Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

BGE 138 IV 1



Urteilskopf

138 IV 1

1. Extrait de l'arrêt de la Cour de droit pénal dans la cause X. contre
Ministère public de la Confédération (recours en matière pénale)
6B_729/2010 du 8 décembre 2011

Regeste

Art. 305^bis StGB; Art. 260^ter StGB; aArt. 59 Ziff. 3 StGB; Art. 72 StGB;
Beweis der verbrecherischen Herkunft von Vermögenswerten einer kriminellen
Organisation bei der Geldwäscherei.
Bei der Geldwäscherei von Vermögenswerten einer kriminellen Organisation dürfen
an den Nachweis der Vortat keine höheren Anforderungen gestellt werden als bei
den anderen Fällen der Geldwäscherei. Der Beweis, dass ein Verbrechen
vorausging, reicht aus. Exakte Kenntnis des Verbrechens und des Täters ist
nicht erforderlich. Ebenso wenig wird verlangt, dass ein natürlicher und
adäquater Kausalzusammenhang zwischen den individualisierbaren, im Rahmen der
kriminellen Organisation begangenen Verbrechen und den gewaschenen
Vermögenswerten aufgezeigt wird. Der von der Rechtsprechung geforderte
"absichtlich lockere" Zusammenhang (BGE 120 IV 323 E. 3d S. 328) ist
ausreichend erstellt, wenn bewiesen ist, dass die Verbrechen im Rahmen der
kriminellen Organisation verübt wurden und die Vermögenswerte von dieser
herrühren. Zwischen den Verbrechen gesamthaft betrachtet und den
Vermögenswerten muss ein natürlicher und adäquater Kausalzusammenhang gegeben
sein, selbst wenn die verbrecherische Herkunft nur eine indirekte ist (E.
4.2.3.2).
Genügt die Vermutung von Art. 72 StGB, um die verbrecherische Herkunft von
Geldern im Besitz eines Mitglieds der kriminellen Organisation für die
Anwendung von Art. 305^bis StGB zu erstellen? Die Frage wurde offengelassen (E.
4.2.3.2).

Sachverhalt ab Seite 2

BGE 138 IV 1 S. 2

A. X., né en 1963, est employé de banque de formation. Après d'autres postes,
notamment celui de responsable du secteur Amérique latine de 1995 à 2001 auprès
de la banque A., il a travaillé de 2001 à 2008 comme responsable du même
secteur de la banque B. Il a rencontré C. une première fois à l'occasion d'un
cocktail, plus mondain que professionnel, organisé par un ancien collègue de A.
et ami, D., en 2002 à Sao Paulo. Entre mars-avril et juin 2003, E., tiers
gérant privé lié par un contrat d'apporteur d'affaires avec B., a contacté X.
pour qu'il ouvre une relation bancaire au nom de F. SA,
BGE 138 IV 1 S. 3
puis qu'il crée la fondation lichtensteinoise G. pour C. Cette structure
financière, voulue par celle-ci, devait permettre de faire apparaître H., son
fils, comme unique bénéficiaire de l'argent. Le 6 juin 2003, X. a ouvert la
relation bancaire n° 104558-00 au nom de la société F. SA (Panama) auprès de B.
Ce compte a été crédité de USD 3,6 millions, provenant d'un compte n°
279-CO312.56 ouvert auprès de I. SA par C., avec procuration individuelle à J.
X. a ensuite rencontré la cliente les 21 et 22 octobre dans les locaux de B. à
Genève, avant de se rendre au Brésil le 26 octobre suivant.
C. et son ex-compagnon J., juge fédéral brésilien, père de l'enfant H., ont été
arrêtés le 30 octobre 2003 au Brésil dans le cadre d'une vaste enquête pénale
baptisée "K.", menée par le Parquet de Sao Paulo. Dès début novembre 2003,
cette opération a été largement relayée par la presse brésilienne, que X.
lisait tous les jours. Le 3 novembre 2003, X., qui était encore au Brésil, a
envoyé, par l'intermédiaire d'une collègue, une première information au service
compliance de B., au sujet de l'arrestation de C. Le 10 novembre, à la suite
d'une requête d'informations complémentaires du service concerné, il a répondu
par courriel qu'il préférait revenir en Suisse pour communiquer les détails de
l'affaire et qu'il ramenait avec lui la plupart des articles de presse parus
sur l'affaire au Brésil. Dans l'une de ces coupures, il était notamment
mentionné que des documents attestant de l'existence de dépôts effectués auprès
d'une banque suisse ainsi que de comptes bancaires en Suisse avaient été
trouvés lors d'une perquisition chez C. X. a également reconnu que son nom
était apparu dans la presse brésilienne, parce qu'il figurait sur un téléfax
rédigé par C., retrouvé en original dans son appartement par les enquêteurs. Ce
document avait été rédigé lorsqu'elle avait clôturé le compte I. n°
279-CO312.56. Elle avait inscrit le nom de X. comme personne de contact à la
banque B. Par un courriel du 11 novembre 2003, X. a informé le service
compliance de B. de l'arrestation de la mère de l'ayant droit économique de la
relation en question, expliquant: "J. was a lawyer, became judge ... He is
accused of 'association de malfaiteurs', negociation of sentences, corruption.
C. is accused mainly of being a 'front person' for her ex-husband and of having
an account outside". Il a proposé à son supérieur, le 13 novembre 2003, de
bloquer le compte à l'interne mais de ne pas annoncer le cas au Money
Laundering Reporting Office-Switzerland (MROS) dans l'immédiat. Le compte a été
séquestré par le Ministère public de la Confédération le 22 juin 2004.
BGE 138 IV 1 S. 4
Par jugement du 17 décembre 2004, confirmé le 4 février 2008 par le Tribunal
suprême du Brésil (sous réserve d'une légère réduction de la peine infligée à
C.), le Tribunal régional fédéral de la troisième région de Sao Paulo a
condamné, parmi d'autres accusés, C. à deux ans et demi de réclusion et J. à 3
ans de réclusion pour "association de malfaiteurs" soit pour s'être associés
avec d'autres personnes afin de commettre des infractions pénales telles que la
prévarication, la corruption, la concussion, les menaces, l'abus d'autorité et
la vente de facilités. C. a été condamnée pour son rôle important au sein de
l'organisation, en tant que responsable des fonds obtenus grâce à des activités
illicites. Par jugement du 28 juin 2007, J. a également été condamné pour
corruption passive à une peine de quatre ans de réclusion. D'autres procédures
pénales étaient en cours contre eux au Brésil.

B. Par arrêt du 1^er juin 2010, la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal
fédéral a condamné X. pour défaut de vigilance en matière d'opérations
financières et blanchiment d'argent à 90 jours-amende à 300 fr. l'un avec deux
ans de sursis. En résumé, le Tribunal pénal fédéral a jugé que X. aurait,
d'emblée, dû qualifier la relation comme "personne exposée politiquement"
(Politically Exposed Person; ci-après: PEP) parce qu'il connaissait le rapport
de filiation entre l'ayant droit économique et un juge. Cette circonstance
aurait dû l'amener à approfondir ses recherches, ce qui l'aurait conduit à
découvrir qu'il s'agissait d'un juge de haut rang. En ne le faisant pas, il
s'était rendu coupable, du 6 juin au 11 novembre 2003, de défaut de vigilance
en matière d'opérations financières. Par ailleurs, fort des informations
relayées à sa banque, X. savait, à compter du 11 novembre 2003, que les valeurs
patrimoniales du compte B. n° 104'558 pouvaient provenir du crime. Les
obligations de gestionnaire de compte de X. ne se limitaient pas à informer le
service compliance le 11 novembre, puis à en proposer le blocage le 13 novembre
2003. Il aurait alors, au moins dès ce moment-là, dû qualifier la relation de
PEP et, jusqu'à annonce du cas au MROS, approfondir ses investigations, tenir
sa hiérarchie au courant de la situation au Brésil et éclaircir la question de
l'origine des fonds du compte n° 104'558. Ces omissions relevaient du
blanchiment.

C. X. recourt en matière pénale contre cette décision. Il conclut, avec suite
de frais et dépens, principalement à sa réforme dans le sens de son
acquittement. A titre subsidiaire, il demande l'annulation de l'arrêt querellé
et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens
des considérants.
BGE 138 IV 1 S. 5
Invités à formuler des observations sur le recours, le Tribunal pénal fédéral y
a renoncé, cependant que le Ministère public de la Confédération a conclu
principalement au rejet du recours et, à titre subsidiaire, à la réforme de la
décision entreprise en ce sens que le recourant soit condamné pour blanchiment
d'argent pour la période du 6 juin au 11 novembre également et sa peine
aggravée en conséquence.

Erwägungen

Extrait des considérants:

4.

4.2 Selon le recourant, la Cour des affaires pénales aurait ensuite constaté de
manière arbitraire la provenance criminelle des fonds se trouvant sur le compte
B.

4.2.1 Sur ce point, l'autorité précédente a rappelé que la loi exige un lien
suffisamment étroit pour que l'on puisse parler de provenance. Elle a relevé
que la procédure brésilienne avait permis de démontrer que ni J. ni C.
n'auraient pu gagner dans toute leur vie les sommes retrouvées chez cette
dernière et les montants des comptes en banques étrangères. Elle a conclu à
l'origine illicite des fonds.

4.2.2 Le but de l'art. 305^bis CP réside dans la lutte contre le crime organisé
et contre des organisations qui s'adonnent au blanchiment par métier. Comme ces
délinquants sont souvent actifs dans plusieurs pays, le blanchiment est aussi
punissable lorsque le délit initial a été commis à l'étranger. Afin d'atteindre
l'objectif visé, l'action des autorités suisses ne doit pas être rendue
considérablement plus compliquée et ralentie. C'est pourquoi le Tribunal
fédéral a jugé que la condamnation pour blanchiment ne supposait pas la
connaissance précise du crime préalable et de son auteur. Le lien entre le
crime à l'origine des fonds et le blanchiment d'argent est donc volontairement
ténu (ATF 120 IV 323 consid. 3d p. 328). L'exigence d'un crime préalable
suppose cependant établi que les valeurs patrimoniales proviennent d'un crime
(URSULA CASSANI, Commentaire du droit pénal suisse, Partie spéciale, vol. 9,
1996, n° 9 ad art. 305^bis CP; TRECHSEL/AFFOLTER-EIJSTEIN, in Schweizerisches
Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 2008, n° 11 ad art. 305^bis CP).

4.2.3 Jusqu'ici, le Tribunal fédéral n'a jamais été amené à examiner à quelles
conditions les valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle peuvent être
considérées comme provenant d'un crime au sens de l'art. 305^bis CP,
respectivement si la participation à une telle organisation peut constituer un
crime dont proviennent les valeurs. Ces questions sont disputées en doctrine.
BGE 138 IV 1 S. 6

4.2.3.1 Selon URSULA CASSANI, lorsque l'argent appartient à une organisation
criminelle suffisamment grande pour avoir des activités illicites diversifiées
qui lui rapportent de l'argent, sans qu'il soit possible d'établir de quel
crime précis proviennent les valeurs patrimoniales, ces cas ne se situent pas
dans le champ d'application de l'art. 305^bis CP, mais dans celui de l'art. 260
^ter CP régissant la punissabilité de l'organisation criminelle (op. cit., n°
10 ad art. 305^bis CP). Pour NIKLAUS SCHMID, dans la règle, les comportements
réprimés par l'art. 260^ter CP ne confèrent pas directement des avantages
patrimoniaux qui "proviennent d'un crime" au sens de l'art. 305^bis CP, sous
réserve de l'hypothèse où l'organisation rémunère ses membres pour la
commission de crimes. Il est pour le moins douteux que l'on puisse pallier
l'absence de preuve de l'origine criminelle par le fait que l'auteur aurait dû
connaître cette origine dès lors que les valeurs patrimoniales proviendraient
d'une telle organisation. Il serait de même très hasardeux et même exclu
d'appliquer, sur ce point, la présomption, qui vaut en matière de confiscation
des valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle, selon laquelle celles
appartenant à une personne participant ou soutenant l'organisation sont
présumées soumises, jusqu'à preuve du contraire, au pouvoir de disposition de
l'organisation (NIKLAUS SCHMID, Insiderdelikte und Geldwäscherei, in Aktuelle
Probleme im Bankenrecht, 1994, ch. 3.2.2 et 3.3 p. 202 s.). Pour JÜRG-BEAT
ACKERMANN, également, la participation à l'organisation criminelle ne peut,
comme telle, constituer le crime initial parce que les valeurs patrimoniales
appartenant directement ou indirectement à l'organisation criminelle ne
proviennent pas de manière immédiate de la participation à l'organisation
criminelle mais de l'activité, tournée vers le crime, de celle-ci. Cet auteur
admet cependant que le blanchiment de valeurs patrimoniales de l'organisation
peut être réprimé si la preuve des crimes commis par l'organisation est
rapportée (JÜRG-BEAT ACKERMANN, in Kommentar Einziehung, organisiertes
Verbrechen, Geldwäscherei, 1998, n° 159 ad art. 305^bis CP p. 447).
A l'opposé, un auteur soutient que l'on ne peut déduire du texte de l'art. 305^
bis CP que la provenance devrait être "directe". Cette interprétation irait à
l'encontre du but visé par la norme. Tant les approches grammaticale,
systématique, historique que téléologique imposeraient d'appréhender toutes les
valeurs patrimoniales de l'organisation criminelle comme provenant d'un crime
au sens de l'art. 305^bis CP (FRIEDRICH FRANK, Art. 260^ter StGB als
verbrecherische Vortat des Art. 305^bis StGB?, Jusletter 15 mars 2010).
BGE 138 IV 1 S. 7

4.2.3.2 L'art. 305^bis CP vise le comportement de celui qui commet un acte
propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la
confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer
qu'elles provenaient d'un crime. La jurisprudence a, en particulier, mis
l'accent sur l'acte susceptible d'entraver la confiscation, ce qui inclut
l'entrave à l'identification de l'origine et à la découverte des valeurs
patrimoniales (ATF 129 IV 238 consid. 3.3 p. 244). Elle en a déduit, en se
référant aux principes dégagés en matière de confiscation des valeurs
patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction (art. 70 al. 1 CP), qu'en
matière de blanchiment le crime doit être la cause essentielle et adéquate de
l'obtention des valeurs patrimoniales et que celles-ci doivent provenir
typiquement du crime en question. En d'autres termes, il doit exister entre le
crime et l'obtention des valeurs patrimoniales un rapport de causalité tel que
la seconde apparaît comme la conséquence directe et immédiate du premier (ATF
137 IV 79 consid. 3.2 p. 80 ss).
L'art. 305^bis CP règle de manière uniforme le blanchiment des valeurs
patrimoniales provenant de crimes. Malgré les liens étroits existant entre
cette disposition et les normes relatives à la confiscation, l'art. 305^bis CP
ne prévoit pas expressément de régime spécifique pour les actes susceptibles
d'entraver la confiscation des biens d'une organisation criminelle. Bien qu'il
apparaisse souhaitable que la punissabilité en application de l'art. 305^bis CP
puisse être fondée sur la seule connaissance, par l'auteur, du fait que les
valeurs patrimoniales proviennent d'une organisation criminelle (SCHMID, op.
cit., ch. 3.2.2 p. 202) et que, à défaut, la présomption de l'art. 72 CP
pourrait constituer un allègement considérable des problèmes de preuve en
matière de blanchiment des valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle,
il semble que le législateur n'a pas voulu régler de manière distincte ce cas
de blanchiment. En d'autres termes, il semble qu'il n'a pas voulu jeter un pont
entre les art. 305^bis et 72 CP (SCHMID, loc. cit.). Ainsi, dans le Message
concernant la révision du droit de la confiscation, punissabilité de
l'organisation criminelle, droit de communication du financier (FF 1993 III 269
ss, 293 ch. 212.1/d/bb), le Conseil fédéral expose-t-il que "La norme [art. 260
^ter CP]est également applicable à celui qui administre des fonds en sachant
pertinemment que sa prestation de service profite à une organisation criminelle
[...] Il est ainsi possibled'appréhender des comportements qui contribuent dans
une large mesure à renforcer la capacité de fonctionnement de l'organisation
criminelle, même dans les situations
BGE 138 IV 1 S. 8
où la disposition sur le blanchiment reste sans effet. On songera notamment aux
cas dans lesquels, par suite du mélange de valeurs patrimoniales provenant de
diverses activités légales et illégales de l'organisation, il n'est plus
possible d'apporter la preuve - exigée par la norme sur le blanchissage
d'argent - de l'origine criminelle des fonds". Un tel renvoi à la norme
réprimant le soutien à l'organisation criminelle n'aurait pas été absolument
nécessaire si l'on avait voulu, en édictant l'art. 260^ter CP et la norme
permettant la confiscation des valeurs patrimoniales sur lesquelles une
organisation criminelle exerce un pouvoir de disposition (ancien art. 59 ch. 3
CP; art. 72 CP), faciliter la preuve des conditions du blanchiment des valeurs
patrimoniales d'une organisation criminelle. Cela démontre que, dans l'esprit
du Conseil fédéral, l'application de l'art. 305^bis CP, qui était déjà en
vigueur, supposait établi non seulement un lien entre les valeurs patrimoniales
et l'organisation criminelle, mais également avec les crimes commis par cette
dernière.
Cette approche paraît cependant sous-estimer largement les rapports étroits
existant entre la norme sur le blanchiment et la lutte contre les organisations
criminelles. Elle apparaît, par ailleurs, dépassée. On peut relever, à cet
égard, que l'art. 6 de la loi fédérale du 10 octobre 1997 sur le blanchiment
d'argent (LBA; RS 955.0) imposait déjà dans sa teneur en vigueur depuis le 1^er
avril 1998 de clarifier l'arrière-plan économique d'une relation d'affaires en
présence d'indices laissant supposer que des valeurs patrimoniales provenaient
d'un crime ou qu'une organisation criminelle exerçait un pouvoir de disposition
sur ces valeurs (RO 1998 894). Quoi qu'il en soit, il n'est pas nécessaire de
trancher définitivement en l'espèce la question de savoir si la présomption de
l'art. 72 CP suffit à établir l'origine criminelle des fonds trouvés en
possession d'un membre de l'organisation criminelle pour l'application de
l'art. 305^bis CP.
Si, en effet, la présomption de l'art. 72 CP ne devait pas permettre de
faciliter cette preuve, il n'y aurait, quoi qu'il en soit, pas lieu, en matière
de blanchiment des valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle, de
poser des exigences plus strictes en relation avec l'existence du crime
préalable qu'en ce qui concerne les autres cas de blanchiment. Il faut ainsi,
de toute manière, admettre que la preuve de l'existence préalable d'un crime
suffit, sans que la connaissance précise de celui-ci et de son auteur soit
nécessaire. Poser des exigences accrues irait à l'encontre tant de la norme
réprimant le blanchiment d'argent que de celle réprimant la participation et le
soutien à
BGE 138 IV 1 S. 9
une organisation criminelle, qui sont l'une et l'autre complémentaires. Aussi,
même si l'on admet, avec les auteurs cités précédemment que, dans la règle, la
participation ou le soutien à l'organisation, à lui seul, ne constituerait pas
encore un crime préalable dont les valeurs patrimoniales sont issues dans la
mesure où la preuve d'autres crimes n'est pas rapportée, on ne saurait, de
toute manière, exiger des précisions excessives quant aux crimes commis par
l'organisation. On ne saurait non plus exiger la démonstration d'un lien de
causalité naturelle et adéquate entre chacun de ces crimes individualisés et
les valeurs patrimoniales blanchies. Le lien "nécessairement ténu" exigé par la
jurisprudence est suffisamment établi lorsqu'il est prouvé que des crimes ont
été commis dans le cadre de l'organisation et que les valeurs patrimoniales
proviennent de cette dernière. On doit alors exiger, même si la provenance
criminelle n'est qu'indirecte, que soit donné un rapport de causalité naturelle
et adéquate entre les crimes, considérés globalement, et les valeurs
patrimoniales.

4.2.3.3 Un comportement est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue
l'une des conditions sine qua non. Pour déterminer si un comportement est la
cause naturelle d'un résultat, il faut se demander si le résultat se
reproduirait si, toutes choses étant égales par ailleurs, il était fait
abstraction de la conduite à juger. Lorsqu'il est très vraisemblable que non,
cette conduite est causale, car elle est la condition sine qua non du résultat
(PHILIPPE GRAVEN, L'infraction pénale punissable, 2^e éd. 1995, p. 90 s.). La
constatation du rapport de causalité naturelle relève du fait, ce qui la
soustrait au contrôle de la cour de céans. Il y a toutefois violation du droit
fédéral si l'autorité précédente méconnaît le concept même de la causalité
naturelle (ATF 122 IV 17 consid. 2c/aa p. 23).
En matière de blanchiment, cela conduit à rechercher si le crime préalable est
une condition nécessaire, mais pas forcément suffisante, de l'obtention des
valeurs patrimoniales. Dans le contexte particulier du blanchiment des valeurs
patrimoniales d'une organisation criminelle, il faut se demander si les valeurs
patrimoniales auraient pu être obtenues sans les crimes commis par
l'organisation.

4.2.3.4 En l'espèce, l'existence de crimes commis par l'organisation est
établie par les décisions judiciaires brésiliennes. Comme l'a retenu à juste
titre l'autorité précédente, les infractions dont la commission est imputée à
l'organisation criminelle, respectivement à ses membres, peuvent être
qualifiées, en droit suisse, comme les crimes de corruption passive (art. 322^
quater CP), d'abus d'autorité (art. 312
BGE 138 IV 1 S. 10
CP), de gestion déloyale des intérêts publics (art. 314 CP) en vue de se
procurer des avantages patrimoniaux illégaux. L'extorsion et le chantage (art.
156 CP) faisaient aussi partie des crimes commis par l'organisation. Enfin, C.
a été convaincue d'actes correspondant, en droit suisse, à la qualification de
blanchiment aggravé (art. 305^bis ch. 2 let. a CP). Reste à établir le lien
existant entre ces crimes et les valeurs patrimoniales se trouvant sur le
compte B.

4.2.3.5 La Cour des affaires pénales a retenu que la procédure brésilienne
avait permis de démontrer que ni J. ni C. n'auraient pu gagner dans toute leur
vie les sommes retrouvées en espèces chez cette dernière et les montants des
comptes en banques étrangères. Elle a également exclu l'origine successorale de
ces fonds. Elle a, par ailleurs, relevé que C. ne s'était absolument pas
manifestée ensuite des ordonnances de suspension et de confiscation rendues par
le Ministère public et que les fonds en cause avaient, de surcroît, fait
l'objet d'une demande d'entraide judiciaire du Brésil.

4.2.3.6 Les juges brésiliens ont relevé la saisie au domicile de C. d'une somme
considérable en monnaie étrangère, d'objets de grande valeur (bijoux, montres,
équipements électroniques), ainsi que de documents en relation avec les liens
de la bande. Ils ont constaté des indices de l'existence de montants déposés à
l'étranger et ont retenu qu'ils constituaient sans le moindre doute le produit
des crimes commis, dont elle avait la garde en quelque sorte comme une
"caissière" de l'organisation, poste très important et de confiance.
L'intéressée avait certes tenté de justifier la possession de ces biens et
avoirs, alléguant qu'ils provenaient d'activités licites exercées tout au long
de son existence, tels salaires et revenus de sa charge publique, opérations
réalisées dans le commerce des mines de pierres précieuses, achat et vente de
pierres précieuses et d'antiquités, surplus de campagnes et de mandats
politiques, prestations de services en conseils fiscaux, ainsi que présents
d'amoureux et de son parrain, mais qu'elle n'avait pas été en mesure de
démontrer l'origine de telles richesses. Les témoins entendus sur ce point, qui
avaient des liens avec elle, n'avaient pu indiquer ce que les travaux en
question lui avaient rapporté. Les pièces qu'elle avait produites ne
permettaient pas non plus d'établir l'origine de 800'000 réaux déposés sur un
compte bancaire, soit l'origine de ces moyens financiers, le cheminement de
ceux-ci, la localisation précédente et enfin depuis quand elle les détenait,
leur provenance et par où ils avaient transité. Ce jugement souligne aussi tout
particulièrement que "La communion
BGE 138 IV 1 S. 11
d'intérêts entre J. et C. est indéniable, étant donné qu'il n'y a pas de
séparation réelle du patrimoine, des biens, titres, demeures, affaires,
documents, papiers, archives [et] véhicules".
Ces constatations de fait recueillies au Brésil permettaient à la Cour des
affaires pénales d'exclure sans arbitraire que les avoirs retrouvés sur le
compte ouvert par C. provinssent de son travail ou d'activités commerciales,
plus généralement de sources licites. Par ailleurs, l'autorité précédente
pouvait également écarter, sans arbitraire, une nouvelle justification -
désormais successorale - que l'intéressée n'avait jamais avancée dans la
procédure dirigée contre elle au Brésil. Les griefs du recourant sont, sur ce
point, infondés.

4.2.4 Le recourant objecte aussi que la somme transférée sur le compte B.
provenait d'un compte I. ouvert en 1989 et se trouvait déjà sur ce compte en
1994. Il avance ensuite que le jugement brésilien ne contiendrait aucun indice
d'activités criminelles antérieures à 1994 pour en déduire qu'il était
arbitraire de constater l'origine criminelle des fonds se trouvant sur le
compte B.

4.2.4.1 Selon les constatations de fait de l'arrêt querellé, le compte initial
I. n° 279-CO312.056 duquel proviennent les avoirs du compte B. n° 104'558 a été
ouvert le 24 juillet 1989 par C., avec procuration individuelle à J. Si les
documents obtenus auprès de I. n'indiquent pas le montant versé en compte à
l'ouverture de la relation, les premiers relevés, datant de 1994, mentionnent
un solde de quelques 3'816'000 USD selon l'arrêt entrepris (recte: 3'081'608
USD). Par ailleurs, 3'600'000 USD ont été crédités sur le compte B. à son
ouverture.

4.2.4.2 L'argument du recourant repose sur l'hypothèse que le compte I. n^o
279-CO312.056, essentiellement composé de titres, n'aurait pas fait l'objet de
mouvements externes depuis 1994, soit en particulier de versements, et que les
variations de son solde, principalement son augmentation, résulteraient, pour
la période durant laquelle le jugement brésilien permet d'établir l'existence
d'activités criminelles de l'organisation, uniquement des transactions
effectuées sur les titres en dépôt soit du résultat des investissements. Cette
prémisse ne fait l'objet d'aucune démonstration. Insuffisamment motivé, le
grief est irrecevable (art. 106 al. 2 LTF).

4.2.4.3 Au demeurant, cette hypothèse est en contradiction avec les pièces du
dossier, dont il ressort, d'une part, que le solde annuel du compte en question
n'est pas demeuré constant ou en légère
BGE 138 IV 1 S. 12
augmentation de 1994 à 2003 et, d'autre part, que différents versements, en
provenance d'autres banques (virements SWIFT), portant respectivement sur
plusieurs dizaines à plusieurs centaines de milliers de dollars, ont été
effectués en faveur de ce compte notamment durant les années 1998 (virements
pour un total de 400'000 USD) et 2000 (virements pour un total de 280'000 USD).
L'hypothèse sur laquelle repose le grief du recourant n'est donc pas vérifiée.

4.2.4.4 Par ailleurs, il ressort du jugement brésilien de nombreux éléments
permettant d'établir l'existence de relations entre les différents membres de
l'organisation criminelle dans les années 1990 déjà, soit en particulier au
moment où les fonds de C. étaient déposés auprès de I. et où des versements
interbancaires ont été effectués.
Cela permet aussi, sous l'angle de l'arbitraire, d'écarter l'argumentation du
recourant selon laquelle il ne serait pas possible d'établir l'existence de
crimes préalables avant le moment où l'intégralité des fonds se serait trouvée
sur le compte I., puis B.
Supposé recevable, ce grief devrait ainsi être rejeté. Il s'ensuit que le
recourant ne démontre pas en quoi il était arbitraire de retenir l'existence
d'un rapport de causalité naturelle entre les valeurs se trouvant sur le compte
B. et les crimes perpétrés dans le cadre de l'organisation criminelle.

4.2.5 Pour le surplus, il suffit de relever que les divers crimes dont la
réalisation a été imputée à l'organisation criminelle, soit en particulier la
corruption passive, la gestion déloyale des intérêts publics en vue de se
procurer des avantages patrimoniaux illégaux ou encore l'extorsion et le
chantage sont de nature, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience
générale de la vie, à permettre à leur auteur d'obtenir des valeurs
patrimoniales. En outre, il a été reproché à C. d'avoir commis, au sein de
l'organisation, des actes correspondant à la qualification de blanchiment
aggravé (art. 305^bis ch. 2 let. a CP) en droit suisse. Ces deux éléments
permettaient ainsi de retenir l'existence d'un rapport de causalité adéquate
entre les crimes commis au sein de l'organisation et les valeurs patrimoniales
retrouvées sur le compte B.
On examinera, sous l'angle des aspects subjectifs ce que le recourant savait ou
ce dont il devait se douter quant à l'origine de ces fonds (v. consid. 4.5 non
publié).