Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 83 I 7



83 I 7

2. Extrait de l'arrêt du 20 mars 1957 dans la cause Paul Bourquin et
Frédérica Kroug, société en nom collectif, contre Chambre d'appel des
Conseils de prud'hommes du canton de Genève. Regeste

    Art. 4 BV: Willkürliche Beweiswürdigung; Prüfungsbefugnis des
Bundesgerichts.

Sachverhalt

    La société en nom collectif Bourquin-Kroug exploite à Genève un
commerce de tapissiers-ensembliers. En 1954-1955, elle n'était pas
habilitée à former des apprentis. Néanmoins, par un contrat passé
en janvier 1955 et qui n'a pas été déposé au Service cantonal des
apprentissages, elle a engagé en cette qualité le jeune Pierre Richoz,
qu'elle avait à son service depuis la fln de 1954. L'apprentissage a
commencé le 1er mars 1955. Richoz a été chargé d'accomplir de petits
travaux et de faire des courses. Il a reçu le modeste salaire des
apprentis. Il a quitté la maison Bourquin le 29 février 1956, sans avoir
fini son temps d'apprentissage.

    Le 20 octobre 1956, Richoz, représenté par sa mère, a réclamé à la
maison Bourquin-Kroug une somme de 5760 fr. à titre de salaire. Il a exposé
que le contrat d'apprentissage n'était pas valable parce qu'il n'avait pas
été déposé auprès de l'autorité compétente et que la maison Bourquin-Kroug
n'avait pas le droit de former des apprentis. Il en a déduit qu'il avait
droit non au salaire d'un simple apprenti mais à celui d'un ouvrier,
c'est-à-dire à deux francs l'heure.

    Par jugement du 12 novembre 1956, le Tribunal des prud'hommes de
Genève a admis la demande dans son principe, mais a réduit le salaire à
la somme de 1740 fr.

    La maison Bourquin-Kroug a porté l'affaire devant la Chambre d'appel
des Conseils de prud'hommes, qui a entendu tout d'abord en qualité de
témoin un sieur Lecuyer, employé au Service des apprentissages. Celui-ci
a exposé qu'au mois de janvier 1955, il avait eu avec la mère de Richoz
et un représentant de la maison Bourquin-Kroug une entrevue au cours de
laquelle il leur avait expliqué que le jeune Richoz ne pourrait pas faire
chez ses employeurs un apprentissage valable du point de vue légal. Il
a ajouté qu'en sa présence il avait alors été convenu que Pierre Richoz
quitterait la maison Bourquin-Kroug au mois de janvier 1955.

    Par arrêt du 18 décembre 1956, la Chambre d'appel a confirmé le
jugement attaqué. Elle a considéré qu'en acceptant d'engager un apprenti
alors qu'elle n'avait pas le droit d'en former, la maison Bourquin-Kroug
avait gravement trompé l'autre partie, qui, ignorant à cette époque
l'incapacité frappant l'employeur, s'était trouvée ainsi dans une erreur
essentielle et n'était pas obligée par le contrat. Elle a donc estimé
que le salaire horaire de Richoz devait être adapté à ses véritables
fonctions. Pour le surplus, elle a confirmé le montant de ce salaire tel
que l'avaient fixé les premiers juges.

    Agissant par la voie du recours de droit public, la société
Bourquin-Kroug requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Chambre
d'appel. Elle se plaint essentiellement d'une interprétation arbitraire
de la déposition faite par le témoin Lecuyer.

    La Chambre d'appel des prud'hommes et l'intimé Richoz concluent au
rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

    La recourante et dame Richoz, agissant pour son fils mineur, ont
passé un contrat d'apprentissage qui n'était pas valable, l'employeur
ne réunissant pas à l'époque les conditions nécessaires pour former des
apprentis. Le procès qui s'est déroulé devant les autorités cantonales
a eu pour objet les conséquences de cette invalidité. Pour déterminer
ces conséquences, les premiers juges devaient au préalable définir cette
invalidité. A cet égard, la Chambre d'appel s'est fondée notamment sur
la déposition de sieur Lecuyer.

    Lecuyer a déclaré qu'il avait eu un entretien commun avec dame Richoz
et un représentant de la maison Bourquin-Kroug au mois de janvier 1955,
qu'au cours de cette entrevue il avait expliqué que le jeune Richoz ne
pourrait pas faire d'apprentissage valable dans cette maison, et qu'en
sa présence il avait été convenu que Richoz quitterait son employeur au
mois de janvier 1955. Lecuyer a insisté sur le fait que ces événements
s'étaient déroulés au mois de janvier 1955. Il a précisé qu'il n'avait
plus revu dame Richoz depuis lors.

    La juridiction cantonale pouvait apprécier librement ce témoignage,
et si sa décision à ce propos est susceptible d'un recours de droit public
pour violation de l'art. 4 Cst., il faut souligner qu'en ces matières,
le Tribunal fédéral se montre toujours réservé. Il estime que les
autorités cantonales doivent jouir d'une grande liberté dans le domaine
de l'appréciation des preuves. Aussi bien ne revoit-il leurs décisions
à cet égard que si elles sont évidemment fausses ou arbitraires ou si
elles reposent sur une inadvertance manifeste (arrêts non publiés Will
c. Fleury du 6 octobre 1954, Monic SA du 2 mai 1955, Mühlematter du 18
janvier 1956, Robert du 20 février 1957).

    En l'espèce, du témoignage Lecuyer la juridiction cantonale a retenu
que la recourante savait dès le mois de janvier 1955 qu'elle n'avait pas le
droit de former des apprentis. Pour le surplus, elle a admis l'exactitude
de la version de dame Richoz qui affirmait n'avoir eu connaissance de
la situation réelle de la maison Bourquin-Kroug qu'au mois de novembre
1955. Elle en a conclu qu'auparavant en tout cas dame Richoz se trouvait
dans une erreur essentielle. Cette déduction est absolument incompatible
avec la déposition de sieur Lecuyer, dans la mesure où celui-ci explique
que dame Richoz était présente à l'entrevue du mois de janvier 1955 et
qu'elle a été informée à ce moment-là déjà que la recourante ne pouvait
pas former des apprentis. Ainsi, tandis que la juridiction cantonale a
retenu le témoignage Lecuyer en tant qu'il concernait la recourante, sa
présence à l'entrevue de janvier 1955, sa connaissance de l'interdiction
de former des apprentis, elle en a fait complètement abstraction en ce
qui concerne l'intimé. Elle a retenu la version de dame Richoz, en fait
partie au litige, et a écarté, sans un mot d'explication, toute une partie
de la déposition d'un témoin dont l'impartialité n'était pas discutée et
auquel des fonctions officielles étaient de nature à conférer un crédit
particulier.

    Sans doute, dans sa réponse au recours, la Chambre d'appel tente-t-elle
de justifier sa manière de voir. Elle rappelle tout d'abord que tant la
maison Bourquin-Kroug que dame Richoz ont contesté avoir été averties
par sieur Lecuyer. Or, ajoute-t-elle, si sieur Lecuyer s'est opposé
formellement aux déclarations de la recourante sur ce point, il n'a pas
été très affirmatif en présence des dénégations de dame Richoz. Toutefois
cette explication n'est pas satisfaisante. Outre qu'elle n'est fondée
que sur la lettre d'un procès-verbal qui n'est peut-être pas parfaitement
fidèle, elle ne tient surtout pas compte du fait que dame Richoz a reconnu
d'autre part que sieur Lecuyer lui avait dit "d'enlever son fils". Il est
vrai que la juridiction cantonale expose encore que le 20 avril 1955,
Richoz a passé la visite médicale nécessaire avant le dépôt du contrat
d'apprentissage, ce qui, dit-elle, démontre que dame Richoz croyait à la
validité dudit contrat. Toutefois, même si Richoz s'est soumis à cette
visite sanitaire, cela ne suffit pas à prouver que sa mère ignorait
l'incapacité qui frrappait la recourante.

    Dans ces conditions, on ne saurait retenir les explications données par
la juridiction cantonale. En réalité, il ressort du dossier que celle-ci a
admis le témoignage de sieur Lecuyer dans la mesure où il était favorable
à sa thèse selon laquelle la recourante avait gravement trompé l'intimé,
mais qu'elle l'a écarté sans donner de raison valable dans la mesure où il
lui était contraire. Elle a commis ainsi un acte manifeste d'arbitraire,
qui doit entraîner l'annulation de sa décision.

Entscheid:

              Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Admet le recours dans le sens des motifs et annule l'arrêt attaqué.