p. 117).

    c) L'art. 58 al. 1 LDA statue que, si les exemplaires licitement
confectionnés d'une oeuvre sont mis en circulation hors du territoire
pour lequel le titulaire du droit d'auteur en a autorisé le débit, ces
agissements ne constituent pas un acte illicite au sens de l'art. 42.
Ainsi, l'art. 58 LDA apporte une dérogation au caractère absolu du
droit d'auteur et permet en principe la mise en circulation en Suisse
des exemplaires de l'oeuvre au mépris d'une limitation territoriale
ordonnée par le titulaire du droit. Il pose le principe général qu'une
telle limitation du droit d'édition n'a pas d'effet réel.

    Cependant, l'art. 58 al. 3 LDA institue une exception à ce
principe, en statuant que l'art. 58 al. 1 n'est pas applicable aux
instruments mécaniques auxquels sont adaptées des oeuvres littéraires ou
musicales. Cette dérogation était imposée par l'art. 13 de la Convention de
Berne, qui confère aux auteurs d'oeuvres musicales le droit exclusif d'en
autoriser l'enregistrement et précise, à son al. 4, que les enregistrements
importés sans l'autorisation des intéressés dans un pays où ils ne seraient
pas licites pourront y être saisis. C'est uniquement en raison de cette
protection minimum instituée par la Convention de Berne que le législateur
suisse a dû promulguer l'art. 58 al. 3 LDA (message du Conseil fédéral du
9 juillet 1918, FF 1918 III p. 672; Bull. stén., CN 1922 p. 312). On doit
en conclure que, sauf dans la mesure où il le dit expressément, l'art. 58
al. 3 LDA ne va pas au-delà de l'art. 13 de la Convention de Berne.

    Or cette convention ignore l'institution d'un droit d'auteur des
exécutants. Son art. 13, qui reconnaît aux auteurs d'oeuvres musicales le
droit exclusif d'en autoriser l'enregistrement, ne saurait donc viser les
interprètes et concerne seulement les compositeurs, qu'il protège contre
les fabricants et les marchands de disques. De même, faute d'indication
contraire, l'exception que l'art. 58 al. 3 LDA apporte au principe
général de l'al. 1 ne doit s'entendre que des autorisations limitées
territorialement qui ont été concédées par les auteurs ou leurs ayants
cause. Elle ne protège pas les fabricants de disques, qui, on l'a vu, ne
sont point titulaires d'un droit d'auteur, mais bénéficient simplement,
en vertu de l'art. 4 al. 2 LDA, de droits ressortissant à la concurrence
déloyale. Ces fabricants et leurs ayants cause ne sauraient donc invoquer
le droit d'auteur pour consacrer des monopoles privés et pour apporter
à des conventions d'exclusivité, qui ressortissent au domaine du contrat
et des droits relatifs, le renfort d'une protection ayant un effet réel.

    Ainsi, l'intimée ne pouvant se prévaloir de l'art. 58 al. 3 LDA,
les actes qu'elle reproche à Torre ne sont pas illicites. Son action doit
donc être rejetée.

Entscheid:

              Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    1. Admet le recours principal, annule le jugement attaqué et rejette
la demande;

    2. Rejette le recours joint.