Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 139 IV 11



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Urteilskopf

139 IV 11

2. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause Canal+
Distribution SAS, Société d'Edition de Canal Plus, Nagra France SAS et
Nagravision SA contre Ministère public central du canton de Vaud, B. et A.
(recours en matière pénale)
6B_167/2012 du 11 octobre 2012

Regeste

Art. 67 Abs. 1 lit. i und Art. 69 Abs. 1 lit. e URG; Recht, ein zugänglich
gemachtes, gesendetes oder weitergesendetes Werk oder eine solche
Werkdarbietung wahrnehmbar zu machen.
Wer ein Kartenfreigabesystem (cardsharing) betreibt, das die Entschlüsselung
von Fernsehprogrammen ermöglicht, ohne mit dem Sendeunternehmen ein Abonnement
abgeschlossen zu haben, macht die ausgestrahlten Sendungen für seine Benutzer
nicht wahrnehmbar im Sinne von Art. 67 Abs. 1 lit. i und Art. 69 Abs. 1 lit. e
URG (E. 2).

Sachverhalt ab Seite 12

BGE 139 IV 11 S. 12

A. Statuant sur les appels déposés contre un jugement du Tribunal de
l'arrondissement de Lausanne du 30 mai 2011 par Société d'Edition de Canal
Plus, Canal+ Distribution SAS, Nagra France SAS et Nagravision SA, d'une part,
et par A. et B., d'autre part, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal
vaudois a, par jugement du 9 décembre 2011, partiellement admis l'appel des
premières et rejeté celui des seconds. Elle a confirmé la libération de A. et
B. du chef d'accusation d'infraction à la loi fédérale du 9 octobre 1992 sur le
droit d'auteur et les droits voisins (LDA; RS 231.1), mais condamné les
précités pour infraction à la loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la
concurrence déloyale (LCD; RS 241) à des peines pécuniaires de 120
jours-amende, respectivement 60 jours-amende à 30 francs le jour. Elle a par
ailleurs alloué des prétentions civiles.

B. Ce jugement se fonde sur les principaux éléments de fait suivants.

B.a Société d'Edition de Canal Plus et Canal+ Distribution SAS appartiennent au
groupe Canal+ dont les principales activités sont l'édition et la distribution
de chaînes payantes ainsi que la production et la distribution de films et de
programmes de télévision. Société d'Edition de Canal Plus a pour mission
principale l'édition de chaînes généralistes. Elle est présente en Suisse
depuis 1996 via différents téléréseaux et par satellite en analogique, et,
depuis le 1^er octobre 2008, en numérique. Canal+ Distribution SAS a notamment
pour but d'assurer toutes opérations ou prestations se rapportant à la
distribution ou la commercialisation des chaînes Canal+ et Canal Sat, par tout
moyen de diffusion ou support.

B.b Afin de limiter l'accès de ses programmes à ses abonnés, Canal+
Distribution SAS crypte le signal de ses émissions par le biais
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d'un mot de contrôle transmis à une carte à puce fournie à ses clients. Une
fois décrypté par la carte à puce, le mot de contrôle est directement envoyé au
décodeur de l'abonné, ce qui lui permet de visionner les programmes. Les
données sont cryptées par un système développé et commercialisé par Nagravision
SA.

B.c A. a créé l'entreprise C. Sàrl et a ouvert deux magasins faisant commerce
d'antennes et paraboles à Renens et à Fribourg. Entre 2006 et décembre 2007, il
a modifié des appareils décodeurs, notamment de type Dreambox 500 S, afin
qu'ils puissent décoder les chaînes cryptées de Société d'Edition de Canal Plus
sans qu'il soit nécessaire de payer l'abonnement officiel y relatif. Pour ce
faire, il installait sur les décodeurs un programme leur permettant d'accéder,
via une connexion internet, aux codes de décryptage des cartes officielles dont
il était titulaire. Pour bénéficier de ce système, ses clients devaient
souscrire un abonnement de maintenance au prix de 350 francs par an. A. a vendu
entre 200 et 250 appareils modifiés pour un chiffre d'affaires se situant entre
130'000 et 162'000 francs.

B.d B. est l'associé de A. Entre 2006 et décembre 2007, il a vendu des
décodeurs qu'il avait parfois lui-même modifiés et a installé certains d'entre
eux chez des clients.

C. Société d'Edition de Canal Plus, Canal+ Distribution SAS, Nagra France SAS
et Nagravision SA forment un recours en matière pénale contre le jugement du 9
décembre 2011. Elles concluent à ce que A. et B. soient reconnus coupables
d'infraction à la loi sur le droit d'auteur et condamnés à une peine supérieure
à 120 jours-amende à 30 francs le jour, respectivement 60 jours-amende à 30
francs le jour, à ce qu'ils soient reconnus débiteurs à leur égard de la somme
de 136'500 francs, respectivement 5'400 francs, avec intérêts à 5 % dès le 9
décembre 2011 à titre de remise de gain, à ce qu'ils soient reconnus débiteurs
à leur égard de la somme de 20'000 francs chacun avec intérêts à 5 % dès le 9
décembre 2011 à titre de réparation du tort moral et à ce qu'ils soient
condamnés à leur verser la somme de 33'462 francs à titre de dépens pénaux de
deuxième instance.
Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures.

Erwägungen

Extrait des considérants:

2. Les recourantes soutiennent que les intimés se sont rendus coupables
d'infraction aux art. 67 al. 1 let. i et 69 al. 1 let. e LDA en
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faisant voir ou entendre les émissions qu'elles ont produites et diffusées.

2.1

2.1.1 L'art. 67 al. 1 let. i LDA réprime, sur plainte du lésé, le comportement
de quiconque, intentionnellement et sans droit, fait voir ou entendre une
oeuvre diffusée ou retransmise (teneur en vigueur avant le 1^er juillet 2008;
le comportement réprimé s'étend après cette date également à une autre
hypothèse, qui n'est toutefois pas pertinente en l'espèce).
L'art. 67 al. 1 let. i LDA réprime pénalement la violation du droit accordé à
l'auteur par l'art. 10 al. 2 let. f LDA de faire voir ou entendre son oeuvre
(cf. BARRELET/EGLOFF, Le nouveau droit d'auteur, 3^e éd. 2008, n° 4 ad art. 67
LDA; REHBINDER/VIGANÒ, Urheberrechtsgesetz, Kommentar, 3^e éd. 2008, n° 16 ad
art. 67 LDA). Ce droit est parfois appelé droit de réception publique, par
opposition à la réception privée (cf. FRANÇOIS DESSEMONTET, Le droit d'auteur,
1999, n. 236 p. 186; BARRELET/EGLOFF, op. cit., n^os 37 et 38 ad art. 10 LDA,
qui déconseillent toutefois l'utilisation de ce terme). Cette disposition
complète le droit de retransmission en réservant à l'auteur l'exploitation sur
un écran ou par des haut-parleurs des oeuvres diffusées ou retransmises
(DESSEMONTET, op. cit., n. 236 p. 185 s.). La doctrine cite à titre d'exemple
de cas visé par cette disposition celui du restaurateur dont la clientèle peut
voir une émission télévisée, celui du grand magasin qui diffuse de la musique
ou celui du coiffeur qui travaille avec un poste de radio allumé, lesquels
devront requérir une autorisation pour utiliser les oeuvres. Le droit de
l'auteur de faire voir ou entendre des émissions suppose l'absence
d'installation supplémentaire entre le poste récepteur et les utilisateurs. Le
cas de l'hôtelier dont les clients ont la possibilité de regarder la télévision
ne constitue ainsi pas une mise à disposition au sens de l'art. 10 al. 2 let. f
LDA (BARRELET/EGLOFF, op. cit., n° 37 ad art. 10 LDA; HERBERT PFORTMÜLLER, in
Urheberrechtsgesetz [URG], Müller/Oertli [éd.], 2006, n° 13 ad art. 10 LDA).

2.1.2 A la différence de l'art. 67 LDA, l'art. 69 LDA n'assure pas la
protection du droit d'auteur, mais des droits voisins, soit ceux dont disposent
les artistes interprètes, les producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes
ainsi que les organismes de diffusion (cf. art. 1 al. 1 let. b LDA; art. 33 ss
LDA). L'art. 37 LDA, qui définit les droits des organismes de diffusion,
protège le travail de production de la création d'un signal de diffusion d'une
émission destinée à être reçue
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par le public, ce qui inclut la télévision par abonnement (BARRELET/EGLOFF, op.
cit., n° 4 ad art. 37 LDA; REHBINDER/VIGANÒ, op. cit., n° 3 ad art. 37 LDA).
L'art. 69 al. 1 let. e LDA réprime le comportement de celui qui,
intentionnellement et sans droit, fait voir ou entendre une prestation diffusée
ou retransmise (teneur en vigueur avant le 1er juillet 2008; le comportement
réprimé s'étend après cette date également à une autre hypothèse, qui n'est
toutefois pas pertinente en l'espèce). Cette disposition sanctionne une
infraction au droit exclusif dont l'organisme de diffusion dispose de faire
voir ou entendre son émission en vertu de l'art. 37 let. b LDA (BARRELET/
EGLOFF, op. cit., n° 3 ad art. 69 LDA). Ce droit correspond à celui conféré aux
auteurs par l'art. 10 al. 2 let. f LDA (cf. BARRELET/EGLOFF, op. cit., n° 6 ad
art. 37 LDA; REHBINDER/VIGANÒ, op. cit., n° 8 ad art. 37 LDA, cf. supra consid
2.1.1).

2.2 La cour cantonale a considéré que le droit de faire voir ou entendre des
oeuvres se rapportait à un acte par lequel un poste récepteur était utilisé de
telle sorte que des personnes ne faisant pas partie du cercle privé de celui
qui détient le poste puissent voir ou entendre les émissions diffusées,
retransmises ou mises à disposition. Les conditions d'application des art. 67
al. 1 let. i et 69 al. 1 let. e LDA n'étaient ainsi pas réalisées en l'espèce.

2.3 Les recourantes soutiennent que les intimés, en décryptant les oeuvres
diffusées par elles, ont rendu celles-ci perceptibles, contre leur volonté,
puisque sans le système mis en place, les clients de ces derniers n'auraient
pas pu visionner leurs émissions, qui étaient cryptées. Elles invoquent le
texte allemand de la loi qui utilise le terme de "wahrnehmbar machen". Selon
elles, la loi est formulée de manière technologiquement neutre et l'absence
d'utilisation d'un poste récepteur n'est pas pertinente. Le procédé utilisé
violait ainsi les droits que les art. 10 al. 2 let. f LDA et 37 let. b LDA leur
accordaient et était constitutif d'infraction aux art. 67 al. 1 let. i LDA et
69 al. 1 let. e LDA.

2.4 Les oeuvres diffusées par les recourantes n'étaient pas transmises par les
intimés à leurs clients de manière à ce qu'ils puissent directement en
profiter. Elles étaient au contraire reçues par ces derniers, puis décryptées
par le serveur mis en place par les intimés. Ceux-ci ne diffusaient ainsi pas
directement auprès de leurs clients, sans installation supplémentaire, les
programmes des recourantes. Le cas d'espèce n'est pas comparable à celui du
restaurateur ou du coiffeur
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qui diffuse des oeuvres protégées aux clients qui se trouvent dans leur
établissement ou dans leurs locaux, qui, dans ces hypothèses, les perçoivent
immédiatement, sans aucun intermédiaire. L'hôtelier rend également
"perceptible" à ses clients les programmes de télévision que ceux-ci peuvent
visionner dans leur chambre grâce au poste de télévision qui y est installé. La
doctrine considère cependant qu'il ne s'agit pas là d'un cas d'application de
l'art. 10 al. 2 let. f LDA (cf. supra consid. 2.1.1). Cela montre que,
contrairement à ce que les recourantes soutiennent, le simple fait de rendre
perceptible une oeuvre ne suffit pas pour que la disposition précitée soit
applicable.
Au surplus, la cour cantonale n'a pas exclu une violation de la loi sur le
droit d'auteur pour le motif qu'aurait été réalisée l'exception d'usage privé
selon l'art. 19 al. 1 let. a LDA, disposition qu'elle ne cite pas. Elle
mentionne l'usage qui sort du cercle privé pour expliquer la portée de l'art.
10 al. 2 let. f LDA, parfois qualifié de "droit de réception publique". Elle
n'a en revanche pas expliqué que les oeuvres avaient été utilisées dans un
cadre privé et qu'un tel usage était autorisé. Les recourantes ne peuvent ainsi
valablement soutenir que l'autorité cantonale aurait invoqué à tort l'exception
d'usage privé pour nier une violation de leurs droits.

2.5 En définitive, il doit être retenu que les intimés n'ont pas fait voir ou
entendre, au sens des art. 10. al. 2 let. f et 37 let. b LDA, les programmes
produits et diffusés par les recourantes. Les conditions d'application des art.
67 al. 1 let. i LDA et 69 al. 1 let. e LDA ne sont pas remplies. La cour
cantonale n'a ainsi pas violé le droit fédéral en considérant que les intimés
n'avaient pas enfreint ces dispositions. Le recours doit être rejeté, sans
qu'il soit nécessaire d'examiner les griefs d'arbitraire dans l'établissement
des faits et de violation des art. 62 LDA et 126 CPP relatifs à la remise du
gain réclamée par les recourantes et de violation de l'art. 433 al. 1 CPP
qu'elles invoquent en relation avec la violation de la loi sur le droit
d'auteur.