Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 83 I 160



83 I 160

22. Arrêt du 3 juillet 1957 dans la cause Meuwly contre Grand Conseil du
Canton de Fribourg Regeste

    Staatsrechtliche Beschwerde wegen Willkür gegen den Beschluss des
Grossen -Rates des Kantons Freiburg, durch den die Bewilligung zur
Anhebung einer Schadenersatzklage gegen die Mitglieder des Staatsrates
verweigert wird.

    1.  Verantwortlichkeit der Mitglieder des Staatsrates für die von
diesem als Kollegialbehörde getroffenen Entscheidungen. Erw. 1 und 5.

    2.  Tragweite der Entscheidung des Grossen Rates über die
Verfolgungsermächtigung. Erw. 2.

    3.  Subsidiäre Haftung des Staates im Falle der Verweigerung der
Verfolgungsermächtigung? Erw. 3.

    4.  Folgt daraus, dass der Entscheid einer Behörde willkürlich ist,
dass sie schuldhaft gehandelt hat? Erw. 6 d.

    5.  Ist eine Behörde verantwortlich für die Folgen der Verzögerung
bei der Vornahme eines Verwaltungsaktes? Erw. 6 e.

Sachverhalt

                    Résumé des faits:

    A.- Selon l'art. 57 Cst. frib., "le Conseil d'Etat est responsable de
sa gestion. La loi règle cette responsabilité". Sous l'empire de l'ancienne
constitution fribourgeoise du 4 mars 1848 déjà, a été promulguée la loi -
encore en vigueur aujourd'hui - du 5 octobre 1850 sur la responsabilité
du Conseil d'Etat, de ses agents et des justices de paix comme autorités
pupillaires (en abrégé: LRCE). Cette loi comporte les dispositions
suivantes: les membres du Conseil d'Etat répondent de leur gestion,
soit individuellement, soit collectivement (art. 1er). Ils répondent
collectivement des actes qui émanent du Conseil d'Etat et sont signés
par le président et le chancelier, sauf les membres dont l'absence est
constatée ou qui ont formellement protesté contre la décision rendue
(art. 2). Les directeurs (chefs des départements), sauf les cas de force
majeure et dans la mesure de leur faute ou négligence, répondent des actes
de leurs employés "en ce qui touche la gestion des affaires publiques"
(art. 4). "Aucune poursuite contre le Conseil d'Etat ou l'un de ses
membres, en raison d'actes de leur responsabilité en vertu de leurs
fonctions, ne peut avoir lieu sans l'autorisation du Grand Conseil"
(art. 6). L'art. 7 prescrit:

    "Lorsqu'une demande de poursuite a été prise en considération, elle
est renvoyée à une commission.

    Cette commission, après avoir entendu les conseillers d'Etat inculpés
et pris tous les renseignements qu'elle juge nécessaires, fait un rapport
au Grand Conseil, qui statue à la majorité absolue. .... ."

    Enfin, les agents du pouvoir exécutif sont responsables des dommages
qu'ils causent par dol ou faute grave (texte allemand: "mit Vorbedacht
oder aus grober Fahrlässigkeit", art. 13).

    B.- Le 17 mai 1955, Meuwly demanda l'autorisation de construire un
immeuble locatif de cinq étages sur le fonds art. 3077b (aujourd'hui 4734),
dans le quartier de Pérolles à Fribourg. Le 3 août 1955, le préfet de la
Sarine refusa l'autorisation et le Conseil d'Etat, statuant le 2 septembre
1955, rejeta un recours formé par Meuwly contre cette décision. Il se fonda
essentiellement sur l'art 33 du Règlement communal sur les constructions
de la ville de Fribourg (en abrégé: RCC), selon lequel l'autorisation
de construire doit être refusée "lorsque la construction ... projetée
porterait préjudice à l'aspect ... d'un quartier".

    Meuwly forma un recours de droit public contre cette décision. Le
Tribunal fédéral admit le recours pour violation de l'art. 4 Cst. et
annula la décision attaquée (arrêt du 15 février 1956). Dans ses motifs,
il argumenta en bref comme il suit: Autrefois, la construction de la
Tour Pizzera sur le même fonds avait été autorisée exceptionnellement
de par l'art. 47 RCC, parce que le projet présentait certains avantages
esthétiques et qu'il restait une surface libre suffisante. Il s'agissait
là cependant d'un simple motif et non pas d'une restriction apportée au
droit de construire sur la parcelle appartenant aujourd'hui à Meuwly. Il
était dès lors arbitraire, de la part du Conseil d'Etat, de rejeter la
demande de Meuwly en se fondant sur l'autorisation accordée pour la Tour
Pizzera. La décision attaquée ne peut se soutenir par des arguments pris
de la salubrité publique et de l'hygiène. Sans doute le projet Meuwly
entraînera-t-il, sur l'espace donné, une concentration relativement très
forte de constructions volumineuses et qui contiendront un grand nombre de
logements, ce qui est indésirable du point de vue de l'hygiène. Mais on
ne saurait l'interdire, faute de base légale. L'art. 33 RCC, qu'invoque
le Conseil d'Etat, ne permet de refuser une autorisation de construire
que par des motifs tenant à l'esthétique. Même de ce point de vue du
reste, la décision attaquée ne se soutient pas, car ni l'ensemble dont
fait partie la Tour Pizzera, ni le quartier voisin lui-même n'offrent
un aspect esthétique satisfaisant. On ne peut donc pas dire que la
construction projetée nuirait au quartier du point de vue esthétique.

    L'expédition complète de l'arrêt du Tribunal fédéral a été notifiée,
les 9 et 10 avril 1956, aux représentants du recourant et le 11 avril
1956 au Canton de Fribourg. Le 11 juin 1956, après une enquête relative
à un point réservé par le Tribunal fédéral, le Conseil d'Etat décida
de renvoyer l'affaire au préfet de la Sarine en l'invitant à accorder
l'autorisation sous certaines conditions. Le 13 juin 1956, le préfet
accorda cette autorisation. Le 5 septembre 1956, l'Office communal préposé
à la police des constructions invita Meuwly à déposer les plans conformes
aux conditions posées. Le dépôt eut lieu le 17 septembre 1956. Le 25
septembre, l'office prémentionné les approuva. Il en informa Meuwly le
1er octobre. Les travaux commencèrent au début d'octobre.

    C.- Le 25 octobre 1956, Meuwly réclama au Conseil d'Etat du canton
de Fribourg une indemnité de 40 000 fr. à titre de dommages-intérêts,
en alléguant que l'arrêté du 2 septembre 1955 avait retardé d'une année
le début des travaux et qu'un dommage en était résulté par suite du
renchérissement de la construction et de la perte sur les loyers. Le 6
novembre 1956, le Conseil d'Etat refusa de faire droit à la réclamation.

    Le 8 novembre 1956, Meuwly déposa devant le Grand Conseil une requête
longuement motivée, par laquelle il demandait l'autorisation d'assigner
en dommages-intérêts devant le juge civil les conseillers d'Etat désignés
nommément. La demande fut soumise à une commission (art. 7 LRCE), qui
procéda à une inspection locale, entendit le conseiller d'Etat Baeriswyl et
proposa à l'unanimité au Grand Conseil de rejeter la demande de Meuwly. Son
président présenta un rapport détaillé à l'appui de la proposition.

    Sur le vu de ce rapport, le Grand Conseil, dans sa séance du 6 février
1957, rejeta la demande de Meuwly par 117 voix contre une.

    D.- Contre cette décision du Grand Conseil, Meuwly a formé, en temps
utile, un recours de droit public pour violation de l'art. 4 Cst. Il
conclut à l'annulation de la décision attaquée et demande au Tribunal
fédéral d'inviter le Grand Conseil du canton de Fribourg à prendre
une nouvelle décision en se fondant sur les considérants de l'arrêt
à prononcer.

    E.- Le Grand Conseil conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au
rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                    Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- Selon l'art. 61 CO, la législation cantonale peut déroger aux
dispositions du droit civil relatives aux actes illicites (art. 41 à 61 CO)
"en ce qui concerne la responsabilité encourue par des fonctionnaires et
employés publics pour le dommage ou le tort moral qu'ils causent dans
l'exercice de leur charge". Cette disposition permet aux cantons en
particulier de subordonner les poursuites en dommages-intérêts exercées
contre des fonctionnaires à une autorisation préalable par un organe de
l'Etat (arrêt du 19 mars 1937 en la cause Badet, non publié).

    L'art. 57 Cst. frib. statue la responsabilité du Conseil d'Etat pour
ses actes de gestion et confère au législateur le droit de régler cette
responsabilité. De plus, selon l'art. 58 Cst. frib., chaque fonctionnaire
ou employé public de l'ordre exécutif et administratif est responsable de
ses actes. Les règles appliquant ces principes se trouvent dans la loi du 5
octobre 1850 sur la responsabilité du Conseil d'Etat, de ses agents et des
justices de paix comme autorité pupillaire, dans la loi sur l'organisation
judiciaire du 22 novembre 1949 et dans la loi du 15 novembre 1951 sur le
statut du personnel de l'Etat. Selon les art. 1er à 4 LRCE, les membres
du Conseil d'Etat sont responsables de leur propre gestion. Ils le sont
en outre, sous réserve de la force majeure, des actes de leurs employés
en ce qui touche la gestion des affaires publiques et "pour autant qu'ils
peuvent être imputés à leur faute ou négligence". Il n'est pas contesté
que ces règles visent la responsabilité non seulement à l'égard de l'Etat,
mais aussi à l'égard des tiers. Cependant on ne peut assigner en justice
des membres du Conseil d'Etat qu'avec l'autorisation du Grand Conseil, et
les autres fonctionnaires publics qu'avec l'autorisation du Conseil d'Etat
(art. 6 LRCE et art. 17 de la loi sur le statut du personnel de l'Etat).

Erwägung 2

    2.- Dans sa réponse, le Grand Conseil allègue que lorsqu'il accorde
ou refuse l'autorisation de poursuivre un membre du Conseil d'Etat, sa
décision constitue un acte purement discrétionnaire, fondé sur son pouvoir
d'appréciation souverain, et que le Tribunal fédéral ne peut contrôler
un tel acte, même du point de vue restreint de l'arrbitraire. Cette
opinion est insoutenable. L'art. 57 Cst. frib. établit en principe la
responsabilité du Conseil d'Etat pour ses actes officiels et ne fait que
réserver au législateur le pouvoir d'en régler les modalités. L'art. 6
LRCE ne peut donc signifier que le Grand Conseil pourrait décider
souverainement et sans contrôle possible s'il veut autoriser ou non des
poursuites judiciaires contre des membres du Conseil d'Etat. Une telle
interprétation serait incompatible avec le principe constitutionnel. Il
ne s'agit pas, dans la procédure d'autorisation, de décider de cas en cas
si tel magistrat ou tel fonctionnaire répondra de son administration,
mais seulement de protéger ces personnes contre des réclamations en
dommages-intérêts inconsidérées et manifestement non fondées, afin
qu'elles ne soient pas troublées et paralysées dans l'exercice de leurs
fonctions (cf. GIACOMETTI, Das Staatsrecht der schweizerischen Kantone,
p. 381; GRAFF, La responsabilité des fonctionnaires et de l'Etat pour
le dommage causé à des tiers, en droit fédéral et en droit cantonal,
RSJ 1953, p. 449a, n. 153; Rapport sur la demande de prise à partie de
M. le conseiller d'Etat Aloys Baeriswyl, dans le Bulletin officiel des
séances du Grand Conseil du canton de Fribourg, t. 108, pp. 143 s.). C'est
de ce point de vue que le Grand Conseil doit examiner les demandes de
prise à partie. Sa décision n'a point d'effets sur le fond, elle porte
uniquement sur l'autorisation de suivre la voie de droit ordinaire. Le
prononcé sur l'existence d'une violation des devoirs de fonction et d'une
faute demeure réservé au juge ordinaire (cf. GRAFF, op.cit., p. 449a,
n. 153). Cependant le Grand Conseil doit, comme le juge qui statue sur
une demande d'assistance judiciaire, examiner provisoirement les chances
de succès de la demande projetée et il est fondé à refuser l'autorisation
de poursuivre en justice lorsqu'on ne peut s'attendre à ce que le juge
admette la réclamation du requérant (arrêt Badet, précité).

    Aussi bien l'art. 99 al. 2 de la loi fribourgeoise sur l'organisation
judiciaire prévoit-il que "l'autorisation de prise à partie est accordée
lorsque la responsabilité civile du magistrat ou fonctionnaire mis en
cause paraît engagée". En outre, dans la présente affaire précisément,
le rapporteur de la commission du Grand Conseil a lui-même affirmé:
"La poursuite doit être autorisée lorsque la responsabilité civile est
manifestement engagée. Les cas les plus épineux sont ceux où il y a doute".

    Il est vrai que l'autorité chargée de se prononcer sur la demande
d'autorisation doit mettre en balance les chances favorables et
défavorables d'une demande en justice et que sa décision, sur ce point,
dépend essentiellement de son pouvoir de libre appréciation. Mais ce
pouvoir, de par sa nature même, n'est pas illimité; l'autorité ne doit se
laisser guider que par des raisons objectivement soutenables et exclure
celles qui sont sans rapport avec la question à résoudre. Dans la présente
espèce, ce sont, aussi bien, les arguments objectifs qui ont été examinés
et ont abouti au refus de l'autorisation. Sans doute la décision du
Grand Conseil ne saurait-elle être motivée. Mais le Tribunal fédéral peut
néanmoins la contrôler du point de vue de l'arbitraire en tenant compte
largement, comme s'il s'agissait de motifs, des arguments qui figurent
dans le rapport de la commission du Grand Conseil. La recevabilité
du recours de droit public pour arbitraire a du reste déjà été admise
dans deux cas où, s'agissant de la responsabilité de juges, la demande
d'autorisation avait dû être soumise au Tribunal cantonal fribourgeois
et où cette autorité l'avait refusée (arrêts non publiés dans les causes
Corminboeuf, du 29 juin 1899, et Badet, du 19 mars 1937).

Erwägung 3

    3.- Il en irait autrement si le droit fribourgeois rendait l'Etat
subsidiairement responsable lorsque l'autorisation d'attaquer en justice
des membres du Conseil d'Etat a été refusée. Dans cette hypothèse, le tiers
lésé pourrait actionner l'Etat lui-même et il ne serait pas recevable
à contester par la voie du recours de droit public pour violation de
l'art. 4 Cst. la décision qui lui refuse l'autorisation d'agir contre
les conseillers d'Etat (art. 87 OJ; RO 78 I 250).

    La loi établit cette responsabilité subsidiaire s'agissant des
actes des agents du Conseil d'Etat (art. 14 al. 2 LRCE), des juges et des
fonctionnaires de l'ordre judiciaire (art. 104 de la loi sur l'organisation
judiciaire) et des autres fonctionnaires de l'Etat (art. 17 de la loi
sur le statut du personnel de l'Etat, précitée). Cette dernière loi,
cependant, ne s'applique pas aux membres du Conseil d'Etat (art. 1er
al. 4); pour leurs actes, aucune autre disposition de la loi cantonale
ne prévoit la responsabilité subsidiaire de l'Etat.

    On peut se demander si le législateur a voulu exclure cette
responsabilité ou s'il y a, sur ce point, une lacune de la loi. Dans
l'affaire Hefti, le rapporteur parlementaire a laissé la question
ouverte. Dans la présente espèce, il a nié l'existence d'une responsabilité
subsidiaire, vu l'absence d'une disposition légale la prescrivant. Dans
sa réponse au recours, le Grand Conseil a affirmé que la question n'avait
jamais encore été tranchée par l'autorité judiciaire cantonale et était
par conséquent indécise.

    Sa solution dépend de l'interprétation du droit cantonal, que
le Tribunal fédéral ne peut revoir que du point de vue étroit de
l'arbitraire. Du fait que la loi sur la responsabilité du Conseil d'Etat,
etc., statue expressément la responsabilité subsidiaire de l'Etat pour les
agents du Conseil d'Etat (art. 14 al. 2), mais non pas pour les membres de
cette autorité eux-mêmes (art. 1er à 13), on peut conclure sans tomber dans
l'arbitraire qu'elle est exclue dans ce dernier cas. Le rapporteur du Grand
Conseil a effectivement admis qu'elle l'était et, dans sa réponse, le Grand
Conseil lui-même ne prétend pas que cette opinion ait été combattue. Le
Tribunal fédéral n'a aucune raison de s'écarter de l'interprétation ainsi
donnée du droit cantonal par l'autorité législative elle-même.

    Il s'ensuit qu'à l'exception du recours de droit public, le recourant
ne dispose d'aucune voie pour faire réparer le préjudice juridique dont il
se plaint. Le présent recours est dès lors recevable. Mais c'est seulement
dans la mesure où il conclut à l'annulation de la décision attaquée. Toutes
autres conclusions sont irrecevables (RO 81 I 14, consid. 1).

Erwägung 4

    4.- ...

Erwägung 5

    5.- Que le Conseil d'Etat ait commis une erreur dans l'application de
la loi, cela n'est pas contesté. Ce qui l'est, en revanche, c'est qu'il y
ait eu faute ou négligence et tout au moins qu'une faute ou une négligence
légère suffise à engager les membres du gouvernement fribourgeois.

    La décision du 2 septembre 1955 rejetait un recours formé par
Meuwly contre un refus de l'autorisation de bâtir que lui avait
opposé le préfet (art. 157 RCC). C'est donc dans l'exercice de la
juridiction administrative, qui lui incombe dans ce domaine, que le
Conseil d'Etat a agi. Le Grand Conseil a sanctionné l'opinion soutenue
par son rapporteur et selon laquelle le Conseil d'Etat, en matière de
juridiction administrative, ne répond que du dol et de la négligence
grave. Le recourant arguë ce principe d'arbitraire. Effectivement, le
Tribunal fédéral ne pourrait revoir la question d'un point de vue plus
large, s'agissant de l'interprétation de la loi cantonale.

    Selon les art. 13 et 16 LRCE, les agents du pouvoir exécutif ainsi que
les membres et les secrétaires des justices de paix répondent du dommage
qu'ils causent par dol ou par négligence grave. L'art. 17 de la loi du
15 novembre 1951 sur le statut du personnel de l'Etat contient une règle
analogue qui s'applique aux fonctionnaires que vise l'article premier de la
même loi; il en va de même, pour les fonctionnaires de l'ordre judiciaire,
selon l'art. 98 de la loi du 22 novembre 1949 sur l'organisation
judiciaire. Enfin, l'art. 4 LRCE rend les membres du Conseil d'Etat
civilement responsables, sauf cas de force majeure, des actes de leurs
employés qui peuvent leur être imputés à faute ou à négligence et touchent
la gestion des affaires publiques. Pour les actes des membres du Conseil
d'Etat, en revanche, que visent les art. 1er à 3 LRCE, la loi ne dit pas
si la responsabilité découle de toute faute quelconque ou seulement du dol
et de la négligence grave. Ainsi l'opinion selon laquelle, en matière de
justice administrative, les membres du Conseil d'Etat ne répondent que du
dol et de la négligence grave ne se heurte à aucune disposition expresse
de la loi. De plus, elle se soutient par des arguments qui échappent au
grief d'arbitraire. Vu la complexité actuelle des affaires administratives,
on ne peut équitablement rendre responsables magistrats et fonctionnaires
de toutes fautes; décider autrement serait les entraver d'une façon
insupportable dans l'exercice de leurs fonctions. Il se justifie donc
d'interpréter les art. 1er à 3 LRCE en ce sens que, comme la loi le
prévoit pour les fonctionnaires de l'ordre administratif et judiciaire, les
conseillers d'Etat, eux aussi, répondent uniquement de leur faute grave,
du moins dans l'exercice de la juridiction administrative. Le recourant
admet lui-même que, lorsqu'il connaît d'un recours, le Conseil d'Etat
est dans une situation analogue à celle du juge. On peut les assimiler du
point de vue de la responsabilité civile, d'autant plus que les magistrats
et les fonctionnaires administratifs ne disposent souvent pas de la même
formation et de la même expérience juridique que les magistrats de l'ordre
judiciaire. Il en va ainsi notamment des membres du Conseil d'Etat. Chargés
en outre des affaires gouvernementales et administratives les plus diverses
et les plus nombreuses, ils apparaissent plus excusables que les juges
si une erreur leur échappe dans leur juridiction. Cette considération
est juste en principe. Le recourant, dès lors, objecte en vain qu'elle
ne le serait pas dans le cas particulier, vu la composition du Conseil
d'Etat dont émane la décision attaquée.

    Le rapporteur de la commission du Grand Conseil s'est aussi référé
à l'art. 176 de l'ancienne loi sur l'organisation judiciaire du 26 mai
1848, selon lequel les fonctionnaires de l'ordre judiciaire ne répondaient
que de leur dol et de leur faute grave. Le recourant objecte que selon
l'art. 569 du code de procédure civile fribourgeois de 1849, entré en
vigueur le 1er mai 1850, c'est-à-dire peu avant la loi du 5 octobre 1850
sur la responsabilité du Conseil d'Etat, les fonctionnaires de l'ordre
judiciaire répondaient aussi de leur simple négligence. Cela est vrai,
mais, dans ses arrêts Corminboeuf et Badet (précités), le Tribunal fédéral
a jugé qu'il n'était pas arbitraire, malgré le texte de l'art. 569 du
code de procédure de 1849, de ne faire répondre le juge que de sa faute
grave. En effet, a-t-il dit, l'institution de la prise à partie tend à
restreindre la responsabilité du fonctionnaire. En l'introduisant, le
législateur cantonal a voulu restreindre cette responsabilité aux cas
relativement graves par la faute commise et le dommage causé. Si l'on
en jugeait autrement, l'exigence d'une autorisation préalable n'aurait
plus aucun sens. De plus, il n'est pas arbitraire, dans l'interprétation
de la loi, de s'en tenir non pas aux conceptions qu'avait le législateur
lorsqu'il a élaboré le texte légal, mais à la signification du texte selon
les idées juridiques généralement reçues et compte tenu des circonstances
présentes (RO 81 I 282, consid. 3 et les arrêts cités). Or l'art. 98 de la
loi fribourgeoise de 1949 sur l'organisation judiciaire, actuellement en
vigueur, limite la responsabilité des fonctionnaires de l'ordre judiciaire
aux cas de dol et de faute grave. La tendance à restreindre à ces seuls
cas la responsabilité du juge se justifie par la nécessité de ne pas
faire de la prise à partie une voie de recours extraordinaire contre
des décisions passées en force ou tout au moins qui ont déjà sorti leurs
effets pendant un temps plus ou moins long. Elle est dans l'intérêt de
la sécurité juridique (RO 79 II 437 s.).

    Ces arguments aussi justifient l'interprétation que, dans la
présente espèce, le rapporteur du Grand Conseil a donnée de la loi sur
la responsabilité du Conseil d'Etat, à savoir qu'en matière de justice
administrative, les membres de cette autorité ne répondent que du dol et
de leur faute grave. Il n'y a pas, sur ce point, de contradiction avec
le rapport au Grand Conseil relatif à l'affaire Hefti, car il s'agissait
alors de la responsabilité d'un conseiller d'Etat non pas pour un acte
de justice administrative, mais pour un acte administratif ordinaire
(concours ouvert pour la construction d'un pont).

Erwägung 6

    6.- a), b) et c).....

    d) Selon l'arrêt du 15 février 1956, le Conseil d'Etat est tombé dans
l'arbitraire en jugeant que la construction projetée nuirait à l'aspect du
quartier et devait être interdite de par l'art. 33 RCC. Mais on ne saurait
conclure de l'arbitraire à la faute, et encore moins à la faute grave.
Lorsqu'il s'agit, pour le Tribunal fédéral, de juger si une décision
cantonale est arbitraire, les mobiles et la bonne foi de l'autorité
qui l'a prise sont indifférents. Il faut et il suffit qu'objectivement
la décision attaquée soit incompatible avec l'art. 4 Cst. et il n'est
pas nécessaire qu'il s'y ajoute un élément d'arbitraire subjectif
(cf. BURCKHARDT, Kommentar der schweizerischen Bundesverfassung, 3e éd.,
pp. 27 et 33; HUBER, Die Garantie der individuellen Verfassungsrechte,
RSJ, t. 55, p. 160a). C'est pourquoi l'admission d'un recours de droit
public n'implique pas nécessairement que sont réalisées les conditions
qui justifient une action en responsabilité contre le magistrat ou le
fonctionnaire cantonal dont la décision émane (arrêt du 15 juillet 1932
en la cause Brändli, non publié).

    Il est vrai que, dans son arrêt du 15 février 1956, le Tribunal fédéral
a dit que l'autorité cantonale av.ait manifestement invoqué l'art. 33
RCC à tort, en le "détournant de sa destination véritable pour faire en
sorte qu'il reste une surface libre suffisante". Mais il n'a en aucune
manière entendu, par cette formule, suggérer que le Conseil d'Etat aurait
commis une faute. Il s'est borné, comme il le fait toujours, s'agissant
d'arbitraire, à rechercher si la décision entreprise était objectivement
soutenable, sans s'occuper de savoir si, subjectivement, il y avait faute
de l'autorité cantonale. C'était une question d'appréciation que de savoir
si la construction projetée nuirait ou non à l'aspect du quartier. Dans
ce domaine, on ne peut admettre de faute, de la part de l'autorité,
que lorsqu'elle a manifestement abusé du pouvoir discrétionnaire que la
loi lui accorde, non pas, en revanche, lorsqu'elle a, par erreur, mal
apprécié les faits et, par suite, appliqué une disposition légale qui ne
concernait pas le cas cité (RO 54 II 366; 79 II 437 s.). Lorsqu'il s'agit,
en particulier, de questions esthétiques, ceux qui en jugent peuvent,
de bonne foi, défendre des avis très différents. Tel est le cas dans
la présente espèce. Il n'y a aucun indice que le Conseil d'Etat se soit
rendu coupable d'une négligence grave (si même une négligence peut être
admise), ni, à plus forte raison, d'un dol; le Grand Conseil pouvait
admettre qu'il n'y avait eu qu'une erreur: si le Conseil d'Etat s'est
trompé, c'est manifestement parce que l'implantation du nouvel immeuble
n'aurait plus laissé libre, dans l'ensemble dominé par la Tour Pizzera,
qu'une surface insuffisante du point de vue non seulement hygiénique,
mais aussi esthétique et qu'il n'a pas aperçu que l'art. 33 RCC permet
seulement de prendre en considération l'aspect de tout un quartier et
non celui d'un groupe de constructions. On ne saurait voir là une faute,
tout au moins une faute grave.

    Dès lors, il n'était nullement arbitraire de considérer, comme l'a
fait le rapporteur du Grand Conseil, que l'action en responsabilité que
Meuwly demandait l'autorisation d'ouvrir contre les membres du Conseil
d'Etat était dénuée de chance et de succès. La décision prise par le Grand
Conseil lui-même se soutient par ce même motif et n'est pas arbitraire
non plus. Il était notamment loisible au conseil législatif d'admettre
qu'il ne s'agissait pas d'un cas-limite, où l'on aurait peut-être pu,
dans le doute, accorder l'autorisation demandée.

    e) Le recours devant être rejeté par ce motif déjà, il n'est pas
nécessaire de rechercher en outre si l'on peut admettre, en principe,
qu'une autorité répond des conséquences du retard dans l'accomplissement
d'un acte administratif, dans la mesure où ce retard n'est qu'une
conséquence de la procédure suivie devant une autre autorité qui a annulé
la décision de la première. Peu importe, également, que Meuwly lui-même
ait ou non causé une partie du dommage par son manque de diligence après
le prononcé de l'arrêt du 15 février 1956, comme l'allègue l'intimé.

Entscheid:

            Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    Rejette le recours dans la mesure où il est recevable.