Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 80 I 121



80 I 121

22. Extrait de l'arrêt du 31 mars 1954 dans la cause Gailloud contre
Conseil administratif de la Ville de Genève. Regeste

    Handels- und Gewerbefreiheit. Öffentlicher Dienst. Friedhöfe (Art.
31 BV).

    Kantonale Vorschrift, wonach die Friedhofpolizei sowie die
Beaufsichtigung und Verwaltung der Friedhöfe ein öffentlicher Dienst
ist. Wenn die Ausschmückung der Gräber nicht in den öffentlichen Dienst
einbezogen ist, geniesst sie den Schutz der Handels- und Gewerbefreiheit
unter Vorbehalt der besondern Befugnisse, die den Behörden inbezug auf
die Friedhöfe zustehen. Umfang dieses Schutzes (Erw. 2).

    Ein Gemeindereglement, das diejenigen, die Grabmäler herstellen und
auf dem Gemeindefriedhof aufstellen, verpflichtet, ihren Wohnsitz und das
Hauptfabrikationsgeschäft im Kanton zu haben, in dem sich die Gemeinde
befindet, verstösst gegen den Grundsatz der Handels- und Gewerbefreiheit
(Erw. 3).

Sachverhalt

    A.- Le règlement du 13 juin 1913 pour les cimetières de la Ville de
Genève contenait un art. 58 ainsi conçu:

    "Les industriels, commerçants ou jardiniers désireux d'exercer leur
industrie ou leur commerce dans l'intérieur des cimetières de la Ville
de Genève, doivent en adresser la demande au Conseil administratif".

    "Les autorisations pourront être en tout temps retirées par le Conseil
administratif en cas de contravention aux lois ou règlements".

    Cette disposition a été reprise dans les règlements du 16 décembre
1919 et du 15 juin 1928 sur le même objet. Enfin le 8 mai 1953, le Conseil
administratif de la Ville de Genève a adopté un "règlement des cimetières
et du crématoire" contenant notamment les règles suivantes:

    "Art. 55. - Les entrepreneurs, horticulteurs ou commerçants, qui
désirent exercer leur industrie ou leur commerce dans les cimetières de
la Ville de Genève, doivent être régulièrement établis dans le canton
de Genève et au bénéfice d'une autorisation délivrée par le Conseil
administratif".

    "Ils doivent... diriger une entreprise répondant aux nécessités de
la profession, dont le siège et le principal établissement de fabrication
ou de culture est situé dans le canton de Genève"....

    "Art. 61. - La pose de bordures, monuments, ornements divers, la
construction de caveaux, les réparations et transformations diverses,
sont soumises à autorisation"....

    "Les monuments dont la forme et la hauteur diffèrent essentiellement
de l'esthétique habituellement admise doivent être soumis à l'approbation
de la Ville de Genève; si un texte présente une incorrection manifeste,
dans la forme ou le fond, il devra être corrigé".

    B.- André Gailloud, marbrier de son métier, est domicilié à
Renens (Vaud), où il possède un atelier de fabrication de monuments
funéraires. Selon ses déclarations, il a posé ses monuments dès 1927 dans
les cimetières de la Ville de Genève sans rencontrer de difficultés. Quoi
qu'il en soit à cet égard, la Ville de Genève a exigé, en juillet 1951,
que Gailloud demande une autorisation pour chaque monument qu'il se
proposait de poser dans les cimetières de Genève. Ces autorisations ont
été sollicitées et accordées jusqu'à l'entrée en vigueur du nouveau
règlement du 8 mai 1953. Cela a donné lieu à un certain échange de
correspondance. C'est ainsi que le 20 août 1951, le vice-président du
Conseil administratif a écrit à Gailloud:

    "Les industriels, commerçants ou jardiniers désireux d'exercer leur
industrie ou leur commerce à l'intérieur des cimetières de la Ville doivent
être au bénéfice d'une autorisation délivrée par le Conseil administratif
et je puis ajouter, pour votre information, que les concessionnaires sont
en nombre limité par rapport à l'ensemble des professionnels touchés par
cette mesure...".

    Dès le 15 mai 1953, date d'entrée en vigueur du règlement du 8 mai,
Gailloud a eu quelques difficultés à obtenir les autorisations qu'il
sollicitait pour poser des monuments funéraires dans les cimetières de
la Ville de Genève. Le 24 août 1953, en réponse à une autorisation qu'il
avait demandée, il a reçu du Conseiller administratif délégué une lettre
faisant droit à sa requête mais ajoutant:

    "Cette autorisation sera toutefois la dernière de ce genre qui vous
sera accordée, tant que vous ne serez pas au bénéfice d'une concession
régulièrement délivrée par l'Administration municipale, conformément au
règlement des cimetières de la Ville de Genève".

    Le 11 septembre 1953, Gailloud a requis le Conseil administratif de
lui délivrer "une concession selon l'art. 55 du nouveau règlement sur
les cimetières". Il a accompagné sa demande d'une lettre de son avocat
à laquelle le Conseiller administratif délégué a répondu le 18 septembre
1953 en disant notamment:

    "La Ville de Genève n'interdit nullement à M. Gailloud de travailler
sur son territoire, mais elle entend être libre de limiter le nombre
des concessionnaires, horticulteurs ou marbriers, aux besoins normaux de
l'aménagement et de l'entretien des tombes de ses cimetières".

    Le 10 octobre 1953, le Conseil administratif a rejeté la requête
présentée par Gailloud et en a informé son conseil en ces termes:

    "M. Gailloud ne remplissant pas les prescriptions de l'art. 55 du
Règlement des Cimetières, le Conseil administratif, se conformant à une
pratique qui a existé de tout temps, n'entend pas dans ces conditions
lui donner l'autorisation sollicitée".

    C.- Cherchant à parer aux difficultés qu'il rencontrait, Gailloud a
ouvert à Genève en mai 1953 un établissement secondaire dont il a confié
la gérance à Raymond Thévenaz, lequel a sollicité l'autorisation de poser
des monuments funéraires. Après enquête, l'administration municipale a
rejeté la demande et en a informé Thévenaz en lui disant notamment:

    "Gérant de la succursale de Genève d'une entreprise dont le siège et
le principal établissement de fabrication ne sont pas situés dans le canton
de Genève, vous ne pouvez être mis au bénéfice de l'autorisation demandée".

    C'est pourquoi, Gailloud a dû rompre toute relation d'affaires avec
Thévenaz.

    En été 1953, il a confié à Angelo Castioni, marbrier établi à Genève,
la pose d'un monument funéraire fabriqué à Renens. Mais, le 8 octobre 1953,
l'union genevoise des maîtres marbriers a invité Castioni à "s'abstenir
à l'avenir de tout travail de finition ou pose de monuments pour une
entreprise quelconque ayant son siège en dehors du canton".

    D.- Gailloud interjette un recours de droit public contre la décision
du 10 octobre 1953 par laquelle le Conseil administratif a refusé de
lui délivrer l'autorisation prévue par l'art. 55 du règlement du 8 mai
1953. Il soutient que la Ville de Genève a posé, à l'art. 55 du règlement
du 8 mai 1953, des exigences contraires aux art. 4 et 31 Cst. en ce qui
concerne le domicile du marbrier et le lieu de son principal établissement
de fabrication.

    La Ville de Genève conclut au rejet du recours.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 2

    2.- L'art. 1 de la loi genevoise sur les cimetières, du 20 septembre
1876, prescrit que "les cimetières sont des propriétés communales"
et qu'"ils sont soumis à l'autorité, police et surveillance des
administrations municipales". En harmonie avec l'art. 53 al. 2 Cst., aux
termes duquel "le droit de disposer des lieux de sépulture appartient
à l'autorité civile", cette disposition considère la police et la
surveillance et, d'une façon plus générale, l'administration des lieux
de sépulture comme un service public. Cela résulte également d'autres
textes légaux qui mettent à la disposition des communes un ensemble
de moyens matériels et juridiques, tous destinés à servir cette fin
publique particulière qu'est l'enterrement décent des morts (voir par
exemple l'art. 7 de la loi de 1876 qui affecte aux recettes communales
les revenus du cimetière, les art. 7 ss. du règlement du 8 mai 1953,
qui prévoient l'existence d'un certain nombre de fonctionnaires pour le
service des cimetières).

    Lorsque l'Etat ou une commune institue un service public, il leur
appartient d'en fixer l'étendue. Toute activité comprise dans le service
public perd alors le bénéfice de la liberté du commerce et de l'industrie
(RO 59 I 271; 75 I 53). Mais l'autorité demeure libre d'exclure du service
public telle activité particulière qu'elle aurait pu y englober mais que,
pour diverses raisons, elle estime préférable de laisser à l'initiative
privée. Cette activité particulière jouit alors de la protection de
l'art. 31 Cst.

    En l'espèce, l'administration des cimetières, érigée en service
public, ne comprend pas l'ornementation des tombes. La commune ne s'en
charge point, mais, sous certaines réserves et dans certaines limites,
laisse ce soin aux "intéressés", c'est-à-dire aux parents ou amis du
défunt. C'est à eux seuls qu'il incombe de choisir un marbrier et de lui
commander un monument funéraire. Ils sont liés à lui par des rapports
de droit privé. Dès lors, toute intervention de l'Etat dans ce domaine
particulier est subordonnée à l'observation des principes découlant de
la liberté du commerce et de l'industrie.

    Il est vrai que les cimetières, qui constituent un service public,
sont destinés à procurer aux personnes décédées un lieu de sépulture
décent, qui doit permettre en même temps aux parents de venir y cultiver
la mémoire du défunt. C'est pourquoi, dans sa réglementation sur l'usage
des cimetières, l'autorité peut prendre des mesures propres non seulement
à sauvegarder l'ordre et la salubrité publics mais également à assurer
au champ du repos une apparence digne et harmonieuse. Particulièrement
en ce qui concerne l'aménagement des tombes, elle peut tenir compte de
considérations esthétiques et s'opposer à toute atteinte au sentiment et
au goût, pouvant blesser les personnes en deuil se rendant au cimetière
pour y honorer leurs morts (RO 48 I 242 /243).

    Mais, sous réserve de ce pouvoir et dans la mesure où, comme en
l'espèce, l'ornementation des tombes n'est pas érigée en service public,
les mesures que prend l'autorité doivent pour le surplus être conformes
à l'art. 31 Cst.

    Cette disposition consacre le régime de la libre concurrence. Cela
signifie en première ligne qu'on ne peut interdire à une personne
l'exercice d'une profession ou d'une industrie pour le seul motif qu'elle
ferait concurrence à des entreprises existantes, leur enlèverait des
clients, diminuerait leurs recettes ou rendrait même leur exploitation
impossible. Sans doute, l'art. 31 al. 2 Cst. réserve-t-il "les
prescriptions cantonales sur l'exercice du commerce et de l'industrie";
mais il précise qu'"elles ne peuvent déroger au principe de la liberté
du commerce et de l'industrie, à moins que la constitution fédérale
n'en dispose autrement", ce qui n'est pas le cas ici. Il ne saurait dès
lors s'agir que de mesures de police visant à empêcher que la sécurité,
la tranquillité, la moralité et la santé publiques ne soient compromises
par la façon dont une profession est exercée, ou à lutter contre les
atteintes portées à la bonne foi dans les affaires par des procédés
déloyaux destinés à tromper le public. Ces mesures ne peuvent se justifier
par des raisons de politique économique; elles ne doivent pas avoir pour
but d'entraver le libre jeu de la concurrence et de corriger ses effets
(RO 70 I 147; 66 I 23; 64 I 14; 59 I 61, 111 /112). Il faut qu'elles soient
conformes au principe de la proportionnalité, c'est-à-dire qu'elles ne
soient pas plus rigoureuses que ne l'exige la sauvegarde des intérêts que
l'Etat a le devoir de défendre. Elles cessent d'être conciliables avec le
principe de la liberté du commerce et de l'industrie lorsque des mesures
plus libérales auraient permis d'arriver au même résultat (RO 78 I 305;
73 I 10, 99, 101, 219; 71 I 87; 70 I 149; 65 I 72).

Erwägung 3

    3.- L'art. 55 du règlement critiqué dispose que "les entrepreneurs ...
qui désirent exercer leur industrie ou leur commerce dans les cimetières
de la Ville de Genève doivent être régulièrement établis dans le canton de
Genève ...". La distinction qu'il établit ainsi sur la base du domicile
ne se justifierait que si elle était conforme aux principes qui viennent
d'être rappelés. Or tel n'est pas le cas.

    L'intimée considère qu'elle ne doit ouvrir ses cimetières qu'à des
entrepreneurs-marbriers présentant des garanties suffisantes quant à la
bienfacture de leur travail et à leur comportement à l'égard du public. Il
faut dès lors qu'elle soit en mesure de leur donner des directives, de
les contrôler et d'obtenir d'eux la réfection des monuments défectueux
ou violant le règlement. C'est pourquoi, dit-elle, il est nécessaire que
les marbriers travaillant dans ses cimetières soient établis à Genève.

    Cette argumentation ne résiste pas à l'examen. Elle revient à conférer
au lieu du domicile du marbrier une importance qu'il n'a pas. Que ce
domicile se trouve sur territoire genevois ou dans un autre canton,
l'intimée peut exercer le contrôle qui lui paraît nécessaire sur les
monuments funéraires posés dans ses cimetières. Même si l'entrepreneur est
établi hors du canton de Genève, elle est en mesure de lui donner toutes
les directives qu'elle juge utile. Bien plus, l'art. 61 du règlement
donne expressément à l'intimée le droit d'examiner, avant qu'ils ne
soient posés, "les monuments dont la forme et la hauteur diffèrent
essentiellement de l'esthétique habituellement admise". Il prévoit
également que "la pose de bordures, monuments, ornements divers, la
construction de caveaux, les réparations et transformations diverses sont
soumises à autorisation". Ces diverses dispositions suffisent à assurer la
protection des particuliers. Pour ces motifs déjà, l'art. 55 du règlement
attaqué viole l'art. 31 Cst. en tant qu'il impose au marbrier l'obligation
d'avoir un domicile à Genève. Il en va de même dans la mesure où il exige
que le principal établissement de fabrication soit situé dans le canton
de Genève. Ni l'une ni l'autre de ces exigences ne peut se justifier
par des raisons de police. L'intimée n'a du reste jamais prétendu que
le recourant ait exercé sa profession de manière à porter atteinte à la
sécurité, à la moralité, à la tranquillité ou à la santé publiques.

    Mais il y a plus. En tant qu'il vise le domicile du marbrier et
son principal établissement de fabrication, l'art. 55 apparaît, dans
sa conception et son application comme une mesure typique de politique
économique, destinée à limiter les effets de la libre concurrence et à
protéger les marbriers genevois. Cela résulte tout d'abord des lettres
que le Conseil administratif a adressées au recourant et à son conseil
le 18 septembre 1953 et, auparavant déjà, le 20 août 1951, alors qu'on
songeait déjà à reviser le règlement en vigueur à l'époque. Ces lettres
précisent en effet d'une part que "la Ville de Genève entend être libre
de limiter le nombre des marbriers aux besoins normaux de l'aménagement
et de l'entretien des tombes de ses cimetières", d'autre part que
"les concessionnaires sont en nombre limité par rapport à l'ensemble
des professionnels". Mais cela résulte aussi de la décision prise par
l'autorité d'interdire à un marbrier établi à Genève de poser dans les
cimetières genevois des monuments funéraires fabriqués par le recourant.

    Pour ces divers motifs, la décision attaquée, qui empêche le recourant
de travailler à Genève surtout parce qu'il n'y a ni son domicile ni son
principal établissement de fabrication, ne saurait être maintenue.

Entscheid:

              Par ces motifs, le Tribunal fédéral:

    admet le recours et annule la décision attaquée.