Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 80 IV 71



80 IV 71

17. Jugement de la Cour pénale fédérale du 2 avril 1954 dans la cause
Ministère public fédéral contre Bonnard et consorts. Regeste

    1. Politischer Nachrichtendienst, Art. 272 StGB.

    a)  Nachrichtendienst ist jede, wenn auch vereinzelte, Handlung, die
zum Auskundschaften, Einziehen oder Weitergeben von Nachrichten gehört
(Erw. 1).

    b)  Ausnahme bei Offenkundigkeit (Erw. 1 und 5).

    c)  Unerheblich ist, ob der Täter aus eigenem Antrieb gehandelt hat
(Erw. 2).

    d)  Auf den Wert der Nachricht kommt für die rechtliche Würdigung
der Handlung nichts an (Erw. 4 a).

    e)  Politisch im Sinne des Art. 272 StGB ist die Nachricht schon,
wenn sie in den Augen des Empfängers dieser Art ist (Erw. 4 a).

    f)  Begriff der "Organisation des Auslandes" (Erw. 4 b); wie verhält
es sich, wenn die Nachricht bloss einem öffentlichen Auftreten vor einer
Versammlung oder einer internationalen Organisation dienen soll? (Erw. 6).

    g)  Unterscheidung zwischen dem verbotenen Nachrichtendienst und der
erlaubten Zeitungsschriftstellerei (Erw. 4 b).

    h)  Es genügt, dass der Nachrichtendienst gegen die Schweiz, ihre
Angehörigen, Einwohner oder Organisationen gerichtet sei; ein Nachteil
ist nicht nötig (Erw. 4 c).

    i)  Subjektiver Tatbestand des Art. 272 StGB (Erw. 4 d und 6).

    2. Irrige Vorstellung über den Sachverhalt, Art. 19 StGB (Erw. 8).

    3. Rechtsirrtum, Art. 20 StGB; Voraussetzungen (Erw. 9).

    4. Subjektive Voraussetzungen des bedingten Strafaufschubs (Art.41
Ziff. 1 Abs. 2 StGB); was gilt, wenn der Verurteilte keine Reue bekundet
hat? (Erw. 10 b).

    5. Verteilung der Verfahrenskosten (Erw.11).

Sachverhalt

    A.1.- En 1948 s'est tenu à Wroslaw (Pologne) un con grès mondial
d'écrivains et d'intellectuels. Le congrès de la Fédération démocratique
internationale des femmes a eu lieu à la même époque, à Budapest. A la
suite de ces deux réunions a été lancée une vaste campagne "pour la défense
de la paix". Un "Congrès mondial des Partisans de la Paix" fut convoqué
à Paris, où il se tint du 20 au 25 avril 1949. 380 délégués venant de
Chine, d'Europe orientale, d'Allemagne et d'Autriche n'obtinrent pas le
visa des autorités françaises et se réunirent à Prague. Le 25 avril 1949,
le congrès décida la constitution d'un "Comité du Congrès mondial des
Partisans de la Paix", composé de 140 personnes. Le professeur Frédéric
Joliot-Curie fut élu président de cet organisme.

    Par la suite furent lancés dans la plupart des pays du monde des
mouvements nationaux des partisans de la paix. Un tel mouvement fut
notamment créé en Suisse.

    Un second congrès mondial fut convoqué à Sheffield (Angleterre)
en 1950. Mais, les autorités anglaises ayant refusé le visa d'entrée à un
grand nombre de participants, il fut déplacé à Varsovie, où il se tint du
16 au 22 novembre 1950. Au cours de ce congrès fut constitué un "Conseil
mondial de la Paix" (C.M.P.) comprenant 224 membres à l'origine. Dans
son sein, on choisit un bureau de 27 membres, présidé par le professeur
Joliot-Curie.

    Le bureau du C.M.P. se réunit une ou deux fois par année. En
particulier, il expédie les affaires courantes et arrête l'ordre du jour
des réunions du C.M.P. Chaque mouvement national de la paix contribue aux
frais du C.M.P. par le paiement d'une cotisation fixée en tenant compte du
nombre de signatures recueillies pour l'appel de Stockholm en faveur de la
paix. Le C.M.P. dispose d'un secrétariat permanent, qui a eu son siège à
Paris jusqu'en 1951. Par arrêté du 5 avril 1951, le Ministre français de
l'Intérieur prononça la dissolution de l'"Association du Comité du Congrès
mondial des Partisans de la Paix". Aussi le secrétariat du C.M.P. fut-il
transféré à Prague, puis à Vienne. Un recours au Conseil d'Etat est
actuellement pendant contre l'arrêté du Ministre de l'Intérieur.>

    A.2.- a) André Bonnard, né en 1888, est professeur à l'université
de Lausanne. Helléniste connu, il est notamment l'auteur de traductions
appréciées.

    Il s'intéresse depuis longtemps à la politique. Sans être membre
d'un parti, il se rattache à l'extrême gauche. Dès que fut lancée la
campagne pour la défense de la paix, il y prit une part active. En 1949,
il assista au congrès de Paris et présenta la déclaration commune des
29 délégués suisses. Il fut élu membre du Comité du Congrès mondial des
Partisans de la Paix. Lorsqu'un mouvement national suisse fut créé, il
en assuma la présidence. Depuis 1950, il fait partie du Comité mondial
de la Paix, où il est le seul représentant du mouvement suisse.

    b) Charles Affolter, né en 1922, est un militant communiste. Il a
participé en 1949 au congrès de Paris, où il a fait la connaissance
d'André Bonnard. Par la suite, il fut nommé secrétaire du Mouvement
national suisse pour la paix.

    c) Fanny Grether, née en 1888, est également communiste.  N'ayant pas
d'enfant, elle s'est consacrée à de nombreuses oeuvres charitables. En
particulier, elle est secrétaire du Comité suisse d'aide à la Grèce
démocratique et elle s'occupe de l'envoi de colis et de secours aux
prisonniers et internés politiques grecs. Elle procède à ces envois par
l'intermédiaire du Comité international de la Croix-Rouge (C.I.C.R.), avec
lequel elle a des contacts suivis. Elle est membre cotisant du Mouvement
national suisse pour la paix, mais elle ne s'y intéresse pas activement.

    A.3.- a) En février 1952, les autorités nord-coréennes prétendirent
que les Américains avaient répandu en Corée du Nord des microbes de peste,
de choléra, de typhus et d'autres maladies contagieuses. Le 11 mars,
le Gouvernement des Etats-Unis informa le C.I.C.R. qu'il contestait
avoir employé l'arme bactériologique en Corée et il lui demanda de
faire une enquête sur les causes réelles des épidémies constatées. Le
C.I.C.R. adressa aux deux parties en conflit un message indiquant à quelles
conditions il acceptait d'assumer la direction d'une commission d'enquête.
Il ne reçut aucune réponse du Gouvernement nordcoréen et du commandant des
volontaires chinois. Aussi décida-t-il de suspendre les préparatifs qu'il
avait commencés à toutes fins utiles. A la même époque, il fut violemment
attaqué par Radio-Pékin. D'autre part, en mars 1952, le délégué russe à
l'O.N.U., M. Malik, repoussa, à la Commission de désarmement des Nations
Unies, une proposition tendante à charger le C.I.C.R. d'une enquête sur
l'emploi d'armes microbiennes en Corée; il maintint son refus devant le
Conseil de sécurité, en juillet de la même année.

    b) Le C.M.P. avait également été saisi de la question de
l'emploi d'armes bactériologiques en Corée. Le 25 février 1952, un
de ses vice-présidents, M. Kuo Mo Jo, président du Comité du peuple
chinois pour la défense de la paix, avait adressé à M. Joliot-Curie un
télégramme dénonçant la diffusion de microbes par les Américains. Le
bureau du C.M.P. se réunit à Oslo du 29 mars au 1er avril. Il entendit
des délégués chinois et nord-coréens, parmi lesquels M. Kuo Mo Jo, qui
déclara que le C.I.C.R. n'était pas assez indépendant pour faire sur
place une enquête impartiale. Aussi le bureau du C.M.P. décida-t-il de
constituer luimême une commission d'enquête internationale.

    D'autre part, le Mouvement français des partisans de la paix a créé
une petite commission chargée de réunir des renseignements sur l'emploi de
l'arme microbienne. En juillet 1952, elle a publié une brochure intitulée
"Documents sur la guerre biologique contre la Corée et la Chine".

    B.1.- a) En mai 1952, André Bonnard reçut la lettre suivante de Roger
Mayer, secrétaire de Frédéric Joliot-Curie:

    "Cher Monsieur Bonnard,

    Nous aurions besoin de renseignements précis concernant certaines
personnalités dirigeantes du Comité International de la Croix-Rouge,
en vue d'une publication.

    M. Frédéric Joliot-Curie m'a prié de m'adresser à vous, de sa part,
pour ces renseignements.>

    1) Nous aimerions avoir une indication tirée d'un document officiel,
public, du Comité International de la Croix-Rouge du caractère privé et
du caractère purement suisse du C.I.C.R.

    2) Nous aurions besoin d'avoir la liste des personnalités suisses
constituant le C.I.C.R. avec les qualités de ces personnalités, y compris
avec les responsabilités que ces personnalités peuvent avoir en dehors du
plan officiel, gouvernemental ou universitaire avec le monde du commerce
et de l'industrie.

    Là aussi, si c'était possible, il serait très nécessaire d'avoir, au
sujet de chacun de ces renseignements, une mention de la source d'où sont
puisés ces renseignements (documents du C.I.C.R., annuaires commerciaux,
etc. ... ).

    3) Ne pourrait-on trouver dans un document du C.I.C.R. une indication
sur les ressources de la Croix-Rouge avec la proportion, que nous savons
importante, des ressources qui proviennent du monde anglo-saxon.

    Vous savez vous-même quelle importance il y a lorsqu'on peut publier
des renseignements à pouvoir mentionner la source d'où ils sont tirés.

    Par exemple, M. Joliot a appris par la presse que le président
honoraire du Comité international de la Croix-Rouge, Max Huber,
appartient à une famille qui possède en grande partie les actions de la
société Aluminium-Industrie; Max Huber a été lui-même président de cette
société et est membre de son conseil d'administration, ainsi que d'autres
sociétés (Société suisse de réassurances, Société générale européenne de
réassurances, etc.).

    Paul Ruegger, président du Comité, est membre du conseil
d'administration de la Société suisse d'assurance contre les accidents.

    M. Martin Bodmer-Naville serait étroitement lié avec un dirigeant
important de la finance allemande, Hans von Schultess-Rechberg, président
ou membre de onze conseils d'administration de sociétés par actions
en Suisse.

    Mais, tout en étant assurés de la précision de ces qualités de certains
membres du C.I.C.R., il serait tout à fait indispensable d'être capables
de donner une source ...

    ... vous comprendrez combien ces renseignements seraient importants à
l'heure actuelle pour toute l'action engagée, particulièrement à propos de
l'utilisation de l'arme biologique en Corée, et il serait très utile si
vous aviez la possibilité vous-même et par l'intermédiaire de vos amis,
en Suisse, de donner, par les moyens les plus rapides (lettre express,
etc. ... ), ces indications ..."

    André Bonnard envoya cette lettre à Charles Affolter, après l'avoir
prié par téléphone de faire le nécessaire pour donner satisfaction à
Roger Mayer. Affolter eut recours à Fanny Grether, à qui il demanda de
lui procurer les renseignements en question.

    Fanny Grether s'adressa au chef de la section des secours du C.I.C.R.,
M. Charles Ammann. Celui-ci lui donna les indications qu'elle désirait
sur le statut du C.I.C.R., son but, ses droits, ses finances et sur
les conventions internationales qui sont la base de son activité. Elle
consigna ces renseignements dans une note qu'elle transmit à André Bonnard.

    D'autre part, elle établit un rapport sur les membres du C.I.C.R. et
sur certains hauts fonctionnaires de cet organisme. Ce rapport contenait
notamment les indications suivantes:

    "Max Huber, Président d'honneur du C.I.C.R. et ancien président du
C.I.C.R., ancien président de l'Aluminium industrie et de Maschinenfabrik
Oerlikon. Ces deux dernières entreprises ont gagné et gagnent encore
des sommes considérables dans les industries de guerre. Il a souvent été
reproché à Max Huber de s'enrichir dans les industries de guerre et d'avoir
l'air de panser les plaies de ce fléau en s'occupant du C.I.C.R. Max Huber,
tout puissant au C.I.C.R., en a fait un instrument du grand capitalisme
international (ces faits sont de notoriété publique).

    Karl Burkhardt, Ancien Ministre de Suisse à Paris, administrateur
de la Cie d'Assurance La Zurich, administrateur de la Société de Banque
Suisse. Connu pour sa politique ultra-réactionnaire. A favorisé les
menées hitlériennes durant la dernière guerre mondiale (faits de notoriété
publique) connu par les listes de membres des conseils d'administration.

    Ernest Gloor, Docteur en médecine à Renens (Vaud). Au lendemain
de la deuxième guerre mondiale, le C.I.C.R., compromis par sa politique
farouchement anti-soviétique orientée par Huber et Burkhardt, fit semblant
de vouloir faire peau neuve. C'est alors que le Dr Gloor fut désigné
comme nouveau membre du C.I.C.R. dans le comité, puis par la suite devint
vice-président. Le Dr Gloor fut exclu du Conseil national le 11 juin 1941,
étant considéré comme homme de gauche parce que membre de la fédération
socialiste suisse interdite. Peu après, le Dr Gloor quittait le mouvement
illégal et se retirait de la politique. Médecin sans fortune, il va sans
dire que le Dr Gloor ne saurait donner au C.I.C.R. une autre orientation
politique que celle voulue par le monde capitaliste ... (notoriété
publique).

    Paul Carry, Dr en droit, fut également désigné en 1945 pour donner une
allure plus populaire au C.I.C.R. Professeur à l'Université de Genève et
membre du parti catholique chrétien-social, dont il fut député au Grand
Conseil de Genève. Ne possède pas de fortune et n'est pas considéré comme
appartenant au grand capitalisme, qu'il se contente d'assister de ses
conseils (notoriété publique).

    Claude Du Pasquier, Dr en droit, membre en vue de l'aristocratie
de Neuchâtel, un peu dépourvu de grands capitaux. Libéral conservateur,
professeur aux Universités de Genève et Neuchâtel. Désigné comme membre
du C.I.C.R. pour les mêmes raisons que le Dr Gloor et l'avocat Carry. Le
Col. Du Pasquier gagne sa vie en travaillant, ce qui donne une allure plus
populaire au C.I.C.R. qui, avant la deuxième guerre mondiale, recrutait
ses membres dans le monde des grandes affaires et de la finance. Le
C.I.C.R. avec ses relations à l'étranger favorisait leurs affaires. Claude
Du Pasquier est cependant connu pour ses idées très réactionnaires. Le
ministère public le charge en 1932 d'instruire le procès de l'affaire
du 9 novembre à Genève. Dans ses conclusions, il soutint le fasciste
G. Oltramare contre la classe ouvrière de Genève (notoriété publique).

    Rodolphe Olgiati s'est fait connaître pendant la guerre d'Espagne
capitaliste. Ancien quaker, a soutenu le régime franquiste contre les
républicains. Depuis resta au service des oeuvres suisses de secours
officielles, Don Suisse, etc. Il en connaît à fond la structure et sait
comment il faut les utiliser pour que le régime en tire un profit de
consolidation. Type du fonctionnaire sans principes et sans scrupules
pourvu que cela serve sa situation. Homme de confiance du Fédéral,
applique les décisions de ce dernier dans la question des secours. Membre
du C.I.C.R. depuis 1949 (notoriété publique).

    Edouard Chapuisat fait partie du C.I.C.R. depuis 1938.  Ancien
directeur du "Journal de Genève", homme sans énergie, sans grande
capacité. Membre du parti national conservateur ...

    Fred. Siordet, avocat, joue au C.I.C.R. le rôle de conseiller
juridique, très bourgeois, met son savoir au service de la réaction. dévoué
aux ordres de la grande direction.

    Paul Ruegger, membre du C.I.C.R. depuis 1948, fut certainement choisi
comme président en raison du rôle qu'il sut jouer comme ministre de Suisse
en Italie puis en Grande-Bretagne. Paul Ruegger forme avec Olgiati le
trait d'union entre le C.I.C.R. et ses actions et le Conseil fédéral et
ses décisions. Spécialement attaché à M. Petitpierre, Conseiller fédéral
pour les affaires étrangères.

    Martin Bodmer, ... possédant une grosse fortune, s'occupe du Crédit
suisse et d'Assurances, type du réactionnaire bourgeois. Homme influent
au C.I.C.R.

    Alec Cramer, ... esprit vieux conservateur ...

    Lucie Odier, des infirmières visiteuses suit le mouvement général
imprimé et dirigé par les vrais maîtres du C.I.C.R., c'est-à-dire par le
monde capitaliste ..."

    Ce rapport donnait encore des indications sur Edmond Grasset et Alfredo
Vannotti, qui appartiendraient au "monde bourgeois", sur R. de Traz,
dépeint comme un "esprit très bourgeois", sur R. Gallopin, J. S. Pictet,
Ed. de Bondeli, qui seraient "des hommes de la finance ... d'appartenance
bourgeoise", ainsi que sur Henri Guisan et Léopold Boissier. Fanny Grether
concluait son rapport en ces termes:

    "En résumé, aucun des membres élus depuis 1945 et depuis n'ont
pu changer en quoi que ce soit l'orientation générale de conservation
du régime capitaliste du C.I.C.R., organisation à caractère privé et
uniquement suisse.

    Parmi les fonctionnaires et employés au C.I.C.R. l'on trouve des
personnes très compréhensives qui sont souvent en lutte avec la direction
pour des questions de secours."

    Fanny Grether remit ce rapport à Affolter, qui le fit parvenir à
Bonnard. Le 27 mai 1952, celui-ci l'envoya à Roger Mayer, en même temps
que la notice sur le C.I.C.R. qu'il avait déjà reçue de Fanny Grether.

    b) Ayant constaté que les renseignements fournis par Fanny Grether
étaient insuffisants et mal documentés, Bonnard s'efforça de les
compléter. Avec l'aide de Jean Stroun et de Philippe Kocher, il dressa
des fiches sur von Schulthess-Rechberg, Edmond Grasset, Frédéric Siordet,
Ernest Gloor, Alfredo Vannotti, Martin Bodmer, Léopold Boissier, Henri
Guisan, Claude Du Pasquier, René van Berchem, Alec Cramer, Carl Burckhardt,
Paul Ruegger, Max Huber, Paul Carry et Edouard de Bondeli. Ces fiches
indiquaient notamment le curriculum vitae des intéressés, leurs liens
de parenté avec des personnes appartenant aux milieux capitalistes
et les conseils d'administration dont ils faisaient partie. Tous ces
renseignements furent tirés de "Who's who in Switzerland", du "Manuel des
Bourses Suisses", de deux ouvrages de Pollux intitulés "Elektrizität"
et "La féerie des assurances", de la revue "Socialisme", de la "Revue
internationale de la Croix-Rouge", du "Bulletin international des sociétés
de la Croix-Rouge" et du "Manuel de la Croix-Rouge internationale". En
outre, Bonnard rédigea, avec l'aide de Stroun, une notice sur les "familles
genevoises de la finance", tirée des mêmes sources. Philippe Kocher
établit d'autre part un rapport succinct sur le sort des prisonniers de
guerre en Corée, ainsi qu'un extrait des statuts du C.I.C.R. De plus, il
rédigea une note sur les ressources de la Croix-Rouge, en se fondant sur
le "Bulletin international des sociétés de la Croix-Rouge"; dans cette
pièce, il relevait que, d'après des renseignements obtenus de Cécile
Wuarin, le C.I.C.R. avait reçu pendant la guerre dix millions de francs
du Gouvernement japonais et plusieurs millions du Gouvernement allemand.

    Tous ces documents ont été envoyés à Paris le 23 juin 1952.

    c) Les renseignements fournis par André Bonnard ont été utilisés
notamment par la commission constituée par le Mouvement français des
partisans de la paix. Elle en a publié une partie dans sa brochure
"Documents sur la guerre biologique contre la Corée et la Chine".

    B.2.- a) En juin 1952, le C.M.P. fut convoqué à Berlin-Est pour une
session extraordinaire, qui devait se tenir du 1er au 5 juillet. L'ordre
du jour était le suivant:

    1.- Solution pacifique du problème allemand et japonais;

    2.- Cessation immédiate de la guerre de Corée;

    3.- La course aux armements et la lutte pour le Pacte de Paix.

    André Bonnard reçut une convocation en sa qualité de membre du
C.M.P. et il voulut se renseigner sur les questions qui devaient être
discutées à Berlin. Le 15 juin 1952, il écrivit au journaliste Hugo
Kramer pour l'informer qu'il allait se rendre à une session du C.M.P.,
que le principal problème mis à l'ordre du jour était la lutte contre le
réarmement de l'Allemagne et qu'il aurait "sans doute à exprimer l'opinion
du peuple suisse". Aussi lui demandait-il quelque documentation sur cette
question. Par lettre du 17 juin, Kramer exposa quelle était l'opinion
des milieux suisses au sujet du réarmement de l'Allemagne. Par la suite,
Bonnard demanda encore à son correspondant diverses précisions.

    Pour compléter ses informations, André Bonnard eut une entrevue
avec Michel Buenzod et il prit à cette occasion différentes notes sur
le réarmement de l'Allemagne et la participation de la Suisse à l'Union
européenne de paiements.

    b) Fouillé à Zurich le 30 juin 1952, au moment où il allait prendre
l'avion pour Berlin-Est, André Bonnard fut trouvé porteur de nombreux
documents. Certains concernaient le C.I.C.R. et ses membres; d'autres
avaient trait au réarmement de l'Allemagne et à la participation de la
Confédération à l'Union européenne de paiements et exposaient quels
étaient, sur ces deux problèmes, l'opinion publique suisse et l'avis
des milieux dirigeants de la Confédération. Bonnard emportait notamment
un libelle multigraphié intitulé "Les problèmes de la Croix-Rouge",
des duplicata des rapports qu'il avait envoyés à Paris le 27 mai 1952,
des copies des notices établies au sujet de Paul Ruegger, de Max Huber
et des "familles genevoises de la finance", ainsi que le brouillon
d'un début de discours ou d'intervention, où il exposait qu'après
avoir longtemps respecté le C.I.C.R. "par une sorte d'à priori non
contrôlé", il était arrivé à la conviction, ayant fait une enquête,
que les Gouvernements chinois et coréens avaient eu pleinement raison
de refuser leur confiance à cet organisme. Concernant le réarmement de
l'Allemagne et l'Union européenne de paiements, André Bonnard avait
une documentation comprenant en particulier trois lettres de Kramer,
des articles de journaux et de revues suisses, les messages du Conseil
fédéral concernant la participation de la Suisse à l'Union européenne
de paiements et une notice tendante à démontrer que "la Suisse finance
à fonds perdus le réarmement de l'Europe occidentale" et "assure dans ce
rôle de bailleur de fonds la relève des USA ...".

    Tous ces documents furent séquestrés. André Bonnard renonça à
poursuivre son voyage vers Berlin et rentra immédiatement à Lausanne. Y

    C.1.- Le 15 juillet 1952, le Conseil fédéral décida de déférer
l'instruction et le jugement de la cause à la juridiction fédérale. Se
fondant sur cette décision, le Procureur général de la Confédération
requit l'ouverture d'une instruction préparatoire. Celle-ci fut close le
22 avril 1953.>

    Le 11 décembre 1953, le Ministère public fédéral remit l'acte
d'accusation à la Chambre d'accusation du Tribunal fédéral. Il y
accuse André Bonnard, Charles Affolter et Fanny Grether de service de
renseignements politiques (art. 272 CP).

    Par décision du 14 janvier 1954, la Chambre d'accusation du Tribunal
fédéral a renvoyé Bonnard, Affolter et Fanny Grether devant la Cour
pénale fédérale pour y répondre des infractions retenues à leur charge
par l'acte d'accusation.

    C.2.- Aux débats, le représentant du Ministère public fédéral a requis
trois mois d'emprisonnement contre Bonnard et quinze jours d'emprisonnement
contre Affolter. Il a conclu à l'acquittement de Fanny Grether. Quant aux
frais de la cause, il a proposé de les mettre à la charge des accusés à
raison de 5/8 pour Bonnard, 2/8 pour Affolter et 1/8 pour Fanny Grether.

    Par l'organe de leurs défenseurs, les accusés ont conclu à leur
acquittement. Subsidiairement, Bonnard et Affolter ont demandé qu'on les
mît au bénéfice des art. 19, 20, 64 et 66 CP et que, en cas de condamnation
à une peine privative de liberté, on leur accordât le sursis.

Auszug aus den Erwägungen:

                      Considérant en droit:

Erwägung 1

    1.- L'art. 272 ch. 1 CP punit d'emprisonnement celui qui, dans
l'intérêt d'un Etat étranger, ou d'un parti étranger ou d'une autre
organisation de l'étranger, et au préjudice de la Suisse ou de ses
ressortissants, habitants ou organismes, aura pratiqué ou organisé un
service de renseignements politiques, engagé autrui pour un tel service
ou favorisé de tels agissements.

    Selon la jurisprudence, les éléments constitutifs du délit sont
réunis objectivement aussitôt que le comportement incriminé forme un des
anneaux de la chaîne des faits qui composent l'organisation ou la pratique
d'un service prohibé de renseignements; l'art. 272 CP vise tout acte,
fût-il isolé, qui constitue une surveillance ou encore une prise ou une
transmission de renseignements (RO 66 I 110; cf. également le message du
Conseil fédéral du 29 avril 1935, FF 1935 p. 748).

    Cependant, les renseignements doivent se rapporter à des faits qui ne
sont pas généralement connus, qu'on ne peut donc apprendre qu'en se livrant
à des investigations; ils ne tombent pas sous le coup de l'art. 272 CO
s'ils concernent des faits notoires, que, par exemple, l'étranger peut
connaître sans difficulté par la presse ou d'autres publications (RO 61
I 412 consid. 1a, jugement Bodmer du 20 novembre 1939 p. 9, arrêt Amsler
du 11 janvier 1946 p. 6).

Erwägung 2

    2.- Au sujet des renseignements envoyés à Paris, les accusés Bonnard
et Affolter soutiennent que Roger Mayer leur a simplement demandé des
indications précises tirées de sources officielles ou de publications;
ils en concluent que le professeur Joliot-Curie ne désirait que des
renseignements portant sur des faits notoires. Mais cela importe peu. Ce
qui est décisif, c'est la nature des indications qu'ils ont effectivement
fournies, même s'ils ont agi de leur propre initiative ou s'ils ont
outrepassé le mandat dont ils étaient chargés (cf. RO 66 I 112 consid. 4
i.f., arrêt Karcher du 21 avril 1943 consid. 3 et jugement Davis du 16
octobre 1951 consid. 3).

    En l'espèce, il faut distinguer trois catégories dans les
renseignements envoyés à Paris: ceux qui ont fait l'objet du premier
envoi de Fanny Grether, ceux qu'elle a consignés dans son rapport sur les
membres du C.I.C.R., enfin ceux que Bonnard a adressés à Roger Mayer le
23 juin 1952.

Erwägung 3

    3.- La première notice de Fanny Grether donnait des indications
sur le statut, le but, les droits et les ressources pécuniaires du
C.I.C.R. Il s'agit là de renseignements que chacun peut se procurer, même
à l'étranger, en consultant les publications du C.I.C.R., notamment le
"Manuel de la Croix-Rouge internationale" et la "Revue internationale de
la Croix-Rouge". Ainsi, les indications consignées par Fanny Grether dans
sa première notice portaient sur des faits notoires, de sorte qu'elles
ne sont pas frappées par la loi pénale.

Erwägung 4

    4.- En revanche, toutes les conditions exigées par l'art. 272 CP sont
remplies en ce qui concerne les renseignements contenus dans le second
rapport de Fanny Grether.

    a) Une grande partie des renseignements qu'elle fournit dans ce
document ont un caractère politique. C'est le cas de ceux qui ont trait
aux tendances générales du C.I.C.R. et aux convictions politiques de
ses membres ou de ses fonctionnaires. Il en est de même des indications
données sur l'esprit prétendument capitaliste de certains membres du
C.I.C.R. En effet, il importe peu que le terme de capitaliste n'ait
pas une signification politique d'après les conceptions suisses. Ce
qui est déterminant, c'est le sens qu'il avait pour les destinataires
des renseignements (cf. jugement Bodmer du 20 novembre 1939 p. 25, arrêt
Amsler du 11 janvier 1946 p. 5). Or, selon la terminologie dont ils usent,
le capitalisme n'est pas seulement un système économique mais surtout
une doctrine politique opposée au marxisme et au communisme. On doit donc
considérer en particulier que les renseignements suivants sont politiques:

    Max Huber, tout-puissant au C.I.C.R., en aurait fait un instrument
du grand capitalisme international;

    Carl Burckhardt serait un politicien ultra-réactionnaire et aurait
favorisé les menées hitlériennes durant la dernière guerre mondiale;

    la politique farouchement anti-soviétique de la Croix-Rouge serait
orientée par Huber et Burckhardt;

    Paul Carry, du parti chrétien-social, assisterait le grand capitalisme
de ses conseils;

    Claude Du Pasquier serait très réactionnaire et, comme juge
d'instruction fédéral, aurait en 1932 soutenu le fasciste Oltramare contre
la classe ouvrière de Genève; Rodolfo Olgiati serait particulièrement
dévoué au régime capitaliste et se serait fait connaître comme tel pendant
la guerre d'Espagne. Il aurait soutenu le régime franquiste contre les
républicains. Fonctionnaire sans principes et sans scrupules, pourvu que
cela serve sa situation, il serait l'homme de confiance du Conseil fédéral,
dont il appliquerait les décisions en matière de secours;

    Martin Bodmer serait le type du réactionnaire bourgeois;

    Alec Cramer serait un esprit vieux-conservateur;

    l'orientation générale du C.I.C.R. serait la conservation du régime
capitaliste;

    les employés et fonctionnaires du C.I.C.R. qui sont compréhensifs
seraient souvent en lutte avec la direction pour les questions de secours.

    Certes, la plupart de ces indications sont fausses ou
tendancieuses. Mais la valeur du renseignement est indifférente au regard
de l'art. 272 CP. Il se peut même que l'indication fournie soit d'autant
plus répréhensible qu'elle est controuvée (RO 65 I 334, 71 IV 218, 74
IV 103).

    D'autre part, les accusés prétendent que tous les faits signalés
étaient de notoriété publique. Cet argument n'est pas fondé. La plupart des
renseignements politiques fournis par Fanny Grether reposent au contraire
sur des impressions personnelles ou des rapports malveillants; ceux qu'on
peut considérer comme les plus connus expriment simplement l'opinion de
certains milieux marxistes de Genève. Les accusés relèvent cependant que,
dans son numéro du 4 février 1945, l'hebdomadaire allemand "Das Reich" a
publié un article élogieux sur M. Carl Burckhardt et qu'à cette occasion la
"Voix ouvrière", organe communiste genevois, a attaqué MM. Carl Burckhardt
et Max Huber ainsi que le C.I.C.R. Mais il s'agit là de publications déjà
anciennes, qui étaient tombées dans l'oubli en 1952, à telles enseignes
que Fanny Grether elle-même ne s'en souvenait plus. Du reste, la "Voix
ouvrière" ne contenait pas des affirmations aussi précises que celles que
Fanny Grether a insérées dans son libelle. On ne saurait donc admettre
que les renseignements politiques fournis par cette dernière dans son
second rapport aient porté sur des faits qui étaient notoires en 1952.

    b) Aux termes de l'art. 272 CP, le service de renseignements
n'est punissable que s'il est pratiqué dans l'intérêt d'un Etat,
d'un parti ou d'une autre organisation de l'étranger. Les accusés
soulignent que l'art. 272 CP par le d'organisation de l'étranger
tandis que l'art. 266bis CP réprime certains rapports entretenus avec
des organisations à l'étranger; ils concluent de cette divergence que,
selon l'art. 272 CP, il ne suffit pas que l'organisme auquel sont destinés
les renseignements ait son siège hors de Suisse; il faut, disent-ils,
qu'il ait des rapports étroits avec un Etat étranger. Cette thèse est
erronée. Si l'art. 266bis par le d'"organisations à l'étranger", c'est
que, à l'encontre de l'art. 272, il vise également les organismes formés
par des Suisses et ayant leur siège à l'étranger (cf. message du Conseil
fédéral du 20 juin 1949, FF 1949 I p. 1244).

    En l'espèce, les renseignements fournis par les accusés n'étaient pas
destinés à Frédéric Joliot-Curie personnellement mais au C.M.P. et aux
mouvements nationaux, en particulier au Mouvement français des partisans de
la paix. C'est en effet ce dernier qui les a utilisés dans une publication.

    Or le Mouvement français des partisans de la paix est une organisation
de l'étranger. Il est indifférent qu'il n'ait pas de statuts. Une pluralité
de personnes luttant de concert en vue d'un but commun forme, même sans
être constituée juridiquement, une organisation au sens de l'art. 272 CP
(cf. jugement Davis du 16 octobre 1951, p. 10). On pourrait se demander
toutefois s'il ne doit pas s'agir d'un organisme politique ou poursuivant
certains buts politiques. Mais il n'est pas nécessaire de résoudre cette
question, car la condition qu'impliquerait une réponse affirmative
est remplie en l'occurrence. Les accusés, de même que les membres du
C.M.P. entendus comme témoins, ont admis que, pour atteindre leurs buts,
le Mouvement mondial de la paix et les mouvements nationaux se servaient de
moyens politiques. En l'espèce, notamment, les renseignements procurés par
les accusés devaient démontrer que le C.I.C.R. n'avait pas l'impartialité
politique requise pour diriger une enquête neutre sur l'emploi de l'arme
microbienne en Corée.

    Le Conseil mondial de la paix est également une organisation. Comme
les mouvements nationaux, il est constitué par une pluralité de personnes
qui veulent atteindre un but commun. Du reste, bien qu'il n'ait pas de
statuts, il est organisé: il a ses ressources propres, il a créé un bureau
et il dispose d'un secrétariat permanent. Les accusés soutiennent qu'étant
international, il ne peut être une "organisation de l'étranger" au sens de
l'art. 272 CP. Cet argument n'est pas fondé. Il ressort au contraire des
travaux préparatoires (cf. message du Conseil fédéral du 20 juin 1949, FF
1949 I p. 1245) que, par cette expression, on a également voulu viser les
organismes internationaux. D'autre part, la présence d'un ressortissant
suisse au sein du C.M.P. ne saurait enlever à ce dernier son caractère
d'organisation étrangère. Les Suisses ne jouent qu'un rôle infime dans le
Mouvement mondial de la paix. André Bonnard est le seul Suisse qui fasse
partie du C.M.P., composé de plus de 200 personnes. Aucun n'est membre du
bureau ou du secrétariat permanent. D'autre part, bien que le C.M.P. se
prétende neutre et impartial, il s'inspire d'une tendance politique
nettement déterminée. Il suffit de lire les comptes rendus des congrès
de Paris et de Varsovie pour se convaincre que, d'après l'opinion quasi
unanime des participants, la politique de l'U.R.S.S. et des démocraties
populaires serait purement pacifique tandis que celle des U.SA et des
Nations Unies menacerait la paix mondiale. Il est significatif à cet
égard que le secrétariat permanent n'ait plus été toléré par le Ministère
français de l'Intérieur, qu'un grand nombre de délégués au congrès de
Paris n'aient pas été admis en France et que le deuxième congrès du
Mouvement mondial de la paix n'ait pu se tenir en Angleterre, faute
des autorisations nécessaires. Prenant parti dans le conflit latent qui
oppose actuellement le monde communiste aux U.SA et à leurs alliés, le
C.M.P. a une tendance politique étrangère à la Suisse, traditionnellement
neutre. Aussi doit-il être considéré comme une organisation de l'étranger
visée par l'art. 272 CP.

    Les accusés allèguent cependant que les indications qu'ils ont fournies
étaient destinées à des publications, de sorte qu'elles ne tomberaient pas
sous le coup de la loi pénale. Effectivement, les journalistes publient
chaque jour des nouvelles militaires, politiques ou économiques, sans qu'on
songe à les accuser d'espionnage. Mais ce qui distingue le journalisme
licite de l'espionnage, c'est la destination des informations. Dans le
premier cas, elles servent simplement à renseigner l'opinion publique. En
revanche, la recherche et la transmission de telles indications constituent
un service de renseignements illicite lorsqu'elles sont rassemblées dans
l'intérêt d'un Etat ou d'une organisation étrangère, qui peuvent en tirer
profit pour atteindre les buts qu'ils poursuivent (cf. jugements von Lama
du 3 novembre 1917 et Roessler du 5 novembre 1953 consid. 4). En l'espèce,
on se trouve en présence de ce dernier cas. Les renseignements fournis
par les accusés devaient non seulement instruire l'opinion publique sur
le C.I.C.R., mais surtout justifier l'attitude des Nord-Coréens envers
cet organisme.

    c) Enfin, pour tomber sous le coup de l'art. 272 CP, les renseignements
doivent être fournis au préjudice de la Suisse ou de ses ressortissants,
habitants ou organismes. Selon la jurisprudence (RO 74 IV 203 et les
références, jugements Davis du 16 octobre 1951 consid. 4 et Roessler du
5 novembre 1953 consid. 5), les termes "au préjudice" ne supposent pas
un dommage subi soit par la Confédération soit par une personne ou un
organisme déterminé; cette expression signifie simplement que le service
de renseignements doit être dirigé contre la Suisse, ses ressortissants,
habitants ou organismes et non contre un Etat étranger ou des étrangers
demeurant hors de Suisse.

    En l'espèce, toutes les personnes visées par le rapport de Fanny
Grether sont des citoyens suisses. D'autre part, le C.I.C.R. a son
siège sur le territoire de la Confédération et tous ses membres sont de
nationalité suisse. Il est donc un organisme suisse, encore qu'il porte
le nom de "Comité international" en raison de son champ d'activité.

    Ainsi, tous les éléments objectifs de l'art. 272 CP sont réunis.

    d) Subjectivement, l'auteur n'est punissable que s'il a agi
intentionnellement (art. 18 CP). Les accusés nient que cette condition
soit remplie en l'espèce, car ils ne se seraient pas rendu compte qu'ils
commettaient un acte illicite. Mais ils perdent de vue que la conscience
de l'illicéité ou simplement du caractère répréhensible de l'acte n'est
pas un élément essentiel de l'intention (RO 70 IV 98, 75 IV 29, 43, 82
et 152). Pour qu'on doive admettre l'intention dans le cas de l'art. 272
CP, il suffit que l'auteur ait su qu'il fournissait des renseignements
politiques à un Etat, un parti ou une autre organisation de l'étranger, au
préjudice de la Suisse ou de ses ressortissants, habitants ou organismes,
et qu'il ait voulu agir ainsi. Le défaut de conscience de l'illicéité
de l'acte ne peut être retenu qu'en vertu de l'art. 20 CP, lorsque les
conditions exigées par cette disposition sont remplies.

    aa) André Bonnard s'est évidemment rendu compte qu'il donnait
des renseignements sur des citoyens et un organisme suisses. Il
n'a pu se méprendre sur le caractère politique des indications qu'il
transmettait. Il prétend cependant qu'il n'a pas été conscient de fournir
des renseignements à une organisation étrangère et qu'il a cru que ces
informations étaient réservées au professeur Joliot-Curie. Cet argument
ne saurait être retenu. Bonnard connaissait la situation dirigeante de
Frédéric Joliot-Curie dans le Mouvement mondial de la paix; il devait
donc se rendre compte que les indications demandées étaient destinées au
C.M.P. et aux mouvements nationaux. En particulier, le passage de la lettre
de Mayer où il était question de l'importance de ces renseignements "à
l'heure actuelle pour toute l'action engagée, particulièrement à propos de
l'arme biologique en Corée" ne permettait aucun doute sur ce point. Bonnard
savait en effet que ce n'était par le professeur Joliot-Curie mais le
C.M.P. et les mouvements nationaux qui avaient engagé une action au sujet
de l'emploi de l'arme microbienne par les Américains.

    bb) Il en est de même de Charles Affolter. Il a connu la lettre de
Roger Mayer et pas plus que Bonnard il n'ignorait en quoi consistait
l'"action engagée" et pourquoi les renseignements demandés étaient
importants "à l'heure actuelle".

    cc) En revanche, la situation de Fanny Grether est différente. Cette
accusée ne s'intéresse pas activement au Mouvement mondial de la paix
et il n'est pas établi qu'elle ait eu connaissance de la lettre de Roger
Mayer. Il se peut même qu'elle ait ignoré que les renseignements consignés
dans son second rapport fussent destinés au professeur Joliot-Curie. Elle
soutient en effet - et Affolter le confirme - qu'on ne lui a parlé
de M. Joliot-Curie qu'à propos des premières indications qui lui ont
été demandées. Il n'est donc pas prouvé qu'elle ait su que son second
rapport devait parvenir à une organisation de l'étranger. En tout cas,
il subsiste sur ce point un doute dont elle bénéficie. Aussi doit-elle
être acquittée des chefs de l'accusation.

Erwägung 5

    5.- Quant aux renseignements envoyés à Paris le 23 juin 1952,
   ils étaient - sauf ceux que Kramer avait obtenus de Cécile Wuarin -
tiré-s de publications que chacun pouvait se procurer dans les librairies.
Certaines notices étaient des copies textuelles d'articles de "Who's who
in Switzerland" ou de passages des ouvrages de Pollux et des publications
du C.I.C.R. Seuls, les renseignements puisés dans le "Manuel des Bourses
suisses" ont exigé des recherches systématiques et des recoupements. Mais
ce manuel est un ouvrage public, qu'on peut obtenir à l'étranger. Il
n'était donc pas nécessaire d'être sur place pour s'acquitter de la tâche
qu'ont accomplie Bonnard, Kramer et Stroun. Au surplus, l'accusation n'a
pas établi l'importance des recherches auxquelles Bonnard et ses aides
ont dû se livrer. Dans ces conditions, on doit admettre que toutes les
indications tirées de publications et envoyées à Roger Mayer le 23 juin
1952 portaient sur des faits notoires.

    Il en est de même des indications que Cécile Wuarin a fournies à
Hugo Kramer au sujet des sommes d'argent versées au C.I.C.R. par les
Gouvernements allemand et japonais. Les ressources du C.I.C.R. sont
publiées régulièrement. Les montants versés par l'Allemagne ont
été indiqués dans les rapports de cet organisme (cf. par exemple son
rapport sur son activité pendant la seconde guerre mondiale, vol. I
p. 114/115). De même, le don de dix millions de francs fait par le
Gouvernement japonais a été mentionné notamment dans le "Rapport résumé
sur l'activité du C.I.C.R. du 1er juillet 1947 au 31 décembre 1951"
(p. 17). Aussi doit-on admettre que ces faits étaient notoires, encore
que Bonnard et ses informateurs aient ignoré ces publications en 1952.

    Dès lors, les renseignements envoyés à Paris le 23 juin 1952 ne
tombent pas sous le coup de l'art. 272 CP.

Erwägung 6

    6.- Pour se rendre à la séance du C.M.P. à Berlin-Est, André
Bonnard avait rassemblé une volumineuse documentation, dont la majeure
partie contenait des renseignements politiques sur la Confédération,
ses autorités et certains de ses habitants et organismes. Mais, pour
que cette activité constituât un service de renseignements prohibé, il
aurait fallu que les documents réunis fussent destinés à un Etat, un parti
ou une organisation de l'étranger. On peut se demander en principe si
cette condition est remplie lorsque les informations doivent simplement
servir à une intervention publique devant un congrès ou un organisme
international. Dans ce cas, en effet, les renseignements recueillis sont
destinés surtout à instruire l'opinion et une telle activité se rapproche
du journalisme par son but. Aussi pourrait-on soutenir qu'elle ne tombe
pas sous le coup de l'art. 272 CP et que, dans de telles circonstances,
la souveraineté de la Confédération est protégée suffisamment par les art.
266 et 266bis CP.

    Mais cette question peut rester indécise car, de toute façon,
les éléments subjectifs de l'infraction ne sont pas établis en
l'espèce. Certes, Bonnard aurait probablement pris la parole à
Berlin. Cette intention ressort notamment de la lettre qu'il a écrite
à Kramer le 15 juin 1952 et du projet de discours qu'on a trouvé parmi
les papiers séquestrés. Mais il emportait une documentation importante
qui, dans une notable mesure, portait sur des faits notoires. C'étaient
même ceux-ci qui avaient le plus d'intérêt pour lui car, fondés sur des
documents officiels ou publics, ils auraient donné plus de force à ses
déclarations. Dès lors, comme il ne pouvait citer dans son intervention
tous les renseignements qu'il avait réunis, il se peut qu'il ait eu
l'intention de borner son discours éventuel aux faits puisés dans des
publications. Dans cette hypothèse, qui n'est nullement invraisemblable,
l'élément intentionnel exigé par l'art. 272 CP ferait défaut pour les
renseignements qui, n'étant pas notoires, tombent seuls sous le coup de
la loi pénale. Le doute qui subsiste sur ce point profite à l'accusé.

Erwägung 7

    7.- Ainsi, Fanny Grether doit être acquittée. Quant à Bonnard
et Affolter, ils ne peuvent être reconnus coupables de service de
renseignements prohibé que pour avoir provoqué et transmis à une
organisation étrangère le second rapport rédigé par Fanny Grether.

    8. Les accusés Bonnard et Affolter prétendent cependant qu'ils ont agi
sous l'empire d'une erreur de fait et ils demandent qu'on les mette au
bénéfice de l'art. 19 CP. En effet, disent-ils, ils n'ont voulu fournir
que des renseignements portant sur des faits notoires et ils ont cru que
les indications données par Fanny Grether avaient ce caractère.

    Il est vrai que, dans son rapport, Fanny Grether a indiqué la
notoriété publique comme unique source de ses renseignements. Mais
Bonnard et Affolter n'ont pu s'y tromper. Ils ignoraient eux-mêmes les
faits relatés par leur informatrice et, celle-ci ne mentionnant aucune
publication à l'appui de ses indications, ils ne pouvaient admettre
qu'elles fussent généralement connues. Au surplus, le caractère tendancieux
et partiellement faux du rapport n'a pu leur échapper. Bonnard, en tout
cas, s'en est rendu compte, puisque, de son propre chef, il a réuni des
renseignements mieux documentés. Aussi le moyen que les accusés tirent
de l'art. 19 CP n'est-il pas fondé.

Erwägung 9

    9.- Bonnard et Affolter soutiennent d'autre part qu'ils n'étaient
pas conscients du caractère illicite de leurs actes et ils demandent le
bénéfice de l'art. 20 CP. Mais pour que cette disposition soit applicable,
il ne suffit pas que l'auteur ne se soit pas rendu compte de l'illicéité
de son comportement. Pour qu'il puisse se prévaloir d'une erreur de droit,
il faut, selon l'art. 20 CP, qu'il ait eu des raisons suffisantes de se
croire en droit d'agir. Cette condition n'est pas remplie en l'espèce.
Les accusés n'ont pu invoquer aucun fait qui aurait provoqué leur
prétendue erreur et l'aurait rendue excusable (RO 78 IV 181 et les arrêts
cités). Dès lors, le bénéfice de l'art. 20 CP doit leur être refusé,
sans qu'il soit nécessaire de juger si, comme ils le soutiennent, ils
n'ont pas eu conscience de commettre un acte réprimé par la loi.

Erwägung 10

    10.- a) Quant à la mesure de la peine, les accusés allèguent qu'ils
ont agi dans l'intérêt de la paix mondiale; ils auraient donc obéi à un
motif honorable et devraient bénéficier d'une atténuation de peine en
vertu de l'art. 64 CP.

    Certes, toute action est louable qui sert la cause de la paix. Mais, en
l'espèce, on ne voit pas en quoi le comportement de Bonnard et d'Affolter
pouvait contribuer à la paix mondiale. En dénigrant le C.I.C.R. et ses
membres, ils voulaient simplement justifier le refus qu'il avait essuyé de
la part des Nord-Coréens et démontrer qu'il n'avait pas l'indépendance
requise pour conduire une enquête impartiale sur l'emploi de l'arme
microbienne. Aussi ne sauraientils se prévaloir de l'art. 64 CP.

    b) André Bonnard est le principal responsable du service de
renseignements incriminé. C'est lui qui a reçu le mandat donné par
Roger Mayer, qui l'a accepté et qui s'en est acquitté en mettant en
oeuvre Charles Affolter, aux yeux de qui il jouissait du prestige que
lui conféraient ses titres de professeur d'université et de président du
Mouvement suisse pour la paix. Sa faute est d'autant plus grave qu'il a
accepté de discréditer un organisme qu'il connaissait bien, qu'il avait pu
apprécier à l'occasion des secours envoyés en Grèce et qui, par son action
humanitaire, honore la Suisse à l'étranger. Il faut considérer cependant
que, du point de vue politique, les renseignements fournis avaient fort
peu d'intérêt dans la mesure où ils n'étaient pas notoires. Ils n'ont pu
causer un préjudice sérieux aux personnes visées. D'autre part, l'accusé
n'a pas agi dans son intérêt personnel. Ses antécédents, enfin, parlent
en sa faveur: son casier judiciaire est vierge et il jouit d'une bonne
réputation. Dès lors une peine de 15 jours d'emprisonnement est suffisante
pour sanctionner les actes illicites qu'il a commis.

    Les conditions objectives du sursis sont remplies (art. 41 ch. 1
al. 3 CP). Du point de vue subjectif (ch. 1 al. 2), il a été jugé
maintes fois qu'un amendement durable du condamné dépendait d'abord
de la conscience de sa faute (cf. notamment RO 75 IV 155 consid. 2,
79 IV 161). Or Bonnard n'a pas manifesté le moindre regret. Cependant,
la jurisprudence vise seulement le condamné qui reconnaît le caractère
illicite de son acte. Celui qui prétend avoir eu le droit d'agir comme il
l'a fait adopte un système de défense incompatible avec l'expression de
remords. L'absence de regrets ne lui est par conséquent pas opposable,
à moins que son attitude au procès ne permette de conclure qu'il serait
prêt à recommencer (cf. jugement Schenk du 16 décembre 1952 p. 70). Tel
n'est pas le cas ici. Au contraire, il est permis d'admettre que, la
condamnation prononcée, un retour sur soi-même convaincra Bonnard de ses
torts. Aussi peut-on suspendre conditionnellement l'exécution de la peine.

    c) Charles Affolter n'est intervenu qu'en qualité d'intermédiaire. Il
est donc moins coupable que Bonnard. Comme lui, il a agi par dévouement
pour le C.M.P. D'autre part, ses antécédents sont bons, de même que sa
réputation. Il sied de le condamner à 8 jours d'emprisonnement.

    Il doit être mis au bénéfice du sursis pour les mêmes raisons que
Bonnard.

Erwägung 11

    11.- La Cour peut condamner l'accusé acquitté à payer des frais
   s'il a provoqué l'ouverture de l'instruction par sa faute (art. 173
al. 2 PPF). Cette condition est remplie pour Fanny Grether, ainsi qu'elle
l'admet elle-même. En effet, si ses agissements ne sont pas punissables,
ils n'en sont pas moins répréhensibles. Aussi convient-il de la condamner
à 1/8 des frais et de lui refuser toute indemnité (art. 122 al. 1 et
176 PPF).

    Pour le reste, les frais judiciaires seront à la charge de Bonnard
et d'Affolter.

    Dans les rapports externes, les trois accusés répondront des frais
solidairement, attendu qu'ils ont agi de connivence (art. 172 al. 2 PPF).

Entscheid:

            Par ces motifs, la Cour pénale fédérale,

    Vu les art. 272 ch. 1 CP, 18, 36, 41 et 63 du même code, 172, 173,
176, 245 et 246 PPF, prononce:

    1.- André Bonnard est déclaré coupable de service de renseignements
politiques et il est condamné à 15 jours d'emprisonnement, avec sursis
pendant trois ans.

    2.- Charles Affolter est déclaré coupable de service de renseignements
politiques et il est condamné à 8 jours d'emprisonnement, avec sursis
pendant trois ans.>

    3.- Fanny Grether est acquittée des chefs de l'accusation.

    Il ne lui est pas alloué d'indemnité.

    4.- Les frais de l'enquête, de l'instruction et de la procédure devant
le Tribunal fédéral, y compris un émolument de justice de 500 fr., sont
mis solidairement à la charge des accusés.

    Dans les rapports internes,

    André Bonnard en supportera: 5/8,

    Charles Affolter: 2/8,

    Fanny Grether: 1/8.