Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 138 IV 142



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Urteilskopf

138 IV 142

20. Extrait de l'arrêt de la Ire Cour de droit public dans la cause A. contre
Ministère public du canton de Fribourg (recours en matière pénale)
1B_263/2012 du 8 juin 2012

Regeste

Art. 6 Ziff. 1 EMRK, Art. 30 Abs. 1 BV, Art. 56 lit. f StPO; Ausstand eines
Staatsanwalts, an den die Sache nach der Aufhebung einer Einstellungsverfügung
zurückgewiesen worden ist.
Anwendbare Grundsätze für den Ausstand der Staatsanwaltschaft (E. 2.1-2.3).
Die Begründung der Einstellungsverfügung und die späteren Aussagen des
Staatsanwalts rechtfertigen vorliegend, dass er für das weitere Verfahren in
Ausstand tritt (E. 2.4 und 2.5).

Sachverhalt ab Seite 142

BGE 138 IV 142 S. 142

A. Le 17 avril 2010, B. et C. circulaient dans un véhicule volé sur l'autoroute
A1 en direction de Payerne. A l'appel de leurs collègues fribourgeois, les
gendarmes vaudois D. et E. installèrent un barrage dans le tunnel routier de
Sévaz. A l'arrivée du véhicule, D. tira plusieurs coups de feu en visant la
partie inférieure de la calandre. Le premier coup atteignit mortellement C.
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Le 10 juin 2011, le Ministère public fribourgeois a classé la plainte formée
contre D. par A. (frère jumeau de C.) pour meurtre, homicide par négligence ou
mise en danger de la vie d'autrui. Il a considéré que le barrage avait été
correctement installé et que l'usage de l'arme à feu était justifié et
proportionné. Il n'y avait pas d'intention meurtrière. Une condamnation de D.
n'apparaissait "tout simplement pas possible".
Cette décision a été confirmée par arrêt du 27 octobre 2011 de la Chambre
pénale du Tribunal cantonal fribourgeois.

B. Par arrêt du 27 mars 2012 (ATF 138 IV 86), le Tribunal fédéral a admis les
recours formés par A. et par B. et a annulé l'arrêt de la Chambre pénale et
l'ordonnance de classement. Il était retenu que le véhicule volé arrivait en
empiétant sur la voie de droite, occupée par le policier, raison pour laquelle
celui-ci pouvait légitimement se sentir menacé. Ce fait n'était toutefois pas
définitivement établi. La cause soulevait par ailleurs de nombreuses questions
de fait (vitesse et trajectoire du véhicule, nombre et direction des tirs) et
de droit (légitime défense, proportionnalité de l'intervention). Compte tenu
également de la gravité des faits, le principe "in dubio pro duriore" imposait
un renvoi en jugement. La cause a été renvoyée au Ministère public du canton de
Fribourg afin qu'il engage l'accusation après avoir le cas échéant complété
l'instruction.

C. Le 4 avril 2012, A. a requis la récusation du Procureur général en charge du
dossier depuis le 1^er mai 2011. Il estimait que les précédentes prises de
position de ce magistrat permettaient de craindre que l'acte d'accusation ne
soit pas rédigé dans une perspective de condamnation, en omettant des faits à
charge. Le 5 avril 2012, le Procureur refusa de se récuser en relevant qu'aucun
grief concret n'était soulevé à son encontre.
Par arrêt du 25 avril 2012, la Chambre pénale a rejeté la demande de
récusation. L'allégation d'un manque d'indépendance des tribunaux pénaux face à
la police n'était pas un motif de récusation. L'ordonnance de classement
annulée par le Tribunal fédéral ne constituait pas une grave erreur de
procédure ou d'appréciation justifiant une récusation, et rien ne permettait de
redouter que l'acte d'accusation soit incomplet.

D. Par acte du 7 mai 2012, A. forme un recours en matière pénale par lequel il
demande l'annulation de l'arrêt de la Chambre pénale du 25 avril 2012 et
l'admission de sa demande de récusation.
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Le Tribunal fédéral a admis le recours ainsi que la demande de récusation.
(résumé)

Erwägungen

Extrait des considérants:

2. Le recourant estime que le procureur aurait déjà manifesté sa conviction non
seulement dans son ordonnance de classement, estimant impossible une
condamnation du prévenu, mais aussi dans ses observations précédentes au
Tribunal fédéral, dans lesquelles il se déclarait "convaincu de l'innocence du
prévenu". Ces déclarations permettraient de redouter que l'acte d'accusation ne
soit pas rédigé dans la perspective d'une condamnation, et que le Procureur ne
soutienne pas activement l'accusation. Le recourant estime aussi que les
plaintes dirigées contre la police devraient être examinées par des tribunaux
indépendants. L'argument selon lequel les policiers mis en cause seraient en
l'occurrence vaudois serait irrelevant, car ceux-ci sont également témoins à
charge dans le procès dirigé contre le recourant pour mise en danger de la vie
d'autrui.

2.1 Le recourant ne se prévaut pas du motif de récusation figurant à l'art. 56
let. b CPP (RS 312.0), disposition qui impose la récusation d'une personne
ayant agi à un autre titre dans la même cause. Il ne conteste pas en effet que
le Procureur est intervenu au même titre dans les différentes étapes de la
procédure. Le recourant invoque la lettre f de l'art. 56 CPP, disposition selon
laquelle un magistrat est récusable "lorsque d'autres motifs, notamment un
rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de
nature à le rendre suspect de prévention". Cette disposition a la portée d'une
clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément
prévus aux lettres précédentes (arrêt 1B_131/2011 du 2 mai 2011 consid. 3.1).
Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée
par les art. 30 Cst. et 6 CEDH qui permet d'exiger la récusation d'un magistrat
dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur
son impartialité (ATF 126 I 68 consid. 3a p. 73). Elle n'impose pas la
récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car
une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que
les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une
activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées
objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement
individuelles d'une des parties au procès ne
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sont pas décisives (ATF 138 I 1 consid. 2.2 p. 3; ATF 137 I 227 consid. 2.1 p.
229; ATF 136 III 605 consid. 3.2.1 p. 608; ATF 134 I 20 consid. 4.2 p. 21; ATF
131 I 24 consid. 1.1 p. 25).

2.2 S'agissant plus spécifiquement de la récusation du ministère public, il y a
lieu de distinguer à quel stade de la procédure celle-ci est demandée. En
effet, selon l'art. 16 al. 2 CPP, il incombe à cette autorité de conduire la
procédure préliminaire et de poursuivre les infractions dans le cadre de
l'instruction d'une part, et de dresser l'acte d'accusation et de soutenir
l'accusation d'autre part.

2.2.1 Dans la phase de l'enquête préliminaire et de l'instruction, les
principes applicables à la récusation sont ceux qui ont été dégagés à l'égard
des juges d'instruction, avant l'introduction du CPP. Selon l'art. 61 CPP, le
ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure
jusqu'à la mise en accusation. A ce titre, il doit veiller au bon déroulement
et à la légalité de la procédure (art. 62 ss CPP). Durant l'instruction il doit
établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art.
6 CPP); il doit statuer sur les réquisitions de preuves et peut rendre des
décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation),
voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction
juridictionnelle (ATF 124 I 76 consid. 2; ATF 112 Ia 142 consid. 2b p. 144 ss).
Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même
s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus
orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment
donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations,
d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit
s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne
point avantager une partie au détriment d'une autre (arrêt 1P.334/2002 du 3
mars 2002, in SJ 2003 I p. 174).

2.2.2 En revanche, après la rédaction de l'acte d'accusation, le ministère
public devient une partie aux débats, au même titre que le prévenu ou la partie
plaignante (art. 104 al. 1 let. c CPP). Par définition, il n'est plus tenu à
l'impartialité et il lui appartient en principe de soutenir l'accusation (art.
16 al. 2 in fine CPP; arrêt 1B_415/2011 du 25 octobre 2011; VERNIORY, in
Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, n^o 64 ad art. 56
CPP). Dans ce cadre, ni les art. 29 et 30 Cst., ni l'art. 6 par. 1 CEDH ne
confèrent au prévenu une protection particulière lui permettant de se plaindre
de l'attitude du ministère public et des opinions exprimées par celui-ci durant
les débats (ATF 124 I 76 consid. 2 p. 77 ss; ATF 118 Ia 95 consid. 3b p. 98;
112
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Ia 142 consid. 2a p. 143 s. et les arrêts cités). La partie plaignante ne
saurait, elle non plus, faire grief au ministère public d'exprimer ses
convictions lors des débats, voire même de renoncer à l'accusation s'il estime
que celle-ci ne repose plus sur des éléments suffisants. Le ministère public
représente en effet des intérêts distincts de ceux de la partie plaignante,
qu'il n'a pas vocation à défendre.

2.3 Comme le relève la cour cantonale, on ne saurait admettre systématiquement
la récusation d'un procureur au motif qu'il aurait déjà rendu dans la même
cause une ordonnance de non-entrée en matière ou de classement annulée par
l'autorité de recours. D'une part en effet, des décisions ou des actes de
procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une
apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes
ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat,
peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances
dénotent que le juge est prévenu ou justifient à tout le moins objectivement
l'apparence de prévention (ATF 116 Ia 14 consid. 5a p. 19, ATF 116 Ia 135
consid. 3a p. 138; ATF 114 Ia 153 consid. 3b/bb p. 158; ATF 113 Ia 407 consid.
2b p. 409/410; ATF 111 Ia 259 consid. 3b/aa in fine p. 264). D'autre part, la
jurisprudence considère que le magistrat appelé à statuer à nouveau après
l'annulation d'une de ses décisions est en général à même de tenir compte de
l'avis exprimé par l'instance supérieure et de s'adapter aux injonctions qui
lui sont faites (ATF 113 Ia 407 consid. 2b p. 410). Seules des circonstances
exceptionnelles permettent dès lors de justifier une récusation dans de tels
cas, lorsque, par son attitude et ses déclarations précédentes, le magistrat a
clairement fait apparaître qu'il ne sera pas capable de revoir sa position et
de reprendre la cause en faisant abstraction des opinions qu'il a précédemment
émises.

2.4 Dans son arrêt du 27 mars 2012, le Tribunal fédéral a annulé l'ordonnance
de classement, et renvoyé la cause au Ministère public afin qu'il engage
l'accusation après avoir, le cas échéant, complété l'instruction. Le Tribunal
fédéral a notamment considéré qu'il appartiendrait au Ministère public de
statuer sur les offres de preuves de la partie plaignante. A ce stade de la
procédure, le Procureur n'intervient donc pas comme simple partie, mais encore
comme autorité d'instruction. Il est donc tenu aux exigences de réserve et
d'impartialité rappelées ci-dessus. Or, l'ordonnance de classement du 10 juin
2011, longue de 44 pages, comporte un exposé des faits très détaillé. Sur
plusieurs points (vitesse et trajectoire du véhicule, volonté du prévenu), elle
retient la version la plus favorable au prévenu. En
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droit, le Procureur général a écarté les préventions de meurtre - y compris par
dol éventuel -, d'homicide par négligence et de mise en danger de la vie
d'autrui, en considérant qu'il n'y avait aucune sorte d'intention et que
l'intervention était justifiée par un état de légitime défense. La motivation
très péremptoire de cette ordonnance fait ressortir l'absence de tout doute au
sujet de l'innocence du prévenu. Le procureur en a conclu qu'une condamnation
de l'agent de police ne semblait "tout simplement pas possible". Lors de la
procédure de recours devant le Tribunal fédéral, il a encore précisé, dans ses
déterminations du 19 janvier 2012, qu'il était "difficile d'imaginer un
Procureur, convaincu de l'innocence du prévenu, le déférer au tribunal par acte
d'accusation pour ensuite demander sa libération". Le magistrat explique s'être
ainsi exprimé de manière abstraite, mais, sous l'angle de l'apparence tout au
moins, le recourant pouvait légitimement redouter que le Procureur ne soit pas
enclin à modifier un point de vue qu'il a longuement exposé et fermement
maintenu devant les instances de recours.
Il ressort aussi de la décision de classement que le procureur a écarté pas
moins de 17 offres de preuves (notamment des expertises sur le dispositif mis
en place et sur l'engagement de l'arme, une détermination de la chronologie des
faits et une expertise balistique), en détaillant les motifs de ces refus,
fondés sur une appréciation anticipée.
Compte tenu de ces refus d'instruire, des motifs retenus dans l'ordonnance de
classement et des déclarations faites ultérieurement, la partie plaignante
pouvait à juste titre se plaindre d'une apparence de prévention dans la
perspective d'un éventuel complément d'instruction. Le recours doit dès lors
être admis pour ce motif.

2.5 Le recourant fait aussi valoir que les procédures dirigées contre des
membres de la police devraient être menées par des autorités indépendantes: les
procureurs seraient tributaires de la collaboration de la police, et cette
dernière pourrait exercer des pressions. Le recourant se fonde sur une
recommandation du Comité des Nations-Unies contre la torture, du mois de juin
2005, qui préconise l'institution d'un mécanisme indépendant pour les plaintes
contre les agents de police, ainsi qu'un rapport d'Amnesty International du
mois de juin 2007 allant dans le même sens. L'argument doit être écarté, sans
qu'il y ait à examiner en détail les réserves mentionnées par le recourant. En
effet, comme le relève avec raison la cour cantonale, l'enquête est en l'espèce
diligentée par les autorités fribourgeoises contre un
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policier du canton de Vaud. Même si les autorités de différents cantons peuvent
être amenées à collaborer, il n'y a pas de relation directe entre un procureur
d'un canton et la police d'un autre. L'autorité d'instruction ordinaire dispose
dès lors manifestement d'une indépendance suffisante.

2.6 L'admission de la demande de récusation, pour les motifs évoqués ci-dessus,
implique la désignation d'un autre magistrat. Cela dispense d'examiner
l'argument tiré de la participation du procureur à l'enquête dirigée contre le
recourant.