Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 139 III 327



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Urteilskopf

139 III 327

46. Extrait de l'arrêt de la IIe Cour de droit public dans la cause X. contre
Commission foncière agricole du canton de Genève (recours en matière de droit
public)
2C_1208/2012 du 17 juillet 2013

Art. 6 Abs. 1 und Art. 84 BGBB; Feststellung, dass ein Grundstück vom
Anwendungsbereich des BGBB ausgeschlossen ist.
Begriff des landwirtschaftlichen Grundstücks (E. 2.1) und rechtliche
Auswirkungen; Sachumstände, die zur Klärung der Frage heranzuziehen sind, ob
ein Grundstück noch zur landwirtschaftlichen Nutzung geeignet ist (E. 2.2);
Sachumstand der tatsächlichen Nutzung (E. 3). Im vorliegenden Fall wird das
Grundstück seit rund vierzig Jahren als Parkanlage genutzt; es verfügt über ein
Schwimmbad und grenzt an die Parzelle, auf der das Haus steht. Es ist
demzufolge zur landwirtschaftlichen Nutzung nicht mehr geeignet und somit vom
Anwendungsbereich des BGBB ausgeschlossen (E. 4).

Sachverhalt ab Seite 328

BGE 139 III 327 S. 328
X. est propriétaire, depuis 1968, de la parcelle n° 1 du cadastre de la commune
genevoise de Y., d'une surface de 5'447 m^2, sise en zone agricole.
Cette parcelle est contiguë à la parcelle n° 2 de ce même cadastre, située en
zone constructible, dont X. est également propriétaire depuis 1968, et sur
laquelle est construit le bâtiment d'habitation. La parcelle n° 1 est de forme
rectangulaire et d'orientation nord-ouest/sud-est. Elle est prolongée par la
parcelle n° 2, qui a la même largeur, et lui est attenante par son petit côté
sud-est. Elle possède un accès direct à la route principale, située au
sud-ouest, passant entre les parcelles n^os 3 et 4. Dans son coin nord-est, se
trouve une piscine dont la construction a été autorisée par le département
compétent en 1979. Elle est clôturée et utilisée comme parc d'agrément. Y sont
plantés de nombreux arbres d'ornement, une haie d'essences variées ainsi qu'un
verger. X. y a aussi installé de nombreux points d'arrosage automatique, ainsi
qu'un câble permettant l'utilisation d'une tondeuse à robot.
Sur son long côté nord-est, la parcelle n° 1 en jouxte deux autres, qui, bien
qu'en zone agricole, n'étaient pas en 2012 utilisées pour l'agriculture. Sur
son long côté sud-ouest, elle est bordée par différentes parcelles, dont les n^
os 3 et 4, qui la séparent de la route principale et qui sont toutes en zone
agricole. De l'autre côté de cette route, se trouvent de vastes terrains
également en zone agricole et voués à l'agriculture.
BGE 139 III 327 S. 329
Les immeubles n° 1 et n° 2 forment un rectangle allant en direction du
nord-ouest jusqu'au chemin permettant d'accéder à la parcelle n° 12. Celle-ci,
d'une surface de 9'973 m^2 et sur laquelle est construit un bâtiment affecté en
partie à du logement en propriété par étage et à l'exploitation d'un manège,
n'est plus assujettie à la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le droit foncier
rural (LDFR; RS 211.412.11), depuis le 11 avril 2002.
Le 24 janvier 2012, la Commission foncière agricole du canton de Genève a
rejeté la requête de X. demandant de soustraire la parcelle n° 1 du champ
d'application de la loi sur le droit foncier rural, au motif que cette parcelle
était appropriée à l'agriculture.
Par arrêt du 6 novembre 2012, la Chambre administrative de la Cour de justice
du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté, pour la même
raison, le recours formé par l'intéressé.
Le Tribunal fédéral a admis le recours de X. et a réformé l'arrêt attaqué en ce
sens que la requête de X., tendant à faire constater que la parcelle n° 1 du
cadastre de la commune de Y. était exclue du champ d'application de la loi sur
le droit foncier rural, était admise.
(résumé)

Erwägungen

Extrait des considérants:

2. La question litigieuse consiste à déterminer si la parcelle n° 1 est encore
appropriée à un usage agricole au sens de l'art. 6 al. 1 LDFR; si tel ne devait
plus être le cas, elle pourrait être soustraite du champ d'application de la
loi sur le droit foncier rural. En effet, lorsqu'un immeuble sis hors d'une
zone à bâtir - et donc présumé agricole - n'est pas approprié à un usage
agricole ou horticole, l'art. 84 LDFR permet au propriétaire de faire
constater, par l'autorité compétente, que l'immeuble considéré n'est pas soumis
au champ d'application de ladite loi (ATF 132 III 515 consid. 3.3.2 p. 519; ATF
129 III 186 consid. 2 p. 189); le cas échéant, une mention sera inscrite au
registre foncier (art. 86 al. 1 let. b LDFR).

2.1 Est agricole l'immeuble approprié à un usage agricole ou horticole (art. 6
al. 1 LDFR), à savoir celui qui, par sa situation et sa composition, peut être
exploité sous cette forme. Concrètement, toutes les surfaces qui ne sont pas
boisées et qui disposent d'une couche de terre suffisante pour la végétation se
prêtent à un usage agricole (RNRF 89/2008 p. 224, 5A.14/2006 consid. 2.1 et
2.2.2). La caractéristique de l'aptitude est donc d'abord d'ordre objectif.
BGE 139 III 327 S. 330

2.2 Le fait pour un immeuble d'être soumis au régime de la loi sur le droit
foncier rural peut entraîner des conséquences drastiques pour les propriétaires
concernés ou pour leurs successeurs. Tel est, par exemple, le cas en matière
d'attribution successorale privilégiée d'un immeuble agricole (art. 21 ss LDFR
), de préemption des parents (art. 42 al. 2 LDFR), d'améliorations de limites (
art. 57 LDFR), d'interdiction de partage matériel (art. 58 ss LDFR),
d'autorisation d'acquérir (art. 61 ss LDFR) ou de limitation de la charge
maximale (art. 73 ss LDFR). En conséquence, le législateur, désireux de limiter
les atteintes à la garantie constitutionnelle du droit à la propriété (art. 26
Cst.), a mis en place différents correctifs destinés à contenir ces atteintes
dans les limites de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs
législatifs énoncés à l'art. 1 LDFR. Ainsi en va-t-il de toute une série de
situations prévues par les art. 59 et 60 LDFR (exception à l'interdiction de
partage matériel et de morcellement des entreprises et immeubles agricoles), 64
LDFR (exceptions au principe de l'exploitation à titre personnel) et 65 LDFR
(acquisition par les pouvoirs publics) (cf. YVES DONZALLAZ, Commentaire de la
loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le nouveau droit foncier rural [ci-après:
Commentaire], 1993, n° 26 ad Préambule p. 22). En effet, certains biens-fonds
situés hors des zones à bâtir ne sont en réalité d'aucune utilité à
l'agriculture: ainsi, par exemple, un restaurant de montagne ou une maison
d'habitation sans rapport avec une exploitation agricole ne justifient
nullement des mesures particulières en faveur de l'agriculture (ATF 132 III 515
consid. 3.3.2 p. 519; FRANÇOIS ZÜRCHER, La coordination entre aménagement du
territoire et droit foncier rural: quand? pourquoi? comment?, in Territoire &
Environnement, 2004, p. 1 ss, p. 2 ch. 1.2).
La volonté de prendre en compte la situation particulière qui se présente en
cas d'usage non agricole durable de bien-fonds objectivement susceptibles
d'être affectés à l'agriculture et situés en zone agricole ressort déjà du
Message du 19 octobre 1988 à l'appui des projets de la loi fédérale sur le
droit foncier rural (LDFR) et de la loi fédérale sur la révision partielle du
CC et du CO (ci-après: le Message). Ainsi, ce message relève que "la
caractéristique de l'aptitude est d'abord d'ordre objectif, mais l'on doit
cependant aussi tenir compte de l'utilisation effective durant de longues
années" (FF 1988 III 917 ch. 221.3 ad art. 6; arrêt 5A.4/2000 du 1^er septembre
2000 consid. 2b). Ce tempérament de la règle de l'appréciation objective, qui
était déjà largement admis sous le régime de l'ancien
BGE 139 III 327 S. 331
droit successoral paysan (voir les références chez DONZALLAZ, Commentaire, op.
cit., p. 44 n.b.p. 126), semble, pour la loi sur le droit foncier rural,
unanimement admis par la doctrine (parmi d'autres, cf. BRUNO BEELER,
Bäuerliches Erbrecht gemäss dem Bundesgesetz über das bäuerliche Bodenrecht
[BGBB] vom 4. Oktober 1991,1998, p. 66; SANDRA DOSIOS PROBST, La loi sur le
droit foncier rural: objet et conditions du droit à l'attribution dans une
succession ab intestat, 2002, p. 76; CAROLINE EMERY, Le droit de préemption en
droit foncier rural, 2005, p. 47; EDUARD HOFER, in Das bäuerliche Bodenrecht, 2
^e éd. 2011, n° 16 ad art. 6 LDFR; THOMAS MEYER, Erbteilung im bäuerlichen
Erbrecht, in Ausgewählte Aspekte der Erbteilung, 2005, p. 85 ss, spéc. p. 96;
le même, Der Gewinnanspruch der Miterben im bäuerlichen Bodenrecht [Art. 28 ff.
BGBB], 2004,p. 105; DONZALLAZ, Commentaire, op. cit., n° 81 ad art. 6 LDFR p.
44; le même, Pratique et jurisprudence de droit foncier rural [1994/1998]
[ci-après: Pratique], 1999, p. 51 ch. 62; le même, Traité de droit agraire
suisse: droit public et droit privé [ci-après: Traité], vol. II, 2006, p. 177
ch. 2035).
La jurisprudence du Tribunal fédéral et des autorités cantonales a également
mis en oeuvre cette règle (cf. RNRF 89/2008 p. 224, 5A.14/2006; arrêt 5A.4/2000
précité, cf. aussi les références aux arrêts cantonaux chez DONZALLAZ,
Pratique, op. cit., p. 51 ch. 62 ss). L'arrêt entrepris cite aussi la
jurisprudence genevoise "constante" (ATA/189/2012 du 3 avril 2012; ATA/564/2003
du 23 juillet 2003) qui va dans le même sens.
Destinée à éviter des conséquences choquantes (HOFER, op. cit., n° 16 ad art. 6
LDFR), cette prise en compte de l'affectation subjective d'un immeuble peut
ainsi aboutir à soustraire au régime de la loi sur le droit foncier rural,
entre autres éléments, un parc attenant à une villa et qui, situé en zone
agricole, se prêterait aussi, sur la base de critères purement objectifs, à un
usage agricole ou horticole (cf. DONZALLAZ, Traité, op. cit., p. 177 ch. 2035,
avec les références à la jurisprudence cantonale). Dans la mesure où le but de
la loi n'est nullement de faire de tels bien-fonds des immeubles agricoles, il
est jugé raisonnable de les soustraire à ce régime (cf. la doctrine mentionnée
ci-dessus).

3. Une telle exception à l'application de la loi sur le droit foncier rural
doit, par principe, être limitée à des situations singulières; elle ne saurait
conduire à vider de sens la règle en la contournant (cf.
BGE 139 III 327 S. 332
HOFER, op. cit., n° 16 ad art. 6 LDFR). La composante subjective, qui doit dès
lors être prise en compte, ne peut ainsi revêtir qu'une portée subsidiaire
(RNRF 89/2008 p. 224, 5A.14/2006 consid. 2.2.3, avec référence à la doctrine).
Dès lors qu'elle est de nature à faire perdre au terrain sa nature agricole,
elle ne peut être déterminante qu'à des conditions strictes. On en retiendra
trois:

3.1 Le Message précise tout d'abord que l'usage non agricole doit durer depuis
de longues années (FF 1988 III 917 ch. 221.3), sans pour autant en préciser la
durée. La jurisprudence du Tribunal fédéral a confirmé ce principe (arrêt 5A.4/
2000 précité consid. 2b), qui doit être appliqué de façon stricte afin d'éviter
tout comportement abusif. En effet, un usage non agricole ayant persisté
suffisamment longtemps permet d'éviter toute tentative de contournement de la
loi par une politique du fait accompli. Il n'y a, toutefois, pas lieu de fixer
cette durée de manière abstraite, dans la mesure où les circonstances
nécessitent de laisser une certaine marge d'appréciation aux autorités; elle ne
saurait toutefois être inférieure à quelques dizaines d'années. Le Tribunal
fédéral a ainsi jugé insuffisant un usage non agricole d'une dizaine d'années
(arrêt 5A.4/2000 précité).

3.2 Il faut, ensuite, que l'usage agricole ne soit pas non plus envisageable
pour l'avenir. L'approche doit, cependant, être concrète et une telle
possibilité doit reposer sur des éléments objectifs autres que la seule nature
agricole du sol. A défaut, les parcs en question relèveraient toujours du champ
d'application de la loi sur le droit foncier rural. Le long usage non agricole
passé permet d'ailleurs souvent de présumer, à défaut d'éléments nouveaux,
qu'il en sera de même pour l'avenir. Ainsi suffit-il qu'un tel usage non
agricole futur soit seulement vraisemblable (arrêt 5A.4/2000 précité consid.
2b).

3.3 A cela s'ajoute encore que les installations qui ont été érigées sur le
terrain doivent l'avoir été de manière légale, que ce soit par le biais d'une
autorisation au sens des art. 22 et 24 ss de la loi fédérale du 22 juin 1979
sur l'aménagement du territoire (LAT; RS 700), ou encore qu'elles aient été
implantées avant l'entrée en force de cette loi, respectivement lorsque
l'immeuble se trouvait dans une zone alors constructible (art. 24c LAT). Le
Tribunal fédéral a, ainsi, refusé de soustraire du champ d'application de la
loi sur le droit foncier rural un immeuble situé en zone agricole et
partiellement goudronné, affecté à des fins d'entreposage par une société de
travaux
BGE 139 III 327 S. 333
publics, au motif que "le propriétaire a lui-même créé ou, comme en l'espèce, a
laissé s'établir une situation de fait qui ne correspond pas à la destination
de son terrain et qui est incompatible avec la législation applicable en
matière d'aménagement du territoire" (RNRF 89/2008 p. 224, 5A.14/2006 consid.
2.3.2).

4. En l'espèce, la situation décrite par l'arrêt entrepris correspond en tous
points aux exigences de la jurisprudence. En effet, la parcelle n° 1, sur
laquelle sont plantés de nombreux arbres d'ornement, une haie d'essences
variées, ainsi qu'un verger, est clôturée et utilisée comme parc d'agrément
depuis une quarantaine d'années. La piscine qui y est aménagée a été autorisée
par le département compétent, le 18 octobre 1979. Bien que ce fait ne soit pas
déterminant, une très grande partie des parcelles limitrophes sont également
des parcelles d'agrément soustraites au régime de la loi sur le droit foncier
rural pour des motifs divers. Contrairement à ce que pense la Cour de justice,
le fait que l'environnement général soit agricole n'est pas propre, à lui seul,
à empêcher la soustraction de l'immeuble du champ d'application de la loi. En
effet, à l'exception de cas où seule la parcelle concernée est constitutive de
la zone agricole (p. ex. dans l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour
de justice du canton de Genève du 7 décembre 2010 ATA/861/2010 où le seul autre
immeuble originairement agricole était un golf), les cas de figure prévus par
le Message, la jurisprudence et la doctrine prennent toujours en compte un
immeuble incorporé à une zone agricole plus vaste. Il est ainsi insuffisant de
retenir l'existence d'autres immeubles agricoles, plus ou moins proches, pour
faire obstacle à la soustraction du champ d'application de la loi sur le droit
foncier rural, en partant de la présomption qu'un usage agricole futur demeure
possible. L'expérience démontre au contraire qu'une propriété de maître avec
jardin et piscine conserve cet usage, pour des motifs économiques évidents.
Les conditions fixées pour la soustraction de la parcelle n° 1 du champ
d'application de la loi sur le droit foncier rural sont donc réalisées.